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 Observatoire du Management Alternatif Alternative Management Observatory __ Fiche de lecture La Cause Humaine
Du bon usage de la fin d’un monde
Patrick Viveret
2012
Morgane Jacobée – Janvier 2014
Majeure Alternative Management – HEC Paris – 2013-2014
Morgane Jacobée – Fiche de lecture : «La cause humaine» – Janvier 2014
1
La cause humaine, du bon usage de la fin d’un monde
Cette fiche de lecture a été réalisée dans le cadre du cours « Grands Défis», animé par
Hubert Bonal, Tanh Nghiem et David Khoudour-Castéras dans le cadre de la Majeure
Alternative Management, spécialité de troisième année du programme Grande École d’HEC
Paris.
LLL (Les Liens qui Libèrent), Paris, 2013
Première date de parution de l’ouvrage : 2012
Résumé : Crise financière, crise écologique, crise sociale, Patrick Viveret analyse avec
finesse et lucidité les bouleversements qui secouent notre monde, signes annonciateurs d'un
véritable changement d'ère. L’urgence est là, il nous faut aujourd’hui décider de la voie que
nous voulons suivre: régresser, ou impulser une sortie civilisée du capitalisme? L’auteur nous
invite à surmonter les peurs engendrées par cette mutation de civilisation, et à défendre
ardemment la cause humaine. L’enjeu n‘est rien de moins que le salut de notre espèce. À la
fois analyste d’un monde révolu et bâtisseur d’un monde nouveau, l’auteur nous offre un
panorama riche des initiatives qui se mettent en place et nous invite à œuvrer pour une société
du « bien vivre ».
Mots-clés : ABS, Coopération, Démesure, Désir, Humanité, REV
The human cause, a good use of the end of a world
This review was presented in the “Grands défis” course of Hubert Bonal, Tanh Nghiem et
David Khoudour-Castéras. This course is part of the “Alternative Management”
specialization of the third-year HEC Paris business school program.
LLL (Les Liens qui Libèrent), Paris, 2013
Date of first publication : 2012
Abstract : Financial crisis, ecological crisis, social crisis, Patrick Viveret precisely and
clearly analyses our world’s great changes, signs that announce a true change of era. There is
an urgency, and we must now decide which path we want to follow : regress, or encourage a
« civilized » way out of capitalism ? The auteur invites us to overcome our fears caused by
the mutation of civilization, and to fervently defend the human cause. At stake is nothing less
than the salvation of our species. Both analyst of a past world and builder of a new world, the
author offers a rich panorama of initiatives that are being put in place, and invites us to act for
a society of the « living well ».
Key words : ABS, Cooperation, Desire, Excessiveness, Humanity, REV
Charte Ethique de l'Observatoire du Management Alternatif
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diffusés par l'Observatoire du Management Alternatif relèvent de la responsabilité exclusive de leurs auteurs.
Morgane Jacobée – Fiche de lecture : «La cause humaine» – Janvier 2014
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Table des matières
1. L’auteur et son œuvre....................................................................................................... 4 1.1. Brève biographie .......................................................................................................... 4 1.2. Place de l’ouvrage dans la vie de l’auteur.................................................................... 4
2. Résumé de l’ouvrage......................................................................................................... 5 2.1. Plan de l’ouvrage ......................................................................................................... 5 2.2. Principales étapes du raisonnement et principales conclusions ................................... 6 2.2.1. Maladie d’une société et fin d’une ère .................................................................. 6 2.2.2. Défendre la cause humaine ................................................................................... 8 2.2.3. Vers une sortie « civilisée » du capitalisme ........................................................ 10
3. Commentaires critiques.................................................................................................. 13 3.1. Avis d’autres auteurs sur l’ouvrage ........................................................................... 13 3.2. Avis de l’auteur de la fiche ........................................................................................ 13
4. Bibliographie de l’auteur................................................................................................ 15 5. Références ........................................................................................................................... 16 Morgane Jacobée – Fiche de lecture : «La cause humaine» – Janvier 2014
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1. L’auteur et son œuvre
1.1.
Brève biographie
Patrick Viveret, né en 1948, est un philosophe et écrivain français, fondateur d’un cabinet
de « conseil en imaginaire ». Il est titulaire d’un Capes en philosophie et est docteur en
science politique. Il renonce à l’enseignement de la philosophie pour se consacrer à sa
passion: la politique. Venu de la Jeunesse étudiante chrétienne, il se retrouve en 1968 au Parti
Socialiste Unifié (PSU) de Michel Rocard, puis au Parti Socialiste (PS). Chargé par Michel
Rocard d'une mission sur l'évaluation des politiques publiques en France, il est nommé
conseiller référendaire à la Cour des comptes en 1990. Il fut également rédacteur en chef de la
revue Transversales Science Culture entre 1992 et 1996, et prend un temps la direction du
Centre international Pierre Mendès France.
Il devient l’un des promoteurs français de l’altermondialisme. Il est cofondateur du Forum
pour d’autres indicateurs de richesse et initiateur des rencontres internationales Dialogues en
humanité. Ces rencontres placent « l’autogouvernance » de l’humanité au cœur des débats. Il
est également instigateur de monnaie éthique et sociale, comme le Sol Violette à Toulouse.
Plus récemment, il a fondé le collectif citoyen Roosevelt 2012 qui défend une
société «d’équilibre et de convivialité» avec Stéphane Hessel, Pierre Larrouturou et Edgar
Morin.
1.2.
Place de l’ouvrage dans la vie de l’auteur
La Cause Humaine est un essai, imprégné des théories d’Edgar Morin, qui lui consacre
d’ailleurs la préface. Il est publié en mai 2012, au lendemain de la crise financière et
économique qui secoue le monde. La note de la France vient d’être dégradée par des agences
de notation qui considèrent son économie comme insuffisamment compétitive. Le livre
débute sur des faits d’actualité qui illustrent l’impasse dans laquelle nos sociétés se situent.
Patick Viveret nous explique les causes de la maladie qui ronge notre monde, critique le
capitalisme actuel et, dans un élan d’optimisme, appelle à un changement de paradigme.
Morgane Jacobée – Fiche de lecture : «La cause humaine» – Janvier 2014
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2. Résumé de l’ouvrage
2.1.
Plan de l’ouvrage
Préface d’Edgar Morin
Prologue: Les tours et les tentes
PREMIÈRE PARTIE: Sortons du mur !
1.
La fin de ce monde n'est pas la fin du monde
2.
Soyons le changement que nous proposons!
3.
L’énergie du désir face à la sidération
DEUXIÈME PARTIE: Au-delà de la crise, les rendez-vous critiques de l'humanité
1.
Au cœur de la crise systémique, la démesure
2.
Derrière la démesure, le mal de vivre
3.
Le retour de la question du salut
4.
L’après-modernité: l’enjeu d’un dialogue de civilisations ouvert et exigeant
5.
Les enjeux politiques de la sagesse
TROISIÈME PARTIE: La cause humaine
1.
Une espèce qui ne s'aime pas
2.
De la peur de la mort à l'audace de vivre
3.
Jouer à 2012
4.
Que ferait un ministère de la Défense de l’humanité
5.
L’ambivalence de la condition humaine
6.
L’amour, le bonheur, le sens en procès
7.
Quel rôle pour l’humanité dans l’univers ?
QUATRIÈME PARTIE : La stratégie du désir
1.
Le désir d'humanité face à la sidération
2.
Oser penser un au-delà du capitalisme : l'apport d'André Gorz
3.
Aux sources émotionnelles de la connaissance
4.
Vive le REV !
5.
Réussir l’aventure du XXIe siècle
CONCLUSION : De la joie de vivre !
L’amour, nouvelle frontière de l’humanité ?
Morgane Jacobée – Fiche de lecture : «La cause humaine» – Janvier 2014
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2.2.
Principales étapes du raisonnement et principales
conclusions
2.2.1. Maladie d’une société et fin d’une ère
La démesure, au cœur des crises qui secouent notre monde
Patrick Viveret interpelle le lecteur dès le début de son livre, en pointant du doigt
l’influence considérable des agences de notation et l’impact qu’elles ont sur les politiques
publiques, entrainant parfois des conséquences sociales très lourdes. L’aberration est d’autant
plus forte que personne ne remet en question leur pouvoir.
Ce fait d’actualité n’est qu’un exemple parmi d’autres de la démesure dont est atteinte
notre société. Inspirée du mythe grec de l’hubris, Patrick Viveret nous explique que la
démesure est un trait fondamental de notre époque, et qu’elle est à l’origine des crises
multiples auxquelles nous faisons face. La crise économique et financière tout d’abord
s’explique par cette exubérance irrationnelle que le Wall Street Journal décrivait de la manière
suivante : « Wall Street ne connaît que deux sentiments : l’euphorie et la panique ». La
monnaie est devenue une fin en soi, et l’économie spéculative écrase de tout son poids
l’économie réelle. Ainsi, comme le remarque Patrick Viveret, moins de 3% des échanges
financiers quotidiens mondiaux correspondent à des biens et services réels1. L’auteur juge
sévèrement ces excès :
« Le capitalisme financier a réussi à faire ce que Ben Laden n’avait pas réussi à
faire, c’est à dire détruire le cœur de notre civilisation ».
La démesure écologique est également bien présente. Dérèglement climatique, atteinte à la
biodiversité, pollution et exploitation des ressources sont autant de symptômes de cette
démesure. La crise sociale pointe aussi son nez à travers la montée de fortes inégalités qui
empêchent le « vivre ensemble » de fonctionner. Un chiffre édifiant cité par Patrick Viveret
nous fait prendre conscience de cette démesure :
1
D’après un chiffre avancé par Bernard Lietaer, Mutation mondiale, crise et innovation monétaire, Éditions de
l’Aube, 2008
Morgane Jacobée – Fiche de lecture : «La cause humaine» – Janvier 2014
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« La fortune des seuls trois premiers du classement Forbes des grandes fortunes
équivaut au revenu annuel des 150 millions de personnes les plus pauvres de la
planète ».
Cette misère et cette humiliation, causées par la crise financière et les politiques de rigueur
qui ont suivi, représentent un danger pour la paix. Elles ne sont pas sans rappeler la période
des années 1930 et l’enchaînement d’évènements qui a mené à la dérive totalitaire. L’auteur
insiste, en effet, sur le danger qui pèse sur la démocratie, exacerbé par les liens qui existent
entre finance et politique, lorsque des groupes de technocrates prennent le pouvoir pour
imposer des politiques de rigueur.
«Quand le cœur d’une société, voire d’une civilisation, réside dans l’économique;
quand au cœur de l’économie se trouve l’organisation financière et qu’au cœur de
cette organisation financière règnent l’euphorie et la panique, il n’est pas très
étonnant que le système devienne profondément insoutenable» (Patrick Viveret
repris par Edgar Morin dans la préface).
Le mal de vivre
Derrière cette démesure, se cache en réalité un profond mal être, que l’on retrouve à la fois
sur le plan individuel mais également sociétal. Alors que nous dépensons insuffisamment
dans les programmes de lutte contre la pauvreté, nous dépensons des fortunes dans le secteur
militaire (en 2010, environ 1600 milliards de dollars), le secteur de la publicité (1200
Milliards de dollars) et l’économie des stupéfiants. La peur et la domination règnent. De son
côté, la publicité nous cajole, nous réconforte et plus le monde va mal, plus la consolation est
superficielle et la frustration créée par la consommation forte.
Nous n’allons pas dans le mur, nous y sommes déjà. Il faut aujourd’hui sortir de nos
« Temps Modernes », et nous diriger vers plus de modération. Patrick Viveret cite ainsi le
concept de « sobriété heureuse » de Pierre Rabhi, ou « d’abondance frugale » de Serge
Latouche. De grandes transformations doivent être entreprises afin de travailler à la
construction d’une nouvelle humanité. Pour cela, l’auteur souhaite instaurer un dialogue entre
civilisations. C’est pour cela que l’Unesco, en lien avec les Dialogues de l’Humanité travaille
sur l’idée de co-construction d’un universel de l’humanité en donnant priorité aux pays du
Morgane Jacobée – Fiche de lecture : «La cause humaine» – Janvier 2014
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Sud, et en s’inspirant des grands poètes que sont Pablo Neruda, Aimé Césaire et Rabindranath
Tagore. Selon le Philosophe marxiste Antonio Gramsci :
« La crise se produit lorsque le vieux monde n’en finit pas de disparaître et que le
monde nouveau n’en finit pas de naître. Et, dans ce clair-obscur, des monstres
peuvent apparaître »
Nous sommes dans cette phase de transition, et la véritable question selon l’auteur est de
savoir quelle voie nous allons choisir. Il faut aujourd’hui repenser « l’humanisation de
l’humanité » et avoir pour projet d’avenir le sapiens sapiens. L’humain est un être
ambivalent, et reste guidé par son état d’homo sapiens demens, terme employé par Edgar
Morin dans la Préface en référence à l’hubris grec, et il serait temps de dépasser la démesure,
et d’accepter qu’il existe des limites.
2.2.2. Défendre la cause humaine
Vaincre la peur de la mort, et débloquer son imaginaire
Le défi de notre société réside donc dans sa capacité à se transformer, se soigner, et à se
réinventer. Malgré tout, les difficultés auxquelles nous sommes confrontées proviennent,
selon Patrick Viveret, du rejet de notre propre condition d’espèce humaine. Notre espèce ne
s’aime pas ni ne s’assume. Nous avons toujours cherché à échapper à notre condition et cela
explique, d’après Patrick Viveret, notre fascination pour le monde minéral, tel que l’or et le
diamant, monde immobile, exempt de souffrance et immortel. La mort crée en nous une peur,
et nous n’osons pas regarder vers l’avenir ni recourir à notre imaginaire. À force d’avoir peur
de la mort, nous n’osons plus vivre et préférons accumuler. Or, elle est une « sculpture du
vivant »2 selon l’expression de Jean Claude Ameisen, et il nous faut retrouver « l’audace de
vivre »3.
2
Selon une expression du grand biologiste Jean Claude Ameisen, La scuplture du vivant. Le suicide cellulaire
ou la mort créatrice, Seuil 1999
3
Arnaud Desjardins, L’Audace de vivre, la Table ronde, 1989
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La cause humaine pour vaincre notre immobilisme
Cette audace, Patrick Viveret la place dans la cause humaine. Cette cause, la croyance en
l’humanité, est celle qui nous redonnera le désir d’agir, évitera le désespoir et le
découragement. Choisir cette cause, c’est choisir la cause de la vie et aller à l’encontre de la
mort, de la sidération. Choisir cette cause, c’est accepter l’énergie du désir, être dans le
mouvement, dans « l’eros ». Choisir cette cause, c’est refuser l’immobilité et la panne
d’imaginaire. A l’inverse des causes économiques, politiques ou religieuses souvent mises en
avant, cette cause là sait que qu’elle est une menace pour elle-même. Elle est à l’origine de la
destruction de son habitat, de la production d’armes de destruction massive, d’inégalités
économiques, de dérive scientifique etc. Dès lors, Patrick Viveret imagine un Ministère de la
défense de l’Humanité qui la protègerait de tous risques.
L’Homme est bien entendu un être ambivalent, et possède une nature qui semble parfois le
pousser à la domination, la haine ou la violence. Néanmoins, l’auteur est persuadé que l’enjeu
principal reste une progression vers l’altérité, la coopération et l’empathie.
Une nouvelle forme d’anthropologie, le système ABS
Il faut réintroduire les trois aspirations fondamentales et complémentaires de l’être humain,
à savoir l’Amour, le Bonheur et le Sens (ABS) au sein de la société et du débat public. Elles
ont longtemps été évincées, car associées à un certain idéalisme, à des dérives totalitaristes,
ou à des guerres. Pourtant, ces trois notions appellent une « haute qualité démocratique ». La
société, à travers ces trois valeurs, devrait aider chacun à répondre à la question :
« Qu’allons-nous faire de notre vie, et non pas seulement dans notre vie ?»
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2.2.3. Vers une sortie « civilisée » du capitalisme
La stratégie du désir
Nous devons remettre l’être humain au centre de nos sociétés, et accepter un « saut
qualitatif dans l’histoire de la famille humaine ». L’enjeu de cette nouvelle ère selon Patrick
Viveret est le salut de notre espèce. Nous n’avons plus le choix, il faut choisir : régresser ou
aller de l’avant et réinventer notre société. Nous sommes victimes de l’effet de sidération, et
restons à la fois paralysés et fascinés par l’idée qu’il n’y a aucune alternative4. Pourtant, il
existe une alternative à la sidération, la dé-sidération, origine du mot désir en latin. Nous
devons libérer notre imaginaire et retrouver ce désir d’humanité, ce désir de vivre intensément
sur notre planète qu’il faut préserver des menaces citées précédemment.
Il ne s’agit pas de trouver des réaménagements au système, mais de le transformer. Selon
l’auteur, il faut traiter simultanément les crises écologique, sociale et financière. Des pauvres
ne peuvent, en effet, se soucier des catastrophes naturelles actuelles dès lors que « leur projet
de vie se borne aux vingt-quatre prochaines heures » selon l’expression de Bertrand
Schwartz. Patrick Viveret propose donc de mettre en place un « bouclier vital » pour protéger
les plus pauvres afin de rembourser la dette financière.
Les stratégies transformatrices et les forces à l’œuvre
L’auteur ne s’en tient pas seulement à l’analyse et à la critique de notre monde, il met en
avant les initiatives qui existent et propose des solutions. En effet, des forces sont déjà à
l’œuvre et elles ont l’intelligence de ne pas s’appuyer sur la logique guerrière du capitalisme,
mais au contraire sur des ressorts pacifiques. Ainsi, tel est le cas du mouvement des Indignés,
l‘occupation de Wall Street, le printemps arabe etc. Quelle stratégie transformatrice adopter ?
Pourquoi, propose Patrick Viveret, ne pas utiliser les arts martiaux comme stratégie de non
violence active ? Il cite la stratégie de jiu-jitsu de masse créée aux Etats-Unis dans les années
1960 par Saul Alinsky, travailleur social dans les quartiers défavorisés de Chicago. Dans un
livre, ce dernier évoque treize règles qui définissent la tactique pour une action de lutte
transformatrice réussie. Son principe consiste à utiliser la force de l’adversaire pour la
4
« There is no alternative » (TINA), slogan attribué à Margaret Tatcher, Premier Ministre du Royaume-Unis
(1979-1990)
Morgane Jacobée – Fiche de lecture : «La cause humaine» – Janvier 2014
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retourner contre lui, mais toujours en respectant les conditions fondamentales de la nonviolence.
Comme un kit de survie à utiliser pour soigner notre société malade, Patrick Viveret nous
propose également la méthodologie REV, qu’il nomme le trépied du rêve : Résistance
créatrice, Expérimentation anticipatrice et Vision transformatrice, trois notions qui, couplées
ensemble, nous permettront de créer des solutions et de mettre au point des stratégies
transformatrices. Ainsi, le mouvement des Indignés illustre bien cette résistance créatrice à
l’œuvre. L’Économie Sociale et Solidaire, née au XIXe et XXe siècles, consiste en une
expérimentation d’une nouvelle façon vivre ensemble. Le mouvement altermondialiste est
quant à lui un bel exemple de vision transformatrice. Ces mouvements doivent coopérer et
construire des alliances.
Il est également indispensable de repenser le système de monnaie afin de leur rendre plus
démocratique, et pluriel. Patrick Viveret cite notamment le Sol en France ou la Terra.
Monnaie mondiale, la Terra a été créée par Bernard Lietaer, ancien gouverneur de la Banque
Centrale de Belgique qui propose qu’elle perde de la valeur si on ne l’utilise pas, afin
d’empêcher la spéculation. Ces monnaies seraient donc utilisées dans des échanges
économiques ayant une valeur sociale, environnementale, citoyenne.
L’auteur avance aussi l’idée « d’audit des richesse réelles », une expérimentation lancée
par le Conseil régional des Pays de la Loire. La monnaie étant parfois déconnectée de la
richesse réelle, elle n’est pas capable de mesure fiable. C’est pourquoi, l’audit consiste à
étudier, dans un territoire donné, ce qui fait réellement la richesse de la population. Les
citoyens sont consultés pour classer les activités par catégories selon des critères quantitatifs
et qualitatifs. Ce type de comptabilité permettrait de revenir à une mesure des bénéfices, dans
le sens « bienfaits », et permettrait de renforcer la démocratie à l’endroit où elle est pratiquée.
De manière générale, la société doit construire des alliances dynamiques dans les
territoires, où les collectivités locales ont un rôle important à jouer. S’inspirant du mouvement
« des villes en transition »5 lancé pour anticiper les effets de la raréfaction du pétrole, Patrick
Viveret imagine les « territoires en transition », sorte de pacte de transition qui incite à penser
le changement économique, écologique et social à l’échelle locale.
L’objectif est de créer une société du « bien vivre », et faire de cet art et de la sagesse un
enjeu politique. Pour cela, il faut réinventer le lien social, remettre le partage, la collaboration
et la solidarité au cœur de la société. Le trépied du REVe et l’importance du triptyque ABS
(Amour, Bonheur et Sens) nous aideront à défendre la cause humaine. Un Manifeste de ce
5
Sources de l’auteur : www.transitionnetwork.org
Morgane Jacobée – Fiche de lecture : «La cause humaine» – Janvier 2014
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mouvement global pourrait venir compléter ces actions. Il serait celui de la déclaration
universelle des droits humains, amendée sur deux points : l’exigence de droits citoyens
mondiaux valables pour tout être humain, et la reconnaissance de nos devoirs à l’égard de la
nature.
Enfin, ajoutons que tout au long du livre, Patrick Viveret revient sur la position de
l’Europe, et de la France dans ce changement de paradigme. L’Europe, puissance en déclin,
ne propose aucune transformation créatrice. Elle a pourtant un rôle à jouer sur la scène
internationale, comme laboratoire des innovations sociales et des solutions de développement
soutenables.
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3. Commentaires critiques
3.1.
Avis d’autres auteurs sur l’ouvrage
Très récent, l’ouvrage de Patrick Viveret a reçu de nombreuses critiques positives. Patrick
Viveret est salué par les lecteurs pour son analyse pertinente et lucide des causes de notre mal
être et des crises qui secouent notre monde. Le cheminement du livre est clair, et l’auteur ne
s’en tient pas à la critique. Il exhorte le lecteur à l’optimisme et lui montre la voie d’une sortie
« civilisée » du capitalisme.
Des lecteurs reprochent un certain côté « Bisounours » au livre et l’utilisation de nombreux
truismes. Des évidences sont, en effet, énoncées tout au long de l’essai, mais l’auteur luimême s’en défend dans son livre. De plus, certains critiquent le fait que le lien entre
transformation individuelle et transformation collective n’est pas clairement développé.
Comment passe-t-on à un désir collectif ? La réponse paraît partiellement traitée.
3.2.
Avis de l’auteur de la fiche
La lecture de ce livre est très intéressante et stimulante. Elle fait voyager le lecteur à
travers toute une palette de sentiments: incompréhension, révolte et colère contre la démesure
du monde actuel, curiosité envers les initiatives positives qui s’organisent, et enfin optimisme
et confiance en la cause humaine. Nous avons envie de croire en ce nouvel humanisme que
propose Patrick Viveret, fondé sur les liens éthiques, l’amour et le désir. Le désir est perçu
comme un moteur de changement, une force créatrice, voire révolutionnaire. C’est la
libération de notre imaginaire et la volonté de trouver sa place dans une société qui a du sens.
Pour reprendre une célèbre phrase de Gandhi, citée par Patrick Viveret :
« Soyons le changement que nous souhaitons voir dans le monde ».
Sur ce point, il est important de préciser la distinction fondamentale entre désir et besoin.
Contrairement au besoin, le désir n’a pas de fin et permet une énergie illimité parce qu’il est
lié à la conscience de la mort chez l’être humain. C’est pourquoi il faut prendre conscience et
accepter les limites de notre monde pour ne pas faire un mauvais usage de cette énergie.
Morgane Jacobée – Fiche de lecture : «La cause humaine» – Janvier 2014
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Sans être idéaliste, Patrick Viveret reste optimisme. Il ne nie pas l’ambivalence de l’être
humain, mais croit profondément en l’humanité. Il n’a pas une vision rigide de l’homme : il
refuse la version idéaliste de J.J. Rousseau, mais il n’a pas non plus la vision négative de
l’homme de Hobbes, où « l’homme est un loup pour l’homme ». Ce livre est donc une bouffée
d’air frais et offre un regain d’espoir pour les individus et la société. Il pointe le doigt sur de
nombreuses initiatives de l’Économie Sociale et Solidaire particulièrement intéressantes, mais
qui demeurent souvent invisibles. Prenons en exemple le concept répandu de sobriété
heureuse de Pierre Rabhi, vers lequel Patrick Viveret souhaiterait mener la société. Dans son
ouvrage intitulé Vers la sobriété heureuse, Pierre Rabhi critique la surabondance qui crée un
effet de manque, la frustration chez les individus et les empêche d’être heureux. Tout comme
Patrick Viveret, il critique la publicité, notre société de consommation et appelle à la sobriété
pour retrouver le bonheur. Alors qu’elle est plutôt tournée vers l’humain chez Patrick Viveret,
cette quête du bonheur s’inscrit davantage pour Pierre Rabhi dans notre lien avec la nature,
fondamentale pour notre bonheur.
Enfin, bien que le livre soit optimiste, il ne peut empêcher qu’un sentiment d’impuissance,
voire de découragement surgisse chez certains lecteurs. Nous sommes « dans le mur » et
même si certaines idées énoncées par l’auteur nous paraissent évidentes, comme l’importance
de coopérer, les logiques non guerrières, l’amour etc., il est parfois difficile de croire qu’une
réelle transformation sera possible dans nos sociétés. Certaines initiatives paraissent parfois
naïves et sont locales. La croyance en une « grande transformation », pour reprendre
l’expression de Karl Polanyi, semble d’autant plus ardue que la société civile paraît être la
seule à pouvoir amener le changement, la classe politique étant elle-même prise au piège du
système. Comme le rappelle Edgar Morin dans la Préface, la politique devrait aujourd’hui se
consacrer au vouloir vivre de l’humanité car la seule cause qui vaille est celle de l’Humanité
même.
On peut regretter l’absence d’analyse du rôle des entreprises dans ce changement de
paradigme. L’auteur a pu considérer que le changement proviendra des individus qui les
composent. Néanmoins, de par leur pouvoir et leur influence, elles sont devenues des acteurs
majeurs de nos sociétés et peuvent devenir pionnières dans la défense de la cause humaine.
Grandes entreprises cotées en bourse, petites et moyennes entreprises etc., nombre
d’initiatives auraient été intéressantes à étudier.
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4. Bibliographie de l’auteur
• 1976 - Attention Illich, Paris, éditions du Cerf, 126 p.
• 1978 - Pour une nouvelle culture politique (en collaboration avec Pierre
Rosenvallon), Paris, Seuil, 154 p.
• 1990 - Évaluer les politiques et les actions publiques, la Documentation Française,
• 1995 - Démocratie, passions, frontières, Paris, éditions Charles Léopold Mayer, 39 p.
• 2003 - Reconsidérer la Richesse, La Tour d’Aigues, éditions de l'Aube, 238 p.
• 2005 - Pourquoi ça ne va pas plus mal ? Paris, Éditions Fayard, 264 p.
• 2006 - Pour un nouvel imaginaire politique, ouvrage collectif (Edgar Morin,
Christian Losson, Mireille Delmas-Marty, Patrick Viveret), Paris, Éditions Fayard,
156 p.
• 2009 - PIB, la richesse est ailleurs, Patrick Viveret rédacteur en chef du numéro 74
de la revue Interdépendances, juillet
• 2011 - De la convivialité, Dialogues sur la société conviviale à venir, ouvrage
collectif (Alain Caillé, Marc Humbert, Serge Latouche, Patrick Viveret), Paris,
éditions La Découverte, 191p.
• 2012 - La Cause Humaine, du bon usage de la fin d'un monde, Paris, Editions Les
Liens qui Libèrent, 195 p.
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5. Références
Ouvrages :
Lietaer B (2008). Mutation mondiale, crise et innovation monétaire. Paris, Éditions de
•
l’Aube
Ameisen J-C (1999). La scuplture du vivant. Le suicide cellulaire ou la mort créatrice.
•
Paris, Seuil
Desjardins A (1989). L’Audace de vivre. Paris, La Table ronde
•
Internet :
•
Les Influences – L’agence de presse des idées. « Comment profiter de la fin du
monde », 13 décembre 2012, http://www.lesinfluences.fr/Comment-profiter-de-la-findu.html
•
Van Eersel P, « Patrick Viveret – ‘il faut réintroduire l’amour en politique’ », Clés.
http://www.cles.com/debats-entretiens/article/patrick-viveret
•
France
Inter.
« La
cause
Humaine »,
Entretien
du
3
juin
2012,
http://www.franceinter.fr/emission-parenthese-la-cause-humaine
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