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Université Laval
Doctorat en médecine
Sénégal
Automne 2012
Milieu de stage : Lalane et Diassap
Rapport de stage
[480]
Présenté à Mer et Monde
Par
Vincent Moreau
Le 3 février 2013
Mon nom est Vincent Moreau et je suis étudiant en 3e année de médecine à l’Université Laval.
Lorsque j’ai su que j’avais l’occasion de faire un stage médical, mais aussi interculturel au
Sénégal dans le cadre de mes études, j’étais carrément aux anges! N’ayant jamais voyagé dans
un pays culturellement différent du mien, cette expérience allait être une occasion de vivre un
dépaysement total et de rencontrer des gens formidables qui me feraient apprendre et avec qui
j’aurais l’occasion d’échanger sur une multitude de sujets. C’est dans cet esprit que débuta mon
aventure sénégalaise et je retire de cette expérience des souvenirs d’une valeur inestimable. Voici
donc un bref survol de mon parcours en commençant par l’avant-stage.
Tout le processus a débuté en mars 2011. C’est à ce moment que j’ai postulé afin d’obtenir une
place pour le stage au Sénégal avec Mer et Monde qui devait se dérouler à l’automne 2012. J’ai
choisi ce stage parce que j’avais eu beaucoup de bons commentaires sur la culture sénégalaise et
sur le pays en général, mais également pour l’encadrement qu’offrait Mer et Monde. Ce n’est
qu’en septembre 2011 que j’ai appris avec bonheur que j’allais m’envoler pour le Sénégal un an
plus tard! Tout s’est déclenché à partir de ce moment. Tout d’abord, il y a eu les formations
prédépart de Mer et Monde. Je dois avouer que je n’étais pas très heureux à l’idée de sacrifier
quatre fins de semaine complètes avec mon horaire déjà chargé d’étudiant en médecine.
Cependant, avec le recul, je réalise que ces formations étaient nécessaires et qu’elles m’ont
apporté un net avantage pour mon intégration dans le pays d’accueil et qu’elles m’ont permis de
mieux vivre et comprendre plusieurs choses que j’ai vécues là-bas.
En arrivant au Sénégal, j’ai été frappé par le chaos de Dakar! C’était très loin de ce que je
m’étais imaginé, et aussi très différent de la vie en village que j’ai expérimentée au cours des
deux mois suivants. Les quelques jours passés avec Pierre, Viviane (ma partenaire de stage) et
Jade (une autre stagiaire qui était avec nous) à la maison des Pères Maristes ont cependant été un
bon premier contact avec le pays et les formations que nous y avons reçues ont toutes été très
formatrices et pertinentes. J’ai ensuite rencontré avec bonheur ma famille d’accueil, des gens très
sympathiques et accueillants qui deviendront avec le temps ma deuxième famille! L’adaptation a
été plus facile que ce à quoi je m’attendais. Je crois que cela est dû aux formations que nous
avons reçues avec Mer et Monde avant le départ. En effet, je savais à quoi m’attendre et cela m’a
donné l’occasion de me préparer mentalement à ce que j’allais vivre au Sénégal. Bien sûr, j’ai dû
faire des efforts pour apprendre les bases de Sérère et m’habituer à la faible variété culinaire
ainsi qu’à l’impératif sénégalais et aux retards constants, mais le processus s’est déroulé sans
embuche et je considère que tout cela fait partie intégrante de l’expérience globale.
L’expérience que nous avons vécue dans notre milieu de stage (un poste de santé) fut également
très enrichissante! Nous avons eu l’occasion d’en apprendre beaucoup sur la médecine au
Sénégal en plus d’assister à plusieurs consultations qui nous ont permis d’en apprendre un peu
plus sur les maladies qui touchent les habitants de ce pays. Cela à aussi été l’occasion de
constater les réalités des soins de santé au Sénégal et les différences entre notre système de santé
et le leur. Je réalise maintenant que nous sommes chanceux d’avoir accès à des soins de santé de
qualité, et ce, « gratuitement ». Par ailleurs, mon séjour au Sénégal fut une occasion d’en
apprendre beaucoup sur la médecine traditionnelle, un sujet sur lequel j’avais très peu de
connaissances.
Dans une autre optique, l’expérience interculturelle fut tout aussi ou peut-être même plus
enrichissante que l’expérience médicale. Cette immersion en terre étrangère fut une occasion de
me laisser imprégner d’une nouvelle culture et d’en apprendre sur les mœurs et les traditions des
Sénégalais. Voici un aperçu de mes apprentissages personnels et des leçons que j’ai tirées de
mon passage au Sénégal.
« La différence est cette chose merveilleuse que nous avons tous en commun. » Cette citation de
Nelly Biche de Bere exprime bien l’une des raisons pour lesquelles je désirais aller vivre une
expérience interculturelle au Sénégal. Comme le décrit si bien cette citation, les humains sont
tous différents et j’ai toujours été d’avis que de ces différences émanent des richesses d’une
valeur insoupçonnée, jusqu’à ce qu’on les découvre. C’est en grande partie pour cela que je
voulais partir au Sénégal et je n’ai pas été déçu! N’ayant jamais voyagé dans un pays
culturellement très différent du mien, il s’agissait pour moi d’une première expérience de la
sorte. Parfois, émerveillé, parfois choqué, j’ai vu et entendu des choses qui m’ont inévitablement
poussé à réfléchir sur notre monde et sur moi-même. De ces réflexions sont nés des
questionnements ainsi que des apprentissages qui m’ont apporté beaucoup au plan personnel. Par
ailleurs, le fait que ce stage soit aussi à visée médicale constituait un bonus à toute l’expérience.
Le fait de travailler pendant deux mois dans mon domaine, mais avec des gens, dont la culture
est diamétralement opposée à la nôtre, a donné naissance à un contraste intéressant qui m’a
permis d’ancrer et de mieux définir mes valeurs et opinions en tant que futur médecin. Les
prochains paragraphes décriront donc mon aventure au Sénégal à travers les expériences et
découvertes qui la caractérisent.
Lors de mon séjour au Sénégal, j’ai eu l’occasion de mieux connaître les valeurs primordiales
des Sénégalais. Celle qui m’a probablement le plus frappé fut le partage et la générosité. En
effet, au Sénégal, l’individualisme n’existe pratiquement pas. Contrairement à nos sociétés
occidentales matérialistes dans lesquelles les gens travaillent d’abord et avant tout pour euxmêmes, les Sénégalais se soutiennent mutuellement, ce qui fait que même si on est pauvre, on
survit. Il n’est pas rare de voir un membre d’une famille aller porter de la nourriture chez un
villageois plus démuni qui n’a pas de quoi nourrir sa famille. C’est frappant, voire déconcertant
de réaliser le contraste entre nos deux mentalités. Alors qu’en Occident, les riches s’obstinent à
préserver leur fortune plutôt que d’aider les gens dans le besoin, au Sénégal, on n’hésite pas à
donner à son prochain, même s’il est plus riche que soi. Pour ne donner qu’un exemple, un jour,
un de mes frères m’a offert un vêtement, après que son père en ait rapporté à la maison pour les
enfants. Ça m’a beaucoup fait réfléchir et dorénavant je réalise que le partage constitue l’une des
bases qui contribuent à l’authenticité et à la richesse des rapports entre les humains. Comme l’a
si bien dit Leonard Nimoy : « Plus on partage, plus on possède. ».
Une autre valeur sénégalaise importante qui m’a marqué a été l’importance de la famille. Au
Sénégal, la famille est le centre de tout! Et quand je dis famille, je fais référence à toute la
communauté. En effet, il n’est pas rare qu’un individu parle d’un ami ou d’un voisin en utilisant
le mot frère ou sœur, ce qui portait parfois à confusion, je l’avoue! De ce que j’ai pu constater, il
existe au sein des foyers un fort climat de solidarité et de respect et le fait de vivre dans un tel
environnement n’a fait que consolider l’importance que j’accorde à la famille. Je réalise
maintenant que celle-ci constitue les bases de notre existence et façonne l’être que l’on devient.
Mon expérience au Sénégal m’a fait réaliser que j’ai trop souvent fait passer ma famille après les
études, les activités, etc. Dorénavant, je tenterai assurément de passer plus de temps avec elle et
de solidifier encore plus les liens qui nous unissent.
Mon immersion en terre sénégalaise a aussi été l’occasion d’être témoin des nombreuses
différences qui nous distinguent d’eux. Que ce soit dans les mœurs ou dans la manière de
travailler, peu de choses s’apparentaient à ce que j’avais connu depuis ma naissance. Dès le
départ, la découverte de ses différences était l’une de mes principales motivations à me lancer
dans cette aventure et je n’ai pas été déçu!
J’aborderai d’emblée le sujet de la téranga, un terme wolof que l’on pourrait traduire par
l’hospitalité et l’accueil qui caractérisent le Sénégal et ses habitants. En arrivant au Sénégal, on
se sent tout de suite chez soi tellement les gens vous accueillent chaleureusement, principalement
en village. Les gens viennent vous voir, veulent vous connaître, vous accueillir chez eux, et
feront tout en leur pouvoir pour que soyez traité comme un roi. Par exemple, à chaque fois que
j’arrivais chez quelqu’un, au moins une personne se levait immédiatement pour m’offrir sa
chaise. Nous avons aussi été témoin de la grande hospitalité des Sénégalais à l’approche de la
Tabaski, une fête musulmane très importante. En effet, nous avons reçu tellement d’invitations
de familles musulmanes pour aller célébrer cette grande fête que nous avons dû, malgré nous,
refuser plusieurs d’entre elles. Même lorsqu’on marchait dans la rue le jour de la Tabaski pour se
rendre chez nos hôtes, des inconnus nous criaient : « Hé! Venez manger!». C’était assez frappant
puisque nous ne sommes pas habitués à ce genre de situation au Canda. Par ailleurs, au Sénégal,
on doit saluer et prendre des nouvelles de toutes les personnes que l’on croise, que l’on connaisse
ces personnes ou non. Certaines personnes peuvent même être offusquées si vous ne les saluez
pas. Cet aspect de la culture m’a beaucoup frappé parce qu’au Canada, il n’est pas dans notre
nature de parler spontanément à des étrangers et même de prendre des nouvelles des gens que
l’on côtoie. Je ferai dorénavant des efforts pour changer cela puisque mon expérience au Sénégal
m’a fait réaliser que le fait d’accueillir les gens, de leur parler et de s’intéresser à eux contribue
grandement à enrichir les rapports entre les humains.
Dans une autre optique, j’ai eu l’occasion d’observer une multitude de différences entre nos
façons de pratiquer la médecine. Au-delà des ressources disponibles et de l’accessibilité à des
équipements médicaux de qualité, il existe entre la médecine sénégalaise et la médecine nord-
américaine un clivage assez frappant auquel je ne m’attendais pas. Un des éléments
incontournables de la médecine au Sénégal est sans contredit la forte présence de la médecine
traditionnelle. Celle-ci s’appuie sur les vertus des plantes et de la nature pour soigner les maux,
en plus de la puissance de la prière et du surnaturel. En effet, la majorité de la population croit
fortement aux vertus de ce type de médecine. Pour preuve, 80% des Sénégalais vont consulter un
guérisseur traditionnel avant de s’orienter vers la médecine moderne. Le fait que cette mentalité
soit profondément ancrée dans leur culture rendait parfois la communication difficile avec les
patients. Bref, cette expérience m’a fait réaliser que lors de ma pratique future je devrai toujours
tenir compte de la culture et des croyances de mes patients afin d’optimiser la communication
entre nous. Ainsi, ma relation avec eux sera plus harmonieuse et je serai mieux en mesure de les
aider.
Par ailleurs, j’ai remarqué que la manière de pratiquer la médecine au Sénégal s’apparente
beaucoup au paternalisme dont faisaient preuve les médecins d’ici il y a quarante ou cinquante
ans. En effet, le rapport entre le médecin et le patient au Sénégal est très inégal, le médecin étant
vu comme une sorte de demi-dieu qu’on doit écouter sans discuter. Les patients ne s’exprimaient
que rarement et j’ai trouvé dommage de constater qu’ils semblaient souvent mal à l’aise
d’exposer une opinion. Le plus étonnant : ils quittaient souvent la salle de consultation sans
même connaître leur diagnostic! Cela m’a permis de renforcer ma conviction que la relation
entre un médecin et son patient doit être égalitaire; une relation dans laquelle chacun s’exprime
librement et où un véritable dialogue prend place. Je suis convaincu que cette prise de conscience
me sera très utile durant l’externat et ma pratique future.
Finalement, la différence que j’ai le plus appréciée et qui m’a le plus marqué : la capacité des
Sénégalais à prendre le temps et à profiter du moment présent. Prendre le temps de discuter,
relaxer, jouer, boire le thé ou simplement de ne rien faire. Ce fut assez étrange au départ de les
voir passer des journées entières à ne rien faire de productif, moi qui suis habitué depuis
longtemps à occuper mon temps de manière efficace. Toutefois, j’ai réalisé que nous, les
Occidentaux, sommes constamment stressés et dépensons trop d’énergie à travailler pour le
futur. Nous passons alors totalement à côté du moment présent et demeurons aveugles devant la
beauté des petits instants simples de la vie quotidienne. Les Sénégalais, eux, VIVENT! Comme
le dit un proverbe africain : « Tous les blancs ont une montre, mais ils n’ont jamais le temps ».
Je suis maintenant conscient de l’importance de vivre pleinement et je ferai certainement des
efforts chaque jour pour profiter du moment présent et pour me rappeler à quel point il était bon
de vivre dans un environnement sans stress où le temps n’a qu’une valeur relative. Après tout,
n’est-il pas vrai que « qui a le temps a la vie » ?
En guise de conclusion, je tiens à dire que je suis très heureux d’avoir eu l’énorme chance de
vivre une expérience interculturelle au Sénégal. Un pays où l’être l’emporte sur le paraître, où le
partage et l’entraide remplacent l’individualisme et l’égoïsme, et où on vit les uns avec et pour
les autres et non chacun de notre bord, chacun pour soi. Ces aspects de leur culture me poussent
à m’interroger sur la réelle signification que l’on devrait accorder à l’expression « pays sousdéveloppé ». Certes, nous sommes en avance sur eux sur bien des points, mais ils ont beaucoup à
nous apprendre sur le plan humain. De plus, je suis d’avis que c’est en témoignant de ce que j’ai
vu et vécu que je contribuerai à faire tomber les préjugés qu’ont souvent les gens à propos de
l’Afrique. En partageant mon expérience avec eux, j’espère les intéresser à la richesse de la
différence et qui sait, peut-être les motiver à entreprendre ce merveilleux périple qui fait rêver,
découvrir et grandir.
Je tiens également à remercier l’équipe de Mer et Monde pour le soutien et l’encadrement
exemplaire qu’ils nous ont offerts. Votre implication dans mon stage m’a permis de profiter de
l’aventure à un niveau optimal en plus de me faire rencontrer des personnes formidables avec qui
j’ai tissé de belles amitiés. Merci beaucoup!
Références pour les citations
www.salysenegal.net/senegalais/proverbes.htm, consulté le 17 janvier 2013
http://www.evene.fr/citations, consulté le 17 janvier 2013
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