Le Bouton de Nacre de Patricio Guzmán

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Le Bouton de Nacre de Patricio Guzmán
Le Bouton de Nacre
de Patricio Guzmán
Un documentaire vibrant qui traque, au travers des saisissants paysages de
Patagonie, la mémoire blessée de l'Argentine.
Quel rapport entre l’eau des tribus indiennes, Pinochet, et un bouton de chemise en nacre ? Pour le
savoir, il faut voir ce documentaire historique politique et surtout poétique de Patricio Guzmán. Sans
déflorer le film, on peut quand même donner un élément de réponse : la Patagonie chilienne, ce
vaste archipel à la pointe australe du continent sud-américain qui se termine au Cap Horn, soit, pour
nous, le bout du monde.
Après avoir filmé le désert d’Atacama dans l’extrême nord de son pays (Nostalgie de la lumière,
2010), Guzmán explore ici l’extrême sud, où l’eau remplace le sable. Il part du principe que comme la
terre, l’eau a une mémoire. Celle par exemple des indigènes qui vivaient là depuis dix mille ans et
furent quasiment exterminés par les colons. Ils sont aujourd’hui une vingtaine de survivants de ces
peuplades dont deux figurent dans ce film. Il y a aussi la mémoire des victimes de Pinochet, tous ces
disparus, ces crimes non jugés et non punis, ces cadavres de torturés lestés d’un rail qui furent jetés
à la mer par hélicoptère. Guzmán filme l’exhumation d’un de ces rails couvert de rouille et de
coquillages, près duquel on a retrouvé un bouton de nacre – peut-être celui d’un supplicié.
Le réalisateur alterne le prosaïsme (entretiens avec l’historien Gabriel Salazar ou le poète Raul Zurita,
tous deux torturés) et la poésie pure (extraordinaires vues aériennes de la Patagonie, plans
rapprochés sur l’eau, les glaciers, les cristaux de quartz…), le quotidien d’ici-bas et l’éternité du
cosmos, la fragilité humaine et la permanence des éléments. Il fait coexister la logique humaniste du
citoyen et l’intuition aléatoire du rêveur, les vitesses asynchrones de l’horloge biologique et de
l’horloge géologique, relie ces éléments hétérogènes par l’histoire et la topographie de son pays et
par la ferme douceur de sa voix, aboutissant à un film d’une beauté et d’une liberté souveraines.
Avec Guzmán, il faut oublier toutes les idées reçues sur le documentaire. Entre Nostalgie de la
lumière et ce Bouton de nacre, il a l’art d’emmener ce genre dans des détours singuliers,
surprenants, inédits, nous embarquant dans une fragile et pourtant puissante aventure des sens,
de la mémoire et de la pensée.
Serge Kaganski

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