1. Art. Valéry Loba, Univ Cocody ES
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1. Art. Valéry Loba, Univ Cocody ES
RGLL, N°08 déc. 2010 La ville de San Pédro en Côte d’Ivoire itinéraire de développement d’un pôle régional côtier LOBA Akou Don Franck Valéry assistant institut de géographie tropicale université de cocody (abidjan) [email protected] Résumé Second port de la Côte d’Ivoire, San Pedro est le chef-lieu de la région administrative du Bas Sassandra. Elle est reliée à Abidjan (334 km) la capitale économique par la route internationale «la côtière». La ville de San Pedro est née de la volonté du gouvernement qui au cours des années 1960 a décidé de désenclaver le Sud-Ouest ivoirien. Sa population est estimée à 150000 habitants (RGPH1, 1998). En dépit de ses potentialités socioéconomiques, la ville est marquée par une véritable crise urbaine dont les manifestations les plus évidentes se traduisent par une insuffisance d’aménagement de l’espace urbain et une dégradation du cadre de vie. L’objectif poursuivi par cette recherche est d’étudier la dynamique urbaine de la ville et montrer les problèmes inhérents à son développement et les stratégies d’adaptation proposées par les acteurs institutionnels. L’étude révèle que le processus de développement de la ville est compromis par un décalage entre la mise en place des infrastructures urbaines jugé trop lente et le rythme de croissance démographique enregistré. On retient que la dynamique urbaine a conduit à la constitution d’un espace urbain segmenté entre le front de mer et l’hinterland. Mots clés: San-Pedro, port, ARSO2, équipement, développement 1. Introduction San-Pedro est la seconde ville portuaire de Côte d’Ivoire. Elle se localise dans le Sud- ouest à 368 km d’Abidjan, la capitale économique et à 482 km au sud de Yamoussoukro, la capitale politique. C’est le 16 janvier 1991 que San-Pedro fut érigée en chef-lieu de la région administrative du Bas-Sassandra. Quoique San-Pedro soit une ville construite de toute pièce à raison de la création du port en 1968, elle a tout de même une histoire précoloniale. Entre 1476 et 1478, le navigateur Portugais, Soeriro Da Costa découvrit une localité à l’embouchure d’un fleuve sur la côte dite «des mal gens3». A la localité et au fleuve qu’il venait de découvrir, il donna en lieu et place de l’appellation autochtone «Hé4», le nom de San-Pedro à la mémoire de l’un de ces compagnons disparus lors de l’expédition. 1 Recensement Général de la Population et de l’habitation. Ce recensement est conduit par l’Institut National de la Statistique de la Côte d’Ivoire (INS) 2 Autorité pour l’aménagement de la Région du Sud Ouest 3 Schawrtz (1989), explique que cette appellation est du au caractère hostile des populations autochtones face à la pénétration européenne, sur ce qu’on appelle aujourd’hui le littoral du Bas Sassandra. Plusieurs incidents ont éclaté à cet effet. 4 Dénomination découlant de la langue locale le « Kroumen ». Figure 1: Localisation de la ville de San Pedro, région administrative du Bas-Sassandra Ainsi s’établirent les premiers contacts entre la région du Sud- ouest et les navigateurs européens. 2 Outre les portugais qui découvrirent la région, et les français qui la colonisèrent, San- Pedro a aussi subi une forte influence britannique. La richesse de cette région est à l’origine de toutes les convoitises dont elle a été l’objet jusqu’au début du XIXème siècle. Finalement en octobre 1893, la France s’impose à ses rivales et crée le poste de San-Pedro. L’autorité française prend forme à partir de la création d’un poste de douane qui régissait toute l’activité commerciale avec l’Europe. En 1960, la République de Côte d’Ivoire est proclamée. Le jeune Etat s’atèle à son développement. La priorité est de travailler à l’amenuisement des disparités régionales. C’est dans ce cadre que l’Etat se penche sur la situation de la région du Sud-ouest. Au plan démographique, elle est quasi vide avec 2,5 % de la population pour une densité atteignant à peine 3 habitants au km2, contre une moyenne nationale de 50 habitants/km2. A cela s’ajoute l’extrême pauvreté des populations Kroumen dont l’activité économique est de loin beaucoup plus halieutique qu’agricole. A la fin des années 1960, le revenu moyen annuel par habitant était estimé à moins de 15 000 F CFA5. Ainsi, si les régions de savanes posent des problèmes à l’économie nationale; le Sud-ouest est un cas encore plus complexe et nécessite un plan d’urgence. Ainsi en 1964, l’Etat lance l’opération «San Pedro» sous la tutelle d’une société à vocation régionale de type particulier rattachée à la présidence de la république dénommé ARSO, qui est mise sur pied en 1959. Elle envisageait faire de San Pedro le pôle de développement de toute la région Sud-ouest. En plan de mire, la construction d’un port en eau profonde outil du décollage économique de la région. A ce sujet, le Président Houphouët-Boigny disait en 1972 lors de l’inauguration du port: «San Pedro, c’est pour nous l’espoir……en définitive un pôle de développement qui contribuera à l’équilibre de notre économie». Ainsi pour l’Etat, la ville et le port qui venaient de voir le jour (par le biais de l’ARSO) auraient en plus de son rayonnement régional, un impact sur la structuration de l’économie nationale. En effet, la ville et sa région disposent d’atouts et d’avantages certains; principale tête de pont de la pénétration française dans le Sud-ouest, située sur un front de mer relativement accessible, San-Pedro est le second port du pays, en plus son arrière pays est la zone de prédilection d’une intense activité agroindustrielle et commerciale. De surcroit, elle bénéficie d’un milieu naturel favorable (sol, climat, végétation) propice au développement des cultures de rente et enfin d’un réseau de communication ancien et relativement dense. Malgré ces avantages et atouts, on a affaire à une ville qui végète et connaît un faible niveau de développement. Il s’y est même instauré une véritable crise urbaine dont les manifestations les plus évidentes se traduisent par une insuffisance d’aménagement de l’espace urbain et une dégradation du cadre de vie. Ces quelques paradoxes ont suscité la production de cet article et constituent son intérêt. D’où les questions suivantes: pourquoi alors qu’elle dispose d’atouts et avantages certains, le développement de San Pedro est en crise? Comment les pouvoirs en charge de la gestion de la ville tentent d’y remédier? 5 Ministere du plan, 1970 Note sur la situation démographique du sud ouest, Abidjan, 9 p. 3 L’objectif principal de cette recherche est de parvenir à mieux comprendre les facteurs qui expliquent le faible niveau de développement de la ville portuaire de San-Pedro. Pour ce faire nous proposons de structurer notre réflexion autour de quelques objectifs spécifiques: - décrire la dynamique spatiale et démographique qui sous-tend la croissance de San Pedro; - montrer les problèmes nés de la croissance de San Pedro et les stratégies d’adaptations. De ces interrogations, découle l’hypothèse que le processus de croissance de la ville est compromis par un décalage entre la mise en place des infrastructures urbaines jugées trop lente et l’explosion démographique enregistrée dans le même temps. 2. Méthode Sous l’impulsion de l’A.R.S.O (Autorité pour la Région du Sud Ouest), la ville de San Pedro a connu une forte croissance et un fulgurant développement économique. Les flux migratoires qui se sont succédé entre 1969 et 1980 sont à l’origine d’une pression foncière qui met en mal la structuration de l’espace urbain. Cela s’et traduit dans les faits par l’érection d’une ville «bis» échappant à la logique des planificateurs. Le diagramme sagittal (figure 2) schématise notre hypothèse de recherche et met en relation les variables suivantes: - les variables relatives à la dynamique spatiale urbaine permettent d’observer le processus d’extension du site urbanisé par le croît de sa superficie; - les variables démographiques analysent la structure de la population et le rythme de croissance démographique; - le niveau d’équipement se pense sur le nombre, la qualité et la répartition des équipements et l’accès des populations aux différents services; - les ressources économiques ciblent les activités économiques, à leur qualité et à leur répercussion sur la structuration spatiale de la ville. Figure 2: Représentation sagittal du mécanisme de croissance de la ville 4 3. Résultats: San-Pedro, fruit d’une géographie volontaire 3.1. A l’ origine, «l’opération San Pedro» De 1969 à 1980, San Pedro et sa région ont bénéficié de moyens spéciaux appropriés à un aménagement optimal de leur espace devant conduire à un développement régional intégré. Ce vaste programme piloté par la présidence de la république fut confié par le biais du décret n°69-546 du 22 décembre 1969 à la société d’état dénommée ARSO (Autorité pour l’aménagement de la Région du Sud Ouest). L’ARSO fut définie comme une société de développement à compétence régionale. Sa priorité était de concevoir le schéma directeur d’aménagement de la région et de veiller à son exécution. Le point focal de cette intervention de l’ARSO fut la construction de la ville de San Pedro et de son port. Cette opération est définie comme une vaste entreprise de géographie volontaire. Elle visait à faire de San Pedro la capitale d’une région couvrant 37 000 km² et s’étalant sur 250 km de côte. C’est une opération de développement intégré débuté en 1964 qui visait à: -désenclaver la région du Sud Ouest; -mettre en valeur la région; -la création d’un port et d’une ville nouvelle: San Pedro. L’opération a nécessité (figure 3) les financements de l’Etat, et de bailleurs de fonds européens (France, Allemagne et Italie). Le coût total s’éleva à 19 253 300 000 F CFA (au 01/ 01/1972). 40 37,59 35 apport financier (%) 30 25 25,74 20 23,61 15 13,06 10 5 0 Etat Ivoirien France Allemagne Italie Bailleur de fonds Figure 3: Les sources de financement du projet ARSO Le tableau 1 indique la répartition des fonds mobilisés pour le projet. Il montre que presque la moitié du budget était alloué à la création d’un réseau de communication. Vu la présence du port, ce réseau de communication s’avère d’une importance capitale. Les routes ouvertes désenclaveraient la région et faciliteront l’exportation par voie maritime des produits de l’hinterland en l’occurrence le cacao. 5 Tableau 1: Répartition du budget d’exécution de l’ARSO Activités Réseau routier et axe de communication Port Construction de la ville Divers équipements total Part au budget (%) 44,22 35,57 13,85 4,35 100 Source: ARSO, 1973 3.2. Une ville «en marche» Un site particulier La ville s’est développée à l’intérieur du triangle formé par le fleuve San- Pedro, la lagune Digboué, la mer et les collines boisées alternant avec les dépressions marécageuses. Dans la partie Sud de la ville, entre la pointe Est de la lagune Digboué, l’embouchure du fleuve San Pédro et l’axe menant à Abidjan, le relief est relativement plat. Quoique marécageux donc impropre à l’urbanisation, ce secteur abrite la majeure partie des espaces aménagés et habités. Un peu plus au nord, à la périphérie de la lagune Digboué, se dresse une succession de collines d’altitude moyenne avoisinant 20 m, où s’est développé le «célèbre» Bardo6. Au delà de la rive gauche du San Pedro, culmine un plateau très morcelé faiblement urbanisé; au sud de la lagune Digboué, l’aspect fortement accidenté du relief n’a pas favorisé une urbanisation accrue de l’espace. Les caractéristiques de ce site décrites plus haut n’ont pas rendu facile la tâche aux urbanistes et l’implantation des populations d’où le remblaiement de zones basses marécageuses. Les premiers travaux ont démarré en 1968. Ils ont permis de faire sortir de terre, dans la partie Sud de la ville, le noyau initial de la ville, constitué essentiellement de la zone portuaire et de la zone résidentielle. L’organisation de l’espace urbain Le plan d’urbanisme prévoyait une ville aux quartiers reliés entre eux par des voies de communication. La ville se répartissait en trois zones: le port, la zone industrielle et l’espace résidentiel (figure 4). De loin la plus importante, la zone portuaire abrite l’essentiel des activités économiques particulièrement toutes les activités liées à l’import-export. Adossé à la zone portuaire, la zone industrielle se repartie en deux sous-zones. La première au sud, s’étend sur 30 ha et est à vocation commerciale. Au nord, la seconde zone est un espace de 60 ha exclusivement réservé aux usines de production. La troisième composante de l’espace urbain est la zone résidentielle. Elle est composée des quartiers de quartiers de haut standing, de moyen standing et d’habitas économique. 6 Bardo est un quartier précaire de San Pedro, il est reconnu pour être le plus grand bidonville en Afrique de l’Ouest. Selon le RGPH 1998, il concentre plus de 80 000 habitants. Ce bidonville s’est développé selon ENSEA-IRD (1998) au fur et à mesure que l’activité économique liée au trafic portuaire prenait de l’ampleur. 6 Au nord-est à proximité de la zone portuaire s’étend le complexe Poro (Poro 1 et 2). Poro 1, c’est environ 60 ha, l’habitat économique y domine. A Poro 2, l’habitat individuel de moyen standing couvre une superficie de 25 ha. Jouxtant Poro 2, l’espace Mohikrako occupe 40 ha. A l’ouest du bloc Poro-Mohiakro, s’est développé un habitat de moyen standing, il y occupe 40 ha. Cet espace du fait de sa proximité d’une importante retenue d’eau de la ville a été baptisé quartier Lac. Au sud sur le front de mer, c’est l’habitat de haut standing qui a été développé où le quartier Balmer s’étend d’est en ouest sur 60 ha. Seweké opération immobilière de 40 ha Un espace en construction Un des impacts perceptibles de l’ARSO à San Pedro a été l’ouverture de plusieurs chantiers de construction. De 1968 à 1971, 400 logements économiques bâtis par la SICOGI7 et la SOGEFIA8 sont sortis de terre. En 1971, la fin de la construction du port a généré plusieurs succursales de sociétés portuaires, stimulant le développement urbain. En 1972, des permis de constructions urbains ont été quintuplés. La ville se dote d’un collège et l’hôpital acquiert 130 lits. Toujours la même année la douane et la gendarmerie sont installées. En zone industrielle, 90 % des lots sont attribué dans la partie Sud, et au Nord seulement 50 % le seront. En 1973, les classes d’école primaire passent de 12 à 24. L’implantation des bureaux de l’ARSO dans le centre ville a suscité l’ouverture de multiples chantiers dans les quartiers à habitat économique de moyen standing et résidentiel. La figure 4 ci-après indique que les constructions et aménagements plus haut évoqués, ont favorisé la mise en valeur le front de mer, chose qui renforça le potentiel balnéaire de la ville. 7 8 Société Ivoirienne de Construction et de Gestion Immobilière Société de Gestion et de Financement de l’Habitat 7 Figure 4: Plan de la ville de San Pedro version «ARSO» 1968-1973 3.3. Une croissance démographique particulière Avant «l’opération San Pedro», le site de la ville n’était qu’un petit village de pêcheurs constitué de quelques cases. Très tôt, l’ARSO, qui envisageait de créer une ville de 6000 habitants, sera «débordée» par l’afflux de population vers ce nouvel eldorado du Sud-Ouest. Une croissance exponentielle La croissance démographique de San Pedro se passe de commentaire. Sur la période des grands chantiers de l’ARSO (1969 à 1975), la population a été presque multipliée par 9: elle est passée de 3 800 habitants à plus de 30 000. Entre 1972 et 1973, la ville a pratiquement doublé sa population de 13 419 à 27 550 (tableau 2). Ce rapide doublement des effectifs est mis en évidence par un pic entre 1972 et 1973 (figure 5). On pense que le facteur déclenchant cette dynamique a été l’ouverture du port. Ce gros ouvrage a fait de San Pedro un véritable pôle d’attraction et de concentration humaine, à telle enseigne que le taux d’accroissement moyen annuel de la population est de loin largement supérieur au seuil de 3 %. En effet, entre 1975 et 1988, et encore entre 1988 et 1998, le taux d’accroissement moyen annuel est au dessus de 6 %. Jusqu’au début des années 1990, la ville connaît un rythme de croissance démographique toujours impressionnant. En effet jusqu’en 1998, la population continuait de se multiplier par 2 à des intervalles de plus en plus. Il suffisait de calculer le temps de doublement de la population pendant cette période ( T = ln (1+r)/ln2) pour s’en rendre compte. 8 Ce doublement de la population était de plus en plus marqué par la présence remarquée de diverses vagues venues Mali, du Burkina Faso, de la Guinée, du Nigéria et du Libéria9. Tableau 2: Evolution de la population de la ville de San Pedro Années 1968 1969 1972 1973 1974 1975 1985 1988 1990 1998 Effectif 2207 3800 13419 27550 29000 31600 61900 70559 79938 131800 Source: Recensement ARSO, 1973- RGPH 1975,1988 et 1998. La poussée démographique a été maintenue, suite au relatif regain d’activité observé peu de temps après la dévaluation du franc CFA en 1994. La relance des activités économiques s’est caractérisé par l’accroissement du volume de marchandises transitant par le port, et par l’ouverture de la route internationale «la côtière». 140000 120000 effectifs 100000 80000 60000 40000 20000 0 1965 1970 1975 1980 1985 1990 1995 2000 années Figure 5: Evolution de la Population de la ville de San Pedro de 1968 à 1998 La construction de cette voie internationale est le fait d’un financement de l’Union Européenne via le Fonds Européen de Développement dans le cadre du PDCC10. L’ouverture des différents chantiers du PDCC a nécessité l’apport de nombreux migrants, qui ont constitué l’essentiel de la main d’œuvre. L’impact de ces flux migratoires est perceptible dans la dynamique urbaine. En effet des quartiers comme "Bardo" et "Zimbabwé" sont habités par des ressortissants essentiellement Maliens et Burkinabé). BNETD11 (1996) montre que bon nombre de ces ouvriers en provenance de l’arrière pays du port de San-Pedro, se sont par la suite installés dans la ville. 9 Du fait de la guerre qui avait lieu au Libéria depuis 1989, la présence des ressortissants de ce pays voisin était de plus en plus remarquable dans la ville de San Pédro située à quelque lieu de la frontière ivoiro-liberienne. 10 Programme de Développement des Communes Côtières : programme de développement en milieu côtier urbain, soutenu par la délégation de la commission européenne à Abidjan. Le programme a concerné 20 villes côtières dont San Pédro. 11 Bureau National d’Etude Technique et de Développement : crée en 1977, cette structure a en charge la maitrise d’ouvre des grands travaux de l’Etat. 9 Depuis lors la ville connaît une croissance très rapide, soit plus de 6,8 % par an. En 2004, les estimations du PSDAT12, évaluaient sa population à 220 000 habitants. Si la poussée démographique observée depuis 2000 demeure constante, San-Pedro pourrait devenir la 3ème ville ivoirienne après Abidjan et Bouaké, reléguant du coup Daloa à la 4 ème place. L’apport des mouvements migratoires, l’impact du port Le port fut inauguré en 1972. De cette date à 1973, la ville a connu un accroissement global évalué à 105 %. Cet accroissement est le fait d’une immigration massive d’ouvriers venus en quête d’emplois. Presque 70 % de ces immigrants étaient dans la tranche d’âge active de 18 à 30 ans, contribuant fortement au rajeunissement de la population (figure 6). De plus, le caractère de l’implantation des migrants pouvait être observable par les mineurs qui accompagnaient ou venaient rejoindre leurs géniteurs. Tableau 3 : Structure de la population de la ville de San-Pedro en 1972, 1973 et 1998 0-5 ans 6-14 ans 15-64 ans % 1972 % 1973 % 1998 16.67 11.35 71.98 18.5 12.25 69.25 17.9 25.1 56.2 Source: Recensement de la ville de San-Pedro ARSO, 1973-RGPH 1998 L’essentiel des «migrants» étaient originaires de Côte d’Ivoire en plus des ouest africains et quelques occidentaux, cadres d’entreprises. Le tableau 3 indique la structure de la population. La présence de l’outil portuaire a grandement contribué à externaliser l’économie de la région entièrement dominée par l’entrée et la sortie de marchandises diverses. Plus de la moitié des investissements émane de structures privées spécialisées dans l’import-export. Ces structures emploient environ un tiers des actifs occupés de la ville. Elles sont les représentantes de grandes firmes mondialement reconnues et sont au nombre de 15. Pour la plupart, elles sont d’origine européenne. En dépit de cette présence remarquable des opérateurs économiques privés, le secteur informel génère l’essentiel des emplois et des revenus. On a affaire à une activité informelle à la fois dépendante et tributaire de l’outil portuaire. Ce secteur est particulièrement animé par les individus de moins de 35 ans, et est dominé à plus de 75 % par les femmes. 12 Programme de Soutien à la Décentralisation et à l’Aménagement du Territoire : Premier secteur de concentration dans le Programme indicatif national du 8e Fonds Européen de Développement. 10 14000 12000 effectif 10000 8000 6000 4000 2000 0 Sud ouest Autre région de côte d’ivoire sahel CEDEAO Europe Source: Recensement de la ville de San-Pedro ARSO, 1973 Figure 6: Origine des migrants pendant l’exécution du projet ARSO (1973) Un exode rural animé par un arrière pays siège d’une économie de plantation en crise L’ARSO, dans son exécution, a contribué à la mise en valeur des îlots forestiers du Sud- ouest, d’où la fulgurante croissance démographique observée en milieu rural: près de 6 % entre 1965 et 1975, et plus de 11 % de 1975 à 1988. Du coup, la boucle du cacao13 s’est fixée dans le Sudouest, où les terres étaient encore inexploitées. Ainsi, plusieurs unités agro industrielles dans le périmètre de la Nonoua14 ont pris forme autour de la ville portuaire de San Pedro. Ces périmètres regorgeaient d’une main d’œuvre abondante constituant des foyers de peuplement. Avec la saturation foncière et la baisse du cours du cacao, mise en évidence par Essan (1995), le trop plein de ces foyers de peuplement en quête d’un emploi plus stable, va se déverser dans la zone portuaire de San Pedro, et venir ainsi grossir le nombre d’habitants des espaces d’habitats précaires dont principalement Bardo. Ces flux de migrants, en provenance de la périphérie rurale de la ville, contribuent à accroître la pression démographique sur l’occupation du sol et l’accès aux équipements urbains. En effet, les différentes vagues de migrants en provenance de la périphérie cacaoyère de San Pedro n’ont pu être totalement intégrées dans le tissu socio économique urbain. La zone portuaire n’absorbe tout au plus que 1 200 ouvriers, alors que théoriquement elle devrait en compter 4 000. L’accroissement du volume d’entreprises spécialisées dans la place portuaire (de 4 au début des années 1970 à 15 en 2006), n’a pu résoudre la question. Or depuis 1980, ESSAN (1995), montre que les vagues de migrants déferlent sans arrêt sur la cité balnéaire du Sud-ouest. Les 11 385 emplois qu’offre le secteur moderne de la ville ne peuvent répondre favorablement à une demande sociale aussi impressionnante que celle observée à San Pedro depuis plus de deux décennies. De facto, les non intégrés au tissu socioéconomique ont recours au secteur informel, cela a abouti à une prolifération d’activité commerciale non structurée (vente de produit de la pêche, boutiques, étales diverses et des espaces gastronomiques) autour du port de pêche. 13 Zone de production de cacao, initialement située dans la partie orientale de la Cote d’Ivoire forestières (la basse Côte). Cette délocalisation de la zone de production est essentiellement due au vieillissement du verger dans l’est et à l’influence du projet ARSO dans un espace jusque là vierge : le sud-ouest. 14 Foret classée du département de San Pedro 11 3.4. Quand la ville se déplanifie Les prévisions de l’opération San Pedro tablaient sur un décollage économique et urbain horizon l’an 2000. Ce projet a bénéficié, tout au long des années 1970, d’une sollicitude exceptionnelle de l’Etat et a disposé de moyens financiers colossaux. Alors, comment expliquer les résultats mitigés obtenus sur le terrain? Le plan ARSO, sans le savoir, avait en gestion «une ville bis» Avant l’ouverture du chantier, San Pedro n’était qu’un site occupé par de modestes villages majoritairement pêcheurs. Il n’y a donc pas eu de problèmes majeurs de déplacement de population. Pourtant, et c’est le point faible du programme d’urbanisation, une agglomération «bis» a rapidement émergé en marge du chantier, habitée par des ouvriers, des commerçants et des migrants en quête d’embauche. Cette ville «bis», progressant comme une tâche d’huile en direction de la forêt dense, présageait déjà de l’implantation d’un important bidonville présentant toutes les caractéristiques du «squatting» urbain. Ce massif regroupement de population (8 à 10 000 habitants en 1972), quoique nécessaire au chantier, risquait d’être à la longue un élément de désarticulation de la trame spatiale. La pression exercée par cette population de plus en plus nombreuse va favoriser à plus d’un titre la déstructuration de la trame urbaine telle que définie initialement par le projet ARSO. Les facteurs de la déplanification spatiale L’occupation anarchique des espaces urbains à la périphérie des chantiers des zones portuaires et résidentielles se présentait déjà comme les signes avant coureurs d’une déplanification progressive de la ville. Des terrains urbains soumis à de fortes pressions Au début de la décennie 1970, l’accroissement de la population était essentiellement du aux mouvements migratoires. Actuellement, on assiste à une croissance démographique auto entretenue par ces vagues de migrants qui se sont définitivement installés. Déjà, même au milieu de la décennie 1970, le projet d’une ville de 6 000 habitants, conçu par l’ARSO, avait montré ses limites tant sur le plan de l’occupation du sol que des débouchés économiques. Qu’en est-il maintenant que la ville concentre plus de 130 000 habitants? A cette interrogation, livre blanc du littoral (2003) fait l’amer constat que la ville de San Pedro est un projet urbain en faillite, incapable d’auto réguler sa dynamique spatiale et économique. La dynamique urbaine, ici observée, a fait qu’une partie de l’extension de la ville a échappé au schéma de développement prévu. Du coup, le plan d’urbanisation initial est pris à revers par l’enracinement des populations dans le plus grand bidonville de l’Ouest-Africain: le Bardo, et par la formation de zones de résidence hors des sites coûteusement viabilisées, mais inaccessibles aux ménages à revenu moyen. Le peuplement accéléré de la ville et les modalités d’accès à la terre sont à l’origine des moult «contre-sens» observés dans la dynamique spatiale de San-Pedro. 12 Il a été une erreur pour le planificateur de considérer que la population urbaine s’ajusterait à l’état d’exécution du projet A.R.S.O. Il en a rien été, et les migrants de la décennie 1970 ont trouvé dans le secteur informel naissant les ressources de leur survie. La preuve est que sur six quartiers devant constituer la ville en 1969, on a abouti à une dizaine de quartiers, dont quatre sont non lotis (bidonvilles dont le célèbre Bardo) et, qui regroupait en 1988 près de 70 % de la population résidente. En somme, San Pedro, tout en étendant ses tentacules, s’est progressivement bidonvillisé (figure 7) Figure 7. Plan de la ville de San Pedro version «ARSO» 1968-1973 La figure 7 matérialise le «bloc Bardo» au nord venu se greffer à la ville conçu par le projet ARSO. La figure donne aussi d’observer que Bardo a relativement la même étendue que la ville officielle. La figure 8, relatant l’évolution de la tache urbaine illustre bien la situation. En effet la pente raide qu’elle laisse entrevoir à partir de 1980, confirme la vertigineuse croissance du quartier Bardo. De façon globale, la courbe traduit l’extension des tentacules de la ville. De 335 hectares en 1975 (essentiellement constitués par les lotissements de la ville légale conduite par ARSO), on est passé à 1800 hectares en 2000 pour finalement atteindre 2340 hectares en 2008 (figure 8). 13 2500 2000 1500 1000 500 0 1965 1970 1975 1980 1985 1990 1995 2000 2005 2010 a nné e s Figure 8. Evolution de l’espace bâti de San Pedro Cette extension quasi exponentielle est le fait de la naissance des quartiers du bloc d’habitat Nord où se sont développées toutes sortes d’occupations illégales du foncier urbain. Cette situation est le prolongement logique du «squatting» entrepris par la population ouvrière pendant l’exécution du projet ARSO. Cette occupation illégale au nord de la ville a progressivement abouti à un entassement anarchique de population dans des espaces insalubres, non lotis et dépourvus de toute commodité. Ainsi la zone industrielle qui constituait la partie Nord de la ville légale a fini par être rattrapée par le front d’urbanisation, qui a pris pied depuis le Bardo. Du coup, la zone industrielle devenait de facto le centre de la ville en recomposition et à sa périphérie, s’adossait le nouveau quartier Sewéké. Cette rapide extension de la tache urbaine, à San Pedro, s’est faite au mépris des lois en vigueur relative à la gestion du foncier et, qui fait de l’Etat le détenteur exclusif du domaine foncier urbain. L’accroissement rapide de la population a engendré de nombreux litiges entre les pouvoirs publics et certains opérateurs privés. Tout ceci a favorisé la prolifération des quartiers d’habitat précaire, qui se présentait comme la solution instantanée devant le manque de logements que connaît San Pedro. De ce fait, environ 70 % des citadins sont regroupés dans des habitations de fortune et, ils sont, du coup, exposés à des risques tels que les inondations et les glissements de terrains. Le précaire, rappelons le, représente 26.6 % de l’espace urbain bâti, des endroits de très forte concentration humaine (environs 200 à 250 habitants à l’hectare). Le manque de rigueur dans la gestion du foncier donne libre cours à la prolifération des habitations individuelles faites en matériaux de fortune. Ce décor est largement perceptible dans la périphérie nord de la ville. Comme c’est le cas dans de nombreuses communes ivoiriennes, les services techniques de la mairie de San Pedro avouent leur impuissance. Outre les conflits de compétence entre municipalité et pouvoir déconcentré, la difficile maitrise de la gestion foncière est aussi imputable à l’aspect accidenté du site topographique. Les marécages et les fortes pentes, qui parsèment le paysage urbain, ne favorisent pas une occupation rationnelle de l’espace. Les travaux de terrassement entrepris par l’ARSO n’ont concerné que la partie Sud de la ville. Les dits travaux n’ont pas fait d’anticipation quant à l’extension future de la ville, en l’occurrence dans sa partie Nord. En effet, la pression démographique se faisant de plus en plus sentir dans cette partie de la ville (depuis plus de 2 décennies), c’est donc là-bas que les 14 vicissitudes de la topographie sont constamment bravées par les occupants illégaux devenus par la force des choses maitres de l’espace urbain. Un difficile accès aux équipements La ville dispose d’une gamme d’équipements relativement variée et ce, d’une part, du fait de son statut de ville portuaire et d’autre part, à cause de son rôle de capitale de la région administrative du Bas Sassandra. Les équipements se concentrent dans leur grande majorité dans la partie Sud de la ville. On note donc un déséquilibre dans la distribution des équipements et ce, du fait du déficit notoire des quartiers comme "soleil", "Zimbabwe" et "Bardo". Les quartiers de la ville basse sont nettement mieux dotés en équipement; la présence du port dans cette partie de la ville y est pour beaucoup. Ce secteur de la ville regroupe 75 % des 221 ha mobilisés par l’implantation des équipements. Les structures et les établissements scolaires sont les équipements les plus récurrents. A ce sujet, la ville abrite 70 écoles primaires relativement équitablement reparties dans l’espace urbain. On note aussi la présence de 4 établissements d’enseignement secondaire général, d’un lycée professionnel et d’un centre de métiers. Sur le plan sanitaire, la ville dispose d’un CHR décongestionné par une base de santé rurale, un dispensaire municipal et un centre médicoscolaire. A ces structures publiques s’ajoutent un certain nombre de structures privées, pour la plupart des cliniques. Sur le plan économique, on note la présence d’une dizaine d’usines dans la zone industrielle portuaire. La majorité des équipements énumérés a été mis en place pour la plupart durant le projet ARSO quand la ville avait entre 3 000 et 15 000 habitants15. Aujourd’hui, les 130 000 habitants de San Pedro ne peuvent plus se contenter des équipements mis en place depuis plus de 30 ans. Comme effet immédiat de cet accroissement démographique quasi exponentiel, le difficile accès aux équipements socio collectifs, qui du fait de la pression subie se dégradent et deviennent de moins en moins utiles aux populations. Ainsi, les 75 % de la population vivant dans les quartiers non lotis n’ont pas accès de façon directe au réseau d’assainissement et de soins de santé primaire (RGPH 1998). L’enquête socio économique réalisé par le BNETD en 1996, montre que 99 % des ménages ne possèdent pas de ligne téléphonique, 70 % manque de l’eau potable et d’électricité. De plus, les latrines traditionnelles forment 76 % du réseau d’assainissement urbain. Les égouts sont surtout rencontrés dans les quartiers lotis (Poro, Lac, Nitoro, Seweké et Balmer). Plus de 68 % des ménages sous équipés se concentrent dans les quartiers précaires: (Bardo, Sotref, Colas et Soleil) ou les latrines traditionnelles sont essentiellement utilisés, chose qui a une répercussion directe sur l’environnement. On a constaté à la périphérie de ces habitations précaires que les populations rejetaient les eaux usées dans la nature sans précaution aucune. Du coup, comme le stipulait HAERINGER (1970), une ville «bis» s’est créée dans la ville. Ces faibles taux, de couverture notamment en adduction en eau potable et en électricité, sont en partie dus à la difficile extension des voies bitumées. En effet, l’extension des réseaux d’alimentation en eau et en électricité est intimement dépendante de l’itinéraire emprunté par la voirie. A l’origine, l’ARSO avait doté San Pedro de 40 km de bitume essentiellement concentrée dans la partie Sud de la ville et d’environ 45 km de linéaire non bitumé. La pression exercée par la circulation des «poids lourds» a vite fait d’entamer puis de dégrader le bitume. Le processus de dégradation continua jusqu’à nos jours et là, l’état actuel de cette voirie, d’ailleurs inégalement répartie sur l’ensemble de la ville, n’est guère reluisant. Environ 50 % 15 Période comprise entre 1968 et 1972. Ces années marquent la fin des premiers travaux de l’ARSO et le début des activités du port de San Pédro. 15 de du bitume se trouve dans un état de dégradation avancée et est parsemée de nids-de-poule. Les secteurs les plus désavantagés de la ville regroupent les quartiers de la partie Nord ainsi défavorisés vis-à-vis de la place portuaire, au sud. Dans ces espaces septentrionaux de forte concentration humaine (plus de 250 habitants à l’hectare) les voies bitumées se font rare comme c’est le cas au Bardo ou seulement 4 km de voirie ont été bitumés. Dans ces conditions, il est difficile d’entreprendre des extensions des différents réseaux, d’où l’aspect sinistré des quartiers Nord de la ville. Pour faciliter la communication entre la ville et le domaine portuaire, il faut dans l’urgence que les autorités se penchent rapidement sur l’état de la voirie. 3.5. Les mesures d’adaptation Les populations et la communauté économique de la région de San Pedro, attendent une intervention des pouvoirs publics devant la situation de délabrement que connaît tous les services et équipements de la ville. De l’ARSO à la communalisation L’apparition de nouveaux acteurs institutionnels ayant en charge la gestion les affaires locales, a été présentée depuis le début de la décennie 1980-1990 comme la solution aux questions de développement. Dans la pratique, ces nouveaux acteurs institutionnels que sont les communes sont confrontés à des difficultés qui fragilisent leurs interventions sur le terrain. Figure 9: le périmètre communal de San Pedro L’action des autorités locales La croissance économique des années 1970 a permis à l’Etat d’entreprendre ce vaste chantier qu’est l’ARSO. La crise économique des années 1980 a conduit l’Etat à adapter sa politique de développement régionale aux contingences du moment. Avant la dissolution de l’ARSO en 1982, San Pedro a été doté de nombreux équipements dont il fallait désormais en prendre soin. L’outil trouvé par l’Etat fut la décentralisation par la communalisation. Ainsi, San Pedro est devenu commune de plein exercice en 1985. Le territoire communal en plus du centre-ville regroupe une douzaine de villages et hameaux et s’étend sur un peu plus de 28 900 ha. 16 Du coup, la commune ainsi créée permettait à l’Etat progressivement de se désengager des investissements publics. Dans le cas de la réfection des équipements et de leurs entretiens, San Pedro a bénéficié de l’apport de plusieurs partenaires au développement dont: -la Banque Mondiale en 1988 pour la remise en état des voiries (450 millions FCFA); -la BOAD16 en 1991 dans le cadre de l’électrification (1,8 milliards FCFA); -l’appui budgétaire entre 1993 et 1997 de la part du FED17; -le gouvernement japonais pour la construction d’un port de pêche (13 milliards FCFA). Ces partenaires venaient en appui de l’action municipale. En effet depuis plusieurs décennies, les programmes triennaux élaborés affichaient déjà l’incapacité de la municipalité à faire face au déficit en équipement que connait la ville. Depuis plusieurs années, nombreuses sont les communes en Côte d’Ivoire qui sont dépendantes des subventions de l’état et des partenaires au développement. Cette dépendance s’explique par la faiblesse de leurs économies locales qui ne leur permet pas de s’auto-suffire en termes de recettes. La mairie Vu l’ampleur des problèmes auxquels San-Pedro se trouve confronté, la réalisation des programmes triennaux de la municipalité, ces dernières années, nécessite une importante mobilisation de ressources financières. A l’ordre du jour, la réhabilitation de la trentaine de kilomètre de voirie et l’aménagement des marges septentrionales du quartier Bardo. Pour ce faire, la mairie compte sur l’appui des partenaires au développement pour réaliser ces ambitieux chantiers. Les plus actifs à ce niveau sont, depuis quelques années, la commission européenne, la coopération belge et la BAD18. En effet, cet appui au développement, fruit de la coopération bilatérale, a permis de renflouer les caisses du trésor municipal et de rendre beaucoup plus performante l’action des autorités communales. Ainsi, en dépit de la grave crise qui secoue le pays depuis 1999, la situation financière de la mairie tend à s’améliorer; le volume des recettes a pratiquement doublé de 2000 à 2003, passant de 1,038 à 1,961 milliards de CFA. On attribue cet accroissement de ressources à la fiscalité directe partagée avec l’Etat (patentes et taxes foncières). Cette fiscalité directe représente environ 77 % des recettes de la commune. En dépit de cette hausse, la mairie n’est pas le principal investisseur, car l’essentiel des recettes sont absorbées par les dépenses de fonctionnement des services de l’administration communale. Devant cette incapacité des communes l’état a mis sur pied de des structures et des mécanismes de soutien aux actions de développement. Des structures d’aménagement en appui En 1993, l’Etat crée les FIAU19 pour venir en appui à l’action communale. L’objectif visé était d’accorder des subventions aux communes pour leur permettre de réaliser des projets d’intérêt locaux. 16 Banque Ouest Africaine de Développement Fonds Européen de Développement 18 Banque Africaine de Développement 19 Fonds d’Investissement en Aménagement Urbain 17 17 De 1993 à 1999, 75 projets ont été programmés au compte de la ville de San Pedro. Seulement 29 sont achevés, 28 sont en cours et 18 non encore démarrés. Ces projets sont évalués à 1358 millions. Environ 25 % de cette enveloppe budgétaire provient des fonds propres de la mairie, le reste décaissé par les FIAU. La réalisation de ces projets devrait améliorer les conditions de vie des populations. La recherche de financement extérieur Le Programme sectoriel urbain (1996-2000) a été ces dernières années le principal soutien au développement urbain. Il est le fruit de la coopération avec l’Union Européenne. Près de 12 milliards essentiellement consacrés au revêtement de la voirie, des infrastructures de transport et des équipements socio économiques. A ce sujet le Programme sectoriel urbain (PSU) s’est prioritairement consacré à l’aménagement de la place aéroportuaire et du port de pêche. Ce financement a permis la réhabilitation des stations de pompage et la construction d’un canal en béton à Bardo, soit 6 % des sommes investis. Dans le domaine de l’habitat, de la voirie et de l’éclairage public, les quartiers "Bardo" et "Soleil» ont été réhabilités, ce qui a mobilisé 15% du financement PSU. Le PSU a aussi permis la réhabilitation de 76 salles de classes et la construction de 27 autres, soit 1% de l’enveloppe budgétaire. Quant à la construction du marché de Bardo et de la gare routière, elle a absorbé plus de 68 % des ressources mobilisées par le PSU. Il est bon de rappeler que les investissements PSU ont nécessité une contribution de la mairie et des FIAU. Quant au PDCC (1994-2000), son action a prioritairement consisté à la construction d’écoles primaires (567 millions) et d’un dispensaire municipal (36,65 millions). La mise en place de ces équipements a relativement contribué a amélioré les conditions de vie des populations. Impacts du financement des projets sur l’espace urbain Depuis la dissolution de l’ARSO en 1982, la politique de dotation en équipement a été mise sous silence. La population entre temps s’étant accru, la ville s’étant étendu, les équipements existant ne pouvaient plus répondre aux besoins des populations. Il va sans dire que les interventions de la mairie et des partenaires au développement ont tenté de résoudre ce déséquilibre. Les équipements scolaires La capacité d’accueil des lycées et des collèges de la ville s’est vue accroître d’environ 2000 places. Néanmoins la moyenne d’élèves par classe est toujours de 60. Au niveau du collège la capacité d’accueil est ainsi passée de 450 places en 2000 à près de 1500 en 2005. Outre l’éducation, l’accès à la santé est aussi une préoccupation des autorités locales. 18 Les équipements de santé Les travaux effectués sous le couvert du PDCC ont permis d’accroître la capacité d’accueil du CHR20 (notamment en médecine et en pédiatrie). Cette augmentation permet à cet établissement de polariser davantage toute sa région. La construction du CSU21 de Bardo est certainement la dotation en équipement qui a eu le plus d’impact, et ce d’une part, au regard de sa position au centre du quartier et d’autre part, à cause de la forte densité de population dans cet espace faiblement pourvu en équipement. Ce centre de santé a permis de réduire les distances d’accès au centre de soin d’environ 4 kilomètres. Pour sa première année de fonctionnement (2008), le CSU a enregistré 2015 consultations prénatales et plus de 1063 accouchements. L’accès aux structures sanitaires devra être rendu facile par l’existant d’une voirie praticable en toute saison de l’année. La voirie Les interventions concernant la voirie ont porté sur les voies structurantes ayant un intérêt économique (transit) et les voies de desserte des grands équipements ayant un intérêt social. Les principaux bénéficiaires des voies de desserte ont été les habitants des quartiers Bardo, «Zimbabwé» et «Victor Ballet». Ce vaste bidonville, grâce à la restructuration de la voirie est maintenant le quartier ou l’amélioration de la voirie quoiqu’encore majoritairement non revêtue est le plus perceptible. Ainsi de Bardo, on a accès à tous les quartiers de la ville. Les populations de Bardo ont depuis lors facilement accès au transport en commun. On assiste à une redynamisation des activités économiques, en l’occurrence aux abords des routes. La réhabilitation des rues dans ces quartiers a permis de réduire le nombre des gîtes larvaires et les inondations. L’accessibilité à l’eau potable Suite aux investissements du PDCC et du PSU, le réseau de distribution en eau potable a pu être installé à Zimbabwe et à Bardo. Jusque là ces quartiers contrastaient en la matière avec le reste de la ville. Les ménages de ces quartiers s’approvisionnaient par l’entremise des puits traditionnels et parcouraient des distances relativement importantes (1 km) pour avoir accès à la ressource. Les branchements directs et les bornes fontaines ont contribué à mettre un terme au calvaire des populations de ces deux quartiers. A ce sujet, le coût du branchement est passé de 165 000 FCFA à 19 500 FCFA. Cette baisse du cout d’abonnement a permis à un plus grand nombre d’avoir accès à l’eau potable sans parcourir de grande distance. Le projet fut financé par l’union européenne et piloté par l’ONG «action contre la faim». Concernant les écoulements des eaux, la réhabilitation des caniveaux dans la partie sud de la ville, a permis de réduire de façon considérable les gites larvaires. Le réseau d’éclairage public Les travaux, d’extension du réseau d’éclairage public, ont essentiellement concerné le quartier Bardo. Ils ont permis à 80 000 personnes de sortir de l’obscurité. Cette extension du réseau dans la partie nord de la ville y a contribué à réduire les risques d’incendie et les branchements anarchiques s’étendant par le passé sur plus de 2 km. 20 21 Centre Hospitalier Régional Centre de Santé Urbain 19 L’avènement des lampadaires le long des rues a réduit les poches criminogènes. Désormais, il faut seulement parcourir 400 m pour être raccordé alors que par le passé, cette distance oscillait entre 1 500 et 2 000 m. Toutefois, les branchements effectués dans des conditions anarchiques persistent encore en quelques secteurs du quartier Bardo. Il revient à la municipalité de poursuivre les efforts déjà entrepris et de poursuivre l’extension du réseau aux quartiers nord de la ville. 4. Discussion D’après le diagramme sagittal22 (la figure 2), le projet initié par l’ARSO n’a pas correctement fonctionné. Le système mis en place par la politique d’aménagement du territoire a abouti à une rétroaction positive23, il n’a pas atteint le but escompté qui prévoyait à long terme l’émergence d’un pôle régional de développement. D’où l’impérieux renforcement de l’intervention des acteurs institutionnels par les mécanismes de la décentralisation et de la coopération internationale. La dynamique urbaine a conduit à la constitution d’un espace urbain segmenté entre le front de mer et l’hinterland. L’occupation anarchique de la partie Nord est en partie le corollaire du système foncier particulier mis en place depuis l’indépendance, qui stipulait que le sol est du domaine privé de l’Etat. Suivant cette logique, le sol urbain ne pouvait être cédé que sous forme de baux emphytéotiques accordés uniquement aux structures immobilières. Le difficile accès au foncier a gêné les planificateurs quant à la construction d’équipement et de services de base. En effet, il arrivait des fois ou l’on se savait plus à qui s’adresser quand il fallait mettre un terrain en valeur. Actuellement, les pouvoirs locaux de se re-imprégner de la vision des initiateurs du projet ARSO et de poursuivre les investissements dans les secteurs socioéconomiques. Réconcilier la ville programmée et la ville réelle Les résultats obtenus évoquent une nette dégradation des services mis à mal par le décalage progressif entre le projet ARSO et les logiques citadines qui l’ont peu à peu pris à revers. Il s’agit donc de plaider maintenant pour une réflexion devant conduire à l’incorporation économique, sociale et spatiale des zones urbaines segmentées et éparses tels que les bidonvilles coupés du centre ville. Cette segmentation augmente les distances et les coûts de transport. La connexion entre «la ville ARSO» et les quartiers spontanés passe par la mise en valeur d’un centre ville qui rapprocherait les «deux villes». Intégrer la nouvelle donne que sont les quartiers d’habitation précaire dans les stratégies de développement à San Pedro, contribuera à faire reculer la pauvreté. Poursuivre les efforts d’investissements dans les secteurs sociaux Les efforts en matière d’assainissement doivent être poursuivis. L’amélioration du service scolaire primaire et secondaire mérite d’être renforcée, essentiellement par ce qu’elle est un préalable à l’efficacité positive de la main d’œuvre d’un secteur informel sous scolarisé, et aussi à l’amélioration du cadre de vie (PNUD, 2003). Cette amélioration de la qualité des services dans les secteurs sociaux, au plan spatial, contribuera à sédentariser les familles dans 22 Le diagramme sagittal s’inspire de la théorie générale des systèmes (Kablan, 2000). La rétroaction positive indique un écart considérable, un déphasage entre les objectifs fixés et les résultats atteints. Ce qui témoigne du mauvais fonctionnement du système (Hauhouot, 2002). 23 20 des espaces salubres et viables. De même, une sensible évolution des structures sanitaires et de leur implantation spatiale favorisera l’accès aux soins de santé primaire dans les quartiers non lotis et bidonvillisés. Pour ce faire la ville devra associer tous les opérateurs économiques exerçant sur son territoire aux efforts de mobilisations de ressources financières. Faire du port un acteur majeur du développement local Ancien EPIC, le port autonome de San Pedro a été érigé en société d’état par le décret n° 95818 du 29 septembre 1995. Son capital est évalué à près de 2 milliards de f CFA. Selon PASP (2007), le Port Autonome de San Pedro (PASP) représente 10 % du trafic maritime national et rapporte 120 milliards de recettes douanières à l’Etat. En tant que premier port au monde exportateur de cacao, il réalise un chiffre d’affaire de 3.342 milliards de Cfa et contribue à hauteur de 17 % à la recette globale de l’Etat. Notons aussi que le Produit Intérieur Local24 (PIL) de l’hinterland du PASP s’élève à un peu plus de 229 milliards, soit 4 % du PIB national. Malheureusement, l’ensemble des ressources générées par le port échappe en grande partie à la ville. Les revenus obtenus par la place portuaire ne participent presque pas au financement du développement urbain. La part du port dans la mobilisation des ressources communales est estimée à 8 %. En effet, le statut de société d’état place directement le port sous le contrôle du gouvernement central, ce qui fait que les autorités locales n’en tirent pas véritablement profit. A ce niveau, l’état central est interpellé en vue d’un soutien beaucoup plus franc aux pouvoirs locaux et d’une application sans réserve des dispositions législatives en matières de décentralisation. Certes certains aspects ont échappé au planificateur au moment de la conception de l’ARSO, mais de nos jours avec les efforts en matière de décentralisation consentis par l’Etat depuis plus de deux décennies, l’on peut donner à San-Pedro, une chance de re-décollage au plan socio économique, si les autorités décentralisées parviennent à une meilleure articulation de la trame spatiale urbaine. A ce sujet, l’outil de développement qu’est le port devrait permettre au planificateur de trouver les ressources financières nécessaires permettant de trouver des débouchés d’emplois au trop plein de population. Bibliographie ATTA K., 1975. Etude des espaces urbains des villes de Côte d’Ivoire. Université de Côte d’Ivoire, Abidjan, Mémoire Maîtrise, IGT ,120 p. ARSO, 1973, Recensement de la ville de San-Pedro, Abidjan, 37p. ARSO, 1970, Justification de la mise en valeur de la région sud ouest, Abidjan, 33p. ARSO, Demain le sud ouest, 1970, 66p. 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TAPE J., 2008, Economie maritime et portuaire de la Côte d’ivoire, Etude comparée, Université de Côte d’Ivoire, Abidjan, Thèse d’Etat, IGT 3 tomes, 876 p. 22