Du bien-être par le paysage
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Du bien-être par le paysage
Territoires, incubateurs de santé ? Les Cahiers de l’IAU îdF n° 170-171 - septembre 2014 Construire des territoires en santé Des réponses par l’aménagement urbain Villes&Paysages Du bien-être par le paysage Interview Jean-Marc Bouillon est président de la Fédération française du Paysage depuis juin 2011. Architectepaysagiste, il participe et anime de nombreux débats sur le rôle social et la qualité des espaces publics. Très tôt, il oriente son activité vers la conception de la ville durable et milite pour un aménagement de qualité où l’usager est au cœur des préoccupations. Après une première expérience à Mulhouse il crée, en 1989, l’Atelier du Paysage. Cette agence, qui connaît un fort développement dans l’est, poursuit sa croissance et s’implante successivement à Paris puis dans l’ouest de la France. En 2008, il rejoint, avec ses équipes, le groupe EGIS et participe à de nombreux projets primés en France (parc des Rives de la Thur, à Cernay, espaces publics du Zénith, à Strasbourg, ZAC des Champs Philippe à La Garenne-Colombes, etc.). Il dirige depuis l’Atelier Villes & Paysages, une agence originale de paysage et d’urbanisme comprenant 4 ateliers et 90 salariés. 156 obtiennent des différences significatives. Il existe Les Cahiers – En quoi le paysage vraiment un côté apaisant associé au végétal. peut-il contribuer à une relation D’autres études démontrent que les personnes santé/urbanisme vertueuse ? qui ont un trajet propice entre leur domicile et Jean-Marc Bouillon – On va dire que le rapleur emploi font moins preuve d’absentéisme port entre le paysage, la nature, le végétal et le au travail. Enfin, des études montrent que si l’on bien-être ne date pas d’aujourd’hui. Cela est est capable d’offrir le bénéfice d’un espace vert historique. La sociologue Sandrine Manusset, de qualité à moins de 300 m de chez soi, les explique assez bien que ce rapport au biendépressions sont moins nombreuses – pour être et à la nature remonte à la nuit des temps. mille habitants – qu’en l’absence de cet espace Elle évoque, notamment, le rôle de l’arbre vert. Il y a là, vraiment, une relation à la qualité qui était le symbole de la protection – on se de vie, à la santé morale, au bien-être. J’ai envie protégeait du soleil, des animaux, on trouvait de dire que ce n’est de quoi se nourrir pas que le végétal. Il quand il y avait des est important, mais la fruits, etc. Il existe un Les Français n’imaginent qualité des espaces vrai attachement qui pas la ville de demain publics et le fait social nous est fondamental, si elle n’est pas plus verte généré sont aussi entre paysage, nature que celle d’aujourd’hui. extrêmement imporet bien-être. De ce fait, tants et y contribuent on en tire une exprestout autant. Par exemsion française bien ple, à Lyon, les quais du Rhône sont plutôt minéconnue : « Se mettre au vert ». Même si l’on ne raux, bien qu’ils relèvent d’une stratégie végéva pas du tout « au vert », tout le monde comtale assez aboutie : cela contribue autant à la prend que, à la suite d’un moment de stress santé des Lyonnais que le parc de la Tête d’Or. important, quand on doit préparer une échéance capitale, il existe là une notion d’enL. C. – Comment répondre justement à ce vironnement propice. On associe le vert à des « besoin de vert » exprimé par les citadins ? conditions requises à ce bien-être. Cela s’est J.-M. B. – Il existe plusieurs grandes tendances. un peu perdu au fil du temps, tout de même, La première est celle des grands parcs, tels que parce qu’au moyen Âge, la campagne et la Central Park, réalisé par Olmsted. On dit que nature sont devenues dangereuses. Il y a eu l’on prend je ne sais pas combien de centaines une forme de repli vers la ville et ses remparts, d’hectares dans lesquelles on concentre tout qui nous a coupés de cette idée. Mais le végétal de la ville et on imagine quelque aujourd’hui, on sent qu’il existe un vrai besoin chose de convergent. de retour de la nature en ville. Après, il existe une deuxième logique : celle Un travail récemment réalisé par l’Institut des plans verts. C’est comme un plan d’arroMédiascopie pour Val’hor, sur les mots associés sage, avec la règle des 300 m dont je vous ai au végétal, montre à quel point les Français parlé. On dit que pour bien vivre, pour vivre n’imaginent pas la ville de demain si elle n’est heureux, il faut un espace vert tous les 300 m, pas plus verte que celle d’aujourd’hui. Quand on regarde où il y en a déjà et, ensuite, on nous extrayons les cinquante mots les plus décide d’une politique pour combler les vides. importants, on lit : « bien-être », « besoin de préEnsuite, il y a eu les trames vertes et bleues qui sence végétale », « qualité de vie », « fraîcheur », relèvent plutôt d’un concept dédié à l’écologie. « respect », « végétaux : des êtres vivants », « resCe n’est pas tellement la question des condipect de l’environnement », etc. On voit bien tions agréables pour l’homme, mais davantage que c’est une vraie préoccupation de la société de penser l’aménagement de la ville avec des française. espaces qui permettent de protéger la biodiAprès, concernant le lien entre urbanisme et versité. bien-être, bien-être intellectuel et santé morale, il existe des choses étonnantes. Par exemple, Aujourd’hui, nous sommes en train de réfléon sait que, dans les hôpitaux psychiatriques, à chir, à la Fédération française du Paysage et à pathologie égale, les patients qui ont des fenêVilles & Paysages, à un autre type de logique. tres sur parc ont moins besoin de médicaments Nous aimerions concilier tout cela dans l’infraque ceux qui ont des fenêtres sur cour. Des prostructure douce des villes. fesseurs en CHU travaillent sur ces sujets-là et “ ” Il s’agit, justement, de reprendre ce que l’on a compris pour les trames vertes et bleues – c’està-dire que si l’on veut préserver tel ou tel oiseau, tel ou tel batracien, il est nécessaire de relier ces espaces dans des corridors écologiques – et de l’appliquer à la ville, pour relier entre eux nos différents espaces de qualité de vie. Cela donnerait alors, à tous, une vie meilleure et limiterait le besoin de tout concentrer dans un grand parc. Ainsi, la ville serait l’addition de deux trames : la grille active, dédiée aux trajets du domicile au lieu de travail, à l’activité économique, dont l’aménagement est linéaire, que l’on prend parce que l’on veut avoir son train, arriver à l’heure à son rendez-vous, etc. ; l’infrastructure douce des villes, permettant quant à elle, de mieux vivre ensemble. Là, la temporalité n’est pas la même. On est ouvert à l’inattendu, on fait des choses qui n’étaient pas prévues. Il s’agirait d’une forme de trame verte qui aurait, à la fois, une vertu sociale et une vertu écologique, dans une approche socio-écologique de l’urbanisme. Car si l’on a envie que le végétal imprime vraiment les politiques publiques et ne soit pas seulement comme un fanion agité pour demain, il faut impérativement rajouter des fonctions urbaines et sociales aux fonctions écologiques. Il faut que cela serve le fonctionnement de la ville, aujourd’hui. L. C. – Existe-t-il des espaces ou des formes paysagères qui, selon vous, ne sont pas appréciées, et où l’on ne se sent pas bien ? J.-M. B. – En ville, il y a un risque patent. Le végétal témoigne d’une qualité de vie propice mais, en même temps, peut être source d’inquiétude, de peur et de stress. Et, notamment, dans le fait de créer des espaces fermés parce que ce sont des endroits où peuvent se cacher des choses. Il faut faire attention à ce que les espaces verts soient plutôt ouverts. C’est très important. Si on les crée ouverts, on aura aussi moins besoin de les fermer le soir. Il y a des jeux d’écriture intéressants. Il faut avoir un sentiment d’alcôve quand on est assis, mais surtout pas quand on est debout, de façon à mesurer son environnement. Cela peut être très anxiogène. On peut imaginer que si des parcs, dans une écriture d’infrastructure douce, se muent en trajet du quotidien, les traverser en novembre à 20 h sous une petite bruine peut vraiment faire peur. Il faut faire attention à cela en ville. L’écriture de l’espace public doit être rigoureuse. Il ne faut pas, non plus, négliger la lumière. Même s’il faut combattre le taux de pollution lumineuse, il faut que l’espace vert soit équipé pour satisfaire son triple rôle : social, urbain et écologique. L. C. – Quelles sont les composantes indispensables pour créer des espaces qui favorisent le bien-être des usagers ? J.-M. B. – Pour résumer, je pense qu’il faut que ce soit des espaces où l’on trouve une forte présence de végétal, mais pas uniquement. Je trouve qu’un espace public, une rue bien traitée, avec une bonne partition de l’espace, la juste proportion entre végétal et minéral contribue autant au cadre de vie. Nous ne sommes pas dans le greenwashing absolu : on est dans la qualité des espaces publics. Les espaces publics, dont les espaces verts font partie, sont de plus en plus importants pour deux raisons. La première est que les villes se densifient. On est en train de créer des Cocotteminute et l’on a besoin de soupapes pour que cela fonctionne. La deuxième raison est que, chaque année, la sphère privée rétrécit. Chaque fois que la sphère privée rétrécit, la sphère publique augmente. L’idée est que si vous changez d’appartement chaque année, pour le même loyer, vous perdez un m2/an. Plus cette sphère privée se rétrécit, plus vous avez besoin de trouver la compensation dehors. Il y a une importance considérable des espaces publics comme compléments de l’habitat. Donc ce ne peut pas être que du végétal. Mais cette partie de conception des espaces publics doit toujours être traitée dans le fait social, la qualité de vie, la prolongation de l’habitat. C’est du végétal, mais aussi de la puissance dans l’éclairage, des sols faciles, etc. L’autre chose à avoir en tête, c’est d’arrêter, dans l’infrastructure douce des villes, la partition de l’espace dédié à des usages présupposés. La grille active implique un site pour chacun des usages, alors que l’infrastructure douce appelle un site pour tous. Le rythme de la ville devient tellement rapide qu’il faut faire des espaces non dédiés qui portent en eux le gène de leur mutation permanente. Avant, on mettait une bordure pour cinquante ans, cela fonctionnait. Aujourd’hui, l’évolution, la smart city qui va arriver, vont faire que le rythme de transformation sera plutôt de cinq ans. Il faut anticiper tout cela et savoir faire des espaces publics qui portent en eux cette réversibilité permanente. Propos recueillis par Sandrine Gueymard 157