extraits - R

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FEBRUARY _ FÉVRIER 08
Thierry Verbeke | Génération Béruriers
PIERRE-OLIVIER ROLLIN
THIERRY VERBEKE
THIERRY VERBEKE
GÉNÉRATION BÉRURIERS
génération Béruriers
Dans un entretien désormais célèbre
avec Hans Haacke, et fort ironiquement intitulé « LibreÉchange », Pierre Bourdieu formulait cette question incisive :
« Quelles formes symboliques peut-on aujourd’hui opposer
aux formes modernes de domination symbolique ? Les intellectuels mais aussi les syndicats, les partis, sont très désarmés face à cela. Vous [Hans Haacke, mais cela s’adressait à
tous les artistes] prouvez, par les faits, en acte, qu’il est possible d’inventer des formes d’actions symboliques, inouïes,
qui nous changeraient de nos éternelles pétitions et qui mettraient les ressources de l’imagination littéraires et artistiques au service des luttes symboliques contre les
dominations symboliques » 1.
Car l’enjeu est bien celui-là dans l’œuvre de Thierry
Verbeke, même si l’artiste l’a formulé différemment, notamment avec Ré-injecter du politique dans le quotidien, délicieuse petite série de multiples aux couleurs et aux formes
de fromages Babibel marqués d’un marteau et d’une faucille.
Comment manifester, témoigner de son refus de soumission
à un ordre du monde qui se prétend « naturel » voire « a-historique » ; ce qui revient au même ? Tout en étant conscient
des limites et de la portée réelle de ses actes. C’est dans ce
cadre étroit que se répandent, ou plutôt slaloment, ses propositions plastiques.
seconde, celle de la flibuste historico-mythique qui rappelle,
à la suite des écrits du célèbre historien anglais Christopher
Hill, que la piraterie est aussi un « monde inversé » 4 ; soit une
tentative de mettre sur pied une contre-société plus égalitaire que celle dans laquelle vivaient les marins, un espoir de
mettre sur pied ce qui, à l’époque, n’est encore qu’une utopie
démocratique (Eleutheria, Libertalia, etc.). L’œuvre lie ainsi
deux systèmes d’organisations sociales, induisant des
échanges entre eux.
De surcroît, cette bannière pirate annonçait également la couleur de l’expo ; celle d’une critique du système
médiatico-économique, clos et vicieux comme peut l’être un
cercle. Car, sous un premier aspect badin, léger, fun seraiton tenté d’écrire, l’artiste va enchaîner une succession de
paradoxes visuels, culturels, sémantiques, etc. qui, s’ils se
perçoivent dans un premier temps comme des apories amusantes, révèlent in fine les inégalités structurelles de notre
système. Roland Barthes n’a-t-il d’ailleurs pas démontré que
Barricade, impression sur vinyle contre-collé sur bois,
480 /200 cm, bande son, HP, 2008.B.A.R.
Dès lors, celles-ci peuvent circuler dans l’espace public,
comme certaines de ses interventions précédentes 2, mais
elles se retrouvent aussi dans les lieux d’exposition, alors
symboliquement associés à une « terre franche », ces zones
enclavées, échappant à l’autorité extérieure. C’est d’ailleurs
un drapeau de pirates qui flottait à l’entrée du Bureau d’Art
et de Recherche (B.A.R.), lors d’une exposition de l’artiste, en
2008. Un drapeau fait d’un patchwork de tissu noir, bien sûr
marqué du crâne aux os croisés du fameux Jolly Roger.
Ce faisant, Thierry Verbeke brouille deux références
socioculturelles en les associant : la première, celle du
patchwork, longtemps associé à une pratique expressive
exclusivement féminine, fréquente notamment dans les
associations d’occupation de femmes ouvrières 3 ; et la
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33
REV UE
50°
NORD
LUK LAMBRECHT
Les concerts
Réflexions
fragmentaires
à propos de
l’œil sonore
Art is
noise 1
Sound of Music
est une exposition en deux volets
du FRAC Nord - Pas de Calais dont
la première version avait été
montrée à Courtrai en Belgique
du 11 juillet au 30 septembre 2007
dans le cadre du Festival Happy
New Ears XII et la seconde version
présentée dans le cadre du Festival
des Voix Magnétiques de Lille
au Tri Postal du 10 au 26 octobre
2008, en partenariat avec
l’association BAZAR.
1 _ L’art est bruit
du groupe newyorkais Sonic Youth sont toujours une expérience que l’on
appelle de ses vœux, ce sont des concerts auxquels il faut
impérativement assister en direct, parce que leur répertoire
remet en question le concept de mélodie… Avec ses murs
sonores magistraux, Sonic Youth parvient à « mettre en son »
les troubles les plus profonds de l’âme humaine. La culture
contemporaine s’est institutionnalisée ; une gamme de
formules bienséantes exprime des sentiments qui subliment
l’authenticité en une jolie forme d’escapisme « verrouillé ».
Kim Gordon et ses camarades de Sonic Youth savent parfaitement transposer les tréfonds de l’existence humaine, si
solitaire, et les dissonances de son angoisse fondamentale
en un chaos réfléchi, constitué de sons contenus dans les
structures sous-jacentes de compositions libres, intelligemment orientées. Pour ce type de musique, l’improvisation
incarne la liberté individuelle qui répond parfaitement au
contexte du noyau dur du groupe, les quatre membres qui,
au bout du compte, produisent de la musique ensemble.
L’histoire de Sonic Youth, qui commence au début des
années 80, n’est pas uniquement pertinente, et étonnante,
en matière de musique rock, elle évolue parallèlement à ce
que l’art contemporain nous a offert de mieux ces trente
dernières années. Kim Gordon est historienne de l’art de
formation ; elle a écrit pour la revue Artforum et a atterri sur
la scène rock grâce à l’artiste américain Dan Graham, qui,
dans son œuvre Rock my Religion, a établi un lien entre la
pensée sur les arts plastiques et le vécu collectif, la quasicommunion religieuse de la scène rock alternative. Sonic
Youth est l’un des rares groupes qui persistent à créer, avec
un engagement permanent, des passerelles entre leur
musique et l’habillage visuel de leurs productions, et ce, par
le biais d’œuvres d’art réalisées par les meilleurs artistes du
moment. Ainsi, des œuvres de Gerhard Richter, Raymond
Pettibon, Mike Kelley, Dan Graham, Christopher Wool, Richard
Prince et Jeff Wall ne font pas qu’illustrer les pochettes de
leurs CD pour affirmer leur bon goût : elles signifient un désir,
de plus en plus estompé à ce jour, de rapprochement authentique entre diverses disciplines artistiques. Sonic Youth passe
pour un modèle parfait de la manière dont l’intérêt pour la
musique et les arts plastiques peut interagir sans jamais
interférer en tant que pseudo-transversalité trop à la mode
et qui, du fond de son bel écrin, cache trop souvent une
vacuité en matière de contenu.
Sonic Youth a trouvé le moyen de donner forme, sans
insistance, à un mode de vie qui ne tourne pas entièrement
le dos à l’industrie du rock. Si ses disques sortent sous le
label Geffen Records, le groupe enregistre ses élans expérimentaux sous son propre label, donnant en outre l’occasion
à de jeunes musiciens et groupes alternatifs de la scène
underground de présenter à un large public leurs productions dérangeantes, inspirées par un art allant à contrecourant du goût dominant.
PORTFOLIO VITRINES
BERTRAND GADENNE
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AUGUST _ AOÛT 08
Gerald Van Der Kaap | Au-delà de l’expérience
PETER FRANSMAN
Gerald
Van Der
Kaap :
au-delà de
l’expérience
Certains artistes sont en avance sur leur
temps et influencent le développement artistique de leurs
confrères. Pour toutes sortes de raisons, les observateurs
du monde de l’art, conservateurs et autres critiques, sont
les derniers à reconnaître le caractère innovant de leur œuvre.
Cela vaut à plus forte raison des artistes qui marchent hors
des sentiers battus. Gerald Van Der Kaap (Enschede, PaysBas 1959) fait partie de ces artistes, sa contribution au développement des arts plastiques à travers l’exploitation de
l’ordinateur n’ayant été reconnue qu’assez tardivement.
Au début de sa carrière, Gerald Van Der Kaap était considéré comme un excentrique. Le personnage s’intéressait en
effet à une technique qui n’en était qu’à ses premiers balbutiements et dont les applications dans le monde de l’art
étaient quasi inexistantes. Mais Van Der Kaap est un aventurier de l’art. Il se considère lui-même comme un citoyen du
monde sur lequel il porte un regard dénué de tout préjugé.
C’est un chercheur, un expérimentateur qui se pose en observateur et veut associer le public à son travail d’observation.
Son champ d’étude est la réalité mise en scène ou la réalité
brute, qu’il s’efforce de communiquer au spectateur de
manière aussi neutre que possible. Cette neutralité n’exclut
pas une certaine forme d’interaction entre l’artiste et son
sujet que le spectateur peut déceler dans ses images. Le sujet
Gerald Van Der Kaap, Bonuzz, BKK in More to Love Bangkok 2008,
118,1 x 91,4 cm.
de l’œuvre de Van Der Kaap est l’homme dans sa dimension
physique et spirituelle, des hommes souvent très jeunes, avec
lesquels semble-t-il, l’artiste s’identifie davantage qu’avec
ses contemporains. Van Der Kaap est l’auteur d’une multitude de photographies et de films où jeunes hommes et jeunes
femmes se mettent littéralement à nu devant l’objectif. Il
réalise des portraits ou des travaux plus larges où prédomine
une figure centrale. Ses portraits ont, malgré leur apparente
simplicité, toujours une très forte charge émotionnelle.
Le travail de Van Der Kaap est incontestablement
magique ; une magie qui s’exprime non seulement dans la
manière dont il fixe ses sujets, mais également dans sa
personnalité, qui transparaît dans ses images. Modeste,
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