Le principe de précaution: un principe à hauts risques
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Le principe de précaution: un principe à hauts risques
Note Economique Mars 2005 Le principe de précaution : un principe à hauts risques Le parlement français réuni en congrès a ratifié le 28 février 2005 la charte environnementale. Le principe de précaution est donc maintenant introduit dans la constitution française. Ce principe de précaution est devenu l'une des principales demandes des groupes environnementalistes radicaux depuis le sommet de Rio en 1992. En son nom, de très nombreux gouvernements interviennent sur le marché des produits alimentaires, des produits agricoles, des jouets, des produits chimiques, pour ne citer qu'eux. Le principe de précaution est présenté comme un moyen de rendre nos vies plus sûres, sorte d'assurance tout risque donnée gratuitement par l'Etat. Il est nécessaire de remettre en question cette idée et de montrer que l'application du principe de précaution n'est pas un moyen efficace de réduire le risque. Les risques du principe de précaution Le Vorsorgeprinzip ou principe de précaution, dans sa version finale de 1992, établit que "là où existent des menaces de dommages sérieux et irréversibles, le manque de certitude scientifique ne doit pas constituer une raison pour remettre à plus tard des mesures visant à prévenir la dégradation environnementale". C'est ce qui est aujourd'hui connu comme la triple négation de Rio (Ne pas avoir de certitude concernant un risque n'est pas une raison pour ne pas agir de façon préventive.) C'est plus ou moins sous cette forme que le principe se retrouve dans la constitution française1. De plus, comme la limite entre des dommages sérieux et bénins, irréversibles et réversibles, est indéfinie, le principe de précaution laisse toute liberté à un gouvernement s'en inspirant de la fixer lui-même. En principe, la "précaution" peut donc s'appliquer à tout risque. Le projet de constitution européenne comprend lui aussi une section concernant le principe de précaution. A partir de là, tout risque environnemental présumé justifiera l'intervention des institutions de l'Union Européenne dans les divers pays qui la constituent. Le principe de précaution a pour but de supprimer ou de réduire les risques qui sont considérés comme nouveaux dans nos sociétés. Il signifie que pour réaliser un projet ou créer une entreprise, l'en1 "Lorsque la réalisation d'un dommage, bien qu'incertaine en l'état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l'environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d'attribution, à la mise en œuvre de procédures d'évaluation des risques et à l'adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage. " trepreneur a l'obligation de prouver que celle-ci n'a pas d'effets dommageables sur l'environnement. Autrement dit, le gouvernement peut interdire la création d'une entreprise sans qu'il ait à mettre en évidence les dommages qu'elle peut causer. C'est au candidat-entrepreneur, présumé coupable, de prouver son innocence. Il semble a priori évident que pour éliminer un risque présent dans une entreprise pétrochimique, par exemple, il faille tout simplement interdire l'entreprise en question. La fumée ne s'échappe pas d'une usine qui ne fonctionne pas tout comme les gaz ne s'échappent pas d'une voiture qui ne roule pas. “Renoncer à un projet, c'est courir le risque de perdre les avantages qu'il peut procurer.” Cependant, il ne faut pas oublier qu'interdire une activité ou une entreprise comporte également des risques. Il y a 400.000 ans, les hommes ont appris à domestiquer le feu et il y a fort à parier, comme le relate Roy Lewis dans "Pourquoi j'ai mangé mon père", qu'une bataille a fait rage entre ceux qui voyaient le danger du feu et voulaient le bannir et ceux qui en voyaient les avantages tout en s'intéressant aux possibilités de le maîtriser. L'oncle Vania de la nouvelle s'adresse ainsi à son frère "Jusque-là je peux accepter. Mais ça Edouard, ça! Cette chose là! dit-il en montrant le feu, ça, c'est tout différent, et encore personne ne sait où ça pourra finir. Et ça ne concerne pas que toi, Edouard, mais tout le monde! Ca me concerne, moi! Car tu pourrais brûler toute la forêt avec une chose pareille et qu'est-ce que je deviendrais ?"2. Si Edouard avait suivi les conseil de 2 LEWIS, R., Pourquoi j'ai mangé mon père, Actes Sud, Paris, 2004, p.18-19 son frère, il se serait privé, comme il aurait privé l'humanité toute entière, d'une possibilité de se chauffer, de s'éclairer, de faire fuir l'ennemi, de cuisiner, etc. Renoncer à un projet, c'est courir le risque de perdre les avantages qu'il peut procurer. Un exemple dramatique nous est donné dans le cas du DDT. Celui-ci illustre bien avant la lettre la logique du principe de précaution. Ce pesticide avait pour vertu d'être très efficace dans l'extermination des moustiques et mouches transmettant des maladies. En 1945, l'éradication de la malaria semblait un objectif atteignable grâce à cette découverte de Paul Müller, qui lui valut un prix Nobel de médecine en 1948. Seulement voilà, d'après Rachel Carlson, auteur d'un livre à succès, Silent Spring3, le DDT était toxique pour certains oiseaux. Devant ce risque de perte de biodiversité, le DDT fut interdit aux États-Unis en 1972. Jusqu'en 1970, le DDT avait été utilisé avec succès en Europe, en Australie et en Amérique du Nord. Sous la pression d'organisations écologistes et avec la diabolisation du DTT qui commença dès 1962 avec Rachel Carlson, il devint plus difficile pour les pays en développement de se procurer du DTT. C'est ainsi que dans un rapport officiel de l'OMS, de 1972, on peut lire "certains pays ont arrêtés la production du DTT et certains Etats membres rencontrent des difficultés à obtenir les approvisionnements nécessaires."4 Les maladies efficacement combattues par le DDT comme la malaria se sont ainsi répandues plus facilement. Aujourd'hui, les estimations concernant l'épidémie mondiale de malaria vont de 300 à 500 millions de cas. Ce sont 1 à 2,5 millions d'Africains qui meurent chaque année à cause des épidémies de malaria. L'application du principe de précaution aux organismes génétiquement modifiés devrait aussi susciter des réserves. Leur interdiction peut être extrêmement coûteuse, même si les militants antiOGM refusent de le considérer. Peut-on vraiment parler de précaution s'il faut abandonner des recherches sur un médicament contre la mucoviscidose, sous prétexte qu'elles seraient menées à l'aide 3 CARSON, R., Silent Spring, Houghton Mifflin Company, Boston, 2002 4 Official Records of the Health Organization, N°98, executive Board, 49 session, 18-27 January 1972 2 de manipulations génétiques ? “Le problème du principe de précaution est donc de nous inviter à ne considérer que certains risques tout en négligeant les autres.” Autre exemple d'actualité: le protocole de Kyoto. Celui-ci est aujourd'hui en vigueur au nom de l'application du principe de précaution. Selon les sondages, environ deux tiers des Français considèrent la crainte du changement climatique comme scientifiquement fondée. Malgré cela, il faut savoir que le débat continue de faire rage parmi les scientifiques, en particulier les climatologues, comme en témoigne la pétition lancée par l'institut de l'Oregon et signée par plus de 18.000 scientifiques5. Pour lutter contre le danger potentiel que constitue le réchauffement climatique, de nombreux gouvernements ont signé le protocole de Kyoto dont l'objectif est de réduire les émissions de CO2 considérées comme la cause principale du réchauffement. Compte tenu de l'imperfection des modèles utilisés, Bjorn Lomborg6 estime que tout ce que peut faire le protocole de Kyoto, c'est de faire reculer la hausse des températures de 6 ans. Une hausse de 2°C serait atteinte en 2106 au lieu de 2100. Pour atteindre ce résultat, il aura cependant fallu dépenser des ressources considérables, ce qui signifie une hausse immédiate du coût nécessaire pour se chauffer, la baisse de la production d'autres biens et services, une baisse de productivité, une hausse du chômage. Le problème du principe de précaution est donc de nous inviter à ne considérer que certains risques tout en négligeant les autres. Son application systématique ne peut qu'avoir des conséquences dramatiques. Les coûts économiques de l'application du principe de précaution Avec ou sans principe de précaution, il est impossible d'abolir le risque. Eviter ou prohiber des entreprises risquées, c'est aussi prendre des risques ou en faire courir à d'autres. Cela signifie-t-il que nous sommes impuissants face au risque ? Non, car s'il ne s'élimine pas par un coup de baguette magique, le risque se gère. Puisque le principe de précau5 http://www.oism.org/pproject/index.htm 6 LOMBORG, B., L'Ecologiste sceptique, Le Cherche Midi, Paris, 2004. Le principe de précaution : un principe à hauts risques tion nous est présenté comme un critère de décision pour les politiques publiques, sa mise en oeuvre revient en fait à transférer la gestion du risque dans les mains de l'État. Le problème devient donc: La gestion publique du risque est-elle supérieure à sa gestion privée ? “Les gestionnaires publiques se trouvent dans une situation où la sanction de l'irresponsabilité ou de la négligence est faible.” Un élément de réponse nous est donné par l'expérience menée dans les anciens pays du bloc communiste. C'est dans ces pays, et en particulier en URSS, que l'environnement a certainement été le plus malmené, comme en témoigne le désastre de Tchernobyl. Exemple de gestion publique du risque, ce désastre illustre dans quelle mesure l'administration a été incapable de prémunir la population contre la réalisation de "dommages graves et irréversibles." Est-ce une coïncidence ? La réponse est négative car les gestionnaires publiques se trouvent dans une situation où la sanction de l'irresponsabilité ou de la négligence est faible. Ils ne supportent pas directement les conséquences des choix qu'ils font pour les citoyens dans la mesure où ni leur rémunération ni leur carrière ne dépendent directement des services qu'ils sont supposés leur rendre. Au contraire, des individus agissant pour leur propre compte dans un cadre légal favorisant la responsabilité, sont incités à tenir compte des risques qu'ils font courir aux autres7 comme à euxmêmes. Lorsqu'ils doivent répondre de leurs actes en cas de dommages infligés à autrui, il est clair qu'il est de leur intérêt de s'en préoccuper. Si le propriétaire d'une usine pétrochimique peut être passible de poursuites lorsque ses produits toxiques viennent dégrader sans leur consentement la santé et les biens de ses voisins installés avant lui, il y réfléchira à deux fois avant de décider de l'emplacement de son usine ou des techniques à utiliser. Il existe sur le marché des méthodes beaucoup plus efficaces que les interdictions découlant du principe de précaution. La technique de l'assurance en est un bon exemple. Elle ne consiste pas à interdire ou à éviter le fait qu'un événement malheureux se produise - comme le vol ou l'incendie mais elle permet aux assurés de se prémunir contre eux en éliminant le risque associé à celui-ci. Cela ne signifie pas que l'assuré soit déresponsabilisé. Bien au contraire, ce type de contrat entre assuré et 6 Dans la terminologie de l'analyse économique, on dit que le calcul économique des individus intègre les coûts qu'ils pourraient faire subir à autrui. Ceci implique que la recherche du profit n'entre pas en conflit avec la prévention contre les risques, pourvu que les droits de propriété soient bien définis, reconnus et protégés par le cadre légal. Dans la mesure où la législation collectivise la propriété, l'irresponsabilité et l'imprévoyance prévalent sur la responsabilité. Le principe de précaution : un principe à hauts risques assureur crée des incitations favorables à des comportements prudents de la part de l'assuré. Ceux-ci limitent l'importance ainsi que la possibilité d'apparition des risques. L'assureur a tout intérêt à inciter son client à prendre les précautions nécessaires pour éviter la multiplication des sinistres. Il en va de la pérennité de son activité. Il est fort courant, par exemple, qu'un assureur exige de son client, une porte blindée, une alarme ou la présence d'un extincteur pour accepter de l'assurer. Il en va de même dans le cas d'une assurance contre des risques que le client fait courir à autrui. L'assurance privée promeut ainsi la prévention, l'auto-discipline et la modération dans la prise de risques. D'autre part, la "précaution" érigée en principe de décision publique entrave le processus de découverte dont l'objet est largement la gestion du risque. Si les hommes ne peuvent jamais tout savoir sur tout, ils peuvent néanmoins réduire ou mieux gérer les risques en développant les connaissances qu'ils ont du monde qui les entoure. D'ailleurs, les assureurs ont intérêt à participer à un tel développement en découvrant les informations correctes concernant les risques qu'ils traitent. A contrario, en prohibant certaines activités à cause des risques qu'elles impliqueraient, plus personne n'est incité à entreprendre les recherches permettant d'identifier au mieux ces risques et de les réduire. “Entraver l'investissement, comme l'exige le principe de précaution, condamne les plus démunis à la pauvreté.” Le principe de précaution qui consiste à interdire des activités considérées comme suspectes, élimine des investissements qui auraient pu être faits en son absence. Un niveau d'investissement réduit implique moins d'innovation, moins de croissance économique et moins de revenus et de consommation. C'est pourquoi les pays en développement et de nombreux pays de l'Europe de l'Est rejettent le protocole de Kyoto. Afin de réduire les risques qui les affectent, les personnes pauvres ont besoin de façon urgente de se développer. Sans développement, il est extrêmement difficile de se protéger contre des événements nuisibles car en son absence la plupart des moyens - réducteurs de risques - ne sont pas accessibles. Le principe de précaution entrave le développement économique. Il limite l'investissement, la connaissance des causes des risques auxquels les individus sont exposés ainsi que le développement des institutions sociales. L'exposition au risque est de ce fait plus grande qu'elle ne l'aurait été autrement. Un très bon exemple nous a récemment été fourni par les cyclones Ivan et Jeanne. Le premier, en frappant la Floride, a laissé derrière lui 30 morts et d'importants dégâts matériels. Le second, de force inférieure, a emporté la vie de 3000 3 personnes à Haïti et laissé sans abri près de 300.000 personnes. Les habitants de Floride et les Haïtiens diffèrent en ce qu'ils n'ont pas atteint le même niveau de développement. Bien évidemment, les maisons des premiers sont plus résistantes que celles des seconds. Ceci provient du fait que le système légal et fiscal est incomparablement plus respectueux de la propriété privée et favorable à l'investissement aux États-Unis qu'à Haïti. La meilleure façon qu'ont les haïtiens de diminuer leur exposition aux risques, qu'ils soient dus à des causes naturelles ou à des activités humaines, est de promouvoir des conditions favorables à la croissance économique et intellectuelle. Entraver l'investissement, comme l'exige le principe de précaution, condamne les plus démunis à la pauvreté. Le législateur français a mis la main dans un engrenage dangereux, exposant les citoyens à des risques de "dommages graves et irréversibles". Répéter cette erreur à l'échelle de l'Europe entière en inscrivant le principe de précaution dans Jeanne - (c) earthobservatory.nasa.gov le traité constitutionnel ne ferait qu'accélérer un processus à hauts risques. Il est pour le moins curieux d'appeler " principe de précaution " un concept nous invitant à ignorer les risques de l'interdiction. De plus, son application doit entraver le développement des moyens permettant de se prémunir contre les risques. Ces moyens sont l'assurance, le développement de la connaissance des risques, l'augmentation de l'investissement. Ils se développent avec le respect de la propriété privée et permettent développement économique et prospérité. Sans liberté économique et sans la responsabilité que le cadre légal établit et exige de la part de chaque individu, il n'y a pas de bonne gestion du risque. On ne peut donc que recommander aux partisans du principe de précaution de l'appliquer jusqu'au bout de sa logique, c'est-à-dire de ne pas le faire appliquer tant qu'ils n'ont pas prouvé qu'il est sans danger. A eux de prouver qu'il est inoffensif. Institut Economique Molinari rue Luxembourg, 23 bte 1 1000 Bruxelles Belgique Tél. +32 2 506 40 06 Fax +32 2 506 40 09 e-mail: [email protected] www.institutmolinari.org L’Institut Economique Molinari est un institut de recherche et d’éducation indépendant et sans but lucratif. L'Institut s'est fixé comme mission de proposer des solutions alternatives et innovantes favorables à la croissance économique et à la prospérité de l'ensemble des individus composant la société. Reproduction autorisée à condition de mentionner la source. © Institut Economique Molinari Printed in Belgium Design by LEONard 4 Le principe de précaution : un principe à hauts risques