Morille.qxp:Coups de tÍte v2
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Morille.qxp:Coups de tÍte v2
LA GRANDE MORILLE Du même auteur Marzi et Outchj Coups de tête, 2008 Marzi à Marzi Coups de tête, 2010 PASCAL LECLERCQ LA GRANDE MORILLE UNE AVENTURE DE MARZI ET OUTCHJ Nous remercions le Conseil des Arts du Canada de l’aide accordée à notre programme de publication, et la SODEC pour son appui financier en vertu du Programme d’aide aux entreprises du livre et de l’édition spécialisée. Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Fonds du livre du Canada (FLC) pour nos activités d’édition. Gouvernement du Québec – Programme de crédits d’impôt pour l’édition de livres – Gestion SODEC Conception graphique de la couverture : Marc-Antoine Rousseau Composition typographique : Nicolas Calvé Conception du catalogue : Ghislaine Guérard Révision linguistique : Maxime Catellier Correction d’épreuves : Pierre-Yves Villeneuve © Pascal Leclercq et Les 400 coups, 2011 Dépôt légal – 1er trimestre 2011 Bibliothèque et Archives nationales du Québec Bibliothèque et Archives Canada ISBN 978-2-923603-89-6 Toute reproduction, même partielle, de cet ouvrage est interdite. Une copie ou reproduction par quelque procédé que ce soit, photographie, microfilm, bande magnétique, disque ou autre, constitue une contrefaçon passible des peines prévues par la loi du 11 mars 1957 sur la protection des droits d’auteur. Tous droits réservés imprimé au canada Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada Leclercq, Pascal, 1975La grande morille ISBN 978-2-923603-89-6 I. Titre. PQ2712.E27G72 2011 843'.92 C2011-940074-X LIÈGE LE DIMANCHE 11 AVRIL 2010, 6 h 51 L’aube se lève à peine sur les collines liégeoises. Le ciel, rose bonbon, est crotté de minuscules nuages bleu marine. Le coq chante une troisième fois et la rue Sainte-Walburge s’anime soudainement : d’un coup, la boulangerie est pleine à craquer, une file de quinze mètres se forme sur le trottoir, tout ça pour des petits pains. De l’autre côté de la chaussée, un fort gaillard de fromager lève le volet d’acier de sa boutique ; il éructe des insanités sur le monde et sur l’état du monde. Marzi, les bras encombrés d’un énorme paquet, lui fait un signe de tête. « Salut, Micheline ! » Le marchand de frometon n’a pas l’air de trouver la formule à son goût ; il n’émet cependant aucune protestation verbale. « Micheline tu es et Micheline tu resteras », ronchonne Marzi. Il n’a jamais accepté que cet inconnu prenne la place de l’avenante crémière. Non qu’elle lui 8 LA GRANDE MORILLE ait rendu de menus services sexuels parmi les époisses, herves et autres flairasses à pâte molle, mais simplement parce que, en mafieux qui se respecte, Marzi déteste le changement. Il le hait. Il le vomit avant même de l’avoir ingurgité, rien qu’à l’apercevoir. Il remâche tant ces sombres pensées qu’elles s’installent dans sa tête, s’y assoient en tailleur et allument un feu de joie, si bien que Marzi n’a d’autre choix que de rentrer À mon usine pour rafraîchir son bulbe rachidien et les autres parties desséchées de son cerveau, la reptilienne surtout. Il pousse la porte du bar, pose son imposant paquet contre le comptoir, installe ses fesses sur un tabouret, ses coudes sur le zinc et lève le sourcil droit. Ça marche à tous les coups : le tôlier lui apporte en un temps record un verre de trente-trois centilitres de Jupiler, la bière locale. Marzi le porte aussitôt à ses lèvres et engloutit onze centilitres de liquide. Puis il repose son verre : « Ça va mieux ! » À peine la chope a-t-elle touché le sous-bock que Marzi la relève, engloutissant onze nouveaux centilitres. « C’est pas possible de se mettre dans des états pareils », grogne-t-il à l’intention de lui-même, qui acquiesce aussi sec. Il rote un bon coup et jauge de l’œil les onze centilitres restant, penauds au fond du cylindre transparent. Marzi hésite à finir d’un trait la bibine, mais il s’abstient, remettant à plus tard ce qu’il pourrait faire maintenant. Il se retourne et jette un regard à la ronde. Il n’est que sept heures du matin mais le bar est plein de buveurs sérieux et d’enfants de buveurs sérieux qui attendent tranquillement que leurs buveurs LA GRANDE MORILLE 9 sérieux de parents aient assez d’alcool dans les veines pour résister aux assauts verbeux de l’infâme père Paturel. Dans quelques heures, le curé de la paroisse de Sainte-Walburge leur assénera un terrible sermon de sa composition, il leur hurlera des paroles accusatrices et les conjurera d’abandonner leurs nombreux vices pour enfin rentrer la queue entre les jambes dans la maison du Seigneur. « Un dimanche comme un autre, quoi », souffle Marzi tout en se grattant nonchalamment les burnes. « Enfin une constante dans cette vie versatile. » Rassuré, il avale enfin le reste de son trente-trois, puis se lève juste à temps pour écraser son poing sur le blaze du masque de Mickey qui s’est faufilé derrière lui, tentant de faire main basse sur le grand paquet qu’à ce point du récit, on peut commencer à qualifier d’intrigant. Marzi est dégoûté : encore un peu et il se faisait dépouiller ! Rageur, il frappe à gros coups de bottines dans le pauvre corps au sol, lui larde la poitrine de trois coups de couteau puis se calme subitement lorsque la vue du sang lui rappelle que ce qu’il est en train de faire n’est pas du tout chrétien. Un petit attroupement se forme autour de lui. Les clients du bistrot chuchotent, commentent, conciliabulent, le montrent du doigt alors qu’ils ignorent aussi bien les raisons de son geste impulsif que l’identité de celui qui se cache sous le masque de la célèbre souris noire. On s’énerve vite, le dimanche, surtout les enfants : « Pourquoi as-tu fait ça ? lance un petit blond aux yeux verts. 10 LA GRANDE MORILLE — Pauvre Mickey... Pourquoi, mais pourquoi ? ajoute un plus petit plus blond encore, le pourtour de la bouche noir de chocolat séché et de crasse. — Les animaux sont gentils ! Ils ne nous ont rien fait ! crie enfin une fillette à queue de cheval et à la blouse imprimée de grands cœurs fuchsia. » Les moutards pleurent, de plus en plus fort, ça fait un boucan infernal. Les adultes resserrent le cercle : on jurerait qu’ils ont l’intention de faire du mal à cet homme qui ose souiller les territoires de l’imaginaire collectif. À présent, Marzi est rouge pivoine, mais il est difficile de dire si c’est de honte ou de rage. Il écarte un pan de sa veste, sort sa vieille pétoire du holster que lui a offert Outchj pour la Saint-Georges, admire l’effet que ce geste produit sur l’assemblée, puis tire un coup en l’air. Du plâtras tombe du plafond, les gnomes et leurs géniteurs s’écartent, et sous une pluie blanchâtre, ils retournent s’accrocher qui à son verre de bière, qui à ses chips et à sa limonade. Mieux vaut se concentrer : la grand-messe approche à grands pas. Marzi crache un coup par terre, comme il l’a vu faire dans certains westerns. La lèvre inférieure retroussée, il se penche sur le masque cabossé, le soulève lentement, comme pour retarder la jouissance qui suivra sans aucun doute sa future découverte. Contrairement à sa propre attente, il se relève blême et fait signe au tôlier : « Bosco, une ambulance, vite ! » L’imbécile, après quelques minutes de savantes manipulations, se ramène avec un verre plein à ras bord d’un liquide jaune fluo qu’il pose devant Marzi, en imitant le bruit d’une sirène. LA GRANDE MORILLE 11 « Mais qu’est-ce que tu fous, enfant de gonocoque ? J’en veux pas de ta mixture ! Appelle une ambulance ! » Vexé, Bosco remballe son coquetel et disparaît dans l’arrière-bar où il garde le téléphone jalousement caché. Quelques minutes plus tard, un hurlement insistant se rapproche d’À mon usine. Quand il atteint l’intensité de l’orgasme, le hurlement se pose devant le bistrot. Par sa simple présence, il souligne combien l’imitation du barman était foireuse. On entend de grands coups sur la porte, qui la font vaciller, puis tomber avec fracas. Un nuage de poussière apparaît comme par enchantement. Il met un temps certain à se dissiper et à laisser apparaître des survêtements bleus barrés de bandes phosphorescentes horizontales. Ils appartiennent à deux malabars munis d’une civière sur pied, qui se saisissent de Mickey, le posent sur le grabat à roulette, le sanglent, disparaissent avec lui avant de réapparaître, poussant une autre civière. Ils regardent Marzi, se retroussent les manches, mais le malfrat leur jette un regard haineux qui les refroidit dans l’instant. Marzi grogne un coup et leur montre du doigt le paquet sur le sol. « Gaffe, c’est fragile ! — Bien m’sieur », font les deux survêtus en chœur. Les malabars montent à l’arrière de l’ambulance, accompagnant les civières à roulettes, pendant que Marzi prend le volant du véhicule hurlant. Il se cure le nez pendant quelques secondes, effectue un demitour au cours duquel il manque d’écraser une pauvre vieille, puis prend une rue à sens unique en direction 12 LA GRANDE MORILLE de l’hôpital de la Citadelle, dont l’aspect bunkérisant et l’odeur d’ammoniac se trouvent à tout juste cent cinquante mètres d’À mon usine. « Quelle coïncidence ! » pense Marzi qui s’y rendait justement. LIÈGE LE VENDREDI 9 AVRIL 2010, 14 h 33 Quand je vois la bagnole s’arrêter dans l’allée de la maison, tout de suite, je me dis : « Chic, mon Outchj, tu vas voir que c’est ce bon vieux Marzi qui vient te chercher pour aller à la chasse aux champignongnons ! » Mais ça ne dure pas : la Polo vert chou a déboulé si vite que le son du crissement des pneus dans le gravier parvient à mes pavillons avec deux secondes d’avance sur les crissements eux-mêmes. « Comment qu’il fait ça, lui ? » que je m’interroge au passage, avant de constater, déçu : « Le crissement des pneus, c’est pas annonciateur de chasse aux champignongnons. C’est plutôt le code cul-de-sac et sacà-cul. » Je le constate si fort que Marzi l’a entendu : « Faut plus rien te dire, tu comprends tout tout de suite ! qu’il fait en entrant dans la cuisine. — Même pas le temps d’un chti whisky ? j’implore. — Pas le temps, Outchj, répond le boss. 14 LA GRANDE MORILLE — Allez, j’insiste, hein ! j’insiste. — Prépare-z-en deux doubles doses à emporter, triple idiot ! » De un, le jeu de mots est plutôt lourdingue, puis de deux, c’est pas une raison suffisante pour me traiter d’épais. Du coup, je lui balance un balayage ras de sol comme j’ai appris à faire au cours de ju-jitsu. Il l’anticipe grave, sort sa corde à sauter, la fait tourner autour de son corps et bondit par-dessus chaque fois qu’elle passe sous ses pieds. Pour finir, les miens, de pieds, se prennent dans le fil, je m’étale et Marzi, comme le boulet qu’il est parfois, se laisse tomber sur moi. On rit. On rit, mais je suis tout de même navré de ne pas aller à la chasse aux champignongnons. Je fais comme il a dit pour les whiskies : bien tassés dans des gobelets en plastique transparent. On saute dans la Polo vert chou, on s’assied, Marzi enfonce la clé et on attend dix secondes : c’est un moteur diesel. Puis il tourne la clé, enclenche la première et on démarre à fond de balle. On emprunte l’autoroute jusqu’à la Meuse puis on la rend, parce qu’on sait pas trop quoi en faire. On se souhaite malgré tout une excellente santé puis on s’envoie les doubles doses au fin fond du gosier, après quoi on balance les gobelets par la fenêtre et on suit les quais en klaxonnant les nœuds-nœuds mobiles qui obstruent la chaussée. Quand on les dépasse, je mets mon cul contre la vitre, et je pète. Ça fait plein de buée. Ça flaire aussi pas mal. Marzi n’aime pas trop ça, il menace : « Lâche encore une caisse dans ma caisse et je m’arrête ! LA GRANDE MORILLE 15 — Ah oui ? fais-je. C’est pas cool. — C’est pas cool et c’est pas tout ! — Ah oui ? fais-je. C’est pas tout ? — Non, c’est pas tout : je m’arrête et je te mets la tête entre tes grosses fesses adipeuses. — Et puis ? — Et puis j’attends. — Que ? — Que tu pètes derechef... — Pour ? — Pour que tu voies ce que ça fait de vivre en autarcie. » Pas tenté par ces conditions extrêmes, je remets ma chair dans mon froc et m’efforce de maintenir serrés mes sphincters. À gauche, c’est le panorama habituel des bords de Meuse : agglomérats d’usines cracheuses de feu, complexes industriels mastodontiques expulseurs de fumée, énormes magmas d’acier et de ferraille ronflants, balanceurs de résidus noirâtres dans l’air, le tout baignant dans de putrides odeurs de souffre. Je tourne la tête vers Marzi. Il freine, brusque. Il me regarde avec l’air de dire : « Je t’avais prévenu, hein... » Je lui montre d’un doigt penaud la rive gauche étalant sa laborieuse activité, tout en soufflant : « C’est pas moi, Marzi, je l’jure ». Il comprend sa méprise, mais croyezvous qu’il s’excuse ? Nenni : il appuie sur la pédale fongique et nous voilà repartis. C’est toujours comme ça avec lui, même quand il n’a pas raison, il n’a pas tort. On arrive à Seraing-la-rouge par le grand pont, on poursuit dans la grand-rue jusqu’à la grand-place, puis on prend à toute vitesse un grand rond-point. 16 LA GRANDE MORILLE On oublie de sortir à la deuxième alors on repart pour un tour, jusqu’à ce qu’on n’oublie plus de sortir à la deuxième, puis là, je ne me souviens jamais par où il faut aller. Mais je sais qu’à un moment on débouche dans une rue décorée de maisons à moitié détruites, aux trois quarts brûlées. En toile de fond, une espèce de longue bite rouillée couchée sur pilotis qui a dû ressembler un jour lointain à un gazoduc dernier cri. À l’approche du cul-de-sac, la Polo vert chou ralentit et ma bouche d’Outchj ne retient déjà plus sa salive. J’ai beau ne pas connaître le chemin, je sais très bien où on va ! Sûr, j’aurais préféré la chasse aux champignongnons, mais le putain-tour, j’aime ça aussi. On vire à gauche et on prend place dans le cortège interminable des bagnoles roulant au pas. Le premier box apparaît sur la droite. Malheureusement, il est vide : les néons roses éclairent une chaise au large dossier rond en rotin, inoccupée. « Zut, Marzi ! Pina est pas là, je dis. — Qui t’a parlé de Pina ? On vient pour la Popette ! il répond. — Quoi ? On va encore bouffer chez ta mère ? Tu la baises, au moins, maintenant ? — Maman ? — Non ! La Popette ! — Jamais ! Tu me connais depuis assez longtemps, maintenant. J’aime pas quand y a du fric qui crisse entre les peaux. — Tu ne sais pas ce qui est bon... » Je dis ça, je dis rien et je reluque en même temps le spectacle qu’offre, à l’unique étage de la masure où LA GRANDE MORILLE 17 Pina, lorsqu’elle n’est pas occupée, trône six jours sur sept, une femme, totalement nue, assise, le pied en l’air appuyé contre la paroi de sa vitrine. Jamais vue, celle-là. Pourtant, elle a l’air d’attendre une retraite bien méritée. Je lui fais coucou de la main, mais elle me snobe. Prétentieuse. Des bagnoles devant nous sortent des gugusses en peau de pêche, aux cheveux longs permanentés et aux bagouzes pleines de doigts. Ils font tous le geste de remonter des parties génitales qu’ils ont manifestement pendantes, les branquignoles, tout en se dirigeant vers l’entrée de l’une ou l’autre maison croulante. C’est dingo ce qu’on se ressemble tous, quand on ne pense qu’à ça. Moi-même, je commence à être terriblement excité, je ne tiens plus sur mon siège dans la Polo vert chou de Marzi ; heureusement qu’on roule les fenêtres ouvertes parce que je deviens complètement Outchj. Sur la droite, un gars avec une tête de lézard. Un coup d’œil à gauche, un coup d’œil à droite, il enfonce carrément la porte d’Olga, salon sado-maso, et s’engouffre dans le trou qui, désormais, bée par ses soins. Je regarde Marzi avec l’air de dire que même si c’est pas mon truc, je tenterais bien ma chance, mais là, il joue au conducteur, complètement concentré sur la route. Fait semblant de pas voir, l’enfoiré. Plus loin, un petit vieux monsieur en costume de velours, rasé et peigné de frais, qui tape gentiment la discute avec la Janine, une vieille praticienne tout aussi petite et tout aussi vieille que lui. Complètement sourdingues, selon moi : on n’entend qu’eux. 18 LA GRANDE MORILLE « Entre, hein, mon chou ! Tu ne vas pas rester dehors, tout de même ? — Pas aujourd’hui, Janine... Je repasserai te voir ! — T’as quand même bien le temps pour une petite gâterie, non ? » Bon, il rentre. Rien à y redire : j’aurais fait la même chose. Quand je n’ai pas le temps, je le prends. Si moi aussi j’étais payé pour mes heures, je serais riche depuis longtemps. Tiens, Marzi opine du chef ; cette fois, c’est sûr, il lit dans mes pensées. Dans la rue, tout juste assez large pour laisser passer deux bagnoles de front, ça n’avance pas des masses. Il semble bien qu’il y ait embouteillage devant chez Debby, une professionnelle de chez professionnel, celle-là. Le mois passé, j’y ai laissé un loyer rien que dans sa bouche. Et sans l’ombre d’un regret. Marzi joue du klaxon et pour finir, ça se débloque un peu. « T’as vu, on construit encore, ici ! qu’il me lance en me montrant du menton un embryon de baraque sur la rive droite, comme toutes les autres. — Super, je dis, mais en fait je m’en fous comme de ma première capote. Je suppose que je n’ai pas le temps pour une petite gâterie, moi ? — Tu comprends tout tout de suite, faut plus rien t’expliquer », qu’il répond. Commence à m’énerver, là. Et moi qui, comme un con, ai mis mon engin à préchauffer... On arrive au bout de la rue, Marzi ralentit devant une bicoque aux briques amochées, à la vitrine branlante. Dans le bas, à droite, une plaque minéralogique ornée de la mention : « Je me souviens », au-dessus de laquelle on LA GRANDE MORILLE 19 peut lire en gras le vrai prénom de Popette. Le tabouret, vide, ne laisse planer aucun doute sur le type d’action qui se déroule à l’intérieur de ce taudis sérésien. Je ricane. Un peu bêtement, j’avoue, mais je ricane. Ça fait du bien. Marzi jure un grand coup, arrête la Polo vert chou en plein milieu du jeu de quilles, puis sort furieux et manque de se rétamer la gueule sur le bitume défoncé. Nouveaux jurons, puis il prend son élan pour aller frapper six grands coups sur la porte du boxon. Après quoi, il colle son oreille au bois décati, puis la retire soudainement et la frotte un moment. Il revient au pas de course jusqu’à la bagnole, se jette derrière son volant, et, sans même daigner apercevoir mon sourire goguenard, il me jette froidement : « Vingt minutes, montre en main. » C’est toujours ça de pris ! Même si j’aurais préféré aller à la chasse aux champignongnons.