Extraits de "Haute Fidélité" de Nick Hornby

Transcription

Extraits de "Haute Fidélité" de Nick Hornby
Extraits de "Haute Fidélité" de Nick Hornby
Année 1999 - "trente cinq" chapitres – 250 pages
Chapitre "sept" (pages 74-75)
J'ai rencontré Laura au milieu de cette période,
pendant l'été 87. Elle prétend qu'elle était venue au
club trois ou quatre fois avant que je la remarque, et
ça se pourrait bien. (...) Ce troisième ou quatrième
soir, elle est venue me parler dans ma petite cabine
spatiale, et elle m'a tout de suite plu : elle m'a
demandé de passer un disque que j'aime
énormément (Got to get you off my mind de
Solomon Burke, au cas où ça intéresserait
quelqu'un), mais qui avait vidé la salle chaque fois
que je l'essayais.
(...)
Alors je l'ai passé, et certes Laura et ses copains
envahirent la piste, mais ils dérivèrent un par un et
la quittèrent en secouant la tête et en riant, (...) alors
je suis vite passé à The love you save.
Elle refusa de danser sur les Jackson Five et elle
fonça sur ma cabine, mais avec un sourire désolé :
elle dit qu'elle ne le redemanderait pas. Elle voulait
seulement savoir si elle pouvait acheter le disque. Je
lui répondis que si elle revenait la semaine suivante
je lui aurais fait une cassette, et elle eut l'air ravie.
J'ai mis des heures à concevoir cette fameuse
cassette. Pour moi, c'est un peu comme écrire une
lettre - effacer beaucoup, repenser, recommencer -,
et je voulais qu'elle soit vraiment bien, vu que... vu
que, pour être franc, je n'avais rencontré personne
d'aussi prometteur depuis que j'étais DJ, alors que
rencontrer des femmes prometteuses était censé
faire partie du job. Une compile réussie, c'est délicat
Il faut frapper d'abord un grand coup, retenir
l'attention (je commençai par Got to get you off my
mind, puis je me rendis compte qu'elle pouvait très
bien ne pas aller au-delà du premier titre de la face
A si je lui donnais tout de suite ce qu'elle voulait,
alors je l'ai enfoui au milieu de la face B), puis il
faut la faire monter un chouïa, ou la faire baisser un
chouïa, et impossible de mettre ensemble de la
musique noire et de la musique blanche, sauf si la
blanche sonne noire, et impossible de mettre deux
titres du même artiste à la suite, sauf si l'ensemble
fonctionne par paires, et puis... oh, il y a des tonnes
de règles.
Bref, je me suis donné un mal fou pour cette
cassette, et je dois encore avoir un ou deux
brouillons quelque part, des prototypes qui ne m'ont
plus convaincu quand je les ai réécoutés. Et le
vendredi soir, au club, je l'ai sortie de ma veste
quand elle est venue me voir, et on est parti de là.
C'était un bon départ.
Chapitre "trente quatre" (pages 244-245)
[Caroline] aspire son jus d'orange.
"Santé. J'attends vendredi avec impatience.
J'adorais la musique que vous passiez.
- Je vous ferai une cassette, si vous voulez.
- Vraiment, vous feriez ça ? Je pourrais avoir
mon propre Groucho Club chez moi.
- Pas de problème. 1'adore faire des cassettes."
Et je sais que je vais le faire, en plus, sans doute
dès ce soir, et je sais aussi qu'au moment où je
déballerai la cassette et appuierai sur la touche
"pause", j'aurai le sentiment d'être un traître.
(...)
J'appelle Caroline le lendemain matin.
(...)
"J'ai presque fini votre cassette.
- Ah oui ? C'est vraiment adorable.
- Je vous l'envoie ? Ou vous voulez prendre un
verre ?
- Hum... Va pour le verre. C'est moi qui régale ;
je vous dois bien ça.
- Super."
Les cassettes ? Ça marche à tous Ies coups.
"C'est pour qui ? demande Laura quand elle me
voit tripoter les boutons du magnéto.
- Oh, juste cette femme qui m'a interviewé pour
le journal gratuit, là. Caro1 ? Caroline ? Un truc
comme ça. Elle m'a dit que ce serait plus facile, tu
vois, si elle avait une idée de la musique qu'on
passe."
Mais je n'arrive pas à le dire sans rougir et fixer
les yeux sur le magnéto, et je sais qu'elle ne me croit
pas vraiment. Si quelqu'un sait ce que les compiles
représentent, c'est bien Laura.