VENT VIOLENT de Gilles Brancati

Transcription

VENT VIOLENT de Gilles Brancati
VENT VIOLENT de Gilles Brancati
© LES EDITIONS CHUM
Dépôt légal : mars 2013
ISBN 97-9-10-92613-05-6
AVANT PROPOS
LE POINT D’HISTOIRE QUI A INSPIRE CE ROMAN
Dans les années soixante, les mouvements de libération du
Sahara vont se créer. Contre toute attente, les Sahraouis ne
souhaitent pas rejoindre le Royaume du Maroc qui considère le
Sahara comme partie intégrante du pays. Le Frente de
Liberacíon del Sahara bajo Dominacíon Española (Front de
Libération du Sahara sous domination espagnole), est fondé en
1966, mais sa courte vie de mouvement indépendantiste ne le
fera pas entrer dans l’histoire. Mohammed Bassiri fonde un an
plus tard le mouvement de libération du Seguia el-Hamra et
Oued ed-Dahab qui va préfigurer le mouvement indépendantiste phare du Sahara, le POLISARIO (Front Populaire de
Libération de la Saguia el Hamra et du Rio de Oro, crée le 10
Mai 1973).
Mohammed Bassiri conduit une manifestation le 17 juin
1970 vers le palais du gouverneur espagnol, mais celui-ci
donne ordre de tirer sur la foule. 11 morts, des centaines
d’arrestations dont Mohammed Bassiri. On n’entendra plus
jamais parler de lui, une fois qu’il aura passé les portes de la
prison (il avait 26 ans).
À ces mouvements indépendantistes, le roi du Maroc Hassan
II, mettra en avant le Front de Libération et de l'unité (FLU)
créé en 1974 ou le Mouvement révolutionnaire des hommes
bleus (MOREHOB, devenu le Mouvement de résistance des
Page 1 sur 16
hommes bleus). Le Sahara devient l’objet de luttes coloniales.
En 1975, les Espagnols tentent de créer un Parti de l’Union
Nationale sahraouie, mais loin de se laisser manipuler par les
Espagnols (qui souhaitent l’établissement d’un référendum
d’autodétermination), ce parti ralliera le Maroc. Le Sultan
dépose une plainte contre l’Espagne auprès de la Cour de
justice internationale qui, le 16 octobre 1975, accède à la
demande de référendum… des Espagnols.
Hassan II lance alors sa marche verte entre le 6 et 9
novembre 1975. 350 000 Marocains marcheront pacifiquement dans la colonie espagnole.
Alors que le dictateur espagnol, le Généralissime Franco
agonise, le gouvernement espagnol accepte de rendre le
territoire à la seule condition qu’il puisse continuer à exploiter
les gisements de phosphate présents dans le Sahara. La colonie
est divisée en deux, conjointement au Maroc et à la Mauritanie
qui tous les deux revendiquaient aussi cette partie de l’Afrique
du Nord tout comme l’Algérie, exclue des négociations et qui va
se tourner vers le POLISARIO.
Ce dernier va attendre le départ des troupes espagnoles en
janvier 1976, appuyé par l’Algérie et d’autres pays de
l’Organisation de L’Unité africaine, pour proclamer l’indépendance du Sahara le 27 février 1976 (El-Ouali Moustapha Sayed,
élu Premier Président de la République arabe sahraouie démocratique (RASD) et tué le 9 juin 1976 lors d'un raid sur
Nouakchott).
Une guerre va alors s’engager avec, d’un côté, les
indépendantistes du Polisario et, de l’autre, les armées
mauritaniennes et marocaines. Mais en s’attaquant à deux de
ses anciennes colonies avec qui elle reste un partenaire
privilégié, c’est aussi la France qui entre dans ce conflit. Les
prises d’otage des Français en Mauritanie en mai et octobre
1977 forcent la France à déclencher une opération militaire
contre le POLISARIO, l’opération Lamentin.
Page 2 sur 16
Résumé des épisodes précédents.
Chapitre 1 – LES LETTRE DE SIMON
Lulu et Samia travaillent dans la même entreprise de
nettoyage, la « Surnette ». Lulu décide de se faire
rencontrer ses deux amies, Samia et Yona à l’occasion d’une
virée entre filles.
Chapitre 2 -LULU
Les trois amies font une virée en ville, un peu au-dessus de
leurs moyens. On les découvre chacune dans sa
personnalité.
Chapitre 3 - ACHIR
Le lendemain Samia déclare à ses parents qu’elle ira vivre
au centre ville en colocation avec Yona. Fatima, sa mère, lui
révèle que Achir, son père, n’est pas son géniteur.
Chapitre 4 - SOLIMANE
Soliman, policier au Sahara Occidental On a découvert les
difficultés de la région au travers de son travail.
Chapitre 5 - ADRIEN
Adrien le compagnon de Yona a aidé au déménagement de
Samia qui devient la colocataire de Yona. Une nouvelle vie
pour Samia.
Page 3 sur 16
Chapitre 6 – ILLAN
Illan est producteur de cinéma et produit les films des
armées. Il rencontre Samia et l’invite avec Yona dont le père
est instructeur pour la patrouille de France à venir voir une
exécution. Elles sont aussi invitées à voir le tournage d’un
film.
Chapitre 7 – ROMY
Romy est la compagne de Solimane. Elle tient un restaurant
à Lââyoun. Solimane découvre dans une boîte un article de
presse que son père avait découpé et qui relate la panne
d’hélicoptère des aviateurs français puis leur accueil chez
son oncle.
Chapitre 8 – Guillaume
L’équipe de tournage de Guillaume rencontre une difficulté.
Une couturière est appelée d’urgence au chevet de sa mère.
Le cinéaste sur les conseils d’Illan embauche Samia pour la
remplacer.
Chapitre 9 – Lofti
Solimane a cherché auprès de son oncle à savoir pourquoi
dans sa famille personne n’a jamais parlé de l’accueil des
deux militaires français.
Chapitre 10 – La villa Florentine
Illan a invité Samia dans un restaurant luxueux. Après le
repas, leur histoire d’amour commence. Le téléphone sonne,
le père de Yona vient d’être hospitalisé.
Page 4 sur 16
Chapitre 11 – Ahmed
Solimane a poursuivi son enquête auprès de son oncle qui
ne lui a rien révélé, mais une piste sérieuse est apparue.
Page 5 sur 16
Chapitre 12
VENTÔSE
Simon Abahel avait ressenti une violente douleur dans
la poitrine, son bras gauche s’était engourdi et aucune
position ne le soulageait plus. Il avait passé une nuit à
souffrir, à se contracter, à se recroqueviller. Au matin, seul
chez lui, inquiet, il avait appelé Hélène qui lui avait
conseillé d’appeler leur médecin de famille pour qu’il
appelle les urgences. Que faire d’autre ? Si encore elle
avait été présente, mais elle était dans la Sarthe. Simon
s’était décidé à appeler le docteur Levy. Les secours
étaient arrivés très vite et le primo-diagnostic effectué,
Simon avait été couché dans l’ambulance, sous oxygène et
amené, à sa demande, à l’hôpital militaire de Lyon. Son
état était sérieux, sa vie était en danger. Les coronaires
étaient partiellement bouchées, le caillot qui obstruait
pouvait faire un blocage total de l’artère d’un instant à
l’autre.
Le Docteur Pierre Santsniersevitch, médecin
urgentiste, était expérimenté et la pâleur de son patient,
sa difficulté à respirer, l’inquiétaient fortement. Après un
électro-cardiogramme et une coronographie pratiqués
dès son arrivée, Simon fut préparé pour une opération. Le
pronostic vital était engagé. Quand Yona arriva, elle
aperçut son père au moment où on le faisait entrer dans le
bloc opératoire. L’attente allait durer des heures et elle ne
s’était pas senti le courage de les passer seule. Par réflexe,
elle avait appelé Adrien qui ne pouvait pas venir dans
Page 6 sur 16
l’immédiat, lui avait proposé d’appeler Lulu et Samia. Elle
arpentait le couloir, regardait sans arrêt les portes closes
et la lumière rouge au-dessus. Elle s’asseyait quelques
instants dans une petite salle d’attente ou dans le couloir
garni de rangées de chaises attachées entre elles. Elle
guettait chaque mouvement, chaque blouse blanche,
quêtait le moindre signe. Les médecins, les infirmières
passaient, prenaient des ascen-seurs, ouvraient des
portes, en fermaient d’autres. Yona n’exerçait pas en
chirurgie, mais n’importe quelle infirmière aurait compris
la gravité de la situation.
Le Docteur Santsniersevitch prit l’ascenseur jusqu’au
service de cardiologie, se dirigea vers la salle d’opération,
frappa à une porte et questionna l’infirmière en chef qui
lui répondit par une grimace d’inquiétude.
L’échange n’échappa pas à Yona qui se précipita :
— Que se passe-t-il ? Vous savez quelque chose ?
— Non, rien encore.
— Mais l’infirmière, là, elle a fait une grimace.
— Venez avec moi, je vous offre un café.
— Je ne bois pas de café.
— Un thé ou ce que vous voulez. Ça ne sert à rien de
rester dans ce couloir, il y en a pour plusieurs heures.
Venez.
Il entraîna Yona jusqu’à la cafeteria, la fit asseoir à une
table et alla chercher les consommations.
— Je suis le Docteur Pierre Santsnier-sevitch, je suis
médecin urgentiste, c’est moi qui ai amené votre père ici.
Je ne vous cache pas que c’est sérieux. C’est un infarctus
sévère, il a trop attendu avant de nous appeler et il devait
déjà avoir des douleurs depuis deux ou trois jours. Pour le
Page 7 sur 16
moment, le pronostic est plutôt défavorable, mais ça ne
veut rien dire. Il faut attendre.
— Merci, pour toutes ces précisions qui ne me
rassurent pas du tout.
— Ayez confiance, il est entre de bonnes mains.
— Je l’espère. D’ordinaire, j’ai plutôt con-fiance dans
les militaires, mais j’avoue que là, je n’aurais confiance en
personne. Pourquoi êtes-vous resté ?
— Le nom de votre père m’a évoqué quelque chose.
— Vous le connaissez ?
— Non, pas moi, pas directement. De nom seulement.
Mon père était médecin militaire en Mauritanie. Je crois
qu’ils ont été sur place ensemble pendant un temps.
Comme j’avais fini mon service, je suis monté prendre de
ses nouvelles.
Un homme en blouse blanche, la cinquan-taine
grisonnante, salua sans s’arrêter :
— Bonjour Ventôse.
— Bonjour, répondit Pierre.
— Pourquoi vous a-t-il appelé Ventôse? Votre nom
avait l’air plus compliqué… Excusez-moi.
— Ne vous excusez pas, mon nom est tellement difficile
à prononcer. Ventôse est un surnom. Tout le monde
m’appelle comme ça parce que je suis né en mars, le mois
des giboulées. Je ne sais plus qui a trouvé ça, mais c’est
plutôt bien pensé.
— Ça ne vous gêne pas ?
— Non, pas du tout, c’est amusant. Vous êtes seule ? Je
veux dire, ici, pour votre père.
— Ma mère est dans la Sarthe, elle est en route. Mes
amies vont arriver. Elles doivent même être déjà à me
Page 8 sur 16
chercher. Merci pour le thé, je vais y aller, j’ai besoin
d’être au plus près.
— Bien sûr, je remonte avec vous, j’ai du temps devant
moi.
En sortant de l’ascenseur, Yona vit Samia et Lulu qui
marchaient à grands pas vers elle depuis le fond du
couloir. Lulu lança un « alors ? » qui alerta tout l’étage.
— Rien, il faut attendre.
— Qu’est-ce que c’est ? demanda Samia
— Un infarctus, sévère. Les coronaires. Bouchées.
— Merde, c’est la tuile, enchaîna Lulu. Ils vont te le
sortir de là, va, entre militaires, ils s’entraident. C’est pas
que j’aime beaucoup les carabins, j’ai pas trop confiance
et j’ai mes raisons pour ça, mais tu vas voir, ça va bien se
passer.
Lulu se pencha vers Yona pour lui deman-der à
l’oreille :
— C’est qui, lui ?
— C’est le Docteur Pierre quelque chose, c’est le
médecin du SAMU qui a amené papa. Il a un nom
impossible à prononcer alors tout le monde l’appelle
Ventôse.
— Pourquoi il reste ? Tu lui as tapé dans l’œil ?
— Ne dis pas de bêtises.
Lulu se pencha un peu.
— Il n’a pas d’alliance. Ma vieille, t’es bonne pour un
tour de manège et si t’attrapes la queue du Mickey…
— Arrête, Lulu, ce n’est pas le moment.
— Samia, dis-lui, toi, que le docteur machin, il a plus
envie de la soigner elle que son père.
— Elle a raison, répondit Samia, ce n’est pas le
moment.
Page 9 sur 16
— Bon, d’accord, moi, je disais ça pour détendre un
peu.
Yona déposa un énorme baiser sur la joue de Lulu qui
alla s’asseoir sur l’une des chaises de métal alignées
contre un mur. Elle regardait les lumières blanches, les
hommes en sabots blancs aller et venir, les chariots qu’on
pousse, les infirmières qui rappliquent pour répondre aux
lumières rouges des appels. Elle fouilla dans son sac pour
en sortir un mouchoir en papier et discrètement, elle
sécha des larmes qui perlaient à ses paupières.
— Pourquoi tu pleures, lui demanda Samia.
— C’est les hôpitaux, ça me fout le bourdon.
Ils attendirent ainsi tous les quatre plus de deux
heures. Enfin, une infirmière qui sortait du bloc
opératoire leur dit : « C’est trop tôt pour se prononcer, on
doit faire un double pontage ». Puis plus rien, ceux qui
passaient là n’avaient aucune information sur ce qui se
passait.
Illan avait laissé Samia à l’entrée, avait promis de
téléphoner, lui avait dit « je t’aime » en l’embrassant et
elle s’était contentée d’accepter son étreinte. Les trois
femmes restaient silencieuses, chacune perdue dans ses
pensées. Samia se demandait ce qu’il allait advenir de son
« cinq à sept. » Elle était flattée, bien sûr, de la demande
en mariage, toutes les femmes le seraient, mais c’était
non, sans ambiguïté. Achir, qui ne précipitait jamais les
choses, lui avait appris qu’il fallait toujours se donner du
temps pour réfléchir, que ça ne changeait rien, que les
choses qui devaient se faire se faisaient, qu’il fallait
attendre le signe de Dieu. Elle ne répondait jamais aux
sentences de son père, par respect, pour ne pas le froisser,
mais elle était à mille lieues d’un Dieu toujours à fureter
Page 10 sur 16
dans la vie de chacun. Un « oui » changerait trop vite sa
vie, mais elle avait malgré tout eu une petite hésitation.
Illan était un compagnon agréable, un bel homme avec
des manières et elle était heureuse de ce début qui avait si
bien commencé.
Les portes s’ouvrirent enfin, en grand. Simon Abahel,
allongé sur un lit roulant, passait devant sa fille, silencieux
pour la première fois, lui semblait-il. Samia aussi l’avait
regardé passer. Qu’était devenu l’homme à la stature
imposante, quelle fragilité cachée l’avait soudain allongé
sans force. Le chirurgien s’avança, Lulu et Samia s’approchèrent. Ventôse resta un peu en retrait.
« Votre père a subi une nécrose importante du tissu
cardiaque. Une régénération totale est improbable. Nous
avons mis en place une dérivation coronarienne pour
alimenter le cœur. L’opération s’est bien passée, mais
nous ne pourrons nous prononcer sur son succès que
dans une ou deux semaines. Pour l’heure, il va en salle de
réveil, vous ne pourrez le voir que quand il sera en
chambre, dans quarante-huit heures environ ».
Lulu sortit de sa pochette un autre mouchoir en papier
qu’elle tendit à Yona.
— Qu’est-ce qu’on fait, maintenant ?
— Ça ne sert à rien de rester là. S’il y a quelque chose,
on vous appellera.
Ils restèrent là tous les quatre un long moment, indécis,
désorientés, comme dans l’attente d’un évènement
imminent.
— Vous pouvez dîner à la cafeteria, enchaîna Ventôse.
C’est ouvert le soir et c’est plutôt correct.
— Pourquoi pas, allons-y, dit Samia, on pourra souffler
un peu.
Page 11 sur 16
— Allez, direction le réfectoire. On va prendre du vin
blanc sec, ça remontera notre petite Yona.
— C’est un très joli prénom, affirma Ventôse.
— Pif ! Paf ! Je l’avais dit, ne put s’empêcher de
répondre Lulu.
— Vous voulez venir avec nous, proposa Yona ?
— Si je ne gêne pas, c’est avec plaisir.
— Vous ne gênez pas, toubib, mais on a des choses à se
dire, entre filles. Surtout celle-là, poursuivit Lulu en
montrant Samia. Il faudra vous boucher les oreilles.
Ils rapprochèrent deux tables pour n’en faire qu’une.
Yona s’assit en face de ses amies, Ventôse à côté d’elle.
Une fois les plateaux prêts, Samia emplit les verres de vin
et leva le sien :
— Je vous propose de porter un toast au
rétablissement de ton père. Un père, c’est important, on
n’en a qu’un, enfin en principe. Parfois ça marche
autrement. J’ai quelque chose à vous dire, mais ce n’est
peut-être pas trop le moment.
Les autres levèrent leurs verres, les entre-choquèrent
avant de boire et se tournèrent vers Yona.
— La vie continue, rien ne s’arrête et papa n’est pas
mort. Alors, on peut se raconter nos petites histoires.
Enfin, vous, parce que moi, je n’en ai pas.
— Ça ne va tarder, c’est du cousu main, ne put
s’empêcher d’intervenir Lulu en envoyant un coup de
menton vers Ventôse.
Le médecin ne répondit pas. Il se contenta de sourire.
— Voilà, annonça Samia entre deux bouchées. J’ai deux
choses à vous dire. Illan me propose d’entrer dans
l’équipe de Madeleine la couturière en chef sur le
tournage. Il veut aussi m’épouser.
Page 12 sur 16
— Heureusement qu’on est dans un hôpital, je vais
faire un malaise, dit Lulu. Il ne serait pas un peu tombé
sur la tête ton producteur basque.
— Ben, pourquoi pas, reprit Yona. Tu as dit oui ?
— J’ai dit non, c’est trop tôt, trop rapide. Il m’a invitée
au restaurant de l’hôtel où il loge…
— Ben, voyons, c’est bien plus pratique. Il a le sens du
timing, dit Lulu.
— Il m’a d’abord proposé de travailler avec Madeleine,
et dans la foulée il m’a demandé de l’épouser.
— Si après vous avez couché ensemble, c’est comme si
tu avais dit oui.
— Mais non, dit Yona. Ça ne l’engage pas. S’ils ont fait
l’amour, ils ont bien fait. Ce n’est pas parce qu’on a une
aventure qu’on s’engage.
— Chez les Juifs peut-être, mais pas chez les Arabes.
Demande à son père, tu verras.
— Je vous rappelle que je suis française. C’est en
France que j’ai grandi, même si je ne suis pas née en
France. Et Illan n’est pas mon premier amant.
— Bon, et alors qu’est-ce qu’il a dit ? demanda Yona.
— Il a dit qu’il attendra le temps qu’il faudra.
— Elle a dit non ! Elle est folle. Elle est folle à lier. Yona,
tu entends ça ? Un type plein aux as lui demande de
convoler et elle refuse.
— Justement, reprit Samia, c’est ce qui me gêne. Je ne
veux pas être la femme de quelqu’un, je veux être moi, ne
compter que sur moi. Je ne veux rien devoir.
— C’est dommage que je n’aie pas une trompette avec
moi pour saluer ce ramassis de conneries.
— C’est important pour moi, Lulu, je veux réussir
quelque chose toute seule et avec Madeleine c’est peutPage 13 sur 16
être possible. S’il m’aime comme il le dit, il n’a pas besoin
de m’épouser. Je ne dis pas que je ne resterai pas avec lui,
d’ailleurs ça me plairait plutôt, mais je ne veux pas
dépendre de lui. Ça se comprend, non ?
— Bien sûr que ça se comprend, répondit Yona. Tu as
raison, je t’approuve.
Lulu se tourna vers Ventôse.
— T’as tout compris, toubib ?
— Non, rien du tout, je ne sais pas qui sont : Illan et
Madeleine.
— On t’expliquera quand tu feras partie de la famille,
répondit Lulu en éclatant de rire.
— Madeleine, reprit Samia en s’adressant plus à
Ventôse, c’est la chef couturière avec qui je travaille, pour
les costumes d’un film, ici, à Lyon. Pour le moment, je fais
un dépannage, mais Illan m’a dit qu’elle souhaiterait que
j’entre dans son équipe.
— Tu vas quitter Lyon ? demanda Yona un peu
inquiète.
— Non, si ça se fait, je ferai des allers-retours à Paris ou
vers les endroits où on me dira d’aller, pour des films.
Mais je peux être absente plusieurs jours de suite, c’est
sûr.
— Tu as dit oui, pour ça ? demanda Lulu.
— Adrien a téléphoné à ce moment-là et du coup on
n’en a pas reparlé.
— Un petit nouveau pour toi, toubib. Adrien, c’est le
presque ex-jules de Yona.
— On se voit de moins en moins, intervint Yona,
presque plus du tout, même.
Page 14 sur 16
— J’en reparlerai avec Illan, reprit Samia, et si c’est
toujours d’accord, ça, je ne laisserai pas passer, je dirai
oui.
— Super ! C’est super ! Bon, sauf que moi, mon
physique ne séduit que la « Surnette ». Il faut que j’y aille,
les filles, Marcello a déjà dû appeler les « restos du cœur »,
il est incapable de faire cuire un œuf. Quand même, je vais
me retrouver bien seule.
— Lulu, intervint Ventôse, je sais que la Croix-Rouge
cherche quelqu’un à plein temps pour son centre de la
Guillotière. Je n’en sais pas plus, mais je peux demander
des préci-sions ou si vous préférez, vous pouvez y aller de
ma part.
— Ouais, pourquoi pas, ça me sortirait des chiffons à
poussière, répondit Lulu, mais il faudrait savoir pourquoi.
Moi, je ne suis pas du corps médical et puis ça, je n’en
voudrais pas.
— Ne te bile pas, répondit Samia en enveloppant Lulu
de tendresse, je t’emmènerai avec moi de temps en temps
à Paris, tous frais payés, on se débrouillera. Je ne te
lâcherai jamais. Vous êtes mes sœurs. Illan habite dans un
bel arrondissement, je l’obligerai à nous loger toutes les
trois, sinon ce sera la grève.
— La grève de quoi ? demanda Yona
— Que tu es gourde! gronda Lulu. Devine ! Du sexe,
bien sûr. Avec ça, on obtient tout ce qu’on veut de nos
chéris.
— Moi, je voudrais bien qu’Adrien la fasse un peu, la
grève. Il gratte à ma porte comme mon chat et je fais celle
qui n’entend pas.
— C’est bien fait pour toi, tu dis que tu en as assez,
mais tu continues. Il n’est pas venu voir ton père ?
Page 15 sur 16
— Il voulait venir après son service, mais je lui ai dit
que je n’y tenais pas. Il viendra plus tard, quand papa ira
mieux. En ce moment… je préfère ne pas le voir.
— On a compris, rétorqua Lulu, y a pas loin qu’on ne le
verra plus du tout.
Se tournant vers Ventôse, Yona ajouta :
— Ils travaillent ensemble, mon père et lui, ils sont
militaires tous les deux, dans l’aviation, c’est comme ça
qu’on s’est connus.
À suivre...
La semaine prochaine vous rencontrerez Rachid un
journaliste à la retraite qui détient des archives.
Page 16 sur 16