les labos sous le choc d`une réformemusclée
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les labos sous le choc d`une réformemusclée
Allindustrie 29/03/06 17:55 Page 1 i n d u s t r i e 21 LES LABOS SOUS LE CHOC D’UNE RÉFORME MUSCLÉE La réforme initiée par Gerhard Schröder en 2003 a porté ses fruits. Mais à quel prix pour les laboratoires pharmaceutiques ? Le marché allemand est en forte baisse. Les industries menacent de s’expatrier. L’emploi et la croissance sont compromis. —————— ux mêmes maux les mêmes remèdes. En Allemagne comme ailleurs, les dépenses de santé explosent. Or le système de protection sociale est exsangue. En 2003, le gouvernement fédéral de Gerhard Schröder a lancé, avec l’appui de la CDU-CSU -alors dans l’opposition- un premier train de mesures visant à équilibrer les comptes de la sécurité sociale allemande. Une thérapie de choc qui offre de bons résultats. Les caisses sont désormais renflouées. Mais à quel prix pour le secteur pharmaceutique, un A © DR Bayer ne voulant pas perdre sa place de numéro un en Allemagne a proposé à Schering AG 16,3 milliards d’euros pour contrer l’OPA hostile de Merck, proposition aussitôt acceptée. des principaux contributeurs à ce plan de réduction des dépenses ? Ce premier train de mesures prévoit d’économiser 23 milliards d’euros à l’horizon 2007 (10 milliards en 2004). Une grande partie de ces économies provient du rabais obligatoire de 16 % accordé par les fabricants de médicaments. A cela s’ajoute la mise en place d’un système de prix de référence ainsi que de nombreux déremboursements de médicaments (lire encadré). Pas étonnant dans un tel contexte que le marché pharmaceutique allemand soit en perte de vitesse. En 2004, les ventes de produits pharmaceutiques ont ainsi diminué de près de 10 % à 21,4 milliards de dollars. La hiérarchie chamboulée. Alors que Pfizer restait le numéro un incontesté en 2004, malgré une légère érosion de sa part de marché à 6,4 %, son leadership était menacé par Sanofi-Aventis (respectivement 12ème en 4ème position). Et ce d’autant que la suspicion autour des inhibiteurs COX-2 suite au retrait du Vioxx par Merck pèse sur les ventes du Celebrex de Pfizer. D’autres laboratoires très innovants comme Merckle, Novartis, Hexal, Roche AstraZeneca ou Johnson & Johnson tirent leur épingle du jeu et affichent de fortes croissances et gagnent des parts de marché sur ce marché difficile. Côté produits, la hiérarchie a été chamboulée par le retrait du marché du Vioxx fin 2004. Merck a dû arrêter la vente de son médicament vedette après que des études ont montré des risques cardiovasculaires associés à la prise répétée de ce produit. L’ensemble de cette classe thérapeutique (inhibiteurs COX-2) en a subi les conséquences. Le Vioxx était encore en 2004 l’un des produits les mieux vendus en Allemagne avec un taux de croissance de plus de 25 %. Dans le « top 10 » des médicaments commercialisés outre-Rhin, nombreux sont ceux dont la croissance dépasse allègrement les 30 % AV R I L 2 0 0 6 _ P H A R M A C E U T I Q U E S Allindustrie 29/03/06 17:55 Page 11 i n d u s t r i e 23 Dépenses de la sécurité sociale allemande (en 2004) Economies réalisées en 2004 Coûts administratifs 8,8 % -3,3 % Total dépenses 1,5 % Hôpital Autres services 30,4 % Hôpital 46,8 % icaux 8,2 % Médicaments 21,8 % -5,8 % Médecine de ville -9,5 % Médicaments -10,6 % Dispositifs méd. Médecine de ville 23 % 0% -12 Avec 46,8 milliards d’euros, un tiers des dépenses de la sécurité sociale (140 milliards) est pour l’hôpital. Les 23 milliards pour la médecine de ville et les 21,8 milliards pour les médicaments représentent un second tiers. (Nexium d’AstraZeneca, Plavix de Sanofi-Aventis, Iscover de Bristol Myer Squibb et Zyprexa d’Eli Lilly). De fortes progressions qui cachent mal la réalité d’un marché en net repli. Le Verband Forschender arzneimittelhersteller (VFA), équivalent allemand du Leem, s’émeut de voir certains laboratoires délocaliser leur production et leurs équipes de R&D. « Après les nombreuses mesures de régulation qui ont affecté le secteur pharmaceutique allemand ces dernières années, l’entrée en vigueur de la réforme en 2004 a provoqué la première baisse de chiffre d’affaires et de nombre d’employés depuis 1995 », écrit-il en introduction de son rapport 2004 sur le marché pharmaceutique allemand. Ainsi, en 2004, la production a décliné de 3,8 %. Tentative d’OPA de Merck sur son compatriote Schering. L’Allemagne n’est plus le géant mondial de la pharmacie qu’il était. Sa production décline même d’année en année. Le pays ne représente plus que 7 % au niveau mondial (contre 9 % en 1990). Donc loin derrière la France avec 10 %, le Japon 16 % et les Etats-Unis 33 %. Pourtant, la pharmacie reste outreRhin l’un des secteurs industriels où la valeur ajoutée est la plus élevée (73 300 euros par employé contre 54 400 euros pour l’industrie mécanique, par exemple). L’emploi a également diminué. Selon le VFA, 4 500 postes auraient été supprimés du fait de la réforme. Certains professionnels estiment même qu’un emploi sur trois serait menacé dans la recherche. Des laboratoires comme Pfizer ont anticipé une telle dégradation de l’environnement et ont transféré leurs équipes de recherche -10 -8 -6 -4 -2 0 Coûts administratifs 2 Avec un excédent de 4 milliards d’euros en 2004, les comptes de la sécurité sociale ne sont plus dans le rouge. Avec 9,5 % d’économies, l’industrie pharmaceutique contribue à une large part, avec les dispositifs médicaux. et développement en Grande-Bretagne où le climat réglementaire est bien moins contraignant. D’autres laboratoires font de même (Merck & Co., Schwarz Pharma…) Du coup, les dépenses de R&D stagnent en Allemagne. Et même si elles restent à un niveau élevé de 3,8 milliards d’euros (15 % de leur chiffre d’affaires), pour combien de temps encore ? Seulement dix des grands laboratoires, sur les 130 que compte le monde, sont encore en Allemagne. Une tentative pas étonnante dans un tel contexte. L’enjeu pour les laboratoires de taille moyenne est d’atteindre la taille critique qui va leur permettre d’augmenter leurs efforts de recherche et développement et surtout d’acquérir une force de vente importante aux Etats-Unis ou au Japon. Et ce pour ne pas perdre leur indépendance. Merck et Schering auraient créé un nouveau champion de la pharmacie outre-Rhin avec 11 milliards d’euros de chiffre d’affaires. Mais Bayer ne Des caisses renflouées Le premier volet de la réforme s’était fixé pour objectif de ramener les caisses de l’assurance maladie à l’équilibre. C’est chose faite. Après avoir atteint un déficit record de 3 milliards d’euros en 2003, elles ont dégagé en 2004 un excédent de 4 milliards d’euros, le premier depuis 11 ans. Concoctée en 2003 par le gouvernement Schröder avec l’appui de l’opposition conservatrice, la réforme vise à réduire des dépenses de santé bien trop élevées par rapport aux ressources des caisses. Les frais de santé sont en effet restés à un niveau très élevé ces dernières années sous l’effet du vieillissement de la population. Ils représentaient 10 % du PIB allemand en 2002, les médicaments équivalant à 1/6e du total. En revanche, dans un contexte de fort taux de chômage (12 % des actifs), les moyens ont diminué. Pour compenser, les prélèvements sociaux ont augmenté de 12,7 % en 1992 à 14,2 %. Mais cette solution n’était pas tenable. Le gouvernement s’est donc attaqué aux dépenses. Jusqu’à la réforme, les patients ne payaient ni pour les consultations, ni pour les examens, ni pour leurs médicaments. Depuis, certains actes ne sont plus couverts, comme les soins dentaires. Le séjour hospitalier coûte désormais 10 euros par jour, avec un plafond de 280 euros. Les patients doivent payer 10 % de la consultation et du coût du traitement. Les industriels ont été mis à contribution pour arriver à économiser 23 milliards d’euros d’ici 2007, dont 10 milliards dès 2004. Ils ont dû consentir un rabais de 16 % sur leurs ventes. Le prix des médicaments est désormais fixé dans le cadre d’une liste de référence. AV R I L 2 0 0 6 _ P H A R M A C E U T I Q U E S Allindustrie 29/03/06 17:55 Page 13 i n d u s t r i e 25 Génériques, la concentration s’accélère L’Allemagne est le deuxième marché mondial des génériques (6 milliards d’euros). Cela représente 18 % des ventes de médicaments. Pas moins de 60 laboratoires se partagent le marché. Nous allons vers une concentration des acteurs. Et ce d’autant que de nombreux candidats frappent à la porte de ce gigantesque et prometteur marché. Depuis 2004 et la reprise d’Esparma par le groupe indien Wockhardt pour 9 millions d’euros, le mouvement s’est accéléré. En 2005, la branche générique de Novartis Sandoz (3,75 milliards d’euros de ventes en 2005) s’est emparé d’Hexal (laboratoire générique allemand réalisant 1,3 milliard d’euros de chiffre d’affaires en 2004). De son côté, l’anglo-indien Torrent Pharmaceuticals (930 millions d’euros de ventes) a racheté Heumann Pharma (50 millions d’euros de facturations), filiale générique du géant américain Pfizer. Un autre indien, Dr Reddy’s (375 millions d’euros de chiffre d’affaires), vient de débourser, en février 2006, 480 millions d’euros pour eprendre Betapharm (175 millions d’euros de chiffre d’affaires), un laboratoire jusque là détenu par le fonds d’investissement 3i. veut pas, lui, perdre sa place de nu- méro un allemand de la pharmacie. Il a donc joué les chevaliers blancs et surenchérit à 16,3 milliards d’euros (+ 12 % par rapport à l’offre de Merck). Du coup c’est Merck qui se retrouve dans le camp des cibles potentielles. D’autant qu’il est très actif dans les génériques. L’un des segments de la pharmacie les plus porteurs, y compris en Allemagne. Outre les dépenses de R&D, les laboratoires rognent également sur leurs frais de commercialisation et de marketing. Ils réévaluent leurs forces de vente afin de les affecter différemment et plus efficacement. Une fois encore, aux mêmes maux les mêmes remèdes. Les représentants médicaux sont désormais plus sélectifs par rapport aux médecins qu’ils visitent. Les laboratoires expérimentent par ailleurs l’approche directe des patientsconsommateurs. Les copies de médicaments bénéficient du double effet de l’arrivée à échéance de nombreuses molécules et de la place qui leur est réservée par les réformes des systèmes de santé. Le marché allemand du générique est même le plus important en Europe. Il représente 18 % des ventes de médicaments outre-Rhin. Ce marché est aussi l’un des plus concurrentiels avec plus d’une cinquantaine de laboratoires en concurrence. Alors qu’en 2004, plus de 700 millions d’euros de chiffre d’affaires sont tombés dans le domaine public puis environ 600 millions en 2005, la tendance devrait rester soutenue. Toutefois, les industriels du secteur prévoient un ralentissement de leur croissance à 15 % par an. A l’instar des laboratoires princeps, les génériqueurs ont été affectés par les mesures de réduction des dé- penses de santé. Ils ont également souffert du rabais de 16 % ainsi que le retrait de la liste de remboursement de nombreux médicaments. Et pour faire face à cette situation, de nombreux laboratoires envisagent à leur tour de produire et de développer leurs futurs médicaments hors d’Allemagne. Par ailleurs, plusieurs grands génériqueurs veulent se faire une place sur le deuxième marché mondial. La concurrence s’accroît et oblige les entreprises à se concentrer (lire encadré). OTC, une chute de 10 %. A l’instar des laboratoires princeps, les génériqueurs ont été affectés par les mesures de réduction des dépenses de santé. Ils ont également souffert du rabais de 16 % ainsi que le retrait de la liste de remboursement de nombreux médicaments. Et pour faire face à cette situation, de nombreux laboratoires envisagent à leur tour de produire et de développer leurs futurs médicaments hors d’Allemagne. Par ailleurs, plusieurs grands génériqueurs veulent se faire une place sur le deuxième marché mondial. La concurrence s’accroît et oblige les entreprises à se concentrer (lire encadré ci-contre). Les médicaments sans prescription ont également pris une grande importance dans le plan de réduction des dépenses de santé. Une partie de ces dépenses a en effet été transférée à la charge des patients. Malgré ce coup de pouce, les ventes de médicaments sans ordonnance ont chuté de 10 % en 2004. Certains de ces produits ont même connu des chutes beaucoup plus marquées. Certains ont en effet été retirés des listes de produits remboursés. Leurs ventes ont été divisées par deux. Certes, les caisses de l’assurance maladie allemande sont renflouées mais la situation est loin d’être stabilisée. Cette remise à niveau financière n’est toutefois qu’une première étape. Angela Merkel, la nouvelle chancelière, doit désormais achever la réforme et décider si le futur système restera public ou deviendra privé.■ ANTOINE PACITTI QUELQUES CHIFFRES Marché pharmaceutique allemand 18 milliards d’euros (prix fabricants) dont : 14,8 milliards en prescription 0,8 milliards en OTC prescrit 2,4 milliards en automédication L’Allemagne était le numéro trois mondial du médicament au début des années 90, après les Etats-Unis et le Japon, mais se situe aujourd’hui à la 5e place, rattrapée par la France et le Royaume-Uni. Entre 1995 et 2004, les ventes locales ont chuté de plus de 8 %. Les prix de vente des médicaments Avec 55 %, les laboratoires en Allemagne ne reçoivent qu’un peu plus que la moitié du prix de vente en pharmacie, ce qui place le pays en queue de peloton de l’Europe (en comparaison, la Suède 82 % et la France 67 %). 4 % vont aux grossistes, 27 % aux pharmacies et 14 % correspondent aux taxes. AV R I L 2 0 0 6 _ P H A R M A C E U T I Q U E S