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2008
FACE AUX PERILS
POLITIQUE – ECONOMIQUE - SOCIAL
TROIS MINISTERES QUEUILLE
Septembre 1948 – juin 1951
Jean PERFETTO
« Archives du Parti Radical - privées »
20/05/2008
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AVANT PROPOS .................................................................................................................. 4 LE PREMIER MINISTERE QUEUILLE ...................................................................................... 6 LE SECOND MINISTERE QUEUILLE ...................................................................................... 14 LE TROISIEME MINISTERE QUEUILLE ................................................................................. 16 L’OPINION FRANÇAISE ET ETRANGERE SUR HENRI QUEUILLE ............................................ 21 « Nous nous sommes portés au
secours de la République qui en
avait bien besoin, et de la Patrie
bien infortunée. Quel français, de
bonne foi, peut se refuser à
reconnaître que les ministères de
notre ami Queuille ont apporté, à
la France, le maximum d’ordre
républicain
et
de
stabilité
financière ? Dans les jours atroces
où le péril était de toutes les
heures, notre ami a poussé l’esprit de dévouement jusqu’au sacrifice. Le Parti
Radical peut donc se présenter, devant les électeurs, la tête haute. »
Edouard HERRIOT
(Congrès extraordinaire du Parti Radical des 17 et 18 mai 1951)
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L’EXPERIENCE - fruit de l’ancienneté – est une qualité maîtresse dont ne peut se
passer l’homme d’Etat. Elle lui enseigne que, dans la difficile conduite des affaires
publiques il ne faut jamais désespérer. Jeter le manche après la cognée est interdit à
celui qui gouverne, quelles que soient les circonstances dans lesquelles il est appelé
au pouvoir. En septembre 1948, la France, après plus de trois années d’une politique
qui n’avait cessé d’être folle qu’à de brefs intervalles, était secouée par les tentations
de l’Aventure. Les meilleurs parmi les nôtres se sentaient attirés vers la solution du
désespoir. « Puisque la République ne peut rendre à la France son rang et sa
prospérité, renonçons à la République » disaient les pessimistes. Le pays sain, luimême, commençait à lever les yeux vers les étoiles… Elles n’étaient pas toutes dans
le ciel.
Les raisonnements avaient pour excuse les faits.
Les faits économiques, financiers, politiques.
La production française ne se relevait qu’avec lenteur au milieu des routines, des
prétentions syndicales, d’un dirigisme tracassier.
La monnaie s’effondrait progressivement. Son pouvoir d’achat fondait à chaque
montée de l’inflation.
Le budget de l’Etat ne pouvait retrouver un équilibre sans lequel il n’est pas de
monnaie stable.
Les réformes de structure - nationalisation, Sécurité sociale - se révélaient nuisibles
pour ceux-là mêmes, Etat ou travailleurs, qu’elles voulaient protéger contre l’esprit de
lucre ou l’égoïsme des hommes. Il semblait que l’Amérique elle-même, inquiète de
ce désordre, hésitait à nous continuer son aide généreuse.
Dans les Assemblées, régnait un égal désordre. En moins de huit semaines, on
assistait à trois crises ministérielles provoquées, tantôt par un scrutin public, tantôt
par une dislocation interne d’un Gouvernement de coalition. L’idée d’une dissolution impossible en droit républicain - gagnait du terrain et le public, peu soucieux des
formes constitutionnelles, n’eût pas reculé devant l’hypothèse d’un coup de balai des
hommes de main qu’entretiennent les révolutionnaires de droite et de gauche.
Henry Queuille fut appelé à constituer un ministère au milieu d’un scepticisme
général. L’homme avait été vingt-huit fois ministre et jamais président du Conseil.
Modeste, il n’avait jamais recherché les effets de tribune. Loyal, il n’avait en aucune
occasion trahi les chefs de Gouvernement qui lui avaient confié la gestion d’un
département ministériel. On le savait fortement attaché à la terre de France par son
origine corrézienne et son long passage au ministère de l’Agriculture. On rendait
hommage à ses qualités, mais on doutait qu’il pût redresser une situation
désespérée. Ajouterai-je que lui-même ne souhaitait pas le pouvoir et que ce fut, là,
sans doute, sa force réelle.
D’entrée de jeu, avoir à barrer la route à l’inflation, par des mesures impopulaires,
courir le risque malgré tout d’un indispensable recours à la planche à billets, craindre
que l’Amérique ne tourne le dos aux efforts de cet homme inconnu à l’étranger. En
vérité, un autre eût hésité. Le président Queuille fit un examen rapide des mesures à
prendre. Il les décida et les soumit comme un contrat à ceux qu’il voulait associer à
son œuvre. Pour la première fois, un président désigné faisait appel aux républicains
de toutes nuances sans aucune exclusive. Certes, il se heurta aux errements des
hommes. Avec une douceur très humaine qui n’excluait pas la fermeté d’un homme
de la Corrèze, Il mit au point un programme qui se proposait de résoudre dans la
hiérarchie nécessaire chacun des problèmes. Et tous étaient cruciaux.
Sa bonhomie souriante, sa loyauté, l’emportèrent sur l’esprit d’intrigue qu’on vit
fondre à mesure que ses consultations avançaient.
Le 10 septembre 1948 naissait un ministre nouveau. Chacun lui prédit une courte
existence. Queuille l’a fait vivre treize mois.
En treize mois, le louis revenait de 6000 francs à 4400, et le franc retrouvait 30% de
sa valeur. Les prix – malgré les ajustements qui restaient à faire et les aléas
saisonniers – se stabilisaient à 2 % près.
L’ordre public, menacé par la fureur communiste qui avait déclenché un
commencement de guerre civile, était rétabli et l’autorité de l’Etat renforcée.
La loi des maxima tendait vers un équilibre budgétaire qui inspirait confiance à
l’étranger.
L’Amérique admirait de loin le petit médecin de campagne dont la phonétique anglosaxonne lui permettait difficilement de prononcer le nom. « Quily » devenait un
homme populaire aux Etats-Unis.
En treize mois, presque tout redevenait libre de ce qui s’achète et se consomme. Le
dirigisme faisait place aux lois naturelles de l’offre et de la demande. L’œuvre de
reconstruction cessait d’être une formule pour commencer à être une réalité. Certes,
tout n’était pas fait.
Un de nos amis avait raison de dire, en 1949 : « Un an d’arbitrage radical a été une
année de stabilité française. »
Cette première expérience gouvernementale a été funestement ininterrompue.
D’autres ont été faites sans succès, après Henri Queuille, qui ont ramené à deux
reprises le bon artisan de 1948-1949.
Le second ministère Queuille a prouvé que le « contrat » entre les membres de la
majorité ne pouvait être rompu impunément.
Le troisième ministère a surmonté pacifiquement les difficultés sociales posées
soudain par les remous économiques du drame coréen. Finalement le Président du
Conseil a dû accélérer le vote de la loi électorale et la convocation des électeurs.
Car l’urgence exige pour les problèmes pressants de demain une Assemblée
pénétrée des résolutions récentes de la Nation.
Trois ministères Queuille, mais une seule préoccupation commune : l’intérêt national.
Le bon peuple républicain de France le sait bien.
MARTINAUD-DEPLAT
Président Administratif du Parti.
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(11 septembre 1948 – 6 octobre 1949)
Le 10 septembre 1948, Henri Queuille, chargé de constituer le gouvernement,
recevait l’investiture du Parlement par 351 voix contre 196, le renvoi à la suite des
interpellations.
La crise qui durait depuis le 26 août, date de la chute du ministère Marie, et dont
l’éphémère cabinet Schuman (5-7 septembre) n’avait été qu’un épisode, était
terminée. Les difficultés n’en étaient pour autant pas aplanies.
La situation politique était confuse :
Depuis la Libération, les gouvernements successifs se heurtaient à la même
difficulté : trouver une majorité qui consente à gouverner, et non essayer d’appliquer
les principes d’une idéologie. Les deux grands partis qui forment la base de cette
majorité indispensable à tout gouvernement sont eux-mêmes divisés. Le Parti
Socialiste attaché au vocabulaire et au principe de sa jeunesse se voit contraint en
participant au pouvoir d’approuver certaines mesures contraires à sa doctrine.
Le M.R.P., plus jeune et moins doctrinaire, est cependant intransigeant sur la laïcité.
La nécessité de vivre, l’instinct de conservation, si l’on peut dire, les rend solidaires.
Menacée à gauche par les communistes, pressées à droite par le R.P.F., cette
majorité prend peu à peu conscience d’elle-même, plus peut-être contre une
opposition de plus en plus active que pour une œuvre constructive.
Cette prise de conscience amenait de crise en crise ces partis modérés à prendre
une influence grandissante au sein des Conseils du Gouvernement, et justifiait la
formation d’un Gouvernement à directives radicales capable d’élargir cette majorité
et d’y admettre tous les républicains de gouvernement.
Le nouveau Cabinet comprenait, sous la présidence d’Henri Queuille, 9 R.G.R., 9
M.R.P., 8 S.F.I.O., 2 P.R.L., et 4 indépendants ; une lourde tâche lui incombait.
Le Parti Communiste et le R.P.F. avaient mené chacun de leur côté une violente
campagne, destinée à empêcher la constitution du Gouvernement ou tout au moins à
le discréditer avant même qu’il se fût présenté devant l’Assemblée. Le général de
Gaulle, dans une campagne de discours, réclamait la révision de la Constitution ainsi
qu’une réforme électorale. Le Parti Communiste mettait tout en œuvre pour prolonger
l’anarchie et paralyser les efforts de tout Gouvernement favorable à l’aide
américaine.
Deux questions importantes retenaient l’attention des milieux parlementaires : la
fixation de la date des élections cantonales et le renouvellement du Conseil de la
République.
Sur le plan économique et financier, la situation n’avait cessé de s’aggraver au cours
de l’été sous l’effet des incertitudes politiques et de l’instabilité gouvernementale. La
stabilité du rapport prix-salaires était de nouveau menacée. Envenimée par la
concurrence des Partis, la situation sociale avait nettement empiré au cours des
deux derniers mois.
Le Gouvernement, résolument déterminé à prendre le contre-pied d’une politique
démagogique, allait se heurter à l’action d’une organisation syndicale puissamment
politisée.
La production satisfaisante des récoltes, l’indice de production de certaines industries
de base, telles que l’acier, n’avaient pas encore eu de répercussions notables. Le
recul de l’extraction charbonnière, conséquence de l’agitation sociale, faisait peser
sur l’économie financière une atmosphère d’insécurité.
La situation financière était inquiétante. Les prévisions budgétaires dépassaient 1000
milliards que les prévisions de recettes ne parvenaient pas à couvrir. Le déficit devait
imposer au Gouvernement une amélioration de la situation économique et un
allégement substantiel des dépenses de l’Etat. Le maintien de l’équilibre budgétaire
et la stabilisation des prix étaient la condition expresse du développement de nos
exportations, seul moyen de rétablir l’équilibre de notre balance des comptes.
Dans le domaine extérieur, la situation était de plus en plus instable. Une France
affaiblie par les grèves était un danger grave pour l’Europe. La presse étrangère était
unanime à signaler la responsabilité de la France pour l’avenir de l’Europe
Occidentale.
Conscient des difficultés qui l’attendaient, le Gouvernement se mit à la tâche. Il fut
accueilli avec sympathie, mais on lui attribuait une existence précaire et un
journaliste danois écrivait : « Si contre toute attente, on parvient encore à former un
Gouvernement, on a du mal à croire que ce puisse être un Gouvernement
miraculeux qui puisse conjurer la mésintelligence et l’indécision. »
Le Gouvernement, dont le départ était accueilli avec si peu de foi, devait cependant
se maintenir en dépit des prévisions presque unanimement pessimistes.
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En sollicitant, le 10 septembre, l’investiture de l’Assemblée Nationale, il mettait au
premier rang de ses préoccupations le retour à un équilibre des salaires, des prix et
de la monnaie, dans le cadre du développement de la production et de
l’aménagement progressive de la balance commerciale.
Depuis un an de stabilité et d’action constante, quelle est la situation de la France ?
L’examen qui suit va permettre de l’établir.
En juin 1949, l’indice de la production industrielle était de 130 contre 115 en
septembre 1948 (le maximum atteint entre les deux guerres était de 133 pour l’année
1929).
La production d’acier, en prenant toujours comme date de comparaison septembre
1948 et juin 1949, passe à 765 000 tonnes contre 549 000 tonnes ; celle du charbon
à 4 500 000 tonnes pour le premier semestre 1949, dépassant de 600 000 tonnes le
volume mensuel de 1938.
La production électrique, qui oscille autour de 2,3 milliards de kWh par mois, est
supérieure de 33 % à celle d’avant guerre.
Le souci du Gouvernement de développer la production se manifeste dans la
politique des investissements. Alors qu’en 1948, les ressources du Fonds de
modernisation et d’équipement étaient de 160 milliards, elles s’élèvent pour 1949 à
269 milliards.
L’essor de la production industrielle est lié à une amélioration de la productivité. Le
rendement par poste de fond dans les houillères passe de 946 kg à 1 103 kg.
La production agricole, pour la première fois depuis la guerre, a atteint en 1948 un
niveau voisin de la moyenne des années 1930-1939. Cette abondance a eu une
répercussion sur les prix alimentaires. Les perspectives de 1949, malgré la
sécheresse, sont loin d’être décevantes. La collecte de blé sera satisfaisante par
suite de la reconstitution du stock normal. La récolte de betteraves sera égale au
moins à celle de 1948.
Le développement de cette production agricole étant un des principaux objectifs du
Gouvernement, l’ensemble des moyens financiers dégagés en faveur des
investissements agricoles s’élèvera, cette année, à 73 milliards de francs contre 52
milliards en 1948 et 38 milliards en 1947 (en francs 1949).
Le relèvement de la production a été conditionné en partie par le relèvement du
commerce extérieur.
La valeur moyenne des importations calculées en francs 1938 s’établit à 4,1 milliards
pour le premier semestre 1949 et dépasse ainsi le niveau de 1938. Ce résultat a pu
être acquis par l’aide américaine qui couvre chaque mois un tiers de nos
importations.
Les exportations en juin 1949 s’élèvent à 62% des importations contre 49% en
septembre 1948.
La conséquence de l’amélioration de notre balance commerciale se traduit par un
abaissement de notre solde débiteur à l’étranger, qui n’est plus que de 225 millions
de dollars contre 410 millions de dollars en novembre 1948.
Ainsi, grâce à l’heureux développement de notre production, à l’état de pénurie a
succédé une relative abondance. La grande majorité des rationnements a disparu et,
dans certains secteurs, des symptômes de mévente ont pu apparaître. Si,
cependant, certaines branches d’activité, telles que l’ameublement, la maroquinerie,
la T.S.F., paraissent avoir été atteintes, l’ensemble des transactions industrielles et
commerciales ne présente aucun ralentissement. Bien plus, l’examen de l’indice du
chiffre d’affaires « en qualités », établi par le ministère des Finances, révèle, au cours
des trois premiers mois de 1949, une progression notable des échanges par rapport
à 1948 (moyenne mensuelle de l’indice : 1949 :115 – 1948 : 92).
On se trouve, semble-t-il, essentiellement en présence de difficultés auxquelles se
heurtes le commerce pour se réadapter à son rôle et à ses nécessités traditionnelles.
Cette réadaptation entraîne notamment la disparition progressive d’intermédiaires
qui, dans la période inflationniste, s’étaient insérés dans le circuit des échanges sans
connaissances techniques ni capitaux suffisants.
Le malaise qui avait précédé l’installation du Gouvernement ainsi que les grèves
politiques d’octobre 1948, avaient entraîné une psychose de hausse. L’indice des
prix de gros était passé de 1 691 en juin 1948 à 1 977 en novembre 1948.
Le relèvement des salaires intervenu en septembre, la suppression des subventions
avaient entraîné une majoration des prix du charbon et de l’électricité. L’indice des
prix de gros industriels passait donc de 1 743 en juillet 1948 à 2 159 en février 1949.
Par contre, l’abondance des produits agricoles abaissait l’indice des prix de gros de
1 904 en novembre 1948 à 1548 en juin 1949.
Ce renversement de l’évolution des prix agricoles permettait au Gouvernement de
stabiliser l’ensemble des prix de gros et des prix de détail à un niveau nettement
inférieur à celui de décembre 1948.
Conformément aux engagements pris par les précédents Gouvernements, la prime
de 2 500 francs accordée aux travailleurs fut remplacée par un relèvement général
des salaires de 7 %, une augmentation des allocations familiales et à la suppression
de l’impôt cédulaire sur les traitements.
Depuis cette époque, aucune mesure d’ensemble d’augmentation des salaires n’est
intervenue. Ces derniers, qui venaient de bénéficier ainsi d’une majoration de 12%,
ont fait l’objet de quelques mesures de détail qui ont porté l’augmentation à 15%. Il
s’agit de la prime spéciale de transport et de la suppression de la dernière zone de
salaires à abattement de 25%. (Décrets du 28-9-1948, 28 octobre et 18 novembre
1948.) Ainsi que du relèvement de l’allocation aux vieux travailleurs, relèvement des
plafonds de salaires pour maladie et revalorisation des pensions de vieillesse. (Lois
des 24 février et 13 juillet 1949).
La lutte contre l’inflation a été la préoccupation constante du Gouvernement.
L’équilibre de la trésorerie dépendant de l’équilibre budgétaire, le premier soin du
Gouvernement fut de faire voter avant la fin de l’année une loi portant fixation des
maxima des dépenses publiques. D’autre part, il n’hésita pas à plusieurs reprises à
bloquer temporairement une fraction des autorisations de paiement, afin d’adapter
ses dépenses à ses ressources.
L’équilibre budgétaire était ainsi réalisé sans augmentation du plafond des avances
de la Banque de France, qui était ramené de 200 à 175 milliards, le 31 mars 1949.
Ces mesures étaient complétées par un assainissement du Crédit bancaire. La
stabilisation des engagements commerciaux de la Banque de France a exercé une
influence modératrice sur l’augmentation de la masse monétaire.
En 1947, la masse des moyens de paiement (1 720 milliards de billets ou de dépôt)
correspondait presque à la moitié du revenu national : 3 700 milliards. En 1948, elle
n’en représente plus que le tiers : 2 063 milliards en regard de 6 000. En juin 1949,
elle n’en représente plus que 28%. En face de chaque milliard de produits, il y a donc
presque deux fois moins de moyens de paiement qu’en 1947. C’est le frein à
l’inflation. Le gouvernement Queuille a joué un rôle décisif dans ce blocage de
l’inflation. Il a même réussi, au cours du premier trimestre, à abaisser la masse des
disponibilités monétaires au-dessous du niveau où elle se tenait en décembre
dernier. Ces disponibilités atteignaient en effet 2 168 milliards au 1er janvier, 2 139 au
1er février, 2 158 au 1er mars et 2 139 au 1er avril. Cette contradiction de la masse
monétaire assurera la stabilité des prix et la sécurité du franc.
L’ensemble des moyens de paiement, qui s’était accru de 222 milliards au cours du
quatrième trimestre 1948, a été augmenté seulement de 117 milliards pendant le
premier semestre 1949.
Enfin les variations du franc sur le marché des échanges témoignent du
redressement de notre monnaie. Au cours du second semestre 1948, le franc
tombait graduellement à Genève de 1,10 franc suisse les 100 francs français, en
juillet 1948 à 0,78 en décembre. A Bruxelles, les 100 francs français tombaient de 14
à 10,20 francs belges.
Dès la fin du mois de janvier, un redressement rapide des cours s’opérait. Les 100
francs français remontent à plus de 14 francs belges et plus de 1,20 franc suisse.
Ces chiffes traduisent un renforcement de l’ordre de 50% de la valeur du franc sur
les places étrangères.
Une évolution parallèle a été suivie par le cours de l’or sur le marché officiel de Paris.
Le Napoléon, qui cotait 6 200 en décembre 1948, tombait à 4 100 en juillet 1949.
Ainsi, le Gouvernement a pu attendre dans des conditions favorables l’été, époque
critique de l’année dans l’évolution de la conjoncture française. L’expérience de 1948
et 1947 montrait en effet que c’est à cette date que prenaient naissance les
mouvements ascensionnels des prix.
Chaque foi, la fixation en hausse du prix du blé était à l’origine de ce mouvement
ascensionnel.
Soucieux de ne pas compromettre l’équilibre de fait, heureusement entretenu depuis
le début de 1949, des prix et des salaires, le Gouvernement a décidé de ne pas
majorer le prix des céréales, évitant ainsi les conséquences psychologiques d’une
hausse du prix du pain.
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L’heureuse évolution du problème indochinois est incontestablement un des
événements important de l’année politique.
Le Gouvernement se trouvait en présence de la déclaration de la baie d’Along du 5
juin 1948 qui prévoyait que les représentants du Viêt-Nam et de la République
française prescriraient divers arrangements particuliers en vue de préciser la
situation du Viêt-Nam au sein de l’Union française.
Les négociations commencèrent le 11 novembre 1948 pour aboutir à la mise au
point d’un projet de lettre du Président de la République à S.M. Bao Dai, qui fixe les
modalités d’application des principes posés par la déclaration de la baie d’Along.
Entre temps, la loi du 4 juin 1949 modifiait le statut de la Cochinchine. Le 28 avril
1949, S.M. Bao Dai regagnait l’Indochine et constituait le Gouvernement du ViêtNam ? le 2 juillet 1949.
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L’année 1948 avait été dominée par la situation créée à Berlin par les décisions de
l’U.R.S.S.
Devant les intransigeances de cette dernière, les puissances occidentales ne
pouvaient que conjuguer leurs efforts en vue de la constitution d’une Europe forte et
pour cela unie. Le rôle de la France dans la constitution du Conseil de l’Europe a été
primordial.
Les efforts des signataires du pacte de Bruxelles en vue de réaliser un équilibre de
forces avec l’Est Européen, aboutissaient à la signature du pacte Atlantique, le 4 avril
1949, pacte ratifié par la France le 24 août 1949.
Au cours des derniers mois de 1948, la crise berlinoise avait perdu de son acuité et
semblait évoluer favorablement. Les conversations engagées entre Jessup et Malik
aboutirent à un accord entre quatre ministres des Affaires étrangères qui mit fin au
blocus de Berlin et prévoyait la réunion d’une Conférence en vue de discuter sur le
problème allemand. Cette Conférence s’est tenue à Paris, du 23 mai au 20 juin 1949.
Elle a abouti à un modus vivendi prévoyant la reprise des négociations à l’échelon
des suppléants.
Conformément aux accords de Londres, les trois puissances occidentales avaient
préparé au cours de l’hiver 1948 un nouveau statut d’occupation et de contrôle en
Allemagne. Un accord définitif fut réalisé à Washington.
La Constitution élaborée par le Conseil Parlementaire de Bonn fut soumise aux trois
commandants en chef occidentaux qui acceptèrent le projet, après quelques
modifications. A la suite des élections générales qui se sont déroulées le 14 août,
l’Allemagne va avoir un Gouvernement central.
La France, malgré sa suspicion légitime, a contribué largement à faciliter le retour de
l’Allemagne à une vie normale. Le Gouvernement actuel, tout en faisant preuve
d’esprit de coopération internationale, a su cependant rester intransigeant sur
certains points qu’il estime indispensables à la sécurité de la France, par voie de
conséquence à celle de l’Europe. C’est ainsi qu’il a été amené à prendre position visà-vis de la Sarre.
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Lorsque le président Queuille s’est présenté devant l’Assemblée Nationale le 10
septembre 1948 et que celle-ci l’a investi de sa confiance, il a proposé au Parlement
un contrat. Ce contrat comportait de la part du Gouvernement l’engagement de
remplir un programme, de la part de l’Assemblée l’engagement de lui assurer la
majorité stable, seule capable de permettre un travail sérieux.
En politique, il n’est d’ailleurs bien souvent de programme que pour unir les volontés
vers un but commun, car les événements plus que les hommes déterminent les
réalités dont les programmes ne sont, après tout, que les étapes changeantes.
L’essentiel, en septembre 1948, et pour reprendre les propres paroles du président
du Conseil, était le problème de la stabilisation des salaires, des prix et de la
monnaie, le tout étant d’ailleurs solidaire, en vue d’épargner au pays le sort de
l’Allemagne après 1918 : ruine matérielle des classes moyennes et ruine morale de
la nation.
Ce problème majeur a été traité et résolu. D’aucuns ont pu appeler « immobilisme »
cette stabilisation. Ils oublient que l’immobilisme, c’était la forme même du barrage
contre l’inflation.
Il n’est point besoin, aujourd’hui, d’insister sur l’importance des conséquences de
cette politique, de la défense de la monnaie et de la restauration du pouvoir d’achat.
Elles ont été aussi grandes sur le plan extérieur que sur le plan intérieur.
Mais il est un second aspect de l’œuvre du président Queuille dont l’importance doit
être soulignée peut-être plus que tout autre. C’est la création d’une volonté
commune, d’un regroupement durable des énergies vers un même but.
Lors de l’arrivée au pouvoir de l’actuel Gouvernement, les majorités se succédaient à
l’Assemblée Nationale et les efforts sincères de quelques-uns se heurtaient à des
contradictions qui semblaient insurmontables.
Dans cette Chambre dont la faillite aurait signifié la fin de la République et la porte
ouverte aux régimes d’aventure ou de dictature, le président Queuille est parvenu à
constituer, à façonner, puis à maintenir une majorité, qui, même si elle ne reste pas
fidèle à sa personne, demeurera la seule base possible des gouvernements à venir
et à la démonstration de la possibilité de vie du régime républicain.
Là encore, on peut parler « d’immobilisme » : en fixant cette majorité, en
« l’immobilisant », le chef du Gouvernement a permis à la IVème République de
trouver sa stabilisation et aux Français de retrouver confiance dans le régime. C’est
peut-être là qu’est le vrai « miracle Queuille »…
Pour avoir atteint des résultats aussi remarquables, Henri Queuille ne possède
pourtant aucun mystérieux secret et sa méthode est simple.
Il faut d’abord admettre, comme le président le fait lui-même le premier, que sa
réussite a été aidée par le fait de son accession au pouvoir à un moment favorable.
Ses prédécesseurs avaient préparé la voie, l’un en éliminant les communistes du
Gouvernement, l’autre en y introduisant le Parti Radical, lequel, malgré sa faiblesse
numérique, représentait au Parlement l’expérience et la tradition indispensable à
toute œuvre gouvernementale solide.
En appelant à ses côtés les représentants des groupes républicains modérés,
Queuille a constitué une majorité de troisième force, stable, dont la structure
permettait l’amorce d’une restauration du libéralisme économique, initiative que la
nation attendait, et que seul un radical pouvait entreprendre.
Mais l’action personnelle d’Henri Queuille ne doit pas être pour cela diminuée.
Le président du Conseil joint à une expérience consommée des hommes et de la
pratique du jeu parlementaire une bienveillance naturelle, une honnêteté rigoureuse,
un sens aigu des responsabilités ministérielles. Le scrupule avec lequel il a toujours
tenu rigoureusement les engagements pris devant les assemblées ou devant les
commissions, n’a fait qu’accroître la confiance que le Parlement, dès l’origine, avait
accepté de lui faire.
La sérénité du président Queuille, l’équilibre de son tempérament lui permettent
d’aborder de face et sans découragement l’immense complexité des problèmes
gouvernementaux.
Son apparence toujours souriante, son remarquable équilibre d’humeur, sa
sensibilité, cachent une autorité profonde et un courage toujours prêt à se manifester
quand les circonstances l’exigent.
La personnalité du président du Conseil, personnalité dont l’opinion a peu à peu
appris à connaître tous les aspects, ses méthodes de travail, la continuité de son
action, le succès de son œuvre, expliquent le sentiment qui s’impose chaque jour
davantage à tous les Français, sentiment de sécurité et de confiance dans le régime
introduit et maintenu par lui où ils retrouvent comme un reflet des périodes les plus
saines de la IIIème République.
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Le second ministère Queuille a duré moins d’une semaine, du 28 juin au 4 juillet
1950.
Un examen objectif des conditions de cette expérience démontre cependant qu’elle
était indispensable à la fois pour établir la nécessité d’une large coalition
parlementaire et gouvernementale résolue à faire face aux graves problèmes
intérieurs et extérieurs et pour démontrer que l’axe de cette coalition passe
exactement par le Parti Radical et Radical Socialiste.
En ce sens il n’est pas exagéré, par conséquent, de soutenir que le second ministère
Queuille a tracé la voie aux alliances et aux apparentements qui viennent de se
conclure et qui doivent permettre, au lendemain des élections du 17 juin 1951, de
maintenir une majorité républicaine adversaire de toute aventure.
Voyons les faits :
Dans la seconde quinzaine de mai 1950, un désaccord avait surgi entre le
gouvernement présidé par G. Bidault et une partie de sa majorité parlementaire à
l’occasion du reclassement des fonctionnaires.
Il s’agissait pratiquement d’ailleurs d’une question mineure – calcul de la dernière
tranche de reclassement sur le salaire brut ou net – et dont la complexité déroutait
les techniciens les plus avertis.
Mais très vite se greffèrent sur l’aspect purement administratif et financier du
problème des préoccupations politiques qui opposèrent le Gouvernement aux
parlementaires socialistes.
Après d’infructueuses tentatives de transaction, il apparut, en effet, que le
reclassement des fonctionnaires n’était qu’un des éléments de divergences plus
profondes portant notamment sur la politique étrangère, l’Union Française, la
question scolaire et la réforme électorale.
Le 24 juin 1950, le Gouvernement Bidault ayant posé la question de confiance en la
forme constitutionnelle, était renversé par 352 voix contre 230.
Ce vote important dans lequel, outre l’appoint décisif de 98 socialistes, on comptait
des voix assez disparates, démontrait la gravité de la cassure entre les éléments de
la majorité et les difficultés que devait rencontrer le Président de la République pour
dénouer la crise.
Le lendemain 25 juin, une grande inquiétude s’abattait sur le monde à la suite de
l’invasion de la Corée du Nord par les forces communistes.
La France ne pouvait, dans cette conjoncture, se permettre les inconvénients d’une
vacance prolongée du pouvoir.
Immédiatement persuadé que le Président Queuille était le seul arbitre susceptible
d’apaiser les oppositions et de concilier les exigences, Vincent Auriol le chargeait
d’une mission d’information préludant à une désignation plus formelle.
Mais les premières investigations du « chargé de mission » ne tardèrent pas à le
convaincre que la participation socialiste indispensable à la stabilité ministérielle ne
pouvait être acquise sans des modifications profondes de politique économique et
sociale incompatibles avec le point de vue immédiat des autres groupes politiques
susceptibles de participer à la coalition gouvernementale. Henri Queuille n’accepte
pas d’être désigné et déclare : « Je n’ai pas trouvé une adhésion unanime et sans
réserves à toutes les conditions que, dans la conjoncture internationale et nationale
actuelle, je juge indispensables au salut public ».
En trois jours, trois personnalités : René Pléven, René Mayer et Georges Bidault,
sont appelées par le Président de la République. Seul M. Georges Bidault
entreprend une nouvelle tentative infructueuse mais s’efface devant la préférence
marquée pour une candidature radicale et particulièrement celle d’Henri Queuille.
Ce dernier accepte alors d’être désigné, et devant l’urgence de la situation, se
présente dès le surlendemain devant l’Assemblée Nationale où il reçoit l’investiture
par 363 voix contre 205.
Le Président Queuille est d’autant plus sensible à l’hommage personnel
représente cette majorité substantielle qu’il n’a pas d’illusions sur la suite de
investiture : tous les groupes politiques consultés ont en effet présenté
programmes forts louables mais dont la contradiction démontre à l’évidence que
participation unanime au Gouvernement est plus qu’aléatoire.
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De ce fait, le Président investi se heurte immédiatement aux mêmes difficultés qui
avaient quatre jours plus tôt déterminé son refus.
Mais le temps presse et le moment lui paraît venu de faire la démonstration de
l’aphorisme qu’il avait un jour lancé aux membres de la majorité : « Vous êtes
condamnés à vivre ensemble ».
En 48 heures, un Ministère sans participation socialiste est constitué dont la
présentation à l’Assemblée Nationale a lieu dès le 4 juillet.
Henri Queuille sollicite un vote sans équivoque en prenant soin de souligner à
nouveau la nécessité d’une trêve dans l’union de tous les républicains.
Le résultat fait apparaître qu’entre l’investiture personnelle et la confiance à une
coalition excluant les socialistes, il existe un écart de 142 voix.
Le deuxième Ministère Queuille n’a pas tenu 48 heures mais, sans parler de
l’heureuse initiative de la création d’un Ministère des Etats associés, il reste une
signification durable de l’expérience et les voies sont ouvertes à un nouveau
Gouvernement de coalition nationale et républicaine.
A la suite des utiles négociations de Guy Mollet, René Pleven a finalement constitué
un Ministère qui a duré jusqu’à fin février 1951.
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Le 23 février 1951, René Pleven, bien qu’ayant bénéficié la veille de la confiance de
l’Assemblée Nationale, remettait au Président de la République la démission de son
Gouvernement.
Tel était l’épilogue des divergences qui, depuis quelques temps déjà, opposaient
certains membres du Gouvernement entre eux et le Gouvernement aux partis de la
majorité, à l’occasion du problème de la réforme électorale.
A quelques mois seulement du terme légal de la législature, le règlement de cette
importante question était toujours en souffrance.
Déjà, dans la déclaration d’investiture du 30 juin 1950, le Président Queuille avait
clairement posé le problème :
« Une consultation populaire est proche… la loi électorale qui permettra au suffrage
universel de se prononcer doit permettre de dégager une majorité cohérente.
Demain, comme hier et comme aujourd’hui dans la diversité des pas honnête et juste
que ces coalitions soient préfigurées par le peuple lui-même lorsqu’il exprime son
suffrage ? »
En reprenant ce thème, Pleven avait précisé lors de la constitution de son
Gouvernement, le 11 juillet 1950 :
« Ceux d’entre nous qui, comme moi, sont profondément convaincus de la nécessité
d’une réforme électorale pensent qu’une telle réforme doit permettre à la deuxième
législature de la IV è République, non seulement de dégager toutes les opinions du
peuple français, mais encore de dégager une majorité de gouvernement. »
Mais en réalité, les positions prises par les différents groupes politiques révélaient un
désaccord profond sur les modalités de la réforme.
Etait-il admissible que le parti communiste puisse devenir l’arbitre de la majorité
nationale de l’Assemblée, une nouvelle fois divisée sinon désunie ?
De surcroit, de graves décisions devenaient de jour en jour plus urgentes et en
particulier, le vote du budget, les mesures à prendre pour remédier à l’incidence des
hausses mondiales sur l’économie nationale, la fixation du salaire minimum garanti,
les problèmes de la défense nationale, ceux posés par les Conférences
internationales en cours, etc.
Devant une Assemblée troublée et enlisée, par des oppositions systématiques, dans
la procédure de son propre règlement, de nombreux projets restaient en instance.
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C’est en cet état, à la veille d’un voyage, depuis longtemps organisé, du Président de
la République aux Etats-Unis, que la crise s’ouvre.
Qui tentera de concilier des thèses d’apparences inconciliables et de donner à la
France, le Gouvernement qu’elle ne saurait dans la conjoncture intérieure et
extérieure attendre davantage ?
Successivement, et selon le procédé devenu classique de la « mission
d’information », Vincent Auriol demande à Bidault, Queuille et Mollet d’ouvrir par des
négociations préparatoires les voies à la désignation d’un nouveau Président du
Conseil, et le 5 mars Guy Mollet peut accepter de tenter de former le Ministère.
Mais l’Assemblée Nationale ne lui accorde, le lendemain, que 286 voix, soit 25 voix
de moins que la majorité requise.
Le Secrétaire général du Parti Socialiste n’a pu trouver l’audience nécessaire pour
apporter une solution au problème essentiel de la réforme électorale.
Du moins son souci de clarté a-t-il permis d’établir un premier inventaire de la tâche
déjà réalisée par l’Assemblée Nationale et celle, limitée et précise qu’il lui reste à
accomplir, notamment en matière financière, économique et sociale, avant
d’envisager le retour devant les électeurs.
C’est sur le nom d’Henri Queuille que le chef de l’Etat porte encore son choix après
des consultations qui ont, une nouvelle fois, fait apparaître la confiance dont le leader
radical bénéficie dans tous les groupes de la majorité nationale.
L’épreuve revêt maintenant un caractère de lutte sportive :
•
Lutte de vitesse car depuis dix jours la France n’a pas de gouvernement et il
ne reste que peu de temps pour mener à bien le programme à réaliser si l’on
veut, comme l’opinion publique et parlementaire paraît maintenant le souhaiter
et comme le commandent la tradition et l’importance des problèmes en
suspens, recourir aux urnes avant le début de l’été.
•
Lutte de ténacité car tout sera mis sournoisement en œuvre par une
opposition aussi forcenée à la droite qu’à la gauche pour discréditer le régime
de la République Parlementaire et tenter de démonter son impuissance et son
incapacité.
•
Lutte de souplesse, aussi, car les thèses en présence aussi bien en matière
politique qu’en matière économique et sociale, s’affrontent au sein même de la
majorité avec d’autant plus d’ardeur que les efforts de conciliation paraissent
épuisés et la consultation électorale plus proche.
Dans le débat d’investiture, le Président du Conseil définit le caractère de la mission
qu’il se propose d’accomplir :
« Il serait indigne, déclare-t-il en substance, de demander aux représentants de la
Nation de soutenir un gouvernement de liquidation. Le Ministère à constituer doit
être, au contraire, un Ministère d’action, mais d’action limitée à la durée de la
législature dont la Parlement devra fixer le terme avant l’été. »
« Une simple raison d’honnêteté commande d’avancer de quelques mois l’expiration
normale du mandat de l’Assemblée Nationale puisqu’il y a lieu de prendre des
décisions à long terme pour lesquelles les élus actuels n’ont pas le droit d’engager
leurs successeurs. Mais il ne saurait être question d’élections brusquées sans avoir
mené à bien le travail qui reste à accomplir par la présente législature. »
Henri Queuille fait alors ratifier, à une importante majorité, un programme simple
comportant le principe du vote d’une voie électorale à base majoritaire, « question
politique d’intérêt national » précise-t-il, ainsi que l’engagement de régler, selon un
calendrier précis, divers problèmes techniques – budget, fonds régulateur des prix,
réaménagement des salaires – susceptibles de préserver l’œuvre financière
d’assainissement accomplie depuis trois ans.
La préoccupation du Président du Conseil demeure, comme toujours et selon sa
formule « d’écarter ce qui divise et de mettre en lumière ce qui unit les partis
républicains », en particulier leur fidélité au régime et le souci de préserver nos libres
institutions contre toute aventure.
Combien peuvent, en effet, paraître vaines des controverses hautement respectables
sur des modalités ou des détails quand il s’agit de défendre la République contre des
entreprises de subversion ou d’obscures tentatives de pouvoir personnel.
La majorité nationale ne peut rester insensible à cet appel, et, dès lors, les diverses
phases du programme se réalisent à une cadence accélérée.
Le Ministère est constitué, le 10 mars, sans grande modification à l’équipe
précédente, afin d’éviter que les questions de personnes ne viennent interférer dans
des questions de principe.
En 74 jours, jusqu’au 23 mai, travaillant à l’épuisement horaire de trois séances par
jour, l’Assemblée Nationale et le Conseil de la République votent la loi électorale
pour la métropole et les territoires d’outre-mer, les divers budgets des dépenses
civiles et militaires, le plan d’économie de 20 milliards, les crédits d’équipement, le
régime des prestations familiales agricoles et la prorogation de celui des baux
industriels et commerciaux, la loi de Finances ainsi que certains projets moins
importants mais d’urgence certaine.
Dans le même temps, le Gouvernement détermine le salaire minimum garanti et
procède à la révision corrélative des traitements du secteur public et du tarif des
services nationalisés, réaménage le situation des anciens combattants et des
victimes de la guerre, réglemente les zones de salaires, fixe le prix de base des
grands produits industriels, met au point et signe le traité de Pool charbon-acier, etc.,
sans parler de l’expédition des affaires qui, pour être qualifiées de courantes, n’en
sont pas moins parfois fort délicates.
Au préalable, le Président du Conseil a dû faire face au désordre d’une agitation
sociale qui était explicable dans son principe, mais inutile dans ses moyens
d’expression et résoudre, en accordant ce qui était juste, les conflits, des transports
parisiens, du gaz, de l’électricité et de la S.N.C.F.
Jamais n’a parue mieux justifiée la proposition antérieure du Président du Conseil
tendant, comme il est constitutionnellement prévu, à réglementer la grève dans le
commun intérêt de l’ordre public, du public lui-même et des salariés.
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Le troisième Ministère d’Henri Queuille est celui de la célérité. Mais il est, aussi, celui
de la solidarité républicaine.
De ce fait, le Président du Conseil est sans cesse présent, attentif non seulement à
éviter les heurts et à maintenir une cohésion désormais acquise, mais surtout à
déjouer les artifices et les ruses de procédure d’une double opposition vaincue mais
non désarmée.
Il doit battre, à cet effet, un record de questions de confiance exclusivement
provoquées dans le dessein de mettre le Gouvernement et la majorité dans
l’impossibilité pratique de réaliser leur programme.
La lutte est âpre parce qu’Henri Queuille a mesuré le véritable enjeu de la partie qui
est le sort du régime et que ses adversaires sentent qu’il est déterminé à faire
échouer, coûte que coûte, leur entreprise.
Ecoutons-le, dans les incessantes discussions, faire prévaloir les notions élevées de
sagesse et d’honnêteté nécessaires pour assurer la permanence de la démocratie :
L’Assemblée a pu s’étonner que le Gouvernement lui ait demandé de se prononcer
sur la confiance à propos d’une demande de renvoi d’interpellation à la suite.
Pourquoi ai-je employé cette procédure qui a été souvent utilisée dans le passé ? Ce
n’est pas pour enlever à l’Assemblée le droit d’examiner les projets du
Gouvernement. Ces projets sont déposés. Vous les discuterez. Vous pourrez les
assortir d’un certain nombre d’amendements.
Mais j’étais obligé de savoir si l’Assemblée et le Gouvernement étaient d’accord sur
la direction que je voulais donner aux affaires politiques de ce pays dans un moment
difficile.
Par une déclaration à cette tribune, je vous ai indiqué ce que j’avais l’intention de
faire et vous ai demandé si vous étiez d’accord. Ai-je manqué à mes devoirs envers
l’Assemblée ? Au contraire, à une époque où le temps est précieux, n’ai-je pas
essayé de vous faire gagner du temps pour faciliter l’exécution des travaux
parlementaires ?
Pourquoi ai-je procédé ainsi ? Parce que la situation de la France a été affectée par
des événements extérieurs, comme tous les pays du monde, et du monde libre en
particulier.
Du point de vue financier et économique, des questions nouvelles se posent. Il faut
résoudre des problèmes qui engagent l’avenir en leur apportant des solutions à
portée lointaine.
Avons-nous le droit de considérer ces problèmes et de les traiter comme si nous
étions au début de notre mandat, et d’engager ainsi la responsabilité de nos
successeurs ? N’avons-nous pas le devoir de leur laisser « la maison en bon état » ?
Après le travail qu’elle a accompli, l’Assemblée peut très bien affirmer qu’elle a des
scrupules à engager l’avenir de la nation au moment où son mandat arrive à
expiration, et qu’elle veut faire en sorte que les élus de demain trouvent une situation
normale.
Si l’Assemblée décide d’abréger son mandat, il faut en tirer immédiatement les
conclusions nécessaires.
Il faut organiser notre travail. Il faut, avant la fin de la saison, trouver ensemble le
moyen d’établir le calendrier parlementaire pour que soit réellement accompli
l’essentiel du travail que nous voulons réaliser avant les élections.
Il faudra nous imposer des disciplines. Quand on assiste à des séances comme celle
d’aujourd’hui, il sera très facile de présenter des propositions qui auront pour
conséquence de nous empêcher de réaliser, pour la date convenue, le programme
que nous nous serons fixé.
Mais il y a mieux et pire. D’autre raisons nous incitent à procéder à des élections
anticipées. Les oppositions cherchent à vous mettre en mauvaise posture à une
époque qui est particulière favorable pour une telle opération. Chaque jour, vous
serez en présence de propositions démagogiques. On va vous demander d’ouvrir
des crédits pour telles ou telles catégories de français, particulièrement
intéressantes, mais considérées comme telles surtout à la veille d’une campagne
électorale. On vous demandera – ce que nous n’avons pas accepté pendant des
années – de signer des chèques sans provision, d’accorder des secours, ou d’autres
avantages, mais on n’acceptera pas de voter un centime supplémentaire d’impôts.
Et plus tard, au terme d’une nuit de durs débats :
Depuis quelques jours, l’épreuve à laquelle est soumis le Président du Conseil est
rude et pénible. On a réclamé de lui, au moment où ce débat s’engageait, un effort
physique qu’il n’était pas sûr de pouvoir poursuivre. Il l’a fait. Il est à cette tribune et,
à cette heure, il est décidé à poser, le cas échéant, la question de confiance sur les
dispositions du projet qu’il a présenté et contre les amendements qui pourraient être
déposés.
Il le ferait en ayant le sentiment que c’est son devoir et l’intérêt de la France qui le
commandent et de la défense de la démocratie qui l’exige.
Enfin, ayant quelques jours avant, fixé au 4 juillet le terme de son mandat,
l’Assemblée Nationale clôt ses travaux le 23 mai.
Jusqu’au dernier moment, Henri Queuille a dû lutter contre une obstruction violente
employant tous les moyens possibles pour paralyser la réalisation du programme
décidé d’un commun accord entre la majorité et le Gouvernement.
Mais il a la satisfaction d’avoir gagné cette bataille difficile par la patiente ténacité de
son action conciliatrice.
Son troisième gouvernement n’a pas été le liquidateur d’une faillite mais au contraire
le relai fécond entre l’œuvre positive accomplie par la majorité républicaine de
l’Assemblée et la tâche qu’elle reprendra, demain, avec l’assentiment de la Nation.
A ce titre le Président du Conseil a bien mérité sa part de l’hommage que le
Président Herriot a décerné à la deuxième législature de la IV e République.
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Impossible de s’y méprendre, 42 millions de français reprennent confiance en leur
Gouvernement en grande partie à cause de l’homme aux manières douces qui est à
sa tête. Le Président du Conseil, a réussi des prodiges pour la France depuis qu’il
est entré en fonctions il a quelques mois. L’un des faits qui a émerveillé les français
est qu’il est toujours au pouvoir. (…) Henri Queuille ressemble un peu au Président
Truman. Tous les deux sont simples et modestes d’aspect…Mais, comme pour le
Président Truman, il ne faut pas se laisser abuser par les apparences du Président
du Conseil. Comme Truman, Queuille avait peu de chances de rester au pouvoir. La
plupart des français pensaient qu’il ne servirait que de bouche-trou et que son nom
viendrait simplement s’ajouter à la longue liste des Premiers Ministres qui ont eu
juste le temps de s’installer avant d’être renversés. Mais Queuille s’est avéré un
lutteur calme mais décidé…
La France connaissait des moments difficiles lorsqu’il a pris le pouvoir…Les
communistes français tentaient de paralyser le pays au moyen des grèves. Les
hommes d’affaires se refusaient à investir leurs capitaux, ne sachant pas ce que
l’avenir leur réservait. Les paysans refusaient de payer leurs impôts et avaient enfoui
pour plusieurs millions de dollars d’or dans leurs fermes plutôt que dans des
banques.
Dans une grande mesure, Queuille a surmonté la plupart de ces obstacles. La
confiance dans la France ressort surtout de la valeur d’échange du franc…
Cette extraordinaire réévaluation du franc traduit bien la nouvelle confiance du pays.
Queuille a battu les communistes à leur propre jeu et a fini par les faire sortir des
puits de mine qu’ils occupaient.
Il a tenté une opération financière très risquée en demandant à ses concitoyens de
prêter 100 milliards de francs à leur gouvernement. Cela se passait le 15 janvier
dernier. Si l’emprunt avait été un échec, le Gouvernement serait tombé. Mais
aujourd’hui le pays a souscrit 25 milliards de plus que la somme qui lui avait été
demandée. Une bonne part de ces fonds provient des paysans qui considèrent
Queuille comme l’un des leurs. Le seul titre de gloire que revendique le Président du
Conseil est le fait qu’il est médecin de campagne et qu’en tant que tel, il connait les
paysans mieux que quiconque…
Queuille est modéré en politique comme dans le monde. Il est tranquille,
conservateur et attentif aux idées nouvelles ; mais à la longue, c’est lui qui dicte la
politique du Gouvernement français…
(…)
Vive ! Queuille
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Qui peut nier de bonne foi que la situation soit meilleure aujourd’hui qu’en septembre
dernier ?
Le Louis d’or, côté 5 000 francs en septembre dernier et plus de 6 000 en novembre,
est tombé au dessous de 4 500. L’indice des prix au détail, qui s’était élevé à la fin
de l’année dernière jusqu’au chiffre de 1 930 (%en 1939) est retombé aux environs
de 1 750. L’agitation sociale a cessé de mettre immédiatement en danger le France,
la paix publique et la production nationale.
Jamais le nombre des touristes étrangers n’a été si grand que cette année ; jamais le
parti communiste n’a paru, depuis 1944, aussi peu en mesure de provoquer des
troubles sérieux.
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Le Gouvernement a à sa tête l’homme le plus capable de diriger la coalition de 3è
Force, un peu par la position du parti qu’il représentait, beaucoup par ses qualités
personnelles.
Il ne faut pas être dupe ni de la vanité des hommes ni de leur modestie. Henri
Queuille est naturellement modeste, ce qui fait qu’on est souvent enclin à l’apprécier
fort au-dessous de sa valeur. Dans la conduite périlleuse d’un gouvernement et
d’une majorité de coalition il a apporté tout autre chose que de la dextérité
professionnelle, je veux dire une franchise, une loyauté, une délicatesse, une
droiture de caractère et de jugement qui avaient imposé à tous ses collègues une
confiance entière et créé entre eux une atmosphère de cordiale solidarité.
Je me souviens qu’en 1939, au moment où le septennat d’Albert Lebrun allait
expirer, je m’étais ingénié, avec quelques amis, à lui donner pour successeur Henri
Queuille. Je n’avais pas tort.
LLAA GGAAZZEETTTTEE DDEE LLAAUUZZAANNNNEE –– 1144 sseepptteemmbbrree 11994499 ––
(…)
Nous avons à plusieurs reprises, au cours de cette « année Queuille » dressé le
bilan de l’activité du Gouvernement. Celui-ci avait pour première tâche de redonner
confiance au pays…
Henri Queuille le comprit très bien. C’est là un de ces titres à la reconnaissance
nationale…
Partisan de la politique du roseau, le chef du gouvernement plia mais ne rompit pas.
Jamais découragé face aux oppositions qui ne se manifesteraient pas seulement sur
les ailes, mais surtout dans sa proche majorité, il sut apporter les ressources de ses
qualités de manœuvrier. Sa bonhomie têtue fut sa plus sûre alliée…Il savait que ce
n’était pas à la tribune de l’Assemblée Nationale que se jouait la partie, mais dans les
couloirs. C’était là son terrain favori. Il pouvait s’y montrer sous son meilleur jour, en
possession de tous ses moyens. Il fut pendant une année un patient et modeste
ouvrier de la politique en même temps qu’une sorte de garde-fou, contre lequel
vinrent se briser les querelles idéologiques, les passions partisanes et les manouvres
personnelles des ambitieux à qui pesait l’immobilisme ministériel…
Mais, même si le Président du Conseil doit se retirer dans un avenir proche, il pourra
prétendre sans se vanter le moins du monde, que ces douze mois d’activité auront
été bénéfiques pour la France..
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Henri Queuille fut salué par toute la presse internationale pour avoir redresser la
France dans un contexte politique et social très difficile. Ses compétences, son
humilité, sa simplicité et son dévouement pour la France ont fait de ce Radical une
grande figure du monde politique de notre pays.

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