MICHAEL CONNELLY
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MICHAEL CONNELLY
culturematch 9 MICHAEL CONNELLY LE GÉANT DU POLAR L’homme aux 43 millions de livres vendus dans le monde est de retour avec « Volte-face », un thriller judiciaire qui met en scène l’avocat Mickey Haller et l’inspecteur Harry Bosch. Pour nous, le romancier s’est soumis de bonne grâce à un interrogatoire. PHOTO XXXX XXXXXXX Ambiance mystérieuse et lumière électrique pour Connelly sur le toit de l’hôtel Lutetia à Paris. PHOTOS MANUEL LAGOS CID pa r i sma tch .com 10 culturematch UN ENTRETIEN AVEC FRANÇOIS LESTAVEL A 55 ans, Michael Connelly ne laisse aucun répit à ses lecteurs. Depuis son premier et passionnant thriller, « Les égouts de Los Angeles », qui vit la naissance du célèbre inspecteur Harry Bosch en 1992, jusqu’à « Volte-face », son 23e livre à paraître en France le 9 mai, le prolifique auteur enchaîne les romans, souvent brillants, comme « Le poète », « Créance de sang » ou « L’épouvantail », parfois moins originaux, voire quelconques comme le récent « Les neuf dragons ». Mais ses livres sont toujours efficaces et informés. Car, avant d’avoir été romancier à succès, Connelly fut un journaliste chevronné, nommé au Pulitzer, qui couvrit les émeutes de Los Angeles en 1992. Pour son nouveau roman, qui met en scène un tueur d’enfant rejugé des années plus tard, l’ancien chroniqueur judiciaire s’est inspiré d’une histoire vraie. Cette façon de rester bien ancré dans la réalité, tout en laissant parler son imagination débridée, explique sans doute pourquoi l’auteur continuera encore longtemps à être attendu au tournant par tous les amateurs de polar. PARIS MATC H DU 19 AU 25 AVRI L 201 2 Paris Match. Qu’est-ce qui vous a donné envie, après “La défense Lincoln”, de revenir au thriller judiciaire ? Michael Connelly. Pour “Volte-face”, je me suis fixé deux buts : raconter l’histoire d’un avocat de la défense contraint, pour une affaire, de passer dans le camp de l’accusation, et m’emparer des idées préconçues sur le système judiciaire afin de les remettre en cause. Il y a une certaine arrogance américaine qui consiste à croire que notre système est le meilleur au monde. Pourtant, on constate souvent que des coupables ressortent libres du tribunal… Pourquoi les Américains, comme vous ou John Grisham, sont-ils aussi passionnés par leur justice ? Parce que le diable se niche dans les détails, et qu’il est très enraciné dans notre système judiciaire. Ce qu’il y a de passionnant avec les tribunaux, c’est qu’ils ressemblent à des rings de boxe où tous les coups bas sont permis. Moi qui croyais en connaître beaucoup sur les arcanes de la justice, je me suis aperçu que bien des aspects de ce qui se tramait en coulisse m’échappaient, et je voulais les partager. Vos polars ne sont-ils pas pour vous avant tout un moyen de soulever des questions d’actualité ? Oui, j’essaie de refléter le monde qui m’entoure. Mon prochain roman abordera d’ailleurs la crise économique qui sévit aux Etats-Unis. J’écoute ce que les gens me racontent pour en tirer des histoires, car je suis encore journaliste dans l’âme. Vous aviez déclaré que votre boulot, c’était d’écrire sur Harry Bosch. Mais ici il est au second plan, aux dépens de son demi-frère, l’avocat Mickey Haller… Les deux personnages me fascinent. J’écris sur Harry depuis plus de vingt ans. Ça m’amuse de l’inviter dans des livres dont il n’est pas le héros. J’ai créé une galerie de personnages ; ça me réjouit de les savoir corvéables à merci ! Pourquoi, Madeline, la fille de Harry Bosch, prend-elle de plus en plus d’importance ? Je pense que sa relation avec son père est désormais le cœur de ma série. Pendant les quinze premières années où j’ai écrit sur Harry, il ressemblait à un guerrier prêt à tout pour accomplir sa mission. Désormais, il a près de 60 ans. Et le fait d’avoir une fille lui a rappelé la 11 CONNELLY HÉROS DE CASTLE fragilité de l’existence. Elle est devenue le centre de ses préoccupations. Sans doute parce que moi-même j’ai une fille de 15 ans, et que les romanciers écrivent sur ce qui les touche. Vous n’avez jamais été tenté de tuer Harry ? L’idée ne m’a jamais effleuré. Bien sûr, je sais qu’il n’existe pas réellement, qu’il n’est fait que de mots, mais c’est un personnage qui ne me quittera pas jusqu’à mon dernier souffle. J’ai toujours envie de le voir évoluer, de l’aborder d’un point de vue différent. Maintenant que sa fille habite chez lui, j’ai l’impression qu’il vit une renaissance. Pourquoi avoir quitté Los Angeles pour vivre en Floride ? Essentiellement pour des raisons familiales. J’en suis originaire, ma femme et ses parents aussi. J’ai la chance de pouvoir travailler à la maison. Mais Los Angeles restera éternellement ma muse, ça ne sera jamais la Floride ! Vous aviez besoin prendre de la distance ? Oui. Depuis dix ans, j’ai renouvelé ma façon de fonctionner : je me rends à L.A. pour rencontrer les gens et voir les lieux qui serviront à mes livres, puis je reprends l’avion et parcours 4 000 kilomètres dans l’autre sens pour pouvoir coucher sur le papier ce que j’ai vu. C’est la mémoire qui travaille. Je crois que bientôt j’aurai besoin d’un nouveau déplacement géographique pour qu’un processus similaire s’enclenche. J’approche d’une troisième phase de mon travail. A vos débuts, qu’est-ce qui vous a poussé à écrire des polars ? Beaucoup de coïncidences sont entrées en jeu. Ma mère lisait énormément de polars et du coup, j’en ai lu un certain nombre. Et puis, à 16 ans, j’ai été témoin d’un fait délictueux [un inconnu avait jeté dans une haie un paquet contenant une arme] qui m’a mis en relation avec la police. Mais le vrai choc, ça a été lorsque j’ai vu au cinéma “Le privé” de Robert Altman. C’est un film qui a vraiment modifié le cours de ma vie. J’ai alors lu le roman de Chandler qui l’avait inspiré, et j’ai décidé que c’est ce que je voulais faire dans la vie. Qu’est-ce qui vous a plu ? C’est surtout le personnage de Philip Marlowe, tel qu’il est vu dans le film modernisé de 1973. Il y a une irrévérence surprenante chez ce personnage, dont on pense qu’il n’obéit à aucun code éthique, jusqu’à ce que la fin nous surprenne et que l’on s’aperçoive qu’il a une conscience morale. J’avais 19 ans et c’était l’âge idéal pour subir cette influence. Est-ce pour cela que vous avez une écriture aussi cinématographique ? Absolument, je suis un écrivain qui ne pense pas en termes de prose ou de phrases merveilleuses. J’ai un projecteur dans la tête et je vois des scènes. Mon boulot est ensuite de les retranscrire. J’ai d’ailleurs eu une sensation bizarre de retrouver dans le film “La défense Lincoln” des scènes que j’avais d’abord visualisées. Il a fallu les coucher sur papier avant de les voir à nouveau réapparaître en images. C’est un détour très étrange ! Ecoutez-vous toujours de la musique lorsque vous écrivez ? Cela dépend du personnage. Pour Harry, c’est toujours du jazz car c’est quelqu’un qui agit dans l’improvisation. Quand j’écris sur lui, je mets chaque matin “Lullaby”, de Frank Morgan. C’est l’hymne qui lui colle à la peau. Regrettez-vous parfois d’avoir abandonné le journalisme pour devenir écrivain en 1995 ? Ce que je regrette, c’est l’ambiance Dans la populaire série « Castle », qui a rassemblé 6 millions de spectateurs en moyenne lors de sa troisième saison sur France 2, les fans de Richard Castle, auteur de polars, énamouré du lieutenant Beckett, ont eu la surprise de voir leur héros jouer au poker avec de vraies stars du genre : Dennis Lehane et… Michael Connelly, qui n’en était pas à sa première partie de cartes avec le célèbre écrivain. « On s’est bien amusés avec Dennis, se rappelle Connelly, même si la série n’est pas réaliste… Depuis le temps que nous fréquentons la police, personne ne nous a jamais demandé de les aider à résoudre une affaire ! » F.L. La plupart des amateurs de polars en lisent énormément. Nous partageons souvent le même lectorat. Mais parfois vous pouvez être jaloux d’une idée qu’a eue l’autre… Quand j’ai terminé “Mystic River” de Dennis Lehane, je me suis dit que c’était le meilleur livre que j’avais lu depuis longtemps. Vous avez été un des premiers romanciers à faire votre publicité sur Internet. Est-ce désormais un passage obligé ? C’est important de créer une communauté de lecteurs et des lieux Pour l’iPad, il nous en dit plus sur Harry Bosch en vidéo. Je suis un auteur qui ne pense pas en termes de phrases merveilleuses. J’ai un projecteur dans la tête et j’écris les scènes comme au cinéma de camaraderie des salles de rédaction, où 50 personnes balancent des ragots et des blagues. Je suis nostalgique de ce bruit, moi qui travaille au calme dans une pièce. Le journalisme était encore un métier sympa quand je l’ai quitté, c’est là où j’ai grandi et appris à écrire à partir du réel. Mais désormais, dans une rédaction, on n’entend que le cliquetis des claviers d’ordinateur. La presse est en train de s’effondrer, et ceux qui exercent encore le journalisme ne s’amusent plus beaucoup. Y a-t-il une compétition entre vous et le reste du “Big Four”, Lehane, Coben et Ellroy ? Nous nous connaissons, sommes amis et lisons nos romans respectifs, mais il n’y a pas de rivalité entre nous. Ce n’est pas comme dans l’automobile, les acheteurs acquièrent plus d’un livre ! où elle peut me rencontrer. Car les librairies et les rayons consacrés aux livres sont en train de disparaître. Et il y a tant de formes de divertissement désormais qu’il faut utiliser le Web pour se faire connaître, à travers Facebook ou un site dédié. Mais les écrivains sont souvent pessimistes et disent que les jeunes générations ne lisent plus. Je suis à la fois inquiet et rassuré. Bien sûr, il y aura de moins en moins de livres, mais seul le support va changer. Quand “La défense Lincoln” est sorti au cinéma l’année dernière, il a relancé le roman qui datait d’il y a six ans. Et ceux qui m’auront lu pour cette raison auront peut-être envie de découvrir mes autres livres. L’art de raconter des histoires fait partie de l’esprit humain, et je pense qu’il survivra toujours. X « Volte-face », de Michael Connelly, éd. Calmann-Lévy, 434 pages, 21,50 euros. A paraître le 9 mai. pa r i sma tch .com