chimioradiothrapie des cancers de vessie
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chimioradiothrapie des cancers de vessie
Stratégies de préservation vésicale : chimioradiothérapie des cancers de vessie. Pierre Blanchard. Département de Radiothérapie. Institut Gustave Roussy. Introduction Le traitement historique de référence des tumeurs infiltrantes de vessie localisées est la cystectomie totale associée à un évidemment ganglionnaire ilio-obturateur, éventuellement précédé de chimiothérapie néoadjuvante. Depuis de nombreuses années, des stratégies thérapeutiques de conservation vésicales ont été développées afin de limiter les indications et effets secondaires de la cystectomie. En effet, et ce malgré les progrès chirurgicaux en termes de reconstruction vésicale et de réanimation péri-opératoire, la cystectomie (cystoprostatectomie chez l’homme) est une intervention mutilante dont la morbi-mortalité péri-opératoire et la morbidité post-opératoire sont importantes (troubles de la continence, dérivations externes permanentes, impuissance chez l’homme). La principale stratégie conservatrice dans les cancers de vessie est l’association d’une résection transurétrale de vessie maximale suivi d’une radiothérapie externe associée à une chimiothérapie concomitante. Bien qu’il n’existe aucun essai randomisé comparant chirurgie et chimioradiothérapie concomitante dans les cancers de vessie infiltrants, l’expérience accumulée au fil des ans permet de proposer cette stratégie dans certains cas comme une alternative aussi efficace sur le plan anti-tumoral à la cystectomie et présentant une meilleure tolérance à court et long terme. Cette stratégie s’adresse donc à des patients candidats par ailleurs à la cystectomie, et non pas aux patients inopérables pour des raisons médicales. Radiothérapie externe De nombreuses séries de patients traités par radiothérapie externe pour cancer de vessie ont été publiées et montrent la radiosensibilité des tumeurs vésicales. De manière schématique, la radiothérapie externe permet une régression complète de la tumeur chez environ 60% des patients, et un contrôle local à long terme dans 30 à 50% des cas. Du fait de l’apparition de rechutes à distance et des comorbidités de ces patients, la survie à long terme dans ces séries est d’environ 20 à 25%. Chez les patients sans récidive, la fonction vésicale est conservée dans 80% des cas. Le contrôle tumoral obtenu par radiothérapie seule apparaît donc légèrement inférieur à celui de la chirurgie, comme le montre une méta-analyse des trois essais randomisés (439 patients) ayant comparé radiothérapie et chirurgie. Dans cette publication, les taux de survie globale à 5 ans étaient respectivement de 36 et 28 % après chirurgie et radiothérapie (1). Notons cependant que les techniques et les doses de radiothérapie n’avaient alors rien à voir à celles d’aujourd’hui (mais on pourrait dire probablement la même chose des techniques chirurgicales). Chimioradiothérapie concomitante - résultats Les tumeurs de vessie sont chimiosensibles. En effet, la série initiale évaluant les résultats du M-VAC (méthotrexate, vinblastine, doxorubicine et cisplatine) trouvait un taux de réponse objective de 69 % dont 37 % de réponses complètes. La fréquence importante des métastases, la radiosensibilité et la chimiosensibilité des carcinomes de vessie sont à l’origine du développement des associations chimioradiothérapie concomitante. Le bénéfice attendu de ces traitements repose sur deux hypothèses théoriques, qui ont largement été validées dans de nombreux autres cancers (ORL, œsophage, col utérin, poumon…) : – la coopération temporelle et spatiale des deux traitements (traiter dans le même temps tumeur primitive et éventuelles micro-métastases) – l’existence d’un effet supra-additif, c’est à dire d’une potentialisation de la radiothérapie par la chimiothérapie. Les principales chimiothérapies utilisées dans les cancers de vessie sont le cisplatine et le 5Fluorouracile (5FU). Un essai randomisé a comparé radiothérapie avec et sans chimiothérapie concomitante et a montré un meilleur contrôle local en faveur de l’association chimioradiothérapique (2). Deux essais randomisés récents britanniques ont montré, pour le premier, le bénéfice en terme de contrôle local de l’addition d’une chimiothérapie concomitante de type 5-FU/mitomycine (3), et pour le second de l’utilisation concomitante d’un mélange de carbogène et de nicotinamide (4). L’analyse des principales séries de patients rapportées dans la littérature (tableau 1) montre un taux de contrôle local et de survie globale comparable aux séries chirurgicales, et ce avec des taux de conservation vésicale de l’ordre de 50% à 5 ans. En l’absence d’essai randomisé, seule cette comparaison indirecte nous est accessible pour comparer les thérapeutiques. Compte tenu de la forte morbidité associée à la cystectomie, et ce même avec une reconstruction vésicale adéquate, l’approche conservatrice par chimioradiothérapie apparaît clairement une option de choix pour les patients atteints de carcinomes vésical infiltrant. Tableau 1 : Principales séries de chimioradiothérapie concomitante dans les carcinomes vésicaux Abréviations : CRT : chimioradiothérapie concomitante, CDDP : cisplatine, Carbo : carboplatine, 5FU : 5-Fluorouracile Référence Patient (nb) Stade Chimiothérapie 72 51 Conservatio n vésicale à 5 ans (%) 42 59-74 54 42 CDDP-5FU 78 66 75 T1-T4a CDDP 76 47 75 109 T2-T4a CDDP 70 36 200 T1 – T4 CDDP IA 83 48 Rodel (5) 415 T1-T4a Shipley (6) 190 T2-T4a CDDP-Carbo +/5FU CDDP Housset (unpublished) 173 T2-T4 Dunst (7) 131 Chauvet (8) Eapen (9) CRT (%) Survie à 5 ans (%) 75 Chimioradiothérapie concomitante - toxicité La toxicité de ces traitements reste modérée. En effet très peu de décès toxiques sont rapportés dans la littérature. Dans la principale série, celle de Rodel (5), seul un décès toxique a été observé sur 415 patients. 2% des patients ont eu un cystectomie de nécessité en raison d’une microvessie et 1,5% (grade 4) des patients une toxicité digestive radique nécessitant une chirurgie (grade 4). Une vessie radique de grade 3 (intervalle entre 2 mictions inférieur à 2h) a été rapportée dans 3% des patients avec vessie conservée. Des effets tardifs de grade 2 étaient rapportés environ dans 10% des patients sans rechute locale. Les résections vésicales et instillations (BCG, mitomycine C) itératives avant chimioradiothérapie seraient associées à un excès de risque de toxicité aiguë et chronique. L’analyse du suivi à long terme des patients inclus dans les essais du RTOG confirme cette impression clinique, avec aucune toxicité de grade 4, et une toxicité de grade 3 chez 7% des patients, persistante chez un seul patient (sur 285 au total) (10). Chimioradiothérapie concomitante – Facteurs pronostiques - sélection des patients Les patients inclus dans une stratégie de préservation vésicale sont en théorie des candidats à une cystectomie. Il ne s’agit pas des patients présentant une contre-indication opératoire à la cystectomie en raison de comorbidités. Chez ces derniers, l’approche radiothérapique est « à défaut », et est en général sous-optimale car ces patients présentent souvent des contre- indications à la chimiothérapie concomitante. Les facteurs pronostiques communément retrouvés dans les séries chirurgicales (stades T et N, présence ou non d’une urétérohydronéphrose, qualité de la résection transurétrale initiale, multifocalité tumorale, présence de carcinome in situ extensif) restent valides pour les patients traités par chimioradiothérapie exclusive. En revanche, s’y ajoute l’obtention ou non d’une rémission complète histologique lors du bilan endoscopique intermédiaire à un niveau de dose de 40-50 Gy, la persistance d’un reliquat tumoral étant bien sûr péjorative en termes de contrôle local et de survie. Ces éléments cliniques et anatomopathologiques sont des critères majeurs permettant d’orienter avec plus de sécurité des patients vers une stratégie conservatrice. Avec une logique similaire à celle guidant les traitements conservateurs dans d’autres localisations tumorales (préservation laryngée en ORL par exemple), il semble logique d’écarter les patients chez qui on peut penser d’emblée que la chimioradiothérapie sera inefficace, notamment les tumeurs volumineuses ou diffuses (T4a ou tumeurs de plus de 5 cm ou avec carcinome in situ extensif), avec adénopathies pelviennes macroscopiques (la dose délivrée dans le pelvis étant trop faible pour éradiquer une maladie macroscopique ganglionnaire) ou les cas d’urétérohydronéphrose. Enfin la préservation fonctionnelle vésicale n’a de sens que chez les patients ayant une fonction vésicale initiale correcte. Chez les patients ayant une irritabilité vésicale chronique, des infections à répétitions, des résections ou instillations itératives, la toxicité à long terme de la chimioradiothérapie devrait dissuader l’approche conservatrice. Cas des tumeurs localement avancées L’ajout d’une polychimiothérapie néoadjuvante à base de cisplatine améliore la survie globale des patients présentant une tumeur avancée de vessie, comme l’a démontré une méta-analyse publiée en 2003 et actualisée en 2005 (11, 12). Dans cette méta-analyse étaient inclus des essais où le traitement local était une cystectomie, une radiothérapie exclusive ou l’association des deux. Il n’a pas été retrouvé d’interaction entre le type de traitement local et le bénéfice de la chimiothérapie. On peut donc conclure que dans les tumeurs localement avancées, un traitement par chimiothérapie néoadjuvante suivie d’une (chimio)radiothérapie chez les bons répondeurs à la chimiothérapie est une approche raisonnable et validée par des essais randomisés. Chimioradiothérapie concomitante – conduite pratique L’objectif premier de cette stratégie est la guérison du patient (survie globale), la préservation vésicale étant un objectif secondaire. Cette distinction fondamentale explique la nécessité d’un bilan préthérapeutique précis et de surveillance et traitement adéquat des rechutes/progressions. La conduite d’une stratégie de préservation vésicale nécessite donc une collaboration serrée entre urologues et radiothérapeutes. En effet le bilan précis préradiothérapie, ainsi que la surveillance attentive per-traitement et post-traitement est la seule qui permet de dépister tôt des récidives et de proposer une cystectomie de sauvetage en cas d’échappement, qui dans les principales séries publiées est réalisée dans près d’un tiers des patients inclus dans des stratégies de préservation vésicale. Le déroulement en pratique est comme suit : - bilan initial précis, recherche des facteurs de mauvais pronostic pouvant faire préférer une cystectomie (cf supra) - résection transurétrale de vessie maximale, jusqu’à réponse complète si possible++ radiothérapie pelvienne et vésicale (45 Gy environ +/- boost vésical de 15-20 Gy) associée à 2 cycles de chimiothérapie à base de cisplatine (associé ou non au 5-FU) - Contrôle endoscopique précoce o 3-6 semaines après la fin de la chimioradiothérapie o En cas de persistance tumorale : cystectomie de rattrapage o En l’absence de tumeur : poursuite de la radiothérapie sur la vessie seule si dose initiale limitée à 45 Gy (15-20 Gy) - Surveillance cystoscopique 2 fois par an Il apparaît donc primordial de prévenir le patient et d’obtenir son accord concernant : - de la nécessité d’une surveillance cystoscopique régulière - de l’éventualité d’une cystectomie en cas d’échappement tumoral Chez les patients refusant totalement l’idée d’une cystectomie, la radiothérapie peut être menée à son terme sans interruption intermédiaire, car on sait que l’arrêt de la radiothérapie pendant quelques semaines a un effet radiobiologique négatif sur le contrôle tumoral. - Evolution de la radiothérapie des cancers de vessie Les évolutions futures de la radiothérapie des cancers de vessie sont : - Radiothérapie guidée par l’image (IGRT) : réalisation d’une imagerie quotidienne permettant de visualiser la vessie au poste de traitement pour adapter le volume traité au remplissage vésical. - Modification des volumes irradiés : irradiation à dose différente de la tumeur (pleine dose voire escalade) et du reste de la vessie (dose réduite), qui devient possible grâce à l’IGRT. Faisabilité validée par un essai randomisé récent (3) mais pertinence clinique discutable en termes de réduction de la toxicité à long terme. - Modification des traitements concomitants associés : chimiothérapie, thérapies moléculaires ciblées, autres (mélange nicotinamide-carbogène, évalué dans une phase III anglaise récente (4)) - Sélection des patients : améliorer par des analyses biologiques la sélection des patients pour les stratégies conservatrices. Autres stratégies conservatrices dans les carcinomes vésicaux infiltrants D’autres stratégies conservatrices ont été proposées, mais aucune ne dispose d’un recul et d’une expérience comparable à celle de la chimioradiothérapie concomitante. Quelques séries ont notamment proposé de réaliser des cystectomies partielles ou une simple surveillance aux patients en réponse complète après chimiothérapie néoadjuvante par MVAC. Cette attitude est expérimentale, ne constitue pas une option en pratique actuelle, mais fait l’objet d’un PHRC national pour évaluation (13). Conclusion L’association chimioradiothérapie concomitante dans les carcinomes infiltrants de vessie est une alternative aussi efficace sur le plan anti-tumoral à la cystectomie et présentant une meilleure tolérance à court et long terme. Son application optimale nécessite une sélection appropriée des patients et une surveillance régulière et un traitement de rattrapage des récidives. Références 1. Shelley MD, Barber J, Wilt T, et al.: Surgery versus radiotherapy for muscle invasive bladder cancer. Cochrane Database Syst Rev:CD002079, 2002 2. Coppin CM, Gospodarowicz MK, James K, et al.: Improved local control of invasive bladder cancer by concurrent cisplatin and preoperative or definitive radiation. The National Cancer Institute of Canada Clinical Trials Group. J Clin Oncol 14:2901-2907, 1996 3. http://www.ncri.org.uk/ncriconference/2010abstracts/abstracts/ClinicalShowcase2.htm, in , 2011 4. Hoskin PJ, Rojas AM, Bentzen SM, et al.: Radiotherapy with concurrent carbogen and nicotinamide in bladder carcinoma. J Clin Oncol 28:4912-4918, 2010 5. Rodel C, Grabenbauer GG, Kuhn R, et al.: Combined-modality treatment and selective organ preservation in invasive bladder cancer: long-term results. J Clin Oncol 20:3061-3071, 2002 6. Shipley WU, Zietman AL, Kaufman DS, et al.: Selective bladder preservation by trimodality therapy for patients with muscularis propria-invasive bladder cancer and who are cystectomy candidates--the Massachusetts General Hospital and Radiation Therapy Oncology Group experiences. Semin Radiat Oncol 15:36-41, 2005 7. Dunst J, Rodel C, Zietman A, et al.: Bladder preservation in muscle-invasive bladder cancer by conservative surgery and radiochemotherapy. Semin Surg Oncol 20:24-32, 2001 8. Chauvet B, Felix-Faure C, Davin JL, et al.: [Results of long-term treatment of inoperable cancer of the bladder with cisplatin and concurrent irradiation: prognostic factors of local control and survival]. Cancer Radiother 2 Suppl 1:85s-91s, 1998 9. Eapen L, Stewart D, Collins J, et al.: Effective bladder sparing therapy with intraarterial cisplatin and radiotherapy for localized bladder cancer. J Urol 172:1276-1280, 2004 10. Efstathiou JA, Bae K, Shipley WU, et al.: Late pelvic toxicity after bladder-sparing therapy in patients with invasive bladder cancer: RTOG 89-03, 95-06, 97-06, 99-06. J Clin Oncol 27:4055-4061, 2009 11. Neoadjuvant chemotherapy in invasive bladder cancer: a systematic review and metaanalysis. Lancet 361:1927-1934, 2003 12. Neoadjuvant chemotherapy in invasive bladder cancer: update of a systematic review and meta-analysis of individual patient data advanced bladder cancer (ABC) meta-analysis collaboration. 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