albums-clé années 50 : girl groups
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albums-clé années 50 : girl groups
5 GIRL GROUPS Christian Victor revient aux sources des grands courants musicaux des années 50 qui ont façonné toute la musique de la seconde moitié du 20e siècle et au-delà. Une rétrospective qui permet de mieux comprendre l’évolution du rock’n’roll 50 vers la pop 60, jetant les bases des quarante années à venir. usque dans les années 50, une jeune fille afroaméricaine bien élevée passant devant des garçons harmonisant des chansons au coin d’une rue doit se comporter comme si elle n’avait rien vu, rien entendu. Et rentrer sagement à la maison d’autant plus que le thème des morceaux est le plus souvent l’amour. Les parents sérieux ne badinent pas avec ça. Ravies d’accéder à une vie plus facile dans le monde urbain où elles sont arrivées, les familles noires n’ont pas encore abandonné le puritanisme de leur univers rural. Et puis, elles ont de quoi occuper ces adolescentes à la maison. Ces dernières n’ont rien à faire dans la rue puisqu’elles ont la chance de ne pas habiter dans une cabane en planches. Elles y descendent juste pour faire les courses, pas pour écouter des romances. J RUES DE NEW YORK Mais, peu à peu, les choses évoluent. Les conditions de vie s’améliorent, la mémoire du monde des campagnes se fait moins présente, les églises relâchent leurs pressions. Les garçons sont les premiers à bénéficier de ce surcroît de liberté. Une sociabilité urbaine s’épanouit. Les hommes se retrouvent entre eux dans les clubs ou dans les bars. Les jeunes dans les écoles, universités ou foyers. Ils pratiquent des activités culturelles. Le doo-wop, s’il tire son origine du gospel, doit son explosion des années 50, à cette libéralisation qui lui permet d’adopter un répertoire profane. Mais les filles !? A la fin des années 50 encore, on les imagine mal chanter en groupe au coin d’une rue. Il n’y a guère pour elles que les chorales et le répertoire sacré. Elles sont encore enfermées dans l’église. Il y a aussi les artistes de blues. Mais c’est un autre monde, rustique, peu recommandable pour une adolescente de la classe moyenne noire newyorkaise. Une adolescente de la classe moyenne noire new-yorkaise ne peut pas raisonnablement envisager cela. Toutefois, il n’est pas inutile d’avoir un salaire de plus. Et, à la fin des années 50, les jeune filles noires des grandes villes sont de plus en plus nombreuses à travailler dans les bureaux ou les usines qui ne demandent qu’à les utiliser dans une époque de démographie et de consommation galopante. Elles sortent de leur maison, de leur quartier, se rencontrent entre elles et aussi avec des Blanches, un peu différentes mais pas tant que ça. Elles ont un peu d’argent qui leur permet d’accéder aux loisirs offerts par la cité moderne. Elles sont en train de conquérir la rue. Elles se retrouvent, le soir, en groupe, au bas des immeubles, comme les garçons. De plus en plus de parents acceptent cette situation. En entrant sur le marché du travail, elles intègrent le monde de la liberté individuelle. Plus question de mariages arrangés par les familles avec la bénédiction de l’Eglise, comme à la campagne. Dorénavant, elles se débrouillent elles-mêmes pour trouver un mari. Mais une chose est incontestable alors, le bonheur c’est l’amour. Romantisme ou réalisme ? Toujours est-il que son principal souci de la vie est de savoir comment, avec qui, elle va vivre. Néanmoins cette quête d’amour, qui semble inhérente à la condition féminine, subit quelques modifications suivant les époques. Si le prince charmant des contes de fées correspond à des sociétés très démunies, éloignées de l’Amérique des années 60, l’homme idéal des petites princesses du Bronx garde quand même un bon nombre de ses qualités. Il est beau, doux, galant, est lui aussi en quête de l’âme sœur, un peu désespéré de ne pas l’avoir encore trouvée. La société de consommation n’a pas trop transformé les rêves fondamentaux des humains, ni la condition féminine. PRINCESSES URBAINES Ils n’ont pas de quoi pavoiser les producteurs new-yorkais de Tin Pan Alley, centre de création de la musique composée et enregistrée en ce début des années 60, après avoir longtemps dominé le marché des variétés. Depuis le milieu des années 50 et du rock’n’roll, des bricoleurs du Tennessee ou du Texas vendent autant de disques qu’eux avec un style que les Nègres ou les paysans signent eux-mêmes. Certes, RCA a racheté Elvis Presley mais si ça continue comme ça, il va falloir fermer les studios et licencier les auteurscompositeurs. Tous ces futurs chômeurs se promènent dans les rues et c’est là qu’ils ont la révélation. La musique populaire est destinée au public des rues, et c’est là qu’elle trouve son inspiration. Ils savent saisir les aspirations des jeunes filles noires, leur quête d’amour idéal, un thème très traditionnel, très porteur, leur goût du rythme, moins consensuel mais partagé par une grande partie de la jeunesse. Contrairement aux paysans des collines ou aux harmonistes de chorales doowop, les adolescentes noires des rues ne vocalisent pas et composent encore moins. Qu’à cela ne tienne ! On va les faire chanter. C’est là la chance des professionnels de la variété new-yorkaise. C’est leur métier, leur raison d’être, de bâtir des morceaux avec ce que les gens ont envie d’entendre et de dire. Ils transcrivent les rêves des petites New-Yorkaises et en font sortir quelquesunes de la rue pour les faire entrer en studio. Plutôt que des artistes solo, rôle difficile à tenir, les producteurs engagent des ensembles vocaux. Cela s’inscrit dans la filiation doo-wop, donnant la sympathique image d’une amitié entre jeunes aboutissant à une création et à une réussite. Cela ne masque cependant pas que le producteur en est l’élément-clé. Ainsi, à partir de tels éléments, il ne va pas construire un genre très simple, comme la majorité des titres doo-wop ou les douces ballades adolescentes à la manière des Fleetwoods ou des Teddy Bears, mais sophistiqué. Le succès de ces derniers, « To Know Him Is To Love Him », a été composé et interprété par Phil Spector et ses deux acolytes, en 1958. Phil est alors âgé de 18 ans. Il se tourne ensuite vers la production, travaille avec Lee Hazlewood, sur les disques de Duane Eddy puis vient à New York aux côtés de Jerry Leiber et Mike Stoller. Il affine de plus en plus ses réalisations avec « Spanish Harlem » pour Ben E. King, « Every Breath I Take » pour Gene Pitney, « Corinna, Corrina » pour Ray Peterson. Il fait encore plus fort avec les formations de filles noires qu’il prend sous son aile. L’art du girl group lui doit autant que le rockabilly à Elvis Presley. Phil Spector crée son label, Philles, pour développer ses idées en toute liberté. Il voit son rôle non comme celui d’un simple responsable encadrant les artistes mais selon une conception personnelle complète, utilisant les chanteuses comme des instruments vocaux au même titre que ceux de l’orchestre. A partir de matériaux pop, il élabore une musique complexe, définie par lui-même comme une approche wagnérienne du rock’n’roll, de petites symphonies pour les jeunes. Le pari est audacieux, sinon fou. Il réussit. Phil sauve la variété américaine, réinjecte les ressources accumulées tout au long du siècle dans une nouvelle mouture imaginative et contemporaine. Même s’il l’enregistre, par la suite à Los Angeles, c’est bien l’esprit des rues de New York que ces titres traduisent. Ils sont d’ailleurs écrits par des duos, souvent mariés, d’auteurs-compositeurs de cette ville comme Gerry Goffin & Carole King, Jeff Barry & Ellie Greenwich. Ceux-ci savent mettre dans les voix des groupes vocaux féminins les refrains qu’il faut, faire passer la joie de vivre, la confiance en l’avenir, les désillusions et les enchantements. On peut dire que ces chanteuses ne sont pas celles qui ont les plus gros salaires dans l’équipe, même si leur fonction n’est pas négligeable, car l’essentiel du travail se fait en amont. Mais, elles gagnent quand même plus qu’au bureau et ont une chance de pouvoir continuer. ■ CHANTELS The Chantels (Collectables 5423, 1998) : Maybe/ The Plea/ Come My Little Baby/ Congratulations/ Prayer/ He’s Gone/ I Love You So/ Every Night/ Whoever You Are/ How Could You Call It Off/ Sure Of Love/ If You Try. rlene Smith, Rene Minus, Lois Harris, Sonia A Goring et Jackie Laundry se connaissent à l’école primaire et elles chantent ensemble dans la chorale de leur église du Bronx. Arlene est la meneuse, elle persuade les autres d’interpréter les morceaux qu’elle compose devant Richard Barrett, producteur de formations doo-wop comme les Valentines et qui vient de gagner le gros lot avec Frankie Lymon & Les Teenagers. On est en 1957, le doo-wop se porte bien. On peut espérer faire d’Arlene et ses copines un pendant féminin aux Teenagers. Les Chantels enregistrent « He’s Gone », « Every Night », « I Love You So », « Maybe ». Ce dernier titre, signé Arlene Smith, est un beau succès, 2e R&B, 15e au Hot 100 du Billboard. Le charme de ces ballades délicates tient à leur production soignée avec effets d’écho et à la voix claire d’Arlene. Le groupe connaît une période troublée quand celle-ci tente une carrière solo. Néanmoins de nouveaux beaux jours apparaissent durant la vogue des girl groups, entre 1961 et 1963, avec un répertoire mis au goût du jour, laissant plus de place aux harmonies dans « Look In My Eyes » ou « Eternally ». Une reconnaissance pour les Chantels, l’une des très rares formations doo-wop féminines, pour ces pionnières qui ont assuré la transition entre le style doo-wop et celui des girl groups avec beaucoup de grâce. ■ n 1958, quatre jeunes filles de Passaic, dans le New Jersey, enregistrent pour le label local Tiara E « I Met Him On A Sunday », une sorte de comptine jouant sur les jours de la semaine. A la manière des bird groups de doo-wop, alors à la mode, elles s’appellent les Poquellos (oiseaux en espagnol). Le titre, distribué par Decca, entre dans le top 50. A la suite de ce succès, les quatre adolescentes tournent dans le circuit des théâtres des quartiers noirs, largement utilisé par les groupes vocaux. Mais, à la fin des années 50, le doo-wop est un peu dépassé et personne ne croit vraiment à une formation féminine dans ce genre. Sauf Florence Greenberg, directrice des disques Tiara et leur manager depuis le début. Associée au guitariste et producteur Luther Dixon, qui a déjà eu un tube 51