PIRACEF DAS 2
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PIRACEF DAS 2 Travail certificatif pour le module "AC230' Recherche et développement dans les champs disciplinaires et en éducation Nadine Giroud-Monnet, Nicole Zuber, Alain Perraudin et Laurent Trisconi La technologie dans les activités créatrices et manuelles Depuis quelques années, notre pays manque de spécialistes dans les domaines MINT1. En 2010, le Conseil fédéral, pour faire face à cette pénurie d'acteurs principaux de l'innovation de la place industrielle suisse, propose une série de recommandations dans le but de promouvoir la technologie dès la scolarité obligatoire. En ce sens, le plan d'étude romand reconnaît l'importance de la technologie dans notre société actuelle qu'il associe au monde des mathématiques et des sciences de la nature. Quant à l'apparentement de l'enseignement des AC&M2 au domaine des Arts, il inhibe (à notre grand regret) la place de la technologie dans cette discipline. Pour répondre aux besoins de la société actuelle, en tant qu'enseignants AC&M en scolarité obligatoire, nous nous posons la question suivante : « Comment intégrer la technologie dans nos cours AC&M ? » Dans le but de mieux cerner ce qu'est la technologie, nous proposons un bref ancrage philosophique. Ellul (1954), philosophe français, évoque le changement de nature de la technique au début du 19eme siècle. En effet, la révolution industrielle a étendu l'utilisation des techniques à toutes les activités économiques, sociales et politiques. Lebahar (2008) définit clairement la technologie qu'il renvoie à l'histoire des techniques voire à l'histoire tout court. La technologie a un langage propre à chaque discipline. Les métiers artisanaux en sont la preuve, adoptant chacun leur vocabulaire spécifique. En outre, il faut bien faire la distinction entre technique et technologie. La technique est un ensemble de procédés attachés à une culture alors que la technologie relève de l'étude d'une discipline ou d'une branche. Dans l'histoire, nous remarquons que la technique s'élabore, se remet en question au fil des années. De nouveaux termes sont utilisés et deviennent de plus en plus précis. La terminologie parfois inspirée de la vie quotidienne se transforme et se retrouve nantie d'un nouveau sens. Le mot « bouziller » illustre très bien cela car, en 1554, il signifiait « construire en torchis », puis il définissait le temps passé par les apprentis souffleurs de \ierre pour construire des objets personnels pendant leur temps de repos. Sans doute que ces objets ne valaient pas grand-chose. Cela expliquerait pourquoi, aujourd'hui, le terme «bousiller» définit une fabrication sans soin, détruite ou endommagée. L'évolution de la technologie s'illustre aussi chez l'artisan. (Lebahar, 2008, p.176-177). Il est évident qu'au fil des années (siècles !) le rapport de l'individu à la conception d'objets a radicalement évolué. Les moyens techniques facilitent 1 2 Mint : mathématiques, informatique, sciences naturelles et techniques AC&M : activités créatrices et manuelles l'exécution des différentes étapes de fabrication. Par ailleurs, la modernisation de ces techniques influencera aussi la créativité de l'artisan en lui ouvrant de nouvelles perspectives. L'épistémologie disciplinaire des AC&M apporte un éclairage intéressant sur la présence ou l'absence de références à la technologie dans ses cours. A la fin du 19eme siècle, en France, la fonction pédagogique du travail manuel se résumait à distraire les élèves. On percevait cette branche comme « un préservatif contre le surmenage qui permet de rendre à l'intelligence son élasticité première » (Lebeaume, 1999, p.57). En 1985, nos voisins francophones prennent une option décisive en abandonnant les travaux manuels éducatifs, puis l'éducation manuelle et technique pour laisser place à la technologie qui deviendra dès ce moment-là une branche à part entière dans leur système scolaire. Nous constatons une approche plutôt théorique de l'enseignement de la technologie qui nous paraît manquer de concret. Prenons l'exemple de la perceuse. Le fait d'apprendre dans un manuel (Nathan, 2006, p.58, 61) les différentes parties de cette machine, son utilisation et les mesures de protection qui s'imposent, reste un peu abstrait. C'est comme si l'élève lisait le manuel d'utilisation de la perceuse. Il devra donc essentiellement restituer des connaissances factuelles (Nathan, 2007, p.45-46) liées à la terminologie et aux faits. Tandis que la confrontation avec le réel s'avère plus complexe et porteuse de sens. Lorsque l'enfant est mis en projet, il y a des phénomènes qui se passent : face à la matière par exemple, il doit réagir et interagir. Des contraintes matérielles, financières et organisationnelles : locaux, équipement, gestion de projets personnels, temps à disposition... pourraient expliquer le choix délibéré de se contenter de la théorisation. Ce qui va à l'encontre de la pédagogie du projet, pédagogie active qui met l'accent sur l'apprentissage de l'élève à travers la réalisation d'une production concrète. (Lebeaume, 1999, p.91) La fondation française « LA MAIN A LA PATE » (2007) tente de soutenir activement l'enseignement intégré de la science et de la technologie, afin d'amener les élèves à développer le sens de l'investigation, l'esprit critique et la prise de responsabilités dans la réalisation de projets concrets. Leur site internet propose des activités scientifiques et pédagogiques qui pourraient être exploitables dans nos cours AC&M comme concevoir et réaliser un objet qui flotte. Ces séquences clés en main représentent l'avantage de sécuriser peut-être l'enseignant titulaire face à une nouvelle démarche qui introduirait la technologie en AC&M, mais attention à ne pas tomber dans un enseignement de type behavioriste : morcelé et mécanique, laissant les élèves à l'écart de l'apprentissage (Lebeaume, 1999, p.106). Le contexte sociohistorique suisse francophone explique le manque de cohabitation entre la technologie et les AC&M, discipline essentiellement fondée sur la transmission de traditions, gestes précis, rigueur et précision. Des enseignants persistent à enseigner la technique d'assemblage « queue droite » à leurs élèves alors qu'elle a quasiment disparu du marché industriel. Cette technique n'est souvent ni contextualisée dans un cadre historique ou culturel ni comparée à d'autres techniques d'assemblage plus actualisées. Schématiquement, nous avons d'un côté le modèle français plutôt axé sur la théorie et, de l'autre le modèle suisse romand qui met en évidence l'importance du geste technique. La synthèse des deux approches donnerait plus de sens aux connaissances technologiques. L'enseignant, en proposant à l'apprenant de résoudre des situations problèmes relevant des défis technologiques, favoriserait chez son élève le développement de compétences telles que : - situer le problème à résoudre, prendre du recul par rapport à l'activité - s'informer, formuler des informations, projets, constats - anticiper l'organisation de l'action - réaliser une action - prendre des décisions - contrôler des projets, actions, produits (Lutz, Hostein, Lécuyer, 2004) Pour intégrer la technologie dans les AC&M, il faudrait que l'enseignant soit avant tout convaincu de la pertinence de sa place dans cette branche. Cela exigerait également de sa part des connaissances techniques solides. « Enseigner les techniques (qui font partie intégrante de la technologie) ne signifie pas disserter sur chaque innovation ou production prise séparément. Enseigner les techniques, c'est les situer dans leurs fonctions, c'est-à-dire dans la relation individu à machine (Comment ça marche? Quel plus m'apporte ce produit ou ce processus de fabrication? par exemple). C'est également repérer leurs implications dans un groupe social (Combien ça coûte? Quel changement induit-il? Quelle incidence sur l'emploi?...) et dans la biosphère (Quelles retombées à court et à long terme sur l'environnement?). Enseigner les techniques, c'est envisager encore leur rôle historique ou encore situer leur évolution dans le contexte international. » (Résonance, 2010, n°3, p.5). Actuellement, on constate un manque de sources ou ressources didactiques dans les AC&M, au contraire des Suisses allemands qui disposent du Werkweiser (2012). Le PER3 préconise l'utilisation des techniques au service du langage artistique. Ce qui est logique, puisqu'il rattache les AC&M au domaine de l'Art. Dans le cadre de PIRACEF4, nos formateurs clament haut et fort leur volonté d'intégrer la technologie dans les AC&M. 3 4 PER : plan d'étude romand PIRACEF : programme intercantonal romand de formation des enseignants en activités créatrices et en économie familiale Nous tenterons dans les prochaines lignes de proposer quelques pistes favorisant l'introduction de la technologie dans l'enseignement obligatoire. Pour assurer l'alignement pédagogique de ses séquences didactiques, l'enseignant devrait au préalable se poser les questions suivantes : Que fait l'élève ? Qu'apprend-il ? Quelle est la technicité de sa tâche ? Quels sont les rapports avec les pratiques extérieures ?... (Lebeaume, 1999, p.112) L'utilisation de la taxonomie d'Anderson & Krathwohl lors de la planification évitera peutêtre que finalement l'élève ne restitue que des connaissances techniques. Il faudrait l'amener à les analyser, les comprendre, les appliquer afin de pouvoir créer un objet qui mettra en évidence les connaissances technologiques abordées au préalable. (Anderson <& Krathwohl, 2001). L'introduction de la boucle CRS5, avec le cahier des charges (Didier & Leuba, 2011), dans nos cours abonde dans ce sens. En effet, lorsqu'il est demandé aux élèves de concevoir un objet en analysant sa fonction, son mode de fonctionnement, les matériaux à disposition, diverses techniques, l'apprenant endosse le rôle de chercheur. Dans un premier temps, l'élève émet des hypothèses qui seront ensuite expérimentées. Nous pourrions également profiter du programme annuel des sciences de la Nature, exploiter les prérequis des élèves (par exemple en électricité) et créer un objet qui mettrait en pratique les connaissances acquises en classe l'année précédente. Si l'on permettait à l'élève de réaliser en AC&M des objets techniques répondant à une fonction d'utilité, ce dernier développerait des compétences qui pourraient l'aider à établir des liens dans son quotidien et la technologie. Le rôle de l'enseignant serait primordial. En fonction des objets d'apprentissages préalablement définis par l'enseignant spécialiste, ce dernier accompagnerait ses élèves dans leur démarche scientifique en leur proposant des situations problèmes adaptées, en les amenant à réfléchir par des interrogations, des relances... Grâce aux interventions de leur professeur, les élèves établiraient progressivement des liens entre leurs productions d'objets techniques et ceux de la production industrielle tout en associant des phénomènes techniques voire physiques ou scientifiques. Ils seraient amenés par cette approche technologique à s'intéresser à leur objet mais aussi à celui qui existe peut-être en dehors de l'école dans le but de prendre conscience de la dimension sociale liée à un objet technique. Il ne s'agirait plus seulement de construire un objet, mais de le situer dans son environnement et de comprendre pourquoi il est fabriqué de cette manière (comment ?), à un moment donné, dans une situation donnée (Béart-Naji, 2000). En intégrant cette démarche, qui consiste à éveiller le sens technologique de nos jeunes dans les cours AC&M par l'analyse fonctionnelle d'objets techniques à 5 CRS : conception, réalisation, socialisation réaliser, l'école favoriserait chez ces consommateurs de demain un regard pertinent, perspicace, prudent face aux objets de leur environnement. (Lutz, Hostein, Lécuyer, 2004) Cette réorientation des AC&M, avec l'intégration de la technologie, engendrerait une valorisation de notre branche en toute interdisciplinarité avec le domaine des mathématiques, sciences, français... tout en répondant aux défis de notre époque et aux besoins de notre société. Elle nécessiterait, avant tout, un changement radical des représentations de notre profession auprès de nombreuses personnes, tant aux niveaux politique que civil. Dans les cours de sciences naturelles, nos élèves expérimentent l'évaporation en faisant chauffer de l'eau dans une casserole. Dans les cours AC&M, on pourrait exploiter ce phénomène en fabriquant un véhicule qui se déplace grâce à la vapeur. En démontrant l'importance de la démarche de chercheur qui, grâce à l'étude de phénomènes, émet des hypothèses en lien direct avec l'analyse fonctionnelle d'un objet, on évitera peut-être que notre discipline disparaisse à tout jamais de l'horizon scolaire de chaque élève. BIBLIOGRAPHIE Anderson, L. W. & Krathwohl D. R. (eds) (2001). A taxonomy for learninq, teachinq, and assessinq : A revision of Bloom's taxonomy of educational ob jectives. New York: Longman Bédart-Naji, E. (2000). La technologie au cycle 3. Paris : Retz. Delasalle, G. (1965). La pédagogie de J. Dewey. Paris : Scarabée. Didier, J. & Leuba, D. (2011). Lausanne : Haute école pédagogique du canton de Vaud, Suisse. Ellul, J. (1954). La technique ou l'en jeu du siècle. Paris : Armand Colin. Ellul, J. (1977). Le système technicien. Paris : Calmann-Lévy. Huber, M. (1999). Apprendre en projets : La pédagogie du projet-élèves. Lyon : Chronique sociale. Lebahar, J-C. (2008). L'enseignement du design industriel. Londres : Hermès Science Publications. Lebeaume, J., (1999). L'éducation technologique : Pratique et en jeux pédagogiques. Paris : ESF. Lutz, L., Bernard, H. & Lécuyer, E. (2004.) Enseigner la technologie à l'école élémentaire. 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