DESCRIPTION DU DICTIONNAIRE DU PERE C. BAILLEUL

Transcription

DESCRIPTION DU DICTIONNAIRE DU PERE C. BAILLEUL
MINISTERE DE L'EDUCATION,
DE L’ALPHABETISATION ET DE
LA PROMOTION DES LANGUES NATIONALES
(MEAPLN)
----------------------Centre
National
l’Education Non Formelle
(CNR-ENF)
REPUBLIQUE DU MALI
Un Peuple – Un But – Une Foi
des
Ressources
DESCRIPTION DU DICTIONNAIRE
DU PERE C. BAILLEUL
Soumana Kané
Maître de conférences
Sous-Directeur des Opérations/CNR-ENF
Bamako, février 2013
de
Sigles et abréviations
ar.
arabe
f
Falajè
fr.
Français
bl
Béléko
bmk
Bamako
bn
Banan
kl
Kolokani
INTRODUCTION
Le Dictionnaire bambara-français du Père Charles Bailleul (édition 1996) est une nouvelle version
corrigée et enrichie de la première édition (1981). Dans cette deuxième édition, l'auteur apporte une
légère modification en tenant compte spécialement de l'orthographe officielle. Elle comprend
10 800 entrées.
Le dictionnaire s'adresse d'abord aux francophones déjà initiés pour l'essentiel aux caractéristiques
de la langue bambara et désireux de se perfectionner. Mais il se veut aussi être, selon les termes de
l'auteur, « un outil de travail au service de l'alphabétisation, l'enseignement et la culture bambara ».
Un dictionnaire étant par définition un ensemble de volumes, ce dernier étant lui aussi un ensemble
d'articles, sa description peut se faire au double plan de la macrostructure et de la microstructure.
Pour notre cas, nous nous limiterons à la structure des articles.
1. MICROSTRUCTURE DU DICTIONNAIRE
Le dictionnaire de Charles Bailleul comprend, nous l'avons dit, dix mille entrées. Ces entrées
s'enchainent selon l'ordre alphabétique proposé aux ''Journées d'études sur les langues maliennes''
organisées à Bamako du 10 au 20 décembre 1979.
Pour le traitement de chacune de ces entrées, l'autour a porté son attention sur les éléments suivants:
- l'origine,
- la prononciation, les tons
- les variantes,
- les catégories grammaticales,
- les définitions lexicales
- les sens,
- les exemples,
- les traductions
- les renvois.
1.1- Origine des entrées
Les entrées, dans leur constitution, sont généralement de deux types: les mots (simples et composés)
et les groupes de mots (syntagmes, expressions...).
L'analyse des entrées a été faite de façon très détaillée en vue de porter le maximum possible
d'informations sur leur origine, toute chose nécessaire pour un bon découpage sémantique.
Pour les dérivés et composés, l'analyse des éléments est indiquée dans l'ordre entre ( ) et la frontière
sémantique suggérée par un point, comme dans l'entrée suivante: (ɲɛ.mɔgɔ) dirigeant. Une telle
présentation de l'entrée indique que, morphologiquement, ɲɛ.mɔgɔ se compose de ɲɛ et de mɔgɔ
(ce qui est indiqué par les parenthèses) et que, sémantiquement, dans l'ordre, il signifie devant et
personne (ce qui est indiqué par le . ), le sens de tout le composé se ramenant à dirigeant, c'est à
dire une personne placée devant, à la tête de … (ce qui est indiqué par le soulignement).
On pourrait ainsi multiplier les exemples:
1.
kalan.so (instruction.maison) salle de classe : mot composé (kalan et so:
respectivement instruction et maison), signifie salle de classe.
2.
mɔgɔ.dun (personne.manger) anthropophage, cannibale: mot composé à l'image de
anthropophage (mɔgɔ et dun, respectivement homme et manger), signifie anthropophage.
3.
jugu.ya (mauvais.suff abstr) méchanceté : mot dérivé (jugu et -ya, respectivement
méchant et suffixe abstr), signifie méchanceté.
4. walan.ba (tablette.suff augment) : litt. Grande tablette, tableau noir: mot dérivé (walan et
-ba, respectivement tablette et grande), tableau noir.
Quant aux emprunts, l'origine est indiquée entre { }: {fr:}pour le français, et {ar:}
Exemples: . Ex.: kàso {fr: cachot} n. Prison
Ala {ar: allah=Dieu}
Le dictionnaire de Bailleuil accorde quelque place aux néologismes proposés par les services
d'alphabétisation. Il s'agit notamment de « ceux qui sont les plus utilisés ou semblent promis à un
bel avenir ».Tous les cas de néologisme se trouvent indiqués par (néologisme).
Ex.: kɔnɔrɔ (derrière.coller) n. Suffixe
kɔ.bila (derrière. placer) postposition
1.2- La prononciation phonétique
Elle n'est pas indiquée de façon systématique. Elle n'est donnée que lorsque l'orthographe officielle
s'écarte de la prononciation effective. Dans de tels cas, elle est indiquée entre [ ].
Ex.: da.lan [dlan] (se coucher.suff instrument) n. lit. L'analyse montre que ce dérivé (da et le suff
-lan, respectivement se coucher et instrument servant à..) n'est jamais prononcé complètement, c'est
à dire en deux syllabes, ce qui est phonétiquement noté par [dlan].
1.3-La notation des tons
En principe et par économie de signes, seuls les tons bas sont notés.Pour ce faire, les signes suivants
sont utilisés:
- l'accent grave (') pour la notation des tons bas ponctuels sur les voyelles brèves.
Ex. jìgìkari n. déception
- l'accent grave sur la première voyelle d'une longue l'affecte sur toute sa longueur.
Ex.: dàamu n. bonheur
= dààmu
Mais si la voyelle longue est relevée sur sa deuxième partie, ce relèvement est noté par l'accent
aigu. Ex.: màájà collier odoriférant
- l'accent circonflexe renversé sur une voyelle brève indique que sa syllabe est de ton bas modulé
ascendant. Ex.: dan limite
1.4. Les variantes
Une des caractéristiques principales du dictionnaire, très intéressante sur le plan de la recherche,
mais rend beaucoup plus délicate son utilisation, est qu'il présente à la fois des variantes reconnues
officiellement et des variantes non reconnues officiellement.
La raison principale est, selon l'auteur lui-même, de permettre à l'ouvrage de « pouvoir servir tant
en ville qu'en zone typiquement bambara ».
Les variantes officielles sont celles qui suivent les règles officielles de transcription et d’orthographe
en usage au Mali. Dans le dictionnaire, elles sont rappelées généralement entre / /.
Quant aux variantes non officielles, elles suivent ‘’d’autres transcriptions’, selon les termes de
l’auteur lui-même. En fait, elles correspondent aux parlers de Bamako, Béléko, Kolokani, Falajè et
Banan. Dans le dictionnaire, elles sont suivies des indications suivantes : bmk pour Bamako, bk
pour Béléko, kl pour Kolokani, f pour Faladjè et bn pour Banan.
Ces ‘’autres transcriptions’’ incluent également des éléments du malinké et du jula. Mais ces
différentes indications ne sont pas toujours portées au niveau des entrées.
Exemples:
/diɲɛ/
diyɛn
le monde
fɛɲɛn
/koori/
/fiɲɛ/ (f)
kooli
grande jarre
encercler
/kariɲan/
kariɲa nkaniya, nkɛrɛɲɛ
/fɛrɛn/ fɛɛrɛn
fyɛrɛn pɛɛrɛn
(bn)
fɛtɛrɛn
sorte d'instrument de musique
planche
Dans ces exemples, les mots diɲɛ, fiɲɛ, koori, kariɲan et fɛrɛn placés entre // sont des variantes
officielles, tous les autres cas sont des variantes non officielles.
La démarche est très utile en ce sens qu’elle permet aux lecteurs d’identifier qu’elle variante est
officielle et qu’elle autre ne l’est pas. Malheureusement, la variante officielle n'est pas toujours
indiquée.
Exemples :
golo
wolo
fɛngɛ
fɛgɛn
dili gili (f) bili (bn)
kason (f) kanso (bk) nkanso (bn) kaason
peau
léger
racine
kalanso croiser, entrelacer
D’où la nécessité d’une présentation des traits phonologiques des parlers concernés (pour cela voir
annexe).
1.5 Les renvois
Pour l’auteur, l’orthographe officielle refléterait le parler de la capitale Bamako (p.2). Quant aux
autres transcriptions, elles « reflètent au mieux la prononciation d'un bambara de naissance et c'est à
ces entrées que sont notées les exemples et les différentes significations ».
Exemples:
/tiɲɛ/ renvoie à tiyɛn
/kibaru/ renvoie à kibaro
vérité
nouvelle
/sɔɔlɔ/:
filtrer
renvoie à syɔlɔ
Dans ces exemples, le choix de l’auteur porte sur les variantes non officielles.
On note cependant des cas de renvois même en l'absence de variantes officielles.
Exemples
- futɛrɛ cf putɛrɛ
un tout petit peu.
- gala cf. gɛlɛ
mirador dans les champs
Outre ces renvois liés aux variantes dialectales, il nous semble pertinent de distinguer un autre type
de renvois : celui lié aux variantes orthographiques ou de transcription.
Exemples 1 :
/nɔɔnɔ/
cf. nɔnɔ
hadamaden cf. adamaden
sisan
cf siisan
miel pur
home
asthme
Souvent le renvoi n’est pas indiqué, et le choix de l’auteur reste explicitement non exprimé.
Exemples :
Bakilu
Kunmabin
bakiilu
kunbabin
nkɔɔni
ngɔɔni
avare
migraine
1.6 Les catégories grammaticales
Ces indications grammaticales sont nécessaires pour dégager tel ou tel sens de l'entrée. Par exemple,
il est impossible de fixer le sens précis de kɔ si l'on n'indique pas à l'avance sa catégorie ou classe
grammaticale, comme c'est indiqué ci-dessous:
kɔ
n. dos; derrière; extérieur, descendance
post. par derrière, après
loc. Post. : en arrière, en retard ( kɔfɛ), en dehors (kɔkan)
Les différentes catégories grammaticales indiquées dans le dictionnaire principalement le nom, le
verbe, l'adjectif, l'adverbe, la postposition, la conjonction, l'exclamation et même la préposition
(cf. kabi pour ce dernier cas).
Le dictionnaire signale également des idéophones dont il oublie souvent de préciser la catégorie
grammaticale . Ainsi, pour les idéophones kɛsɛkɛsɛ et yuguyɛgɛ, signifiant respectivement ''tout à
fait sec'' et ''très sec'', il n'est pas indiqué s'il s'agit d'un nom ou d'un verbe, d'un adjectif ou d'un
adverbe.
En revanche, cette précision est donnée pour kɛrɛbɛtɛ (absolument): adverbe.
Mention est faite également des affixes (suffixe, préfixes.)
A ce niveau on peut distinguer deux grands types d'entrées: les entrées à une seule catégorie et
les
entrées à plus d'une catégorie.
1.6 Les définitions/informations complémentaires
Il ne s'agit pas à proprement parler de définitions lexicales. Il s’agit plutôt d'informations
complémentaires à donner pour mieux dessiner de façon claire les contours sémantiques du
mot-vedette (entrée) en vue de rendre possible sa traduction dans la langue d'arrivée. Un
simple exemple avec l'entrée ''to''. Ici, l'auteur ne s'est pas contenté d'écrire « plat de
céréales », il a trouvé nécessaire d'ajouter « pâte à base de sorgho, de mil.. »
Un autre exemple: fakɔ. Pour cette entrée, l'auteur pouvait se contenter de marquer
''prénomd'enfant'', et priver ainsi le lecteur français de tout un arrière fond culturel, ce que les
anglaisappellent ''background informations'', nécessaire pour le mettre dans le bain culturel
bambara. D'où la nécessité d'ajouter à ''Prénom d'un enfant'', l'information suivante: « né après la
mort de son père ».
L'analyse des différentes entrées du dictionnaire permet de distinguer deux types de contextes:
- les contextes linguistiques insuffisants, donc nécessitant des éléments extralinguistiques, c'est
à dire un recours aux informations complémentaires, comme c'est le cas des exemples cidessus examinés. Autres exemples:
bulon
case à deux portes servant de vestibule (la partie soulignée indique l'information
complémentaire)
cɛbilencɛ
danseur masqué vêtu d'une tunique-culotte à pan en peau de mouton et d'une
cagoule ornée de poils de moustache de porc-épic
jurufilen
calebasse qui sert à puiser l'eau dans un puits
buranci
ravail du genre chez ses beaux-parents
Ces entrées nécessitent des informations complémentaires parce que méconnues de la culture de la
langue de traduction, la culture française.
- les contextes relativement suffisants, donc ne nécessitant aucune autre information
complémentaire parce que trouvant dans la langue d'arrivée des correspondants.
dugu
fali
juru
village
âne
corde
kɔnɔn
perle
Le caractère périphérique et '' arbitraire'' des idéophones fait que leur traitement fait recours le plus
souvent à l'utilisation des informations complémentaires. Ex.:
bulayibulayi évoque qc de gros au déplacement difficile
ketekete
rire sec
Les informations complémentaires liées aux contextes d’emploi sont données entre parenthèses,
comme c’est le cas dans les exemples suivants :
mɛlɛkɛmɛlɛkɛ
avoir des soubresauts (poule égorgée…)
ɲako
happer (d’un coup de gueule, chiens..)
warawara
tomber à grosse goutte (pluie..)
1.7 Les exemples
Les exemples ne sont donnés que pour, d'une part, illustrer les différents sens contextuels du mot,
et, d'autre part, pour le montrer à travers ses différents emplois.
Exemples:
se
v.i.
1.Arriver (sens local).
A sera so : il est arrivé à la maison
2. arriver (sens temporel).
A sera musofuru ye : il a l'âge de se marier
3. pouvoir, être capable de
A sera a kɔrɔ : il a réussi à le porter, à le nourrir.
m¡
n.
1. croissance
A mɔ ka di : Il grandit vite
2. cadeau
Ne ka mɔ bɛ min ?
Où est mon cadeau?
Lorsque le mot ne présente pas de difficulté dans son emploi, l'auteur ne juge pas nécessaire de
donner d’exemple et se limite aux équivalents français.
Exemples
saya
n. mort, décès
mɔkɛ
n. grand-père
kɛlɛ:
v.t. Combattre, attaquer, faire du corps à corps
Les exemples utilisés par l'auteur pour illustration de sens sont généralement des groupes de mots,
des expressions, des phrases, des dictons, des proverbes, des expressions, et souvent des mots
composés.
Exemples:
Groupes de mots:
dɔnɔ (prêter)
jigi (espoir)
diyagoya (contrainte, obligation)
wari dɔnɔ mɔgɔ ma
jigi kari
diyagoya la
prêter de l'argent à qn
briser l'espoir
bon gré, malgré
Phrases:
jikisɛ (goutte de pluie)
Jigiya (donner de l'espoir)
I tulo tɛ jikisɛ la?
Nin kuma ye ne jigiya.
Tu n'entends pas les gouttes?
Cette parole m'a donné de l'espoir.
Jan (attention)
I jan to1 i yɛrɛ la!
Fais bien attention à toi-même!
Proverbes:
ncɔn (dard)
Dikisɛ bɛ wuli ni ncɔn ye. L'abeille s'envole avec son dard (prov.)
Koro2 (iguane de terre) Koro bɛ a mɔyɔrɔ fari da. L'iguane de terre prend la couleur de son
terroir. (prov.)
Dicton:
juru (corde; dette)
Mɔgɔya ye juru ye.
L'humanité est un lien.
Expressions:
kungo (brousse)
Ka kungo diya!
Bonne chasse!
dɔ (un peu de)
Dɔ di!
Donne la raison de ta venue.
Mots composés:
den (enfant, petit d'un animal, fruit, etc.)
toden
faliden
une boulette de to
petit d'un âne
do (groupe assez important de...)
sɛlɛdo
cimetière
1 Orthographe officielle: janto
2 Orthographe officielle: kooro
ANNEXES
DESCRIPTION PHONOLOGIQUE DES PARLERS DES REGIONS DE BELEDOUGOU,
BANINKO ET BOUGOUNI-ET-ENVIRONS
Le dictionnaire de Charles Bailleul comprend, nous l’avons déjà dit, dix mille entrées. Toutes ces
entrées ont été, au dire de l’auteur, vérifiées auprès de bambara originaires de trois régions assez
éloignées les unes des autres. Il s’agit de Faladjè, Banan et Béléko3.
Une présentation des traits phonologiques nous semble nécessaire pour aider le lecteur et le
chercheur dans l’utilisation du dictionnaire.
Etant donné que Faladjé, Banan et Béléko se situent dans des ensembles géographiques, plus
clairement dans des régions traditionnelles que sont respectivement Bélédougou, Baninko et
Bougouni-et-environs, notre description portera sur ces régions.
I. TRAITS CARACTERISTIQUES
Les parlers de Bélédougou, Baninko et Bougouni-et-environs se caractérisent surtout par un certain
nombre de phénomènes phonologiques que sont la labialisation, la palatalisation, l’amuïssement, la
nasalisation, ainsi que quelques changements affectant les consonnes et les voyelles bamanan à
l’initiale, dans et à la fin des mots.
a) LABIALISATION
Le Dictionnaire de linguistique définit la labialisation comme étant « le mouvement
d’arrondissement des lèvres qui intervient comme articulation secondaire dans la réalisation des
phonèmes dits « labialisés » 4
Le phénomène existe dans les trois régions, objet de notre travail, même si c’est à des degrés
différents : plus courant dans le Beledugu et le Baninko que dans la région de Bougouni –etenvirons.
Exemples :
excrément
gwo, bwo
sortir
gwɔ
dos
héros
épine
kw ɔ
ŋwana
ŋweyin
sac
gwɛrɛ, bwɛrɛ
Le bamanankan standard qui n’admet pas de labialisation,retient respectivement : bo, bɔ, kɔ, ŋana,
ŋɔni et bɔrɛ.
b) PALATALISATION
« La palatalisation est le phénomène particulier d’assimilation que subissent certaines voyelles ou
consonnes au contact d’un phonème palatal » 5.
Le phénomène est très répandu dans les parlers bamanan, y compris le parler standard.
Mais le processus de palatalisation est plus avancé et plus généralisé dans le Baninko que partout
ailleurs.
On distingue quelques cas de palatalisation dont les principaux sont :
3
4
Falajɛ, Banan, Bɛlɛkɔ, selon la transcription officielle.
Jean Dubois et Al., Dictionnaire de Linguistique, Librairie Larousse, 1973, p.273
5 Jean Dubois et Al., idem , p.432
-
la palatalisation de /k / et /t/,
-
la palatalisation de /s/,
-
la palatalisation de /d/.
1) Palatalisation de /t/ et /k/
Dans les parlers des trois régions, on rencontre beaucoup de ca s où /t/ et /k/ se transforment en /c/.
Exemples :
beau
homme
cɛɲi
cɛ
héritage
cɛn
glisser
entre
cɛɛnɛ
cɛ
sable
vérité
cɛncɛn
cɛn
Dans certains cas, les deux formes se rencontrent aussi.
Exemples :
mordre
cin/kin
sable
cɛn/kiɲɛ
héritage
cɛn/tiɲɛ
vérité
can/tiɲa
casser
ci/ti
Le bamanankan standard retient les mêmes formes palatalisées, à l’exception du mot pour
« vérité « : tiɲɛ.
Le mot pour « faire » est kɛ pour les trois parlers et le bamanankan standard.
2) Palatalisation de /s/ :
La palatalisation de /s/ a lieu devant voyelle haute. Les régions de Baninko et Bougouni –etenvirons en présentent des cas. Mais on rencontre aussi des formes non palatalisées.
Exemples :
poil
shi/si
semence
shi/si
âge
shi/si
karité
cadavre
shi/si/se
shu/su
Tel n’est pas le cas à Beledugu qui présente des formes non palatalisées :
poil
si
âge
si
bovin
misi
demain
sini
Le bamanankan standard ne palatalise pas /sh/, et a par conséquent, les mêmes formes
que Bélédougou.
La transformation de /s/ en /sh/ intervient également après la chute d’une consonne médiane
palatale. Ce phénomène est plus général dans la région de Baninko que dans les deux autres régions
où on a le plus souvent /sy/, /shy/ et /sh/ :
Exemples :
haricot
prêter
shɔ
serment
shɔ/syɔ,
shyɛn/syɛn/
poulet
shɛ/
gratter
fois
suyɔ,
shyan/
shan/
sɔsɔ
siɲɛ
shyɛ
/syɛ
syan/san
shyɛn/ shyan/syan/sinyan/senya
Les formes correspondantes dans le bamanankan standard sont respectivement les
suivantes : sɔ, siyɛn, sɛ, siyɛn, siɲɛ
Notons ici que le mot « nombreux » est ca et sya dans la région de Bougouni et environs,
et que dans la région de Beledougou un mot comme fusa « mieux » change en fuya, fya,
puis /f/ change en /sh/, donnant shwa. Il en est de même que les mots pour « souffler » et
« défaut » :
souffler
défaut
fy ɛ,
shwɛ
fiɲɛ, syɛn, shyɛni
Les mots pour « souffler » et « défaut » pour le bamanankan standard sont respectivement fiyɛ et
fiɲɛ.
C) AMUÏSSEMENT
L’amuïssement est « le processus par lequel un phonème finit par ne plus être prononcé » (4, 29)
Le bamanankan standard admet l’amuïssement des voyelles à l’oral, mais pas à l’écrit.
Les trois régions se caractérisent généralement par l’amuïssement vocalique.
Français
Bkan
Baninko
Bélédougou
Bougouni
standard
Diviser
tla
kla
fla, tla, xla
tla, tala
tile
kle
fle, tle, xle
tle, tele
Soleil
Oreille
tulo
klo
flo, tlo, xlo
tlo, tolo
tulon
kloo
flon, tlon, xlon tlon, tolon
Jeu
Deux
fila
fla,
fla, xla
fla
filan
fla
flaa, xlaa
flan
De même âge
Vestibule
bulon
bloo
blon
blon
bila
bla
bla
bla
laisser
rouge
bilen
ble
blen
blen
bière
dɔlɔ
! lɔ
blɔ
blɔ, dɔlɔ
dulon
!lon, glon
blo
dlon
suspendre
Réparer
dilan
gla
bla/dla
dla, dlan
boubou
dulɔki
!loki, gleki bloki,
blɔki
dleki, blɔki, dereke
mare
peul
dala
fula
bla, gla
fla
bla
fla
dala, bla
fla
Comme on peut le voir à travers ce tableau, l’amuïssement de la voyelle s’accompagne d’une
modification de la consonne initiale dans les régions de Bélédougou et Baninko, par rapport au
bamanankan standard.
Le tableau montre également des formes intactes à Bougouni (tala, tele, tolo, tolon, dala, dereke,
dɔlɔ) : les voyelles restent intactes après les alvéolaires.
Il est à noter que dans la région de Baninko, /d/ se transforme souvent en /l/ syllabique que nous
notons /!/: !lɔ, !lon, !loki
D) NASALISATION
Dans la région de Bougouni et environs, comme dans le bamanankan standard, la nasalisation
des voyelles finales se maintient dans tous les contextes.
Exemples :
cou
kan
enfant
den
tête
kun
entrer
don
noir
fin
Dans les parlers de Bélédougou et de Baninko, par contre, on assiste à un phénomène de
dénasalisation (perte de la nasalisation vocalique) quand le mot est prononcé isolément .Cette
dénasalisation entraîne souvent un allongement compensatoire de la voyelle.
Comparez :
Français
Bamanankan Bélédougou
Baninko
Bougouni et
standard
environs
Cou
Kan
kaa
kaa
Kan
Tête
Kun
kuu
kuu
kun
Enfant
Den
dee
dee
Den
Un
Kelen
kele
kele
Kelen
Dans ces deux régions caractérisées par la dénasalisation, la voyelle récupère sa nasale quand le
mot entre dans la chaîne, c’est à dire quand il est suivi d’un autre mot ou quand il entre dans un
composé.
Comparez :
Isolément
En contexte
kaa
cou
Kaa + ba = kanba
Gros cou
Kaa + fasa = kanfasa
Tendon
kuu
tête
Kuu + ba = kunba
Grosse tête
Kuu +kolo = kunkolo
Crâne
dee
enfant
Den fila
Deux enfants
jeune enfant
Dee + misɛn = denmisɛn
Kele
un
Kelenpe
Un seul
E) CHANGEMENTS
1.1 Changements affectant les consonnes initiales
a) Alternances liées aux labiales
Dans l’alternance de /f/, /p/ et /h/, les trois régions, de même que le bamanankan standard, ont
généralement /f/.
Français
Bélédougou
Baninko
Bougouni et en- Standard
virons
père
fa
fa
fa
fa
tissu
fini
fini
fini
fini
deux
fla, xla
fla
fla
fila
maigrir
pasa, fasa
fasa
fasa
fasa
mieux
fiya, fisa, wusa, shwa
fisa
fsa
fisa
souffler
fyɛ, shwɛ
shyɛ
fyɛ
fyɛ
défaut
fiɲɛ, syɛn, shyɛni
fiɲɛ, shyɛn
shyɛn
fiɲɛ
Comme nous l’avons déjà vu, souvent le /f/ suivi d’une palatale se palatalise, ce qui entraîne une
modification du /f/ qui devient /sh /. (cf. tableau).
Quelques rares cas de /p/ à l’initiale sont à remarquer.
b) Alternances liées aux alvéolaires
- Dans l’alternance de /d/, /l/ et /j/, les régions révèlent les variations suivantes :
Français
Donner
Bélédougou Baninko
Bougouni
Bkan standard
di
Ji/di
di/ji
di
gili
lili
dili
Racine
Se coucher
da
da
da/la
da
Etoile
dolo
jolo
lolo
dolo
S’arrêter
jɔ
jɔ
jɔ/lɔ
jɔ
Miel
di
Ji/di
Di/ndi/li
di
Dnɔn
Dnan/gnan/ lolan
dunan
étranger
Le tableau montre que dans l’alternance /d/ -/l/ et /j/ les 3 autres régions, de même que le ba-
manankan standard, retiennent généralement /d/.
Pour le cas spécifique des régions de Baninko et de Bougouni et environs, la palatalisation étant
un phénomène très généralisé dans ces régions, on rencontre très souvent /j/ à la place de /d/ :
Dans l’alternance de /d/ et /l/, le choix est souvent /l/ dans la région de Bougouni et environs.
Exemples :
Se coucher
da/la
miel
di/li
c) Alternances liées aux palatales
Dans l’alternance de /j/et /y/, /y/ prédomine dans les régions de Baninko et de Bougouni et
environs. Quant à la région de Bélédougou deux groupes de mots apparaissent : les mots en /j/ et
ceux en /y/.
Exemples :
a) Les mots en /j/ :
Français
montrer
frire
arbre
Bélédougou
jira
jiran
jiri
Bougouni
yira
yiran
yiri
Baninko
yira
yiran
yiri
Bkan standard
jira
jiran
jiri
On notera une similarité parfaite entre le parler de Bélédougou et le parler standard.
b) Les mots en /j/ :
Français
ici
Bélédougou
Baninko
Bougouni
Bkan standard
yan
yan
yan
yan
voir
ye
ye
ye
ye
là-bas
yen
yen
yen
yen
éparpiller
yɛrɛkɛ
yɛrɛkɛ
yɛrɛkɛ
yɛrɛkɛ
Notons que le mot «poisson » pour les trois parlers et le bamanankan standard est
jɛgɛ pour le standard et jɛgɛ ou jɛkɛ ou jikɛ pour les autres
d) Alternances liées aux vélaires et aux labiovélaires
- Dans l’alternance de /gb/, /gw/, /g/, la région de Baninko choisit généralement /g/. Exemples :
cuisine
ga
difficile
gɛlɛ
mauvais
goût
peau
lourd
go
golo
girin
Quant aux deux autres, elles choisissent tantôt /gw/ ou /gb/, tantôt /g/ ; comparez :
cuisine
gwa/gba/ga
difficile
gwɛlɛn/
lourd
gɛlɛn
gwiri/girin/gwili/glin
Notons que les mots pour « mauvais goût » et « peau » sont respectivement ko/kwo/go
et wolo pour le Beledugu, go et golo pour Bougouni et environs
- Dans l’alternance entre /ŋm//ŋw, /ŋ/, /nw/, etc., le Baninko choisit généralement /ŋ/, mais /ŋw/
existe aussi :
héros
ŋana/ŋwana
démanger
ŋɛɲɛ/ŋwɛɲɛ
ruche
marcher
ŋunu
à
4
pattes
épine
ŋunuma
ŋeni, ŋweyin
Dans les deux autres régions, on rencontre non seulement /ŋ/, mais aussi /ŋm//ŋw, et
même souvent /ŋgw/ et /m/. Exemples :
célèbre
ŋana, ŋmana
démanger
ŋwɛɲɛ/ŋmaɲa
ruche
marcher
ŋgwan, ŋgban
à
4
pattes
ŋunuma/munuma
épine
ŋwɛni, ŋweni
e) Alternances liées aux prénasales
Dans les trois régions, presque toutes les prénasales se sont conservées, à quelques exceptions
près.
Exemples :
écureuil
nkɛlɛ
/nkɛrɛnin
mensonge
nkaloo
guitare
nkɔni/nkoni/
ngɔni
nkomi/
nkɔmi
rosée
crapaud
ntori/ndori
sauterelle
palmier
ntɔn
à
huile
lundi
grillon
nten/nte
nt ɛnɛn/
nkɛɛrɛ/ ngɛɛrɛ/ nkɛrɛn
Quelques cas de variations sont toutefois à noter :
ntɛnɛ/dɛnɛ/ntnɛn
rouille
nso/zo/nzo/nzon/nzun
pastèque
nzɛrɛ/
baobab
nzira/sira
Voleur
soo/
lièvre
zon/zun,
nson
nzonzan/zunzani/nsonsan/ sonzaa/ sozanni
aubergine
nkɔyɔ/kɔyɔba
rouille
cynocéphale
zɛrɛ
nzo/
nzon/nzun
ngɔn/ gɔɔ
2. Changements affectant les consonnes médianes
a) Alternances liées aux labiales, vélaires et labiovélaires
Dans les alternances impliquant /b/, /g/, /w/, /gb/, etc., on trouve une grande variation entre /g/,
/k/, /b/, etc.
viande
sogo/soko/sobo
rêve
sigo/ suko/sogo/soko/sibo/subo
Tourterelle
ntubanin/ntukaa/ntufa
vautour
duba /duka/duga/dufa/duwa
bénédiction
duwawu/ duwabu, dubabu /dugabu
b) Alternances liées aux alvéolaires
Dans l’alternance entre /t/, /d/ et /r/ les trois régions choisissent /r/
attacher
siri
aîné
court
kɔrɔ
suru
c) Alternances liées aux Liquides et aux vibrantes
Dans l’alternance entre /l/ et /r/, les régions de Baninko et Beledugu choisissent /r/ pour certains
mots, /l/ pour d’autres.
- Quant le choix porte sur /r /.
cinq
duuru
corde
juru
lourd
giri/
girin
pirogue
kuruu/kurun
peur
sira/siran
- Quant le choix porte sur /l /.
courir
boli
(on trouve même boyi à Beledugu)
coudre
kala
lune
kalo
indigo
gala
C’est tout à fait l’inverse dans la région de Bougouni et environs :
- Là où les deux premières régions choisissent /r/, la région de Bougouni et environs choisit
/l/ : /l /.
cinq
duuru,
loolu
corde
julu (on a aussi juru)
lourd
glin/gili,
gwili
pirogue
kulun
peur
silan (on a aussi siran)
- Là où les deux premières régions choisissent /r/, la région de Bougouni et environs choisit /r/ :
courir
bori (on a aussi boli )
coudre
kara
lune
karo
indigo
kara (on a aussi gala)
d) Alternances liées aux occlusives vélaire
Dans la région de Bougouni et environs les consonnes vélaires se maintiennent généralement.
Sel
kɔgɔ
nom
petit
tɔgɔ
dɔgɔ
dormir
sunɔgɔ
Soif
partir
tuer
minnɔgɔ
taga
faga
Quelques cas isolés sont toutefois à noter : Sel
kɔgɔ / kɔɔ
Dans les régions de Baninko et Beledugu, l’occlusive vélaire tombe souvent à l’intervocalique.
Dans la région de Beledugu cette chute déclenche une modification vocalique aboutissant à /aa/
ou /wa/.
Ccomparez :
Français
Baninko
Beledugu
sel
kwa
kɔɔ
nom
Twa (ou sa forme palatalisée
tɔɔ
cwa)
dormir
sunaa
sunɔɔ
soif
minnaa
minnɔgɔ
petit
dwa (ou sa forme palatalisée
dɔɔ
jwa)
partir
taa
taa
tuer
faa
faa
Mais :
S’asseoir
huit
vingt
seegin
sigi
/syekin
mugan/mukan
e) Alternances liées aux groupes ‘’nasale + consonne »
Les groupes ‘’nasale + occlusive labiale’’ et ‘’nasale + occlusive alvéolaire’’ se sont généralement
réduits en nasale simple. Les groupes nasale + vélaire ou nasale + fricatives donnent lieu à /ŋg : et
/nz/
rosée
nkomi/
nkɔmi
sain
kɛnɛ
force
faŋga Beled :
faŋa
chasseur
donzo/dozo/donso
Tous les groupes ‘’nasale + consonne’’ ont tendance à se simplifier. Les groupes’’ nasale +
consonne’’ se simplifient en la nasale ; nasale plus/s / se simplifie en /z/.
Les groupes nasale + alvéolaire se sont simplifiés en /n/. Les groupes à vélaire et les groupes
en /s/ se sont maintenus.
Les groupes nasale + occlusive labiale et nasale + occlusive alvéolaire se sont généralement
réduits en nasale simple. Les groupes nasale + vélaire ou nasale + fricatives donnent lieu à /ŋg : et
/nz/
3. Changements affectant les voyelles
a) Changements liés à l’élévation de /a/ final
Dans les trois régions /a/ finale s’élève en /ɛ/.
Aider
d ɛmɛ
passer
tɛmɛ
ɲɛ
œil
ɲinɛ/ɲɛnɛ /
souris
hivernage
semeɲɛ
On note toutefois sɛmi ɲa/samiɲa/ simiɲa hivernage dans la région de Beledugu.
b) Elévation de /e/ et /o/
Ce processus n’opère pas dans les trois régions.
enfant
un
jambe
cheval
so
dee/de/den
kele/kelen
see/se/sen