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Mémoires 1 Informations Le 5 juin 1991, René Sieffert a donné son dernier cours dans la salle Raymond Aron, au Centre Universitaire Dauphine. Si cet événement couronne une exceptionnelle carrière d’enseignant, il inaugure surtout une nouvelle forme de collaboration avec un prestigieux chercheur. Professeur émérite, René Sieffert va continuer à nous aider et nous enrichir tout en poursuivant une œuvre déjà sans égale. Nous voudrions lui exprimer notre gratitude et rappeler, en publiant la liste, toujours ouverte, de ses travaux et publications, l’ampleur de sa contribution aux études japonaises en France. L’œuvre de René Sieffert s’articule autour de deux axes : littérature et théâtre. Littérature : les monogatari de Heian, les récits épiques, la poésie classique (waka et haikai), littérature moderne et contemporaine. Théâtre : Zéami et le nô (théorie et textes), Chikamatsu et le ningyô jôruri. Bibliographie • Bibliographie de l’ethnographie japonaise, Bulletin de la Maison Franco-Japonaise, nouvelle série, II, 1953. • Bibliographie du théâtre japonais, B.M.F.J., III, 1954. 2 Informations Littérature • Le conte du coupeur de bambous, Taketori monogatari, traduction commentée, B.M.F.J., II, 1953, 60 pages. • Contes de pluie et de lune, Ugetsu monogatari, d’Ueda Akinari, Gallimard-UNESCO, 1956, 226 pages. Ouvrage traduit en portugais. • La littérature japonaise, Armand-Colin, 1961. Rééd. mise à Jour, POF, 1973, 240 pages. • Les belles endormies, Nemureru bijo, de Kawabata Yasunari, AlbinMichel, 1967, 150 pages. • Littérature « d’Etranges Pays », Japon, choix de textes classiques, POF, 1973, 120 pages. • Poèmes d’amour du Man.yôshû, POF, 1975, 48 pages. • Le Dit de Hôgen, le Dit de Heiji, Hôgen monogatari, Heiji monogatari, POF, 1976, 230 p. • Le Dit des Heike, Heike monogatari, POF, 1976, 546 pages. • Journaux de voyage de Bashô, Kikô zenshû, POF, 1976, 120 pages. • Chants de palefreniers, Saibara uta, POF, 1976, 48 pages. • Eloge de l’ombre, In.ei raisan, de Tanizaki Jun.ichirô, POF, 1977, 114 pages. • Le dit du Genji, Genji monogatari, première partie, 876 pages en deux tomes, POF, 1977. • Journal de Murasaki-shikibu, Murasaki-shikibu nikki, POF, 1978, 112 pages. • Journal de Sarashina, Sarashina nikki, POF, 1978, 102 pages. • Contes de Yamato, Yamato monogatari, et le Dit de Heichû, Heichû monogatari, POF, 1979, 250 pages. • Le haikai selon Bashô, propos recueillis par ses disciples, Kyoraishô et Sanzôshi, POF, 1983, 256 pages. • La geste des Sanada, Sanada gunki, d’lnoue Yasushi, POF, 1984, 144 pages. Mémoires 3 • Contes des provinces, Saikaku shokoku banashi, Honchô nijû fukô, de Saikaku, POF, 1985, 240 pages. • La tuile de Tenpyô, Tenpyô no iraka, d’Inoue Yasushi, POF, 1985, 144 pages. • Poèmes de Murasaki-shikibu, Murasaki-shikibu-shû, POF, 1986, 104 pages. • Le manteau de pluie du singe, Sarumino, de Bashô, POF, 1986, 206 pages. • Les contes d’Uji, Uji shû.i monogatari, POF, 1986, 364 pages. • Jours d’hiver, Fuyu no hi, de Bashô, POF, 1987, 79 pages. • Le Dit du Genji, Genji monogatari, édition complète, POF, 1988, en deux tomes de 632 et 680 pages. • Izumi-shikibu, Journal et poèmes, Izumi-shikibu nikki, wa-ka-shû, POF, 1989, 202 pages. • Histoires de marchands, Nippon eitai-gura et Seken muna- zan.yô, de Saikaku, POF, 1990, 330 pages. • Enquêtes sous les cerisiers, Honchô ô.in hiji et Yorozu no fumu hôgu, de Saikaku, POF, 1991, 280 pages. • La calebasse, Hisago, de Bashô, POF, 1991, 80 pages. N.B. Ces ouvrages, parus dans la collection des « Œuvres capitales de la littérature japonaise » seront suivis de la traduction intégrale de cinq des grandes anthologies poétiques du Moyen-Age : Man.yôshû, Kokin-Shû, Shin Kokin-shû, Sanka-Shû et Kin-kai-shû. Toutes ces traductions sont achevées et en cours de révision. L’ensemble de la collection comprendra une quarantaine de volumes. • Articles : une centaines d’articles, parus dans diverses revues, dans l’Encyclopædia Universalis, l’Encyclopédie Larousse, l’Encyclopédie Permanente du Japon, etc., soit environ 2 000 pages. 4 Informations Théâtre • La tradition secrète du nô, de Zeami, suivi d’une Journée de nô, Gallimard-UNESCO, 1960, 378 pages. Ouvrage traduit en italien et en danois. • Théâtre du Moyen Age, Nô et kyôgen, cinquante livrets de nô (yôkyoku) et quarante kyôgen, POF, 1979, deux tomes de 616 et 586 pages. • Le mythe des quarante-sept rônin, quatre drames, Kenkô-hôshi monomi-guruma et Goban Taiheiki, de Chikamatsu, et Chûshin-gura, avec, traduit par Michel Wasserman, Fantômes à Yotsuya, Yotsuya Kaidan, POF, 1981, 440 pages. • Théâtre classique, Collection « Arts du Japon », POF, 1983, 170 pages. • Les vingt-quatre tragédies bourgeoises, sewa-mono, de Chikamatsu Monzaemon, environ 1 400 pages en quatre tomes : Tome I, POF, 1991, 310 pages. • Articles : Une cinquantaines d’articles dans des revues spécialisées, encyclopédies, dictionnaires, soit environ 600 pages. Histoire des religions, ethnologie • Les religions du Japon, coll. « Mythes et religions », PUF 1968, 132 pages. • Articles « Japon » dans la collection « Sources Orientales », Le Seuil : Les songes et leur interprétation, Le jugement des morts, La lune, mythes et rites, Les danses sacrées, Le monde du sorcier, soit au total 140 pages. Mémoires 5 Divers • Le Japon à l’ère planétaire, par Umesao Tadao, traduction et présentation, POF, 1983, 160 pages. Direction d’ouvrages collectifs ou de collections • Le Japon et la France, images d’une découverte, POF, 1974, 160 pages. • Encyclopédie Permanente du Japon. Tous les aspects de la civilisation japonaise, dix volumes parus depuis 1976, 276 pages par volume, POF. • Collection « Œuvres capitales de la littérature japonaise », 24 volumes parus, POF. • Collection « Bibliothèque des études japonaises », 28 volumes parus, POF. • Collection « Arts du Japon », 5 volumes parus, POF. • Collection « Littérature d’Etranges Pays », 72 volumes parus, POF. 6 Informations Thèse de doctorat soutenue par Dragomir Costineanu, sous la direction de René Sieffert (1990) : Une morphologie du kabuki. I. La forme dans la perspective étymologique Que signifie exactement le mot « kabuki » ? Quelle est son origine ? Quelle fut son évolution ? Etymologiquement et étymographiquement parlant, le vocable kabuki est l’aboutissement d’un long processus linguistique : il est le résultat du croisement de deux filiations : (1°) l’une, de nature purement « philologique », faisant référence surtout à l’attitude du locuteur face au phénomène en question pour mieux en définir « la forme » (« décadent », « extravagant »), va d’un éloigné étymon katamuku / katabuku, « s’incliner ; être en désordre, etc. », à travers des dérivés kabusu 1, kabuku 1, « décliner, etc. », jusqu’au kabuki conçu comme « un art décadent ou dépravé » et (2°) l’autre, participant en grande mesure de « l’étymologie populaire » qui prend en considération son contenu (« chant et danse »), le fait dériver d’un terme sino-japonais kabu qui a développé un paradigme kabusu 2, kabuku 2, sur le modèle du paradigme [kabusu 1, kabuku 1] préexistant. Ce point est essentiel pour la compréhension des significations que le mot « kabuki » avait initialement (au XVIe siècle et plus tard), à l’encontre de celles qu’il évoque aujourd’hui. II. La forme dans la perspective historique 1. Le kabuki et la tradition de l’itinérance. Comme tous les phénomènes vivants, le kabuki, pour éviter la mort et l’asphyxie, a dû se réclamer de certaines origines (mythiques), recueillir certaines influences (nô, kyôgen), bouger au sens propre comme au figuré (proliférer dans Mémoires 7 toutes les régions du pays, se servir de l’intertextualité, etc.), se développer à partir de bases culturelles préexistantes, tout en les enrichissant. C’était par ailleurs l’époque des grands voyages, aussi bien transocéaniques que transnippons, occasion rêvée pour colporter et adapter théâtralement des histoires « venues d’ailleurs ». Quatre exemples de « coïncidences » culturelles entre des motifs mythologiques ou folkloriques eurasiens et japonais, ayant écho dans le kabuki sont analysés : [A] La légende de Yurikawa / Ulysse ; [B] La légende de Semimaru / Kunâla / Hippolyte ; [C] La légende de Obasute Yama / Le Royaume sans vieillards et [D] La légende d’Urashima Tarô / Le Royaume de la Jeunesse Impérissable et de la Vie sans fin. 2. Morphogénèse du kabuki. L’évolution du kabuki est suivie depuis ses premiers balbutiements (1559-1600) jusqu’à sa complète maturité (v. 1688). Le développement de l’architecture scénique, lui, est étudié jusqu’à une date plus récente (post-1868), étant donné les transformations incessantes qu’elle a subies, avant de se stabiliser dans les formes conservées jusqu’à nos jours. Après comparaison des différentes sources, apparemment contradictoires, relatant divers aspects de l’activité d’Okuni, il résulte que, classées dans un ordre inédit, elles acquièrent une nouvelle cohérence : les 5 classes distinctes de documents se rapportent à l’évidence à plusieurs femmes de théâtre désignées comme « Okuni » . Un traitement similaire est appliqué aux informations contradictoires concernant Nagoya Sanzaemon/Nagoya Sanzaburô. Traduction des principales sources, dont Kunijo Kabuki Ekotoba, en version bilingue intégrale. Formes ultérieures : Uneme kabuki, Onna kabuki (1603-1629), Wakashû kabuki (>1652), Yarô kabuki (1653>). Parmi les innovations les plus 8 Informations remarquables datées de la période 1655-1695, il est à retenir la spécialisation par types de rôles, la conception de la keiseigai, « pièce d’achat d’une courtisane » et du sewamono, « drame bourgeois », ainsi que des styles de jeu aragoto, « dur » [Edø Tôkyô] et wagoto « doux » [Ôsaka-Kyôto]. C’est également l’époque qui a vu l’arrivée du plus grand auteur dramatique japonais de tous les temps : Chikamatsu Monzaemon. III. La forme dans la perspective comparative Une analyse comparative ayant comme termes de référence le nô, le ningyô joruri, le théâtre élisabéthain et la Commedia dell’Arte, vient compléter la vision historique du phénomène kabuki : elle prend en considération des aspects liés aux caractéristiques textuelles et actorielles, à la place de la femme dans ces théâtres, aux aptitudes requises d’un acteur et à la différence d’approche en vue de situer le monde fictionnel de la scène par rapport au monde réel de la salle, ou le rapport intime entre acteur et personnage. Suit une étude des publics, quant à leurs composition et attentes. Le chapitre s’achève sur une comparaison « textuelle » : rôle de l’intrigue, en tant que moteur de l’action, et sa conception liée généralement à une faute ou à la transgression d’un tabou (cf. karma japonais/hybris grec). IV. Synthèse Le chapitre final (re)situe le kabuki parmi les autres phénomènes dramatiques tout en étoffant sa définition initiale. D. Costineanu Mémoires 9 Thèse de doctorat soutenue par Sakae Murakami Giroux, sous la direction de René Sieffert (1988) : Zeami et sa conception du théâtre d‘après ses entretiens sur le sarugaku1. Cette étude prend sa source dans la curiosité née d’une première rencontre avec Zeami, à l’occasion de la lecture de Fûshikaden « De la transmission de la fleur de l’interprétation ». Qui donc était cet artiste qui joua un rôle si important dans le théâtre nô, qu’il est impossible d’en faire l’historique sans mentionner son nom, et dans quelle mesure a-t-il effectivement contribué à faire évoluer cet art, principalement sur le plan théorique ? Les résultats des recherches menées afin de répondre à ces deux questions constituent la première partie de notre thèse et servent de point de départ à une seconde partie entièrement consacrée à l’étude du texte Zeshi rokujû igo sarugaku dangi « Entretiens avec Zeshi sur le sarugaku, après sa soixantième année » dont nous proposons une traduction intégrale. Après un rappel historique de l’évolution du sarugaku, de ses origines jusqu’au moment où il devint une forme théâtrale spécifique, et la présentation des faits historiques et sociaux qui permirent son développement, débute l’étude de la vie de l’acteur de sarugaku Zeami – de son ascension jusqu’à sa disgrâce et son exil – et de ceux qui, dans son entourage, exercèrent une influence sur son art ou qui en héritèrent. Pour présenter l’apport de Zeami-auteur de pièces de nô, nous avons tout d’abord pris soin de distinguer quelles étaient celles qu’il avait probablement écrites, en nous fondant sur le chapitre xvi du 1 Cette thèse, complétée par un index des personnages et des pièces cités dans le sarugaku dangi, vient d’être publiée par les Publications orientalistes de France sous le titre Zeami et ses « Entretiens sur le nô ». 10 Informations Zeshi rokujû igo sarugaku dangi, sur ses traités Go on « Les cinq mélodies » et Nôsakusho « Le livre de la composition de nô », ainsi que sur les études les plus récentes des spécialistes japonais dans ce domaine, étant donné que le nombre de pièces qui lui sont attribuées fait l’objet de variations considérables dans les ouvrages occidentaux traitant du nô. Nous avons ensuite cherché à analyser la structure de ses pièces ainsi que sa méthode d’écriture, par comparaison avec celles de son père Kan.ami, afin de déterminer quelle fut sa contribution véritable. Et cette contribution, nous avons cherché à la préciser à l’intérieur de ses pièces, classées selon différentes catégories, ce qui nous a permis de constater une certaine évolution dans la thématique de Zeami. Un certain nombre de réflexions sur les écrits théoriques de Zeami suivent : - les différentes dénominations de ces « traités », la question de leur datation et l’analyse du caractère secret de ces transmissions sont abordées, ainsi qu’une rapide présentation de leur contenu, nécessaire aux développements suivants. - une analyse de la conception théâtrale de Zeami à travers ces traités, l’accent étant mis en premier lieu sur les idées développées dans Fûshikaden, qui portent encore l’empreinte de Kan.ami et sont à la base de cette conception ; il s’agit ensuite d’observer comment ces idées ont évolué dans les traités postérieurs. C’est le chapitre où notre propos est à la fois de mettre en lumière la façon dont Zeami concevait son théâtre, et de poser les bases indispensables à la suite de notre étude. La présentation du Zeshi rokujû igo sarugaku dangi, sa traduction, les notes concernant celle-ci et, enfin, une analyse de ce document formeront les quatre divisions de la seconde partie. Mémoires 11 Après quelques considérations sur la structure, la composition et les objectifs de ce traité, nous nous sommes intéressé, brièvement en raison de la rareté des informations, à celui qui en organisa les éléments, Motoyoshi, le second fils de Zeami. Nous présentons ensuite les différents manuscrits connus de ce texte, dont il est important de dégager les caractéristiques respectives afin de bien montrer par quels détours ils sont parvenus jusqu’à nos jours, et d’expliquer pourquoi nous avons opté pour le texte établi par Omote Akira. La traduction du Zeshi rokujû igo sarugaku dangi, s’avérait indispensable car notre travail, de par sa nature-même, oblige sans cesse à une réflexion sur les termes utilisés dans le texte. D’autre part, il n’en existait encore aucune traduction intégrale en français. Il était aussi nécessaire de compléter cette traduction par des notes explicatives, principalement pour l’interprétation de certains termes ambigus du texte, afin d’apporter quelques précisions sur certains noms de personnes et pour indiquer également les pièces d’où furent tirés les exemples utilisés par Zeami pour expliquer à son fils les effets de la musique ou ceux du jeu de l’acteur dans une représentation de nô. Pour le commentaire de ce texte, nous avons du recourir à d’autres traités afin d’y rechercher les clés nécessaires à la compréhension ; en effet, les sujets abordés sont nombreux, certains passages obscurs, et il était souvent impossible de saisir les exemples cités par Zeami, notamment ceux ayant trait au chant. Finalement, nous avons examiné ici non seulement les idées et les sentiments de Zeami, mais aussi sa contribution à l’étude des autres arts de représentation. 12 Informations Ce travail a été publié, après révision et ajout d’un index des personnages et des pièces cités dans le Sarugaku dangi, sous le titre Zéami et ses « Entretiens sur le nô » par les Publications Orientalistes de France, 1991. S. Murakami Giroux Thèse de doctorat soutenue par Pascal Griolet, sous la direction de Jean-Jacques Origas (1991) : Les japonais face à leur écriture – politiques et polémiques de 1900 à nos jours – . Le système graphique japonais fait l’objet de controverses depuis plus d’un siècle. La présente thèse examine leur développement et les politiques qui furent successivement mises en place. L’année 1900 voit naître la première commission officielle, dont la mission était explicite : étudier les moyens de « phonétiser » l’écriture. Simultanément, furent arrêtées dans le cadre de l’éducation des mesures de simplification radicales. L’examen des différents points de vue qui furent alors exprimés montre que cette question constituait aussi un enjeu politique et idéologique. L’analyse à l’aide de l’informatique de textes originaux de cette époque permet de mesurer l’ampleur des questions soulevées et la fonction respective des caractères chinois et des deux syllabaires japonais (les kana). L’écrasante majorité du lexique nominal y apparaît constituée de mots composés à partir d’unités d’origine chinoise. Ces termes sino-japonais sont encore souvent majoritaires dans la catégorie des mots qualificatifs et verbaux, même si le lexique purement japonais s’y révèle plus dynamique et soutient mieux la concurrence. Les mots variables indigènes sont eux aussi écrits à Mémoires 13 l’aide de caractères chinois, mais suivis de kana qui en précisent les modifications morphologiques. Les éléments fonctionnels sont – dès cette date – notés en kana. Ainsi, les mots sino-japonais se révèlent fondamentaux pour le contenu proprement dit des textes. En raison de leur inflation homophonique, ces mots ne peuvent fonctionner sans le support des caractères chinois qui permettent de les identifier. Les éléments en kana n’ont qu’une fonction d’appoint. Il apparaît donc qu’une réforme de l’écriture ne peut se faire sans modifier le lexique même, et donc l’équilibre interne de la langue. Pourtant, dans le cadre de la langue écrite courante, les mots purement japonais ne semblent pas être en mesure de remplacer les emprunts chinois. Les simplifications que tenta de promouvoir le ministère de l’Education se heurtèrent aussi à une question qui pouvait sembler a priori secondaire, mais qui déclencha la plus vive polémique à partir de 1904 : celle de « l’orthographe en kana », kana-zukai. Alors que durant l’époque d’Edo, plusieurs usages s’étaient trouvés en concurrence et qu’avait régné dans les faits une joyeuse anarchie, les philologues de la tradition des « études nationales » avaient imposé au tout début de l’ère Meiji un usage dit « historique », fondé sur la langue du VIIIe siècle. L’un des plus grands écrivains du Japon moderne, Mori Ôgai, prit position en 1908 dans cette bataille et parvint à mettre en échec les projets de réforme « phonétique » de l’écriture en kana. On peut encore à cette date déceler la pression du courant des « études nationales », auquel l’écrivain était étroitement lié depuis l’enfance. Certains des arguments qui furent avancés contre la simplification de la notation des mots en kana, reflètent la survivance d’une conception mystique de la langue japonaise. Il faut aussi noter ici la rivalité entre l’Armée et le Ministère de l’éducation 14 Informations pour la formation des citoyens. Cette querelle persistante paralysera la politique linguistique jusqu’au lendemain de la Seconde guerre mondiale. La polémique sur l’orthographe en kana avait éclaté dans une période de grandes tensions sociales. Une campagne pour la romanisation de l’écriture battait aussi son plein : le premier ministre, Saionji Kinmochi, présidait l’association qui prônait la diffusion de ce mode d’écriture. Le ministre des affaires étrangères, Hayashi Tadasu, en était le vice-président. Pour comprendre ce que l’alphabet pouvait représenter au Japon, il est nécessaire d’en retracer l’histoire, de considérer ses liens avec le christianisme – et donc l’interdit qui pèsera longtemps sur lui – d’une part, avec l’étude des sciences et des langues étrangères d’autre part. On peut aussi discerner dans cette critique de l’écriture traditionnelle une forme de contestation de l’ordre social du Japon moderne. Comme l’écriture en kana, les tentatives de romanisation furent mises en échec par une interminable querelle concernant la transcription du japonais, c’est-à-dire son « orthographe » en caractères latins. La rationalisation de l’emploi des caractères chinois, vivement réclamée par les grands organes de presse, fut examinée par les diverses commissions officielles qui se succédèrent jusqu’en 1945. Une première limitation officielle des caractères chinois à 1963 unités vit le jour en 1923, mais fut ajournée en raison du grand tremblement de terre qui se produisit cette année-là. Pourtant, au cœur de la Seconde guerre mondiale, l’armée se trouva contrainte elle-même de procéder à des limitations radicales dans ses documents internes. Au lendemain de la défaite, les forces d’occupation américaines recommandèrent la romanisation de l’écriture et donnèrent un Mémoires 15 nouveau souffle aux mouvements militant dans ce sens. Mais les autorités japonaises préférèrent mener prudemment une réforme drastique du système lui-même : une série de décrets - dont une limitation des caractères chinois à 1 850 unités et une redéfinition de l’usage des kana selon des critères phonétiques - fut publiée entre 1946 et 1959. Ces mesures donnèrent un nouveau visage à l’écriture japonaise, sans introduire de changements fondamentaux. Dès le retour à l’indépendance en 1952, les réformes de l’aprèsguerre furent de plus en plus critiquées. De grands écrivains les dénoncèrent comme une rupture avec le passé et un carcan pour la libre expression. Par ailleurs, les fondements théoriques de la linguistique occidentale selon laquelle l’écriture ne fait pas partie intégrante de la langue, et les conclusions qu’en tiraient les réformateurs, furent remis en cause. Une nouvelle liste de 1945 signes fut promulguée en 1981. Le principe d’une norme officielle était maintenu, mais son caractère coercitif très atténué. Surtout l’hypothèque de la romanisation qui pesait sur la langue, était totalement levée. Ce changement de politique est à mettre en relation avec la prospérité économique et le haut niveau d’éducation que put atteindre la société japonaise, mais surtout avec la révolution informatique qui balaya toutes les considérations techniques qui jusqu’alors poussaient à l’abandon des caractères chinois. Les polémiques se sont aujourd’hui apaisées. Un équilibre semble s’être instauré. Faut-il donc en parler au passé ? Ou ne s’agit-il que d’une accalmie passagère, comme il y en eut d’autres ? Bien des phénomènes montrent que l’équilibre demeure fragile et que des forces travaillent sans cesse la langue de façon souterraine. 16 Informations L’écriture japonaise offre une complexité que n’imaginent guère les utilisateurs d’une écriture à principe phonétique. Il est difficile d’en mesurer précisément les règles, et surtout de saisir les points où la plus grande souplesse est requise et ceux qui, au contraire, doivent être appliqués strictement. En fait, l’interrogation sur la langue et son écriture ne commence pas avec l’ère Meiji, mais s’est posée dès l’introduction des caractères chinois, signes graphiques qui avaient été conçus pour un ensemble linguistique fondamentalement différent du japonais. P. Griolet Thèse de doctorat soutenue par Ninomiya Masayuki, sous la direction de Jean-Jacques Origas (1988) : La pensée de Kobayashi Hideo, 1942-1948. L’originalité de Kobayashi Hideo à la fois comme penseur et comme écrivain s’affirma dans les années 1942-1948. Le but de ce travail consiste à dégager une cohérence inhérente à la pensée de Kobayashi Hideo, qui s’exprima sous diverses formes durant cette période particulièrement mouvementée sur le plan idéologique. La première partie est consacrée à l’étude des activités que mena l’écrivain au sein de l’équipe de la revue Bungakukai, notamment lors de la table ronde « Kindai no chôkoku / Dépasser la modernité » (en juillet 1942). Dans ses prises de position face aux problèmes concernant la rencontre des civilisations apparaissent ses idées personnelles sur l’histoire, le rapport du mental au corps, ou l’importance de la langue maternelle pour la pensée. La deuxième partie porte sur « Mujô to iu koto / Ce qu’on appelle l’impermanence » (1942-1946). L’analyse de l’œuvre met en lumière la 17 Mémoires signification profonde des « rencontres », qui se produisirent grâce à l’acte de se souvenir, entre certaines œuvres classiques et cette conscience critique moderne. La troisième partie traite « Watashi no jinseikan / Ma manière de voir la vie » (1948) et fait ressortir la dimension universelle de la « sagesse » qui s’appuie sur l’expérience vécue du Beau. L’éthique et l’esthétique s’y trouvent foncièrement unies. L’« analogie » se révèle à travers ces trois parties comme fil conducteur de la démarche du penser chez Kobayashi Hideo, qui se refuse délibérément à séparer la forme et le contenu de l’objet de sa réflexion. Ninomiya M. Thèse de doctorat soutenue par Ananda Ruhunuhewa, sous la direction de René Sieffert (Inalco) et Robert Heinemann (Université de Genève) (1989) : Traduction commentée du Shôjijissô-gi, traité sur « voix-signe-réalité », de Kûkai (774-835). - Introduction (présentation du travail, doctrines symbolisme, la vie de Kûkai, les œuvres), 57 p. - Traduction commentée du shôjijissô-gi, 91 p. - Index, glossaire japonais-sanskrit-français, 91 p. - Texte (2 versions : chinois et nobegaki), 41 p. - Notes et références, 42 p. - Bibliographie, 12 p. indiennes, Le shôjijissô-gi (Taishô shinshû daizôkyô, vol. 77, n°2429 ; date incertaine, mais rédaction postérieure au Sokushin jôbutsu gi compte parmi les œuvres majeures de Kôbôdaishi Kûkai, fondateur de 18 Informations l’ésotérisme Shingon (« Vraie Parole ») au Japon. Ce traité, rédigé en kanbun, développe – à partir de certains passages du Dainichikyô sho (T.39, n°1796), « Commentaires du Mahâvairocana-sûtra » par Yixing (683-727) et en recourant à l’analyse de la composition nominale de la grammaire sanskrite – l’une des caractéristiques essentielles de l’ésotérisme (mikkyô) par rapport à l’exotérisme (kengyô), à savoir la « prédication du dharma-kâya » (hosshin seppô) : si l’exotérisme insiste sur le caractère signifiant de la « voix » (shô), du « signe » (ji) et soutient que le reste est « ineffable » (fukasetsu), du point de vue ésotérique tous les sons (« voix », shô) de l’univers sont autant de « signes » (ji), manifestations de la « réalité » (jissô), l’un des noms bouddhiques de l’absolu. Ils constituent donc ce que nous appellerions aujourd’hui des « symboles » (dans le sens où ce terme est généralement employé en science des religions). C’est dans les « signes » (en fait, dans les phénomènes du monde) que l’homme perçoit la prédication du Tathâgata (Nyorai seppô). Pour ce qui est de la présente thèse, plus que la traduction de ce traité elle-même, la première en langue française, ce sont surtout les annotations, les commentaires et l’analyse des termes mis en correspondance avec leurs équivalents sanskrits qui font l’originalité de ce travail et sa valeur. L’intérêt principal de cette étude repose sur les solides connaissances du sanskrit et du pâli que possède son auteur, formé au canon bouddhique au cours de ses années monastiques au Sri Lanka. Le lecteur peut deviner l’intention de l’auteur de ramener systématiquement tous les éléments constitutifs de ce traité aux doctrines du bouddhisme indien. Si ce travail ne résout pas toute la problématique de cette œuvre particulièrement complexe, il constituera certainement, grâce à la traduction richement annotée, un point de départ pour de futures 19 Mémoires recherches dans des domaines tels que l’histoire des religions, la philosophie et la sémiologie. Robert Heinemann Thèse de doctorat soutenue par Christiane Séguy, sous la direction de René Sieffert (1991) : Aspects de l’histoire de la presse japonaise – Le développement de la presse à l’époque Meiji et son rôle dans la modernisation du Japon. Cette thèse constitue une suite chronologique au mémoire de maîtrise consacré aux « débuts de la presse japonaise : des kawaraban aux premiers quotidiens », mais son propos est tout différent, car il tient compte d’un paramètre non abordé précédemment, qui constitue sa question principale : le rôle de la presse dans la modernisation du Japon. Que recouvre exactement le terme de modernisation, comment en déterminer le point de départ, quand la considérer comme achevée ? La difficulté à cerner par une définition exacte le concept de modernisation nous amène à l’aborder dans son sens le plus large, c’est-à-dire en tant que phénomène évolutif applicable aux domaines les plus variés de la société : contexte ouvert mais extrêmement complexe, dans lequel seront présentés non seulement les aspects liés à l’histoire de la presse et à son développement, mais aussi ceux concernant la nature et les fonctions du journal aux moments cruciaux de l’histoire, et, bien entendu, l’analyse du rôle de la presse dans la modernisation, qui comprend tant l’évolution politique, idéologique, sociale et culturelle, que les progrès économiques et industriels. 20 Informations En dégageant les parallélismes dans ce double processus de modernisation, concernant donc à la fois le développement de la presse elle-même et celui de son environnement, nous sommes arrivée à distinguer cinq étapes fondamentales, qui constituent les cinq chapitres de la thèse. Les chapitres s’enchaînent plus ou moins chronologiquement, mais chacun est construit de manière à mettre en lumière un aspect particulier du développement de la presse, auquel est associé un aspect important de la modernisation. Ainsi le premier chapitre, intitulé Le journal, symbole de connaissance, tente de faire la part de toutes les influences, internes ou externes, qui, depuis l’époque d’Edo, ont pu contribuer à la création de la presse moderne au début de Meiji. Dans le chapitre deux, Le journal, symbole de modernité, le journal est associé à l’effort de modernisation des premières années de Meiji, ou bunmeikaika, « ouverture à la civilisation ». Le chapitre trois, Le journal, symbole de liberté, est consacré au rôle de la presse dans le Jiyûminken undô, le « Mouvement pour la liberté et les droits du citoyen ». Le chapitre quatre, Le journal, espoir de démocratie analyse le rôle de la presse dans la modernisation du système politique japonais. Le chapitre cinq Le journal en quête de son identité – De la modernisation à la modernité a pour toile de fond les guerres sino-japonaises (1894-95) et russo-japonaises (1904-05) et leurs répercussions sur l’opinion publique, et étudie parallèlement les fondements de la politique commerciale des grands journaux. En résumé, cette thèse met en évidence, d’abord, combien le concept même de modernisation a connu d’interprétations variables et extensibles entre l’époque d’Edo et la fin de la guerre sinojaponaise, elle s’interroge aussi sur l’enjeu que représente la presse 21 Mémoires pour chacun des acteurs de la modernisation, et analyse enfin l’usage qu’ils firent du journal pour atteindre leurs divers objectifs et réaliser leurs ambitions. Le travail est complété par une annexe biographique, un index des titres de journaux et des noms propres, ainsi que par une bibliographie commentée. C. Séguy Thèse de doctorat soutenue par Pierre F. Souyri, sous la direction de Michel Vie (1990) : La société médiévale japonaise. Cette thèse « sur travaux » présentée en janvier 1990 intervient à la suite d’une thèse de troisième cycle (soutenue en 1984 à l’Inalco) sur « le Moyen-Age japonais, histoire et représentations de l’histoire ». Dans ce premier travail, j’essayais de montrer comment les japonais s’étaient représentés au cours de leur histoire cette période qu’ils appellent aujourd’hui Chûsei (Moyen-Age), comment cette vision avait évolué depuis les contemporains (le moine Jien, Kitabatake Chikafusa) jusqu’aux historiens du début du XXe siècle, en passant par les lettrés d’Edo et les intellectuels de Meiji, comment les thèmes mis en avant, les préoccupations, les interrogations avaient subi les influences des idéologies du temps, comment une histoire « moderne », une pensée critique s’étaient mises en place peu à peu à la fin du XIXe siècle. Temps guerriers, âge féodal, période de toutes les usurpations, époque noire de l’histoire japonaise, moment de libération des couches populaires, revanche d’un Japon oriental « pur » sur le Japon de l’ouest trop influencé par la culture chinoise, les interprétations ont largement varié. Balayer l’histoire médiévale 22 Informations avec des éclairages différents selon les périodes me permettait de repérer les constantes de la pensée politique japonaise, les évolutions et d’assister à la naissance de nouvelles problématiques à l’époque de la modernisation. A la suite de ce travail, je me suis essentiellement consacré à l’étude de la société médiévale proprement dite et à la manière dont les historiens d’aujourd’hui – en fonction des apports des nouvelles sciences sociales et historiques – se la représentent. L’occasion de ce travail m’a été offerte par Francine Hérail, qui m’a proposé de rédiger, pour l’Histoire du Japon qu’elle dirigeait, la partie consacrée au Moyen-Age. Dans le cadre imparti par cet ouvrage (qui constitue l’essentiel de la nouvelle contribution « sur travaux »), j’ai surtout essayé de rendre compte des nouvelles approches des historiens médiévistes japonais depuis les vingt ou trente dernières années, ce que les japonais appellent eux mêmes la shakaishi 社会史 (l’histoire sociale) mais qui souvent prend des allures d’une histoire anthropologique (les mentalités, les rapports des hommes avec la vie matérielle, l’imaginaire). J’ai essayé de rendre compte de ce qui paraît essentiel dans l’évolution de la société médiévale japonaise : - la montée de la classe des guerriers avec ce que cela implique comme modifications dans les structures étatiques et foncières : la mise en place d’un régime guerrier dans l’Est, les conditions de sa coopération avec la Cour impériale de Kyôto, puis sa subversion des institutions héritées de l’époque ancienne ; l’intrusion des guerriers orientaux dans les domaines seigneuriaux (shôen 荘園) et le type de conflits qui s’en est suivi, etc. 23 Mémoires - la mobilité sociale due en partie à l’émancipation (l’autonomie) grandissante des couches populaires. Temps des conjurations (ichimi dôshin 一味同心) et des révoltes (ikki 一揆), celles des « domin 土民», c’est-à-dire des ruraux, petits guerriers et paysans parfois encadrés par des mouvements religieux, temps du « monde à l’envers » (gekokujô 下剋上) qui remet en question la légitimité des autorités étatiques, seigneuriales, lignagères, le Moyen-Age est un moment d’instabilité socio-politique tout autant qu’un moment de forte expansion économique et commerciale : désenclavement des domaines, essor des échanges, accumulation, naissances de foires, de guildes, naissance d’une « bourgeoisie ». - ces modifications dans les structures sociales sont à l’origine de nouvelles formes de sociabilités (sô 惣, ikki, yoriai 寄り合い, chakai 茶会 kusari renga 鎖連歌, etc.) qui favorisent une forte créativité culturelle (littérature orale, arts du spectacle, théâtre, arts des jardins, des fleurs, du thé, etc.) avec pour conséquence, l’émergence d’une nouvelle culture, celle qu’on appellera plus tard la « culture traditionnelle ». Cette nouvelle culture qui naît entre le XIIIe et le XVIe siècle est reconnue par les élites bien que souvent d’origine populaire. Elle est souvent le fruit de l’activité intellectuelle de catégories marginales ou en voie de marginalisation dont il faut reconsidérer la place dans le passé de la civilisation japonaise. Ce travail a été publié : P.F. Souyri, « le Moyen-Age » (p. 127-300), in Histoire du Japon, Francine Hérail, Horvath, 1990. P.F. Souyri 24 Informations Mémoire de DEA présenté par Marleen Raymaekers, sous la direction de Jean-Jacques Origas (1990) : La gravure japonaise contemporaine. Première partie : Funasaka Yoshisuke, un graveur du Japon contemporain. Deuxième partie : Quelques orientations de la gravure japonaise. L’étude de l’œuvre de Funasaka Yoshisuke (1939-) m’a ouvert un champ assez mal connu : celui de la gravure japonaise du vingtième siècle. Cet artiste combine la technique traditionnelle de l’estampe sur bois (moku hanga) avec d’autres techniques de gravures, en particulier la sérigraphie. L’œuvre est abstraite, mais le procédé technique, la composition et la conception de l’espace ont peu en commun avec l’abstraction à l’occidentale. La série la plus importante de l’œuvre de Funasaka s’intitule « My space and My Dimension ». Dans cette série, l’auteur s’est donné pour but de cerner au plus près une interprétation subjective de l’espace. Ce souci de l’espace rejoint une préoccupation traditionnelle de l’esthétique japonaise. La deuxième partie du mémoire est consacrée à six graveurs japonais, tous du vingtième siècle. L’objectif était de donner une idée de divers aspects de l’évolution de la gravure japonaise depuis la création du Mouvement de la Gravure Originale (sôsaku hanga undô) par Yamamoto Kanae. Il s’agit d’Onchi Kôshirô (1891-1955), Azechi Umetarô (1902-), Hamaguchi Yôzô (1909-), Kanô Mitsuo (1933-), Ikeda Masuo (1934-) et Kurosaki Akira (1937-). Onchi Kôshirô fut associé au Mouvement de la Gravure Originale, dont l’idéal fut de libérer la gravure japonaise de sa fonction traditionnelle de reproduction (fukuseiteki hanga) et la faire considérer comme un art à part entière (sôsakuteki hanga). Il fut l’un des artistes les plus réceptifs aux tendances d’avant-garde affluant en Europe. 25 Mémoires Azechi Umetarô fut l’un des élèves d’Onchi et également membre de Sôsaku hanga. Il parvint à une grande maîtrise de l’estampe sur bois pour exprimer avec simplicité la beauté de la montagne et des êtres qui l’habitent. Hamaguchi Yôzô a découvert, lors de son séjour en France une technique tombée dans l’oubli – le mezzo-tinto – à laquelle il ajouta l’utilisation de la couleur par une mise au point habile inspirée par les procédés techniques de l’ukiyo-e. Cette technique lui a permis de créer un monde d’ombre et de lumière avec des objets familiers, mais sublimés, tels que des fruits ou des insectes. Kanô Mitsuo tente de capter la vision d’un mouvement ondulatoire et halluciné à travers des expérimentations avec la technique de la corrosion, propre à la gravure sur métaux, et avec la monochromie ou la couleur. Le procédé de création prime sur le résultat. Le peintre, céramiste, écrivain Ikeda Masuo a également fait de la gravure. Très inspiré par Picasso, il dessine directement sur la planche de gravure. Kurosaki Akira est arrivé à une expression abstraite où prime un mouvement serein et profond, en traversant des étapes très diverses. Sa technique de base est l’estampe sur bois. L’histoire de la gravure du vingtième siècle se résume par l’assimilation de courants et techniques occidentaux et la question de la sauvegarde de la splendeur des techniques de l’ukiyo-e. M. Raymaekers 26 Informations Mémoire de maîtrise présenté par Mlle Adachi Yukiko, sous la direction de M. Jean-Jacques Origas et de M. Ninomiya Masayuki (1990) : Étude contrastive du lexique fondamental en japonais et en français. Cette recherche vise en premier lieu à établir des listes de vocabulaire de base de ces deux langues vivantes à l’usage des enseignants, des chercheurs et des étudiants. Nous avons choisi, en tant que corpus, deux ouvrages lexicaux publiés par Kokuritsu Kokugo Kenkyûjo. Ce sont les suivants : - pour le japonais : Nihongo kyôiku kihon goi 7 shu hikaku taishô hyô (Liste comparative de 7 ouvrages de lexique fondamental pour l’enseignement du japonais comme langue étrangère) - pour le français : Furansugo kihon goi 7 shu hikaku taishô hyô (Liste comparative de 7 ouvrages de lexique fondamental du français) Tout en comparant le choix des lexiques figurant dans ces ouvrages, nous avons relevé environ 3 000 mots de chaque langue. A partir de ces listes une fois établies, nous avons essayé de dégager des caractéristiques lexicales du japonais par contraste avec le français, dans l’optique d’une application pédagogique. Nous avons d’abord traité le problème de la « triple structure de la langue japonaise » (yamato kotoba, kango, gairaigo) et nous avons souligné le taux d’emploi des yamato kotoba plutôt que leur importance numérique. Deuxièmement, nous avons traité les mots de haute fréquence de chaque langue, pour définir les mots élémentaires qui doivent être enseignés en priorité. Bien entendu, la fréquence ne correspond pas obligatoirement à l’indice des « mots élémentaires ». S’il en bien est ainsi, nous nous sommes proposé de savoir comment enseigner les mots de haute fréquence non élémentaires. 27 Mémoires Troisièmement, nous avons abordé la question de la distribution du lexique selon les classes de mots et nous avons établi une liste du « lexique fondamental » japonais classé par catégories grammaticales. Enfin dans la conclusion de notre ouvrage, nous avons procédé à une sorte d’enquête statistique du taux de couverture visant à prouver l’utilité de la liste du « lexique fondamental » telle que nous l’avons conçue. Nous avons retenu un taux de 79,3 % pour les mots autonomes. Adachi. Y. Mémoire de maîtrise présenté par Marie-Hélène Grézaud, sous la direction de Francine Hérail (1990) : L’archipel Gotô et les missions jésuites au xvie siècle. Les documents relatifs à l’histoire des îles Gotô compilés dans Gotô hennenshi, « Annales de l’archipel Gotô », ou les archives des Aokata, Aokata monjo, ne contiennent pas de renseignements sur l’activité des missionnaires chrétiens ni sur ses résultats. Celle-ci est exposée dans les lettres écrites par les jésuites, lettres qui étaient de deux sortes, « lettres annuelles » dont le contenu était destiné à la publication en vue d’édifier les lecteurs, et lettres adressées aux supérieurs de Rome et fournissant des données plus sûres. Ce sont ces dernières – sur Gotô au nombre de huit – qui ont principalement été utilisées (édition d’Evora, 1598). A l’image de la documentation, le mémoire comprend deux grandes parties. La première est une présentation des îles Gotô au XVIe siècle : vie économique, largement fondée sur l’exploitation de la mer, pêche, récolte de sel, commerce et piraterie, tout ceci au 28 Informations demeurant assez médiocre, et vie politique marquée par l’unification de l’archipel sous l’autorité de la maison Uku (Gotô à partir de 1592). Un de ses membres, Sumitaka (1546-1579), fut baptisé. La deuxième partie retrace les étapes de la mission, florissante sous le daimyô chrétien Sumitaka, puis souvent menacée jusqu’aux persécutions finales, qui ont presque entièrement extirpé le christianisme de l’archipel (les chrétiens cachés découverts au XIXe siècle étaient les descendants de réfugiés arrivés plus tardivement). Le contenu des prédications, les motivations de ceux qui demandaient le baptême et de ceux qui le refusaient ou abandonnaient la foi, font l’objet du dernier chapitre. La mission dans l’archipel des Gotô reproduit en petit les traits caractéristiques du christianisme au Japon, dont d’ailleurs elle a connu le même destin. M.H. Grézaud Mémoire de maîtrise présenté par Isabelle Guichard, sous la direction de François Joyaux (1990) : La politique japonaise au Moyen-Orient : de la crise du pétrole à la guerre du Golfe. La première crise pétrolière de 1973 a eu comme effet de contraindre les pays industrialisés à réviser leurs politiques énergétiques et leurs relations avec les pays producteurs de pétrole. Le Japon n’a pas fait exception à la règle et a dû lui aussi rechercher des solutions susceptibles de lui garantir un approvisionnement pétrolier. Ce qui fait l’originalité de la situation japonaise est que le Japon a alors élaboré une stratégie globale non pas seulement économique mais aussi politique et culturelle. De nombreuses sources ont été utilisées pour cette étude. Mémoires 29 Notamment en japonais, les Livres bleus sur la diplomatie japonaise (Wa ga gaikô no kinkyô, Gaimushô, 1976-1989), les livres blancs sur le commerce (Tsûshô hakusho, MITI, 1976-1985) ainsi que de nombreux articles de presse (Asahi Shinbun, Nihon Keizai Shinbun, Asahi Jânaru). On peut ici déplorer que les Asahi shinbun de 1973 et 1974 soient introuvables à Paris, ce qui prive d’une source importante d’information. Les sources en langues occidentales ont été elles aussi diverses : Japan and the Middle East in alliance politics de Ronald Morse (Washington, 1984), Caught in the Middle East de Michael Yoshitsu (Lexington, 1984) ou les rapports annuels Middle East Economic Digest (1979-1987). L’un des aspects les plus intéressants de cette étude est la coopération politique nippo-moyen-orientale mise en place dès 1973. Le Japon semble alors inaugurer une vision internationale et non plus seulement nationale de ses relations extérieures. Le gouvernement japonais augmente sa présence diplomatique et organise deux missions (Nakasone en janvier 1974 et Fukuda en septembre 1978). Le sommet de cette coopération politique demeure toutefois le dialogue nippo-palestinien qui s’engage. Dès février 1975, Miki propose l’ouverture d’un bureau de l’OLP à Tokyo et, en octobre 1981, Arafat se rend au Japon. En dépit d’un opportunisme certain, il est indéniable que la politique japonaise connaît des succès à court terme. Le Japon est rapidement reconnu comme « pays ami » et échappe à l’embargo pétrolier. Il n’en demeure toutefois pas moins confronté au quadruplement des prix du pétrole. Sur le long terme, la réussite japonaise est moins évidente. En raison tout d’abord du contexte régional arabe. Le meilleur exemple en est sans doute le complexe 30 Informations pétrochimique de Bandar Khomeiny mis à mal par la révolution iranienne. Mentionnons également les hésitations japonaises lors de la guerre Iran/Irak puis lors de l’invasion soviétique en Afghanistan. La seconde limite est l’irritation de Washington. Dès 73, Kissinger met en garde le Japon contre l’adoption d’une politique trop pro-arabe. Plusieurs crises illustrent ces tensions nippo-américaines : crise des otages américains à Téhéran, attentisme japonais lors des crises du Golfe successives ou problème des forces américaines stationnées à Okinawa. Ceci explique sans soute la volonté actuelle du Japon de revenir à une politique plus équilibrée entre les pays arabes et Israël (reprise des échanges commerciaux, rencontres de personnalités) Quid aujourd’hui de cette étude ? Plus sûrement qu’un approfondissement du sujet dans le cadre d’un DEA, peut-être la publication d’un opuscule sur le Japon face au conflit israëlo-arabe en privilégiant l’aspect politique des choses ... I. Guichard Mémoire de maîtrise présenté par Pascal Hurth, sous la direction de Francine Hérail (1990) : Une révolte paysanne du début de l’ère Meiji (1876) : la révolte de Kokawa (département de Wakayama) et ses suites politiques. La Restauration de Meiji bouleversa de fond en comble les institutions de l’époque d’Edo. Les réformes entreprises n’allèrent pas sans susciter ici et là des réactions plus ou moins vives. La réforme de l’impôt foncier fut accueillie diversement selon qu’elle représentait un 31 Mémoires allégement ou un alourdissement de la fiscalité. A Kokawa et ses hameaux voisins (région qui ne connut quasiment pas de mouvement violent à l’époque d’Edo), les modalités de calcul du prix du riz pour la fixation de l’impôt transitoire et du nouvel impôt déclenchèrent une série de requêtes rédigées par les notables (chefs de village, adjoints, tous gros propriétaires fonciers), qui furent toutes rejetées par le préfet. Ce mouvement finit par échapper aux notables et déboucha sur des violences exercées sur un fonctionnaire et des policiers, et une tentative de marche sur la ville de Wakayama, siège de la préfecture, après l’arrestation de cinq édiles tenus pour des meneurs. Les émeutiers et les notables furent condamnés à des peines de prison, des amendes et des peines corporelles. La typologie de cette révolte est quasiment identique à celle des émeutes de l’époque d’Edo. Mais, la Restauration amena plusieurs changements : 1) en dépit des dérapages, les notables parvinrent à éviter de trop grandes violences comme ce fut le cas quelques mois plus tard à Ibaraki et à Mie, et ceci explique la clémence du tribunal (alors qu’auparavant la peine capitale était souvent prononcée) pour des faits semblables ; 2) la presse nationale rendit compte de l’émeute ; 3) l’un de ces notables, Kodama Chûji, étudia trois mois à Keiô auprès de Fukuzawa Yukichi ; 4) à l’instar d’autres notables dans leur situation (à Shizuoka, Fukui, etc), les principaux notables qui dirigèrent ce mouvement entreprirent par la suite de belles carrières politiques (conseiller général, député), opportunité impensable autrefois et que le nouveau régime leur avait offert (dans le cadre d’un vote censitaire très restrictif). Ils se manifestèrent aussi dans de nombreuses associations politiques, économiques et culturelles. P. Hurth 32 Informations Mémoire de maîtrise présenté par Emmanuel Lozerand sous la direction de Jean-Jacques Origas (1990) : « Shibue Chûsai » de Mori Ôgai – L’invention de la « chronique historique » Le présent travail s’attache essentiellement à l’analyse des problèmes génériques soulevés par une œuvre, Shibue Chûsai, qui inaugura en 1916 une suite de « chroniques historiques [shiden] » dans lesquelles Ôgai retrace la vie de médecins et érudits de la fin de l’époque d’Edo. Dans l’introduction « Une sérénité inquiète » (p. 8-42), la première séquence de l’œuvre fait l’objet d’une explication de texte détaillée qui permet de mettre en évidence le caractère singulier du héros éponyme, mais aussi le rapport original qu’entretient la chronique historique avec le passé. Une première partie « Morceaux choisis » (p. 43-142) propose la traduction annotée d’une vingtaine des cent dix-neuf séquences de Shibue Chûsai. Une deuxième partie « Shibue Chûsai fut-il un individu ? » (p. 143-223) essaie d’analyser l’œuvre du point de vue d’une écriture de l’individualité. Shibue Chûsai est situé parmi les diverses traditions de la biographie (chap. i). Dans quelle mesure l’œuvre présente -t-elle « la vie d’un homme » (chap. ii) ? Ceci conduit à considérer la chronique historique comme alternative au roman de la vie privée [shishôsetsu] (chap. iii), puis à s’interroger sur sa dimension autobiographique oblique (chap. iv), avant de conclure par l’étude d’un motif singulier : le désir de vie nouvelle, chez Ôgai et chez Chûsai (chap.v). Une troisième partie « Le bruit du temps » (p. 234-316) engage plusieurs enquêtes destinées à serrer au plus près les caractéristiques 33 Mémoires esthétiques de la chronique historique. L’analyse du réalisme érudit (chap. i) propre à Shibue Chûsai montre comment l’œuvre brise les modes de représentation habituels du roman historique pour se rapprocher - hypothèse hasardeuse ? - de la théâtralité des nô oniriques. Ces ruptures de rythme attirent l’attention sur le rôle de la digression. Les liens qui unissent « chronique historique » et « essai au fil du pinceau [zuihitsu] » (chap. ii) sont ainsi mis en lumière. L’étude des architectures temporelles permet alors de réfuter les théories qui voient dans Shibue Chûsai le « devenir même ». Elle montre a contrario comment Ôgai construit le passé et lui donne sens (chap. iii). Enfin, pour donner une idée de la richesse insoupçonnée de cette œuvre-cathédrale, on propose la description d’une de ses constellations thématiques, celle des Noms et des Etres (chap. iv). La conclusion « Inutile érudition » (p. 321-338) se fait l’écho de la réception contrastée de l’œuvre au long du siècle et pointe certains aspects souterrains du goût pour l’érudition. La bibliographie comporte la liste quasi exhaustive des soixantedix articles et ouvrages consacrés aux chroniques historiques d’Ôgai depuis leur parution. E. Lozerand Mémoire de maîtrise présenté par Thierry Mormanne, sous la direction de Michel Vié et Pierre-François Souyri (1990) : L’archipel des Brumes - précis d’histoire kourilienne. Ce travail de maîtrise est le premier aboutissement d’une curiosité déjà lointaine. Dans les années soixante-dix, l’amitié d’une 34 Informations jeune soviétique étudiant le japonais à l’Institut m’avait sensibilisé au mystère des relations russo-japonaises. J’étais intrigué par le contraste de deux cultures (ou natures) que je ressentais globalement opposées, l’une chaleureuse, matérielle et expansive, l’autre froide, sensuelle, et raffinée. Quels effets avaient eu, au fil de l’histoire, le rapprochement de ces caractères apparemment antagonistes, et comment pourraientils se fondre à l’avenir ? Un premier séjour à Hokkaidô en 1982 me permettait de visualiser l’interdit frontalier et d’entrevoir une tragédie plus grande : celle du peuple ainu décimé. L’éloignement des milieux universitaires et une activité professionnelle composite n’empêcha pas l’envie de savoir se développer. Je m’enquis de livres, cartes et gravures se rapportant au Nord du Japon. En 1986, un emploi temporaire au service d’information de l’Ambassade du Japon facilitait l’accès aux publications officielles japonaises relatives au problème territorial. Les Kouriles, autrefois terres des Ainu, étaient le chemin obligé des premiers contacts russo-japonais. Elles étaient aujourd’hui disputées. Pourquoi les Ainu en avaient-ils disparu, et à qui devaientelles légitimement revenir ? Je voulais connaître les faits historiques, et me forger une opinion. Des livres précieux furent obtenus à Sapporo et à Londres. Je consultai aux Archives Nationales les manuscrits français. Le responsable soviétique des fouilles archéologiques kouriliennes, rencontré à Washington, accepta un échange fructueux de documentation. Le présent mémoire a résulté de la consultation de ces diverses sources, dont il est le résumé. Il relate, dans l’ordre chronologique, le passé kourilien, de l’antiquité à nos jours. 35 Mémoires La première partie du titre est empruntée au capitaine Simonet de Maisonneuve, qui désigna ainsi les Kouriles en 1855, la seconde au « dictionnaire historique du Japon » publié en 1975 par la Maison franco-japonaise. T. Mormanne Mémoire de maîtrise présenté par Christophe-Alban Sabouret, sous la direction de Messieurs Fujimori Bunkichi et Richard Dubreuil (1990) : Mémoire et oubli – L’enseignement de l’histoire et la révision des manuels scolaires d’histoire dans le Japon de 1868 à 1945. Au Japon, un malaise persistant fait état de craintes et mises en garde contre une altération des acquis démocratiques de l’Education rénovée après 1945. C’est la récurrence de ces appels persistants à la vigilance – pour la plupart le fait d’enseignants et de parents d’élèves – et des procès engagés contre l’Etat au sujet de la censure sur les manuels d’histoire qui m’a amené à envisager une étude sur les formes qu’auraient prises la fabrication et la diffusion d’une « histoire sous haute surveillance ». J’ai concentré mon investigation, de la Restauration de Meiji jusqu’à l’été 1945. Il m’a paru en effet souhaitable de faire remonter la « guerre des manuels scolaires » au Japon, précisément au moment où la diffusion de l’enseignement fait de l’emploi de livres uniformes à l’école élémentaire un phénomène courant. L’école moderne, qui est mise en place dans les années 1870, semble indissociable de l’effort entrepris par les hommes de l’ère Meiji (1868-1912) pour « sortir de l’Asie et rattraper l’Occident » (datsua nyûô) et constituer « une armée forte et un pays 36 Informations prospère » (fukoku kyôhei). Le système éducatif qui voit progressivement le jour après 1868 n’a pas été crée ex nihilo car il prolonge en la systématisant l’œuvre accomplie par les écoles de fiefs (hankô) et de temples (terakoya) de « l’Ancien Régime ». La nouveauté réside principalement dans l’ampleur nationale du nouveau « marché scolaire » et les buts que les pédagogues officiels assignent à l’enseignement. La main-mise étatique sur l’enseignement en général et l’histoire en particulier jusqu’à l’effondrement de 1945 était-elle inéluctable ? L’écriture de l’histoire par et pour les autorités apparaît-elle, avec le recul du temps, comme le fruit du hasard ou de la nécessité ? L’absence de programme éducatif explicite et les scandales où les maisons d’édition tinrent la vedette confortent certes la thèse accidentelle de la nationalisation (kokuteika) des manuels scolaires. L’alibi d’un scandale (1902) a néanmoins le mérite de souligner les aspects conjoncturels des indécisions gouvernementales. Il semble en tout cas indéniable qu’à partir du moment et dans les formes où l’entourage impérial l’exigeait dans le Rescrit impérial sur l’Education (1890), l’unanimisme idéologique était inévitable, et que, étant donné la situation de l’opposition réduite au silence, et quelle que fût l’époque du prétexte, l’orthodoxie impériale devait affecter l’écriture des manuels scolaires. Ce à quoi les écoliers japonais ont été sommés de souscrire tient en définitive à la fable suivante : fort d’une insularité passée immémoriale et d’une dynastie impériale qui remonterait à la nuit des temps, les Japonais et le Japon d’alors ont (selon les institutions) à cœur de perpétuer et d’exporter, si besoin est, les vertus d’un esprit japonais réputé unique. Cette légende leur sera tout d’abord 37 Mémoires présentée sans grande insistance puis sans ménagement. Schématiquement, on peut écrire que de 1868 à la fin du siècle les autorités forgent et améliorent l’instrument éducatif qu’elles ne vont cesser de 1903 à 1945 de réduire à un service du trône et de l’armée en exaltant la voie du bon et loyal sujet (shinmin). La réécriture des manuels d’histoire, qui va s’amplifiant, de 1872 à 1945 et surtout de 1903 à 1945 présente une cohérence générale car le projet demeure la sacralisation du système impérial en même temps que l’éradication de toute forme d’histoire autre qu’officielle. On note cependant dans l’exposé de cette histoire totale qui prétend tout commenter – de la fondation de l’archipel au miracle de l’ère Meiji – des révisions sensibles. Jusqu’en 1903, l’événement est roi et l’histoire tourne à la galerie de portraits. Ainsi, les actions des héros positifs et des félons négligent une histoire en réalité également habitée et travaillée par une masse anonyme. De 1903 à 1920, l’hagiographie impériale occulte les apports technologiques et institutionnels extérieurs et les références à un passé national où la cour de Kyôto est absente. La religion de l’événement (une série de tableaux pittoresques pris sur le vif sans référence au contexte socioéconomique) tend d’ailleurs à être tempérée de 1920 à 1945 par l’introduction massive de la mythologie et d’une histoire linéaire qui privilégie la longue durée. Néanmoins, cette réécriture vise moins à établir des lignes de rupture et des continuités que de détacher l’intérêt historique des préoccupations du présent pour les ramener aux siècles précédents et de retrouver ainsi des appuis pour soutenir la conscience nationale. Autant il apparaît facile a posteriori de dévoiler l’imposture d’une histoire réécrite à des fins préjudiciables pour la vérité historique, 38 Informations autant l’exacte mesure de l’impact sur son public de son enseignement se révèle problématique et douloureuse. Problématique, car une fois révolues les sombres années de l’avantguerre, rares parmi ceux qui vivent encore admettent ouvertement avoir adhéré aux thèses d’un régime désormais proscrit. Douloureuse, car il convient de ne pas oublier que l’inculcation d’une telle histoire s’accompagnait aussi de contraintes morales et de vexations physiques et que là où la présence militaire japonaise le permettait, on apprenait aux enfants asiatiques à renier leur langue maternelle et leur propre histoire. Les manuels scolaires d’histoire au Japon, avant et après 1945, révèlent un champ d’investigation stimulant pour qui veut comprendre l’art et la manière d’accommoder le passé en fonction d’un présent qui généralement se dérobe. Le sentiment d’admiration que procure à présent le spectacle des réussites japonaises ne doit cependant pas masquer les coulisses d’une histoire officielle qui depuis 1945 ne s’est manifestement pas délivrée de tous ses vieux démons. C. A. Sabouret Mémoire de maîtrise présenté par Jean-Francois Soum, sous la direction de Francine Hérail (1990) : Daigaku wakumon (1687) « Dialogue sur la Science Suprême », de Kumazawa Banzan, étude et traduction. La carrière de Kumazawa Banzan (1619-1691) présente à peu près toutes les situations qu’ont pu connaître les guerriers de rang médiocre : un temps rônin, un temps conseiller apprécié du daimyô 39 Mémoires éclairé Ikeda Mitsumasa, du fief d’Okayama, puis penseur indépendant, penchant mais sans excès vers les doctrines d’Ô Yômei, (Wang Yangming), parfois même proscrit et, pour finir, consigné au château de Koga. Après avoir eu une expérience directe de l’administration dans le fief des daimyô Ikeda, Banzan se consacra à l’enseignement et, à partir de 1670, produisit environ 35 ouvrages, grands ou petits, dans lesquels, à côté de commentaires des classiques, les sujets de politique, de morale, de religion et d’éducation tiennent une place importante. Le Daigaku wakumon, de 1687, pour lequel le bakufu le condamna à l’internement à Koga, est sans doute le dernier. Daigaku, « Grande Etude » ou « Science suprême » est la science ou l’art du gouvernement. Selon certains manuscrits, l’ouvrage aurait eu d’autres titres, dans lesquels entre le mot keizai, économie. Une bonne part du texte est consacrée aux moyens d’enrichir le pays et d’amortir les dettes. C’est pourquoi Banzan est quelquefois considéré comme un précurseur des économistes. Les 22 chapitres se répartissent de la manière suivante : 1 à 3 ainsi que 18, morale politique, 4 à 14, 21 et 22, mesures économiques (dans une période de bonnes récoltes qui font baisser les prix, au moins ceux payés aux producteurs), 15 à 17, religions, 19 et 20, éducation. Un lien existe entre ces divers chapitres, mais il n’est pas toujours évident et les transitions sont quelquefois abruptes. Le texte traduit est celui du volume 30 de la collection Nihon shisô taikei, Kumazawa Banzan. J. F. Soum