Tu es ce que je fus, Tu seras ce que je suis. - soutien-aux

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Tu es ce que je fus, Tu seras ce que je suis. - soutien-aux
Tu es ce que je fus, tu seras ce que je suis
Cognac – Rencontre régionale des Aidants Familiaux du 21 octobre 2016
Table ronde :
Valorisation du corps
Respect de l’intimité et de la dignité
Quelles difficultés pour les aidants professionnels et familiaux ?
Tu es ce que je fus,
Tu seras ce que je suis.
Par Dominique Le Doujet.
(Axiologie historique et géographique des corps)
Quelle est mon approche de la question du corps ?
Quel est cet objet dont le nom est : « corps » ?
D’abord s’interroger à propos de ce qui paraît évident : ben, le corps, c’est, heu, …, le
corps ! Un peu court jeune homme ! De quoi parle-t-on vraiment quand on dit « le
corps » ?
Qu’est-ce que parler du corps veut dire ?
Parle-t-on de ce qui en l’homme n’est pas l’âme ou le psychisme ? Notre tradition est en
effet « dualiste ». Il existe d’autres traditions.
Recettes pour faire un homme :
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il faut un corps et une âme dans un premier type de discours, plutôt philosophicoreligieux,
il faut un corps et un esprit dans un second type de discours médicopsychologique.
o Nous serions divisés en deux parties de nature bien distinctes, selon cette
famille de représentations, de compréhension et d’explication des individus.
Il existe un troisième type de discours qui ne sépare pas le corps et l’âme ou le
corps et l’esprit en deux entités séparées. C’est le discours dit « moniste » : un
ensemble, certes composite, mais dont les aspects ne sont pas si distincts que cela
au point de les considérer séparément.
Ce n’est pas tout, on peut aussi envisager
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le « corps humain » comme « un objet social »
ou encore comme « un objet économique ».
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Tu es ce que je fus, tu seras ce que je suis
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En tant qu’il est un objet social, il est absolument essentiel pour la reproduction
et la reconduction du système, ou même pour la persistance de la civilisation : les
corps sont à durée de vie limitée ! On connaît bien l’obsolescence programmée :
c’est la même idée ! La société aurait tôt fait de disparaître si la famille
disparaissait. C’est en effet par la cellule familiale que survit la société. C’est à elle
qu’a été confiée la lourde tâche de faire des enfants, de les élever, (bien, si
possible), de soigner les malades et les faibles.
En tant qu’objet économique, « le corps des travailleurs de force » a été très utile
au développement du système économique que nous avions avant l’invention des
moteurs à vapeur, des moteurs à explosion, puis les moteurs électriques. La force
des muscles est aujourd’hui beaucoup moins nécessaire à l’industrie comme à
l’agriculture. Par contre, l’intelligence devient importante pour traiter
l’information devenue un bien économique : à produire et à consommer ; (et
même à consommer rapidement s’il s’agit de l’Actualité : sa date de péremption,
c’est quasiment le jour même de sa ponte !). C’est par conséquent avec l’esprit,
par le biais de la cognition, que l’homme cognitif est encore utile pour son
système économique !
N’aurions nous pas oublié qu’en fait, c’est le système économique qui devait être
au service de l’homme et non l’inverse ? Un détail de l’histoire ?
Travail et famille…
Toujours est-il qu’en fonction des grands besoins du système, il nous faut des familles
qui fassent des enfants, que ces enfants soient dotés d’un corps utilisable
économiquement et d’un esprit assez intelligent pour commander les machines et traiter
l’information.
L’employabilité est une valeur sociale essentielle. Sinon, c’est le RSA ! Pas joyeux et pas
source de bonheur intense dans une société addicte à la consommation. Il faut donc que
les êtres humains soient également solvabilisés pour qu’ils participent à l’activation
financière du système économique. Chacun d’entre nous est ainsi un micro moteur
économique indispensable au système général. Que ces moteurs tombent tous en panne
à cause d’une épidémie de grippe ou qu’ils se mettent en grève, et c’est la catastrophe !
Que la menace de la disparition des corps en bonne santé surgisse, que cela en devienne
une épidémie de grippe espagnole ou de peste, évidemment, personne ne va plus au
boulot. C’est la paralysie générale de ce grand corps malade qu’est la société ! Personne
ne rembourse plus ses emprunts pour la maison pour cause de chômage étendu, et les
banques font faillite ! Non mais ! Je rêve ! Je comprends en tout cas mieux pourquoi la
question de la santé a supplanté la question du salut qui valait cher dans le système
économique antérieur au nôtre. Dans mon livre : « Naissance de la gérontologie
psychologique », je l’ai nommé : économie du Salut (l’âme doit gagner sa place au Paradis
à la sueur du corps souffrant). Et aussi on comprend mieux la préconisation du bonheur :
le bonheur c’est bon pour la santé ! C’est donc bon pour le travail et pour l’économie !
Tout ça mérite qu’on y réfléchisse. Mais ça ne fait pas avancer notre problème d’aidants
familiaux. Cependant, le cadre contextuel socio-économique est donné pour saisir
l’importance de la cellule familiale pour l’entretien des corps et des esprits au service de
l’économie industrielle et marchande. La famille et le travail ! On verra ce qu’il en est
pour la patrie une autre fois ! Attendons la prochaine guerre ! Les aidants familiaux
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doivent être en bon état : sinon le système peut également s’effondrer si la famille
foutrait le camp.
Aspect ethnologique et interférences psychologiques
Pour avancer dans cet exposé, nous devons envisager un autre aspect de ce que le mot
« homme » veut dire. Ce n’est plus le corps en tant qu’organisme, ce n’est plus l’esprit ou
l’âme en tant que composant de l’individu, c’est la dimension ethnologique qui va nous
intéresser, ou la dimension anthropologique si vous préférez. En effet, pour qu’il y ait des
enfants en bonne santé physique et en bon état psychologique, il y a des conditions intra
familiales à respecter.
Certes, il est nécessaire que les capacités de reproduction, de faire des enfants soient
opérationnels. Mais ça ne suffit toujours pas, encore que les parties du corps nécessaires
à cette activité essentielle et capitale soient l’objet de beaucoup de soin : elles sont
protégées par un ensemble très puissant d’interdits. (C’est une valorisation inverse, un
aspect de ce qu’étudie l’axiologie, la science des valeurs). Les zones du corps liées au
sexe et aux évacuations des ordures corporelles sont sous haute tension. L’accès légitime
à ces organes est très réglementé. Les aidant naturels, surtout les plus jeunes et en état
de procréer, ou encore ceux qui procréeront un jour à venir, peuvent être très troublés
par la nécessité d’intervenir, pour la toilette par exemple, dans la zone sexuelle des
parents ou des grands-parents. La vue du sexe des parents peut-être troublante pour les
enfants si l’habitude n’a pas été prise dans les familles très pudiques. S’y confronter peut
s’avérer choquant, pour les uns comme pour les autres.
La vue d’un corps dégradé, malade, estropié peut approfondir le malaise chez une jeune
personne : « Tu es ce que je fus, je suis ce que tu seras » : c’est pas forcément
immédiatement très réjouissant ! Un court circuit dans la formation de l’histoire de
l’individu peut le mettre à mal. Ajoutez à ça l’obligation d’être disponible 24h sur 24 et
365 jours par an ! S’il n’y a pas d’interruption possible, de répit, de pause, de rupture
momentanée, c’est l’enfer. La cohésion familiale peut en prendre un coup ! La santé des
aidants peut être affectée, le stress et le stress dépassé peuvent surgir et aboutir à un
traumatisme psychologique qui se rajoute à l’épuisement de la personne.
Les hautes tensions liées aux usages des corps surgissent pour d’autres raisons encore.
Elles émergent des règles du mariage, des prescriptions et des proscriptions qui
entourent un mariage. Comme vous savez, il n’est pas envisageable de se marier avec
quelqu’un de proche (père, mère, frère, sœur, grands-parents, oncles et tantes). En outre,
pour qu’un mariage soit fécond, pour qu’il y ait des héritiers capables de prendre la suite
dans l’entretien de la société économique, il ne faut pas un trop grand écart d’âges entre
les partenaires si on veut avoir le temps de les élever correctement, afin de remplir les
missions socio-économiques que nous avons décrites il y a quelques instants.
Par conséquent des jeunes qui s’occupent du corps de leurs vieux parents sont placés au
cœur même du système de hautes tensions protectrices, au milieu du four, si j’ose dire.
Ça chauffe du côté des angoisses, des culpabilités, des inversions du sens normal de
l’évolution d’une vie : devenir d’une certaine manière « parent de ses parents », c’est une
expérience bien inquiétante. On y perd immédiatement ses parents puisqu’ils sont
devenus nos enfants : on devient orphelin virtuel ! Ça peut se révéler inquiétant et
bousculer nos dispositifs d’attachements fondamentaux sécures.
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Et pour cause : les divers axes qui orientent la géographie axiologique des corps,
notamment l’axe qui va de l’arrière vers l’avant, doivent être empruntés dans un seul
sens, le bon ! Un exemple : lorsque nous mangeons, le « bol alimentaire » doit suivre un
circuit déterminé, pour être digéré et évacué, afin que « ça aille bien » (sous-entendu :
pour que ça aille bien à la selle !) Mais il peut y avoir accidentellement des reflux, des
remontées gastriques, des vomis, des vers intestinaux qui vont encombrer l’œsophage,
prendre la voie respiratoire et étouffer l’enfant, lui faire des convulsions parfois
mortelles, sauf s’il est protégé par un collier d’ail qui fait office de gendarme. Ce
gendarme en forme de collier placé non loin du carrefour va les obliger à faire demi-tour
et reprendre le circuit normal de l’évacuation dans la bonne direction. Il peut encore y
avoir une occlusion intestinale, qui est l’une des principales frayeurs des personnes
âgées. Bref, il y a un sens obligatoire pour le transit. Tout phénomène de blocage ou
d’inversion du sens du déplacement est anxiogène, menaçant pour la vie. Il en va de
même pour la succession des rôles « normaux » dans la famille et également une suite
« normale » des stades lors du développement psychologique de l’enfant et de l’avance
en âge.
Mais là, un nouveau problème peut se faire jour.
L’avance en âge veut que l’on soit enfant avant de devenir adulte. Vous connaissez
l’expression : « il y en a qui croient être nés avant leurs grands-parents ! » Et ce n’est pas
un compliment à leur faire ! En fait, il ne faut pas aller plus vite que la musique ni griller
les étapes pour prendre sa place dans la ronde.
Mais alors, les enfants à haut potentiel ? (physique, intellectuel, social, technique…)
Ils donnent justement l’impression de brûler les étapes, d’aller plus vite que la musique,
d’en savoir parfois plus que les adultes sur nombre de sujets ! Ce qui se passe souvent,
c’est qu’ils prennent des corrections s’ils manifestent leur précocité : ils dérangent l’ordre
établi pour l’avance en âge. Et c’est insupportable, surtout pour ceux qui sont
socialement placés dans les lieux de l’apprentissage de la discipline et qui sont chargés
de mettre les enfants dans le rang et au pas. Ce sont surtout les enseignants : un enfant
« en avance » les déstabilise parce qu’il bouscule les programmes. C’est pour ça, entre
autres, qu’un enfant dit « surdoué » les inquiète : l’architecture de leur espace
professionnel est sans dessus dessous ! En marchant sur leur tête, l’enfant à haut
potentiel représente une menace : celle de prendre leur place et de les faire glisser à la
trappe avant qu’ils n’aient fait leur temps ! D’où des corrections parfois violentes et
brutales.
Alors, vous comprenez mieux pourquoi certaines personnes peuvent être plus sensibles
que d’autres lorsque leur activité d’aidant les fait en quelque sorte devenir les parents de
leurs parents ! Ils sortent du rang ! Pour peu qu’ils aient été à un moment ou un autre
suspectés d’être à haut potentiel, ça leur fait revenir des souvenirs. Et c’est déstabilisant.
Du coup, on comprend également un peu pourquoi on entend souvent dire qu’un vieux,
ça retombe en enfance. En perdant le grade d’adulte, il perd le statut de parent. C’est
peut-être un peu plus facile de s’en occuper, de devenir son aidant naturel s’il est
diminué, s’il a chuté, si c’est un dé-sastre, selon le mot de Ch. De Gaulle à propos de
Pétain : « La vieillesse, quel désastre ! » (une tombée des astres). Mais cette phrase bien
erronée est aujourd’hui largement contestée. Elle protège de moins en moins bien les
aidant jeunes, qu’ils soient naturels ou non.
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Toute la puissance culpabilisante de prendre le sens interdit s’exprime aujourd’hui plus
que hier. D’autant qu’une pratique ancienne est également en cours de disparition : c’est
la « fabrique du bâton de vieillesse ».
C’était quoi « le bâton de vieillesse » ?
Souvent, surtout dans des familles modestes, le petit dernier ou la petite dernière était
destiné(e) de par son rang dans la fratrie à s’occuper de ses vieux parents. Rappelezvous : traditionnellement l’aîné recevait l’héritage, le deuxième devenait militaire, le
troisième entrait dans les ordres et le dernier était attaché à la maison ! Son éducation
était tout entière vouée à faire en sorte que cet enfant n’ait pas le choix : il ne devait être
ni employable, ni mariable, ni avoir de rôle social : devait rester à la maison des parents.
S’il était un peu « simplet » et un peu estropié, c’était encore mieux ! Manipulé, se
croyant à leur charge, il se dévouait corps et âme pour s’occuper des parents, se croyant
en dette perpétuelle. C’était comme ça. C’était son destin.
Mais depuis qu’il y a assez de maisons de retraite et d’EHPAD, il n’est plus nécessaire
d’élever des enfants pour ça. Ceux qui doivent alors s’occuper de leurs parents ou de
leurs grands-parents ne sont plus protégés par ces habitudes sociales. Mariables et
employables, ils sont dans des situations délicates. Mais parfois, ayant vécu des
humiliations, des maltraitances, des injustices, des violences, leur histoire peut être
propice au développement du règlement des vieilles dettes et de vieux comptes ! Le
risque intrafamilial de maltraitance et de violence n’est pas nul.
Est-ce sans espoir ?
Non ! Par contre il convient d’être attentif au stress quotidien répété, prévisible chaque
matin et pour autant, imposé à l’individu (autant à l’aidé qu’à l’aidant), sans
échappatoire possible : ça peut devenir une « adversité chronique », c’est-à-dire la source
de ce que l’on appelle le traumatisme psychologique de type deux pour la personne
« coincée » dans ce rôle.
D’où, selon mon point de vue, l’intérêt de développer ce que l’on nomme « la culture de
la résilience », c’est-à-dire faire de la prévention du traumatisme psychologique par des
entretiens de débriefing réalisés avec des personnes compétentes et bien formées.
J’insiste : bien formées. Pas de « coaching » improvisé ! En effet l’entretien d’aide à la
résilience ou l’entretien de résilience assistée n’a rien à voir avec l’entretien psychothérapeutique classique. On entre dans un nouvel univers de l’intervention d’aide à la
personne pour lequel les concepts de la psychopathologie classique ne sont plus
opérants : ils peuvent même dans certains cas se révéler néfastes.
Nous entrons historiquement dans une nouvelle Ère en ce qui concerne le travail d’aide à
la résilience. On en est au tout début. Mais nous avons espoir d’avancer maintenant assez
rapidement, pour peu que des volontaires pour ce type de travail rejoignent les
associations qui prodiguent des conseils et des formations bien adaptées. Il appartient
aussi aux associations d’aidants de se renseigner sur l’existence des possibilités de
préparation et de formation à la fois pour des aidants naturels et des référents capables
de les aider à leur tour. C’est également vrai pour les employeurs d’aidants à la personne.
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Tu es ce que je fus, tu seras ce que je suis
M. Dominique Le Doujet, psychologue clinicien, docteur en psychologie, fondateur et
président d’honneur de l’Association Psychologie & Vieillissement, délégué pour l’Ouest de
la France de l’association Resilio, association internationale pour le développement d’une
culture de la résilience.
Coordonnées
Délégué resilio pour la Bretagne : [email protected]
RESILIO - ASSOCIATION INTERNATIONALE POUR LA PROMOTION ET LA DIFFUSION
DE LA RECHERCHE SUR LA RESILIENCE - ASS. INTERNATIA PROMOT…
Adresse :
104, rue du Ménil, 92600,
92600 Asnières-sur-Seine
Web : www.resilio-association.com
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