vIsAGEs NoIrs. SuR fond blAnc
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vIsAGEs NoIrs. SuR fond blAnc
PAGE 134 ¬ ARTS MAGAZINE ¬ septembre 2013 dossier • Quand l’art fait des histoires brett bailey visages noirs. sur fond blanc Pascaline Vallée texte Douze « tableaux vivants » comme autant d’évocations historiques ou actuelles, des traitements faits aux Noirs, des zoos humains aux atrocités coloniales en passant par les expulsions actuelles… Avec « Exhibit B », Brett Bailey orchestre des installations qui dépeignent le colonialisme et ses relents. à voir Exhibit B du 25 au 27 novembre Le 104, PARIS 104 rue d’Aubervilliers et 5 rue Curial, Paris 19e. 19h-22h20 les 25 et 26, 17h-22h le 27. 10 €/15 €. Tél. : 01 53 35 50 00. www.104.fr Avignon, juillet 2013. Dans le chœur de l’église des Célestins, quatre têtes chantent. Elles sont comme posées sur des socles, alignées. Ce « tableau vivant » s’appelle Le Cabinet de curiosité du Dr Fischer : têtes namas collectées dans des camps de concentration. L’ethnologue nazi, nous apprend l’écriteau, a élaboré la théorie sur l’hygiène de la race en Afrique. Au mur, des photos de têtes décapitées, yeux fermés, rappellent comment un peuple fut pris comme cobaye et décimé. Ces installations évoquent l’exploitation d’êtres humains. L’idée semble simple et risquée à la fois. Mais l’artiste et metteur en scène Brett Bailey ne donne pas avec « Exhibit B » de leçon moralisatrice. Il apporte des pièces à conviction (exhibit en anglais) pour construire le récit fragmenté d’une histoire oubliée. Né blanc en Afrique du Sud en 1967, Brett Bailey a lui-même vu l’apartheid et ses injustices. « Exhibit B » nous transporte dans un temps pas si lointain où les colonisateurs exposaient des hommes et des femmes comme des objets de curiosité. « J’ai composé ces tableaux vivants après plusieurs mois de recherche et de croquis, explique-t-il. Le but était de créer de puissantes images superposées, des icônes du colonialisme, qui saisissent la beauté esthétique de ces expositions coloniales, mais qui révèlent aussi la cruauté sur laquelle elles étaient fondées et le racisme déshumanisant de l’idéologie impérialiste qu’elles véhiculaient. » Et pour rendre ses images encore plus puissantes, la mise en scène est imparable : les sujets des tableaux, sans hausser un sourcil, ne vous quittent pas des yeux. Des zoos humains aux expulsions Si la plupart des scènes sont historiques, le parcours s’offre des sauts dans le temps présent. Posés sur des palettes, en habits ordinaires, des migrants et leur histoire disent que le racisme n’est pas encore vaincu. Présentée dans plusieurs pays européens, « Exhibit B » s’est enrichie depuis ses débuts de nouvelles œuvres, inspirées du passé colonial des pays où elle s’installe. Avant le Portugal et l’Angleterre l’an prochain, l’Allemagne, la Belgique et la France ont déjà subi l’épreuve de vérité. Chaque fois, l’exposition vivante occupe un lieu singulier. Pour Avignon, une église. À Paris en novembre, ce seront les hauts murs du 104. Les spectateurs, qui entrent un par un, doivent pouvoir circuler ou s’arrêter longuement devant une scène. Ici plus qu’ailleurs, l’œuvre n’existerait pas sans celui qui la voit. Sur les fiches des tableaux, semblables aux cartels des musées, il est indiqué parmi les matériaux : « spectateur ».