les labos sous le choc d`une réformemusclée

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les labos sous le choc d`une réformemusclée
Allindustrie
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LES LABOS SOUS
LE CHOC D’UNE
RÉFORME MUSCLÉE
La réforme initiée par Gerhard Schröder en 2003
a porté ses fruits. Mais à quel prix pour
les laboratoires pharmaceutiques ? Le marché
allemand est en forte baisse. Les industries
menacent de s’expatrier. L’emploi et la croissance
sont compromis.
——————
ux mêmes maux les mêmes
remèdes. En Allemagne
comme ailleurs, les dépenses de santé explosent.
Or le système de protection sociale est
exsangue. En 2003, le gouvernement
fédéral de Gerhard Schröder a lancé,
avec l’appui de la CDU-CSU -alors
dans l’opposition- un premier train de
mesures visant à équilibrer les
comptes de la sécurité sociale allemande. Une thérapie de choc qui offre
de bons résultats. Les caisses sont désormais renflouées. Mais à quel prix
pour le secteur pharmaceutique, un
A
© DR
Bayer ne voulant
pas perdre sa
place de numéro
un en Allemagne
a proposé à
Schering AG
16,3 milliards
d’euros pour
contrer l’OPA
hostile de Merck,
proposition
aussitôt
acceptée.
des principaux contributeurs à ce plan
de réduction des dépenses ? Ce premier train de mesures prévoit d’économiser 23 milliards d’euros à l’horizon 2007 (10 milliards en 2004). Une
grande partie de ces économies provient du rabais obligatoire de 16 % accordé par les fabricants de médicaments. A cela s’ajoute la mise en place
d’un système de prix de référence ainsi
que de nombreux déremboursements
de médicaments (lire encadré). Pas
étonnant dans un tel contexte que le
marché pharmaceutique allemand
soit en perte de vitesse. En 2004, les
ventes de produits pharmaceutiques
ont ainsi diminué de près de 10 % à
21,4 milliards de dollars.
La hiérarchie chamboulée. Alors que
Pfizer restait le numéro un incontesté
en 2004, malgré une légère érosion de
sa part de marché à 6,4 %, son leadership était menacé par Sanofi-Aventis
(respectivement 12ème en 4ème position).
Et ce d’autant que la suspicion autour
des inhibiteurs COX-2 suite au retrait
du Vioxx par Merck pèse sur les ventes
du Celebrex de Pfizer. D’autres laboratoires très innovants comme Merckle,
Novartis, Hexal, Roche AstraZeneca ou
Johnson & Johnson tirent leur épingle
du jeu et affichent de fortes croissances et gagnent des parts de marché
sur ce marché difficile. Côté produits,
la hiérarchie a été chamboulée par le
retrait du marché du Vioxx fin 2004.
Merck a dû arrêter la vente de son médicament vedette après que des études
ont montré des risques cardiovasculaires associés à la prise répétée de ce
produit. L’ensemble de cette classe
thérapeutique (inhibiteurs COX-2) en
a subi les conséquences. Le Vioxx était
encore en 2004 l’un des produits les
mieux vendus en Allemagne avec un
taux de croissance de plus de 25 %.
Dans le « top 10 » des médicaments commercialisés outre-Rhin,
nombreux sont ceux dont la croissance dépasse allègrement les 30 % AV R I L 2 0 0 6 _ P H A R M A C E U T I Q U E S
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Dépenses de la sécurité sociale
allemande (en 2004)
Economies réalisées en 2004
Coûts administratifs
8,8 %
-3,3 %
Total dépenses
1,5 % Hôpital
Autres
services
30,4 %
Hôpital
46,8 %
icaux 8,2 %
Médicaments
21,8 %
-5,8 %
Médecine de ville
-9,5 %
Médicaments
-10,6 %
Dispositifs méd.
Médecine
de ville
23 %
0%
-12
Avec 46,8 milliards d’euros, un tiers des dépenses de la sécurité sociale
(140 milliards) est pour l’hôpital. Les 23 milliards pour la médecine de ville
et les 21,8 milliards pour les médicaments représentent un second tiers.
(Nexium
d’AstraZeneca, Plavix de
Sanofi-Aventis, Iscover de Bristol Myer
Squibb et Zyprexa d’Eli Lilly). De fortes
progressions qui cachent mal la réalité
d’un marché en net repli. Le Verband
Forschender arzneimittelhersteller
(VFA), équivalent allemand du Leem,
s’émeut de voir certains laboratoires
délocaliser leur production et leurs
équipes de R&D. « Après les nombreuses mesures de régulation qui ont
affecté le secteur pharmaceutique allemand ces dernières années, l’entrée
en vigueur de la réforme en 2004 a provoqué la première baisse de chiffre
d’affaires et de nombre d’employés depuis 1995 », écrit-il en introduction de
son rapport 2004 sur le marché pharmaceutique allemand. Ainsi, en 2004,
la production a décliné de 3,8 %.
Tentative d’OPA de Merck sur son
compatriote Schering. L’Allemagne
n’est plus le géant mondial de la pharmacie qu’il était. Sa production décline
même d’année en année. Le pays ne
représente plus que 7 % au niveau
mondial (contre 9 % en 1990). Donc
loin derrière la France avec 10 %, le
Japon 16 % et les Etats-Unis 33 %.
Pourtant, la pharmacie reste outreRhin l’un des secteurs industriels où la
valeur ajoutée est la plus élevée (73 300
euros par employé contre 54 400 euros
pour l’industrie mécanique, par exemple). L’emploi a également diminué.
Selon le VFA, 4 500 postes auraient été
supprimés du fait de la réforme. Certains professionnels estiment même
qu’un emploi sur trois serait menacé
dans la recherche. Des laboratoires
comme Pfizer ont anticipé une telle dégradation de l’environnement et ont
transféré leurs équipes de recherche
-10
-8
-6
-4
-2
0
Coûts administratifs
2
Avec un excédent de 4 milliards d’euros en 2004, les comptes de la sécurité sociale ne sont plus dans le rouge. Avec 9,5 % d’économies, l’industrie
pharmaceutique contribue à une large part, avec les dispositifs médicaux.
et développement en Grande-Bretagne
où le climat réglementaire est bien
moins contraignant. D’autres laboratoires font de même (Merck & Co.,
Schwarz Pharma…) Du coup, les dépenses de R&D stagnent en Allemagne.
Et même si elles restent à un niveau
élevé de 3,8 milliards d’euros (15 % de
leur chiffre d’affaires), pour combien
de temps encore ? Seulement dix des
grands laboratoires, sur les 130 que
compte le monde, sont encore en
Allemagne.
Une tentative pas étonnante dans
un tel contexte. L’enjeu pour les laboratoires de taille moyenne est d’atteindre la taille critique qui va leur permettre d’augmenter leurs efforts de
recherche et développement et surtout d’acquérir une force de vente importante aux Etats-Unis ou au Japon.
Et ce pour ne pas perdre leur indépendance. Merck et Schering auraient créé
un nouveau champion de la pharmacie outre-Rhin avec 11 milliards d’euros de chiffre d’affaires. Mais Bayer ne Des caisses renflouées
Le premier volet de la réforme s’était fixé pour objectif
de ramener les caisses de l’assurance maladie à l’équilibre. C’est chose faite. Après avoir atteint un déficit
record de 3 milliards d’euros en 2003, elles ont
dégagé en 2004 un excédent de 4 milliards d’euros,
le premier depuis 11 ans. Concoctée en 2003 par le
gouvernement Schröder avec l’appui de l’opposition conservatrice, la réforme vise à réduire des dépenses de santé bien trop
élevées par rapport aux ressources des caisses. Les frais de santé
sont en effet restés à un niveau très élevé ces dernières années sous
l’effet du vieillissement de la population. Ils représentaient 10 % du
PIB allemand en 2002, les médicaments équivalant à 1/6e du total.
En revanche, dans un contexte de fort taux de chômage (12 % des
actifs), les moyens ont diminué. Pour compenser, les prélèvements
sociaux ont augmenté de 12,7 % en 1992 à 14,2 %. Mais cette solution n’était pas tenable. Le gouvernement s’est donc attaqué aux
dépenses. Jusqu’à la réforme, les patients ne payaient ni pour les
consultations, ni pour les examens, ni pour leurs médicaments.
Depuis, certains actes ne sont plus couverts, comme les soins
dentaires. Le séjour hospitalier coûte désormais 10 euros par jour,
avec un plafond de 280 euros. Les patients doivent payer 10 % de la
consultation et du coût du traitement. Les industriels ont été mis à
contribution pour arriver à économiser 23 milliards d’euros d’ici
2007, dont 10 milliards dès 2004. Ils ont dû consentir un rabais de
16 % sur leurs ventes. Le prix des médicaments est désormais fixé
dans le cadre d’une liste de référence.
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Génériques, la concentration s’accélère
L’Allemagne est le deuxième marché
mondial des génériques (6 milliards
d’euros). Cela représente 18 % des
ventes de médicaments. Pas moins de
60 laboratoires se partagent le marché.
Nous allons vers une concentration des
acteurs. Et ce d’autant que de nombreux
candidats frappent à la porte de ce
gigantesque et prometteur marché.
Depuis 2004 et la reprise d’Esparma par
le groupe indien Wockhardt pour
9 millions d’euros, le mouvement s’est
accéléré. En 2005, la branche générique
de Novartis Sandoz (3,75 milliards
d’euros de ventes en 2005) s’est emparé
d’Hexal (laboratoire générique allemand
réalisant 1,3 milliard d’euros de chiffre
d’affaires en 2004). De son côté,
l’anglo-indien Torrent Pharmaceuticals
(930 millions d’euros de ventes) a
racheté Heumann Pharma (50 millions
d’euros de facturations), filiale générique
du géant américain Pfizer. Un autre
indien, Dr Reddy’s (375 millions d’euros
de chiffre d’affaires), vient de débourser,
en février 2006, 480 millions d’euros
pour eprendre Betapharm (175 millions
d’euros de chiffre d’affaires), un
laboratoire jusque là détenu par
le fonds d’investissement 3i.
veut pas, lui, perdre sa place de nu-
méro un allemand de la pharmacie. Il a
donc joué les chevaliers blancs et surenchérit à 16,3 milliards d’euros (+ 12 %
par rapport à l’offre de Merck). Du
coup c’est Merck qui se retrouve dans
le camp des cibles potentielles. D’autant qu’il est très actif dans les génériques. L’un des segments de la pharmacie les plus porteurs, y compris en
Allemagne. Outre les dépenses de R&D,
les laboratoires rognent également sur
leurs frais de commercialisation et de
marketing. Ils réévaluent leurs forces
de vente afin de les affecter différemment et plus efficacement. Une fois encore, aux mêmes maux les mêmes remèdes. Les représentants médicaux
sont désormais plus sélectifs par rapport aux médecins qu’ils visitent. Les
laboratoires expérimentent par ailleurs
l’approche directe des patientsconsommateurs. Les copies de médicaments bénéficient du double effet de
l’arrivée à échéance de nombreuses
molécules et de la place qui leur est réservée par les réformes des systèmes
de santé. Le marché allemand du générique est même le plus important en
Europe. Il représente 18 % des ventes
de médicaments outre-Rhin. Ce marché est aussi l’un des plus concurrentiels avec plus d’une cinquantaine de
laboratoires en concurrence. Alors
qu’en 2004, plus de 700 millions d’euros de chiffre d’affaires sont tombés
dans le domaine public puis environ
600 millions en 2005, la tendance devrait rester soutenue. Toutefois, les industriels du secteur prévoient un ralentissement de leur croissance à 15 %
par an. A l’instar des laboratoires princeps, les génériqueurs ont été affectés
par les mesures de réduction des dé-
penses de santé. Ils ont également
souffert du rabais de 16 % ainsi que le
retrait de la liste de remboursement
de nombreux médicaments. Et pour
faire face à cette situation, de nombreux laboratoires envisagent à leur
tour de produire et de développer leurs
futurs médicaments hors d’Allemagne.
Par ailleurs, plusieurs grands génériqueurs veulent se faire une place sur
le deuxième marché mondial. La
concurrence s’accroît et oblige les entreprises à se concentrer (lire encadré).
OTC, une chute de 10 %. A l’instar des
laboratoires princeps, les génériqueurs
ont été affectés par les mesures de réduction des dépenses de santé. Ils ont
également souffert du rabais de 16 %
ainsi que le retrait de la liste de remboursement de nombreux médicaments. Et pour faire face à cette situation, de nombreux laboratoires
envisagent à leur tour de produire et
de développer leurs futurs médicaments hors d’Allemagne. Par ailleurs,
plusieurs grands génériqueurs veulent
se faire une place sur le deuxième marché mondial. La concurrence s’accroît
et oblige les entreprises à se concentrer
(lire encadré ci-contre). Les médicaments sans prescription ont également pris une grande importance
dans le plan de réduction des dépenses de santé.
Une partie de ces dépenses a en effet été transférée à la charge des patients. Malgré ce coup de pouce, les
ventes de médicaments sans ordonnance ont chuté de 10 % en 2004. Certains de ces produits ont même connu
des chutes beaucoup plus marquées.
Certains ont en effet été retirés des
listes de produits remboursés. Leurs
ventes ont été divisées par deux.
Certes, les caisses de l’assurance maladie allemande sont renflouées mais la
situation est loin d’être stabilisée. Cette
remise à niveau financière n’est toutefois qu’une première étape. Angela
Merkel, la nouvelle chancelière, doit
désormais achever la réforme et décider si le futur système restera public ou
deviendra privé.■
ANTOINE PACITTI
QUELQUES CHIFFRES
Marché pharmaceutique allemand
18 milliards d’euros (prix fabricants)
dont :
14,8 milliards en prescription
0,8 milliards en OTC prescrit
2,4 milliards en automédication
L’Allemagne était le numéro trois mondial du médicament au début des
années 90, après les Etats-Unis et le Japon, mais se situe aujourd’hui à
la 5e place, rattrapée par la France et le Royaume-Uni. Entre 1995 et
2004, les ventes locales ont chuté de plus de 8 %.
Les prix de vente des médicaments
Avec 55 %, les laboratoires en Allemagne ne reçoivent qu’un
peu plus que la moitié du prix de vente en pharmacie, ce qui
place le pays en queue de peloton de l’Europe (en
comparaison, la Suède 82 % et la France 67 %). 4 % vont
aux grossistes, 27 % aux pharmacies et 14 %
correspondent aux taxes.
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