Diego de Torres Villarroel, 1694

Transcription

Diego de Torres Villarroel, 1694
DIEGO DE TORRES VILLARROEL, 1694-1770
Une autobiographie permanente
GUY MERCADIER
Université de Provence
Invité à parler de Diego de Torres Villarroel devant un public
non hispaniste, je suis assez tenté de le définir en cette formule:
“Une sorte de Jean-Jacques avant la lettre”. Insatisfaisante à bien des
égards, cette formule pourrait bien traduire mon dépit devant le statut de
père fondateur de l'autobiographie universellement accordé à
Rousseau, alors que je vois, de l'autre côté des Pyrénées – et quelques
décennies avant lui –, écrire un homme qui par moments lui ressemble
comme un frère, mon dépit aussi devant une certaine “insularité»
culturelle de l'Espagne... Mais ceci est une autre histoire.
Restons-en à Torres. Il n'existe pas d'édition française de son
autobiographie, pas plus que de ses autres oeuvres; la seule traduction
que je connaisse est anglaise, et encore dans une édition hors commerce,
depuis longtemps introuvable. En Espagne même, si l'on peut accéder
depuis quelques années à ses oeuvres essentielles, le gros de sa production
littéraire n'a pas revu le jour depuis plus de deux siècles.
Et pourtant, lire l'intégralité de cette oeuvre dans l'ordre chronologique est une aventure passionnante. Alors seulement, à travers une
profusion d'images souvent contradictoires, on est à même de capter les
lignes de force d'un incessant discours sur soi émis entre 1718 et 1768,
aussi bien en des textes très longs qu'en des fragments plus réduits,
d'une page ou de quelques lignes. Dans cette longue durée d'un demisiècle, s'échelonnent les livraisons de l'autobiographie proprement dite,
intitulée Vida, ascendencia, nacimiento, crianza y aventuras: la
première, qui comprend quatre chapitres, en 1743; le cinquième
chapitre paraît en 1750 (il est complété en 1752), et le sixième en
1758. Au total, quatre-vingt-un textes, extraits de cinquante-sept
oeuvres, constituent le corpus autobiographique1.
De sorte que si je veux être relativement à l'aise pour décrire et
analyser le geste autobiographique de Diego à partir de ce corpus, il
me faut d'abord consacrer quelques lignes à camper ici un personnage
inconnu de vous – et de bien des Espagnols, du reste.
Quelques moments d'une existence
Il naît en 1694 à Salamanque, dans un milieu de petits boutiquiers, dont de nombreux libraires. Très vite s'éveille en lui une
vocation littéraire qui se manifeste d'abord par le pastiche
(Góngora et Quevedo sont ses modèles préférés), et un goût prononcé
pour de turbulentes mystifications qui le conduiront à plusieurs
reprises à prendre le large. Il est attiré aussi par les mathématiques
et l'astrologie, matières qu'il enseignera à partir de 1726 à
l'Université de Salamanque. Dès 1718, il publie un almanach qui
fera de lui El Cran Piscator de Salamanca, le plus célèbre
pronostiqueur de la péninsule, le plus “clairvoyant” aussi, puisqu'il
“prédira” la mort de Louis I et la chute du ministre Squillace. Aux
cours de cet étrange professeur se pressent surtout des amateurs de
gaudrioles, peu attirés par une discipline que l'université elle-même
délaisse, quand elle ne la méprise pas. Torres le lui rend bien: il passe
le plus clair de son temps à Madrid, chez des protecteurs de haut
lignage pour lesquels il organise des fêtes musicales et théâtrales, et
joue de tous ses talents d'acteur, de guitariste, de flûtiste ou de
danseur. Entre 1725 et 1731, il écrit les meilleures de ses oeuvres, des
songes dont je reparlerai plus loin, souvent proches du fantastique
quévédesque dans leur facture, mais foncièrement différents dans
leur visée.
En 1732, à la suite d'un incident mal connu, il prend la fuite en
France en compagnie d'un noble de ses amis, regagne son pays pour
s'entendre signifier l'ordre de s'exiler au Portugal. Il y restera près de
trois ans dans l'attente du pardon royal sans cesse sollicité: mémoires
et almanachs partent alors vers Madrid, porteurs de très précieuses
1
Je me permets de renvoyer à mes éditions de ces textes (Vida , Castalia,
Madrid, 1972; et Textos autobiográficos de T. V., Universidad de Oviedo,
Col. Textos y estudios de siglo XVIII, n° 8, 1978), ainsi qu'à mon étude D. de
T. V., Masques et miroirs, Lille III, 1976, 3 vol.
confessions.
En 1734, il retrouve enfin sa chaire à Salamanque, il compose un dernier
songe, et s'emploie à rassembler ses oeuvres éparses pour les rééditer en
une collection dont le bouquet final sera l'autobiographie, en 1743. Cette
même année, l'Inquisition ordonne la saisie et l'expurgation d'un de ses
opuscules, La vida natural y católica, cependant paru treize ans plus
tôt avec toutes les autorisations nécessaires. De nouveaux censeurs, plus
regardants que les premiers, indisposés peut-être par le succès foudroyant
de la Vida (comme par hasard, ils sont aussi professeurs à l'Université
de Salamanque...), n'admettent pas le rejet systématique du principe
d'autorité et l'exaltation du libre arbitre, l'acerbe critique de
l'institution universitaire, la longue diatribe contre l'injustice
sociale, fondée jadis par les rapines de quelques capitaines. Sur ce
dernier point, on retrouve Augustin; mais on ne peut s'empêcher de
songer –prudemment– au Discours sur l'origine et les fondements
de l'inégalité parmi les hommes, et pour le reste, aux positions du
Vicaire Savoyard. En quelques jours, Torres prépare une version s
“normalisée” de son texte, non sans assurer qu'il a lui même
procédé à certaines coupures non exigées...
En 1745, il est ordonné prêtre, après s'être attardé trente ans dans
l'état de sous-diacre, “coincé”, écrit-il, entre l'Épître et l'Évangile. Il
prend sa retraite en 1750, case son neveu au poste qu'il laisse
vacant, et se consacre en 1752 à l'édition en souscription – la
première lancée en Espagne – de ses œuvres complètes. Ses démêlés
avec l'université n'en sont point pour autant terminés: pendant
quatre ans, de 1758 à 1762, il prétendra obtenir, contre le gré de
l'alma mater, la création d'une “Académie de Mathématiques”. En
jouant de ses hauts appuis madrilènes, il finira par avoir gain de
cause. Mince victoire: le pouvoir royal sait bien que la véritable
réforme de l'enseignement des mathématiques reste à mettre en place,
et que notre astrologue n'y prendra aucune part.
En juin 1770 meurt celui qui aura été, sans conteste, l'écrivain
espagnol le plus célèbre de la première moitié du XVIIIe siècle.
Un narrateur omniprésent
En prélude à l'analyse de l'authentique discours sur soi, je voudrais
observer comment Torres invente un espace où évolue son propre
personnage, indépendamment du projet autobiographique. Il a la
passion du théâtre, de la mise en scène. Souvent, dans ses pièces, un
personnage porte le même nom que lui, et il joue son propre rôle. Rôle
évidemment avantageux, comme lorsqu'il se place en position
d'arbitre, de sauveur d'un spectacle qui risque de naufrager. Il est
assis dans la salle, les acteurs l'interpellent, le supplient de les aider;
bon prince, il saute sur la scène, en saluant sa propre entrée.
L'écriture romanesque lui offre une échappée vers l'imaginaire du
même ordre. Comme des spectateurs, les lecteurs sont invités à entrer
au théâtre, à applaudir une vedette unique. Parcourons de ce point de
vue les oeuvres expressément données pour fictives: El viaje fantástico
del Gran Piscator de Salamanca (1721), El correo del otro
mundo al (gran Piscator de Salamanca (1725), El ermitaño y
Torres (1726), Visiones y visitas de Torres con Don Francisco
de Quevedo por la Corle 1727-28), La barca de Aqueronte
(1731). Songes véritables ou rêves éveillés, il s'agit là de récits émis
par une personne qui, dans la plupart des cas, décline son identité
dès la page de titre, par son nom propre ou un substitut
inéquivoque de tous connu.
Dans le Voyage fantastique – largement inspiré de l 'Iter
extaticum du P. Kircher – il sert de guide, à travers les espaces
terrestres et interstellaires, à une troupe d'élèves zélés et attentifs. Il
est celui qui sait; nouveau Cyrano, il décrit à ses étudiants
émerveillés et inquiets la mécanique du cosmos. En 1733, dans
une version refondue, le portrait du guide sera flatteusement
retouché.
L'ermite et Torres est l'histoire d'une retrouvaille. Perdu dans la
campagne, Diego trouve refuge chez un ermite qui n'est autre qu'un
ancien condisciple. A cet ami il raconte une escapade juvénile au
Portugal (supprimée dans une réédition en 1738), récit que nous
aurons tendance à attribuer à celui qui signe le livre,
et non à un narrateur fictif, puis qu'une autre version en sera
proposée dans la Vida de 1743. Tons deux passent en revue la riche
bibliothèque qui orne l'ermitage, prétexte à deviser au coin du feu
sur la médecine, l'alchimie et les belles-lettres. En 1738, cette
revue littéraire est étoffée, et tout au bout d'une étagère, on
trouve... les œuvres de Torres, que l'ermite commente: greffée en
pleine fiction, on observe là une modalité originale de discours
sur soi.
La trilogie des Visions et visites est sans doute (mise à part
la Vida) l'oeuvre la plus importante de Torres. Dans ce texte –
que Jean Sarrailh a été l'un des premiers à étudier d'un point de
vue socio-historique–, l'ombre de Quevedo vient surprendre Diego
dans son sommeil, et lui demande de le guider à travers Madrid.
L'errance dans les rues de la capitale sera le fil conducteur d'une satire
entrecoupée de portraits arcimboldesques. La relation entre les deux
hommes est ambiguë: Torres marque à chaque instant sa vénération
pour l'invisible ami, mais en fait la situation se renverse; dépassé
après une absence de plus de quatre-vingts ans, Quevedo a besoin
d'un guide, et Torres assume ce rôle éminemment gracianesque,
nouveau Critilo à travers la cohue madrilène. Dans la deuxième
partie, l'ami défunt devient un confident, et console l'auteur des satires
anonymes suscitées par la première.
La barque de Caron est le songe qui ressemble le plus à ceux de
Quevedo. Mais alors que dans ces derniers je n'est qu'un simple
émetteur sans autre référent que lui-même, le je de la barque est
très reconnaissable, et l'on capte au passage, dans un miroir déformant, le portrait d'un Diego voué aux flammes de l'Enfer.
J'ai gardé pour la bonne bouche Le courrier de l'autre
monde, livret exceptionnel à tous égards. En voici l'argument:
Un homme – le narrateur – est seul dans sa chambre. Il parle, et
on déduit de ses propos qu'il a reçu de l'au-delà cinq lettres,
apportées par un mystérieux personnage. Il ne s'adresse à personne
(le monologue intérieur, déjà!), et se désigne comme l'auteur du
Voyage fantastique. Arrive un ami, qui s'étonne, demande la
raison d'un très visible émoi. Torres explique qu'il n'a que deux
jours pour répondre à des lettres qui sont autant de terrifiants
réquisitoires, signés respectivement par un astrologue italien,
Hippocrate, Papinien, Aristote et “un mystique”. L'ami lit
chaque lettre, prend sous la dictée la réponse de Torres, tout en
en commentant certains termes. Entre chaque échange, ils
dialoguent. Survient le vaguemestre de l'au-delà, qui rafle les
lettres et emporte les deux hommes vers une galerie humide. Le
narrateur se retrouve tout seul, grelottant de froid et de frayeur, et se
réveille (ainsi, c'était un rêve), cravaté dans son propre drap. L'ami
s'éveille aussi, tout comme deux autres compagnons qui dorment
dans la même chambre. Diego leur raconte son rêve, et ils lui
conseillent de l'écrire.
Si mon résumé n'est pas trop elliptique, il a dû vous
permettre de voir le projet de Torres: par le recours à la fiction
d'un quintuple échange épistolaire, se placer au point de convergence
de cinq regards posés sur lui, produire de lui-même cinq visions
critiques, qui en retour déclencheront cinq plaidoyers pro domo.
En cela, nulle intrigue romanesque, au sens commun du terme; mais
cinq doubles facettes d'une existence qui se donne à connaître
dans un échange d'égal à égal entre quelques gloires du savoir
humain et un pauvre astrologue espagnol.
L'ami confident est une pièce maîtresse de ce jeu. Doté
finalement d'un statut ambigu, à la fois dans l'histoire et hors
d'elle, il sert de relais entre Torres et nous, ainsi qu'entre Torres
et ses correspondants, auxquels il prête sa voix. Ainsi se redouble,
comme en un écho instantané, de l'écriture à la parole, puis de la
dictée à l'écriture, l'image que Torres reçoit et donne de lui-même.
L'insolite messager embrasse l'existence entière de Diego
d'un seul regard, qui pourrait bien participer de l'omniscience
divine. Pour son plaisir et pour le nôtre, à l'instigation de ses amis,
Diego se contemple encore dans l'acte d'écrire, après s'être
contemplé dans le récit qu'il leur a fait.
Ainsi, une rigoureuse architecture concentrique superpose quatre
temps: – celui d'une aventure prodigieuse finalement donnée pour
un rêve; – celui du récit aux amis; – celui de la transcription de
l'aventure; – celui, enfin, de notre propre lecture, étant entendu qu'à
l'intérieur de chacun de ces temps s'opèrent des variations temporelles
liées à la structure du récit. Au total, une bonne quinzaine de points de
vue se combinent: la chambre où rêve notre astrologue, lieu clos d'une
aventure spirituelle, est en réalité un cabinet de glaces plus complexe
encore que celui qu'imaginera la Justine de Lawrence Durrell.
Ce réseau circulaire de miroirs se reflète à son tour entre deux
surfaces réfléchissantes strictement identiques: un passé et un présent,
entre lesquels va et vient sans cesse un moi se souvenant pour se
raconter, puis pour s'écrire. Monsieur Teste est déjà là...
Avec une souveraine adresse, Torres projette sur l'écran du récit
l'image un peu floue d'un personnage qui se nomme Torres. Comment
discerner, en cette image tremblée, le “réel” de la “fiction”? Mais
l'essentiel n'est pas dans les traces éparses d'une “vérité objective”. Il
est en ceci: le moi qui se raconte dans ce songe ne diffère pas
fondamentalement de celui qui se dégage des textes donnés par
l'auteur pour autobiographiques. Il tente en ce discours de se capter
dans les dédoublements par lui-même organisés. Fiction épistolaire et
dialogues imaginaires ne sont que le masque d'un soliloque ininterrompu:
monodiálogo, dirait Unamuno; “dialogue pour voix seule”, répondrait en
écho Jean Rousset.
De se capter, ai-je dit, mais aussi de se juger, et bien entendu de
s'absoudre. On ne peut ici s'empêcher de songer à Rousseau juge de
Jean-Jacques. Au pied de la lettre, il s'agit d'une fiction: Le
Français est inventé, les dialogues n'ont jamais eu lieu vraiment; on
peut cependant les lire dans un volume d'oeuvres autobiographiques. Le
Genevois est victime d'un noir “complot”; le Salmantin a maille à
partir avec la justice, les éditeurs ou ses rivaux. Pour se défendre, ils se
dédoublent, et par des détours reviennent toujours à eux-mêmes. Le
pacte conclu avec le lecteur est complexe. Romanesque? Autobiographique? Les deux à la fois, avec une nette primauté du second. Le
lecteur ne s'y trompe pas, qui cherche avant tout, sous l'invention, l'image
de Diego ou de Jean-Jacques. Inépuisable et fascinant livret que ce
Courrier de l'autre monde, dont la structure narcissique n'a pas
d'équivalent dans la littérature espagnole, et où l'on décèle la première
tentative de recherche d'un moi profond, façonné par la naissance,
l'environneraient social, la première interrogation, aussi, sur le style de
la confession. En 1725, Rousseau est âgé de treize ans...
On ne peut quitter cet univers fantasmatique sans évoquer les
almanachs. Il n'est pas exagéré de parler à ce propos de deux époques,
avant et après Torres. Avant lui, l'almanach espagnol n'offrait qu'un
minimum d'informations indispensables: les éphémérides, de brefs
conseils sur l'agriculture ou l'hygiène, éventuellement une liste des
dates de naissance des princes régnants. Le coup de génie du Gran
Piscator est d'avoir vu tout le parti qu'il pouvait tirer d'une publication
annuelle, qu'il va doter de corps et de bouquet: d'abord, une dédicace
à un noble personnage (parfois le roi lui-même), puis un prologue au
lecteur, et surtout, pour introduire éphémérides et prédictions, un
scénario chaque année renouvelé dont il est le héros-narrateur. Point
de mire de l'aventure qu'il raconte, Diego évolue dans un monde
qui le connaît et le reconnaît. Comme l'effigie de souverain sur une
monnaie, la sienne orne le début de l'opuscule. Et dans l'espace où
s'inscrivent les aventures d'un moi mythique, un autre moi se dessine,
donné pour le vrai, au fil de ce que j'appellerai des “annales intimes”.
Comment se dire?
Il est temps d'en arriver au discours autobiographique proprement
dit. Dans sa longue durée, sa densité est variable, et il tend à
s'organiser en constellations tournant autour d'un événement grave
(crise personnelle, déboires ou polémiques). Quant aux vecteurs de ce
discours, mise à part l'autobiographie stricto sensu, ils sont très
divers, mais les modalités les plus fréquentes sont celles du prologue,
champ clos privilégié de l'affrontement permanent avec le monstrelecteur, et de la dédicace, instrument d'une savante diplomatie à la
pointe de l'avant-texte. Il peut également surgir dans un discours
scientifique, ou dans des textes ayant fait l'objet d'une attestation de
fictivité. Les formes traditionnelles sont remodelées et investies d'une
fonction nouvelle, les frontières qui les distinguent s'estompent pour
que le moi puisse s'épancher en toute liberté. L'almanach occupe là
une place incomparable, puisqu'on y trouve presque tous les
prologues et la plupart des dédicaces autobiographiques. Aussi le cas
de Torres offre-t-il une exemplaire démonstration de ceci: le geste autobiographique est à tout instant susceptible d'annexer des formes
encore étrangères à l'autodiscours, pourvu que les conditions en
soient réunies; l'écrivain original est celui qui pressent et favorise la
conclusion d'un nouveau contrat avec le lecteur2.
On le voit, l'autobiographie proprement dite ne se sépare pas
d'une oeuvre qui aurait préalablement exprimé le “désir” de l'auteur,
selon la formule valéryenne. Elle prend place en 1743 dans un espace
autobiographique déjà constitué, où déjà s'entremêlaient un je
fantasmatique et le je “vrai”. A l'occasion de difficultés
personnelles, Diego a rédigé des textes qui se rapprochent de la
biographie de soi, en ce qu'on y trouve un sens explicite (à la fois
direction et signification valorisée; c'est le cas du Correo (1725) et
surtout des almanachs écrits pendant l'exil portugais (1732-1734).
La Vida représente donc un point d'aboutissement, et en même
temps un pas décisif franchi dans la démarche générale de
l'autodiscours.
Dans ce texte, réparti en séries de dix ans environ baptisées
trozos (“morceaux”), on pourrait observer une construction
2
Cf. Elisabeth W. B RUSS , “L'autobiographie considérée comme acte
littéraire”, dans Poétique, nº 17 (1974). Aujourd'hui, deux livres me semblent
attester une originalité analogue: Au tob iog rap hie de Fed erico Sán chez d e
Jorge Semprún (Seuil), et L e trava il a mou reux de Max Pagés (Dunod).
romanesque savante, notamment pour ce qui a trait aux temps du
récit, et à la référence à d'autres textes de Torres que le lecteur est
censé connaître. A ce titre, la publication du trozo V (1750) offre
un effet de miroir, en ce que la première livraison de 1743 fait
désormais partie du vécu de Torres. L'acte de publier une
autobiographie est lui-même devenu objet de discours sur soi.
L'auteur savoure son succès, décortique certaines motivations
restées inavouées, s'étale sur les raisons qui l'ont poussé à parler de
son ascendance roturière. Trois plans se relient ainsi: celui de la
narration actuelle, celui du vécu lointain, et celui d'une autre
narration. Plus tard, il publie un trozo VI (1758) bourré de
documents officiels, d'attestations, de décrets royaux; c'est au
total une sorte de longue lettre ouverte justificative.
On se l'est demandé maintes fois: la Vida est-elle un roman
picaresque? Et même, est-elle un roman?
Ne perdons pas de vue, avant de répondre, la polysémie du mot
picaresca, qui peut désigner: – a) un genre littéraire bien
précis 3; – b) un goût, dont les variantes thématiques et formelles
sont multiples dans le roman, le théâtre, la poésie, et pas seulement
en Espagne; détaché des circonstances qui ont vu naître le genre, il
se manifeste dans la conscience littéraire des auteurs et des
lecteurs, et lesœuvres fondatrices sont perçues comme des “entités
artistiques” (F. Lázaro Carreter); – c) certaine manière de se
comporter roublarde ou marginale, une débrouillardise volontiers
débraillée. D'inévitables interférences entre ces trois niveaux ont
conduit certains critiques à faire de la Vida le dernier des grands
romans picaresques. Mais cette vue est irrecevable, puisque le
roman picaresque est une autobiographie imaginaire: Diego de
Torres existe bel et bien, et sa trajectoire sociale est tout le
contraire de celle d'un picaro. Il n'empêche que flotte dans le
livre un parfum de picaresque, surtout dans les premiers chapitres,
et que la vogue encore très vive du genre en plein XVIII e siècle
n'y est pas étrangère. On relève aussi quelques traces du modèle
hagiographique, mais c'est surtout le mot novela qui revient souvent
pour qualifier une destinée hasardeuse, c'est l'aventure qui
3
Cf. l'introduction de Maurice M OLHO aux Romans picaresques espagnols,
Pléiade, 1998.
informe le récit de vie4. En voici une surprenante illustration: en
1746, trois ans donc après la première livraison de la Vida, Diego
évoque dans un almanach un pèlerinage d'action de grâces à NotreDame de Guadalupe: “Je réalisai enfin mon voyage, dont je
raconterai une autre fois les aventures au curieux lecteur, ainsi
que celles de ma maladie”; déclaration inestimable, puisqu'il y
annonce, quatre ans à l'avance, son intention de faire de sa
maladie le sujet d'un récit romanesque. Il en conçoit la
communication comme une carta de relación, un compte rendu.
Or, c'est justement de ce type de discours que s'inspire la fiction
autobiographique du Lazarillo. L'autobiographie est une modalité
de la carta coloquio, ce par quoi elle se rattache aux vecteurs
évoqués tout à l'heure.
Moi et les Autres
Comment apparaissent les Autres dans ce discours sans cesse
renouvelé, et par voie de conséquence, quel portrait de lui-même
observe Torres dans le regard de cet autrui imaginé?
Son premier texte le dit déjà: “Mes malheurs sont notoires”
(1718). Quelqu'un, quelque part, sait et voit cela. Désormais, à
chaque pas, on rencontre des termes qui disent le regard posé –
braqué, plutôt– sur lui, à un point tel qu'il eût pu dire, comme
Jean-Jacques: “L'essence de mon être était dans leur regard”. Ce
regard posé sur lui, et quémandé, c'est celui de tous: un jour, il
dédie même un prologue à “tout le genre humain”. Ces Autres, le
plus souvent, sont les acteurs, méchants irrémédiablement, d'une
immense conspiration. Quelques hommes méritent pourtant que
l'on aille vers eux, que l'on fasse l'effort de leur expliquer, pour
redresser un jugement faussé par les apparences, ou pour se placer
sous leur protection. D'où les discours complémentaires entre
lesquels oscille Diego: la bouffonnerie de l'agressivité pure,
contre les autres et contre lui- même, et le plaidoyer pro domo,
4
Il ne semble pas que la Vida ait subi l'influence précise d'autobiographies
espagnoles ou étrangères. Cf. Jean MOLINO, “Stratégies de l'autobiographie au
Siècle d'Or”, dans L'autobiographie dans le monde hispanique (Actes d'un
colloque tenu à La Baume-lès-Aix en mai 1979), Publications de l'Université
de Provence, 1980.
élégiaque et passionné, séducteur. Alors ses interlocuteurs
privilégiés se réduisent à deux figures: celles du Juge et du
Confident, parfois confondues en une seule.
Cela est bien visible dans le Correo, en 1725, et aussi en 1726,
quand il envoie une circulaire aux “censeurs” de ses oeuvres.
Mais le texte fondamental à cet égard est celui d'une supplique
adressée au roi durant l'exil lusitanien, texte moins “soupçonnable”
que d'autres du fait de sa non-littérarité et de sa finalité. Après
avoir demandé instamment à être traduit en justice, il écrit:
“Je supplie V. M. qu'elle m'ordonne d'écrire le récit de
ma vie, dont je relaterai tout le cours, en consignant avec
vérité et simplicité les lieux où j'ai vécu et passé, les personnes
que j'ai fréquentées, ainsi qu'un état de mes oeuvres imprimées
et manuscrites, afin que, comme mes moeurs, elles soient
examinées, et afin que l'histoire de ma vie (que je retracerai
depuis le moment où Dieu fit jaillir en mon entendement la
lumière de la raison, jusqu'à l'heure présente) éclaire et
guide les juges que V. M. voudra bien désigner comme
enquêteurs de ma disgrâce.”
Et cela en 1732, soit onze ans avant la parution de l'autobiographie! De fait, dans les almanachs de l'exil, Diego commence sans
attendre le récit de sa vie.
L'instance juridique, si elle ne va pas vers lui, le voit venir vers
elle. En 1739, il écrit une lettre à une Justice allégorique:
“Moi, Madame, je suis un homme si mal connu, qu'en ce
royaume il se trouvera à peine vingt personnes pour parler
véridiquement de mes moeurs. On me tient communément pour
joyeux, sans-gêne, volontaire; et c'est tout le contraire, car je
peux vous assurer que la terre ne porte sans doute aucun
homme aussi triste, aussi timide, aussi soumis que moi.
Presque tous les gens croient, ignorants qu'ils sont de mon
esprit, que j'ai du plaisir à écrire, un vif penchant pour cela;
et je vous jure que j'ai toujours pris la plume avec horreur,
inquiétude et colère, et que je n'ai barbouillé du papier que
pour faire taire mes besoins, protéger mon honneur, et assurer
mon innocence.”
Cette multitude de regards, amis ou ennemis, nous ramène au
thème central du théâtre. Plaçons-nous maintenant du point de vue
de l'acteur pour observer ses métamorphoses.
Se masquer, se dévoiler
L'homme adore se déguiser, mystifier, écouter incognito les gens
lui parler de lui-même. La plume à la main, et le plus souvent pour
attaquer, il se travestit encore. Sa défroque peut alors, tour à tour
ou en même temps, se réduire à trois modèles: l'Astrologuemagicien, le Fou et l'Histrion-carnavalesque, trinité burlesque qu'il
serait passionnant d'analyser en détail, et dont les champs
sémantiques interfèrent sans cesse; balancement, ambivalence,
hybridité, caractérisent celui qui aime écrire: “Je suis entre ceci et
cela”, “ni tout à fait ceci, ni tout à fait cela”, et qui a recours à des
images comme celle du centaure. Rien d'étonnant si l'on trouve dans
la même page des déclarations contradictoires, ainsi dans les
préliminaires de la Vida : “Ma vie est à moi, je peux en donner une
image grimaçante si ça m'amuse”, et “Je suis un homme clair et
sincère, et je dirai sur mon compte ce que je peux savoir (lo que yo
sepa) avec ma franchise habituelle”. Pacte et anti-pacte à la fois, le
seul que puisse lancer ce vieux comédien devant un public
accoutumé à ses fantaisies.
Le passage à la confession, face au Juge ou au Confident, ne
suppose en aucune façon une conversion, un abandon définitif du
masque burlesque, car par une sorte de contrat tacite, cette facette
du mythe personnel de Diego est devenue en littérature l'une de ses
vérités.
A ceux qui veulent bien l'écouter sans hargne, il livre sa
personne “vraie”, qu'il est certain de bien connaître: “Je vous
informerai mieux que quiconque sur mon compte, car je vis à
l'intérieur de moi-même, et je me fréquente depuis longtemps, écrit-il
en 1726; et en 1759: “Je suis près de moi-même, près de mon coeur,
bien plus près que ceux qui, du haut de leur vanité, font accroire
qu'ils ont palpé mes intériorités”.
A cette certitude s'ajoute celle de pouvoir se faire connaître. Les
livres n'offrent-ils pas “la représentation, vivante au plus haut point,
de l'âme de leur auteur”? On le rappelait ici même, Rousseau voudra
«inventer un langage aussi nouveau que son projet”. Diego est loin
d'une inquiétude aussi féconde et aussi géniale. Et pourtant! On lit
dans la Vida une phrase que notre temps aurait bien des raisons de
juger prophétique:
“Le caractère, le naturel ou cet invisible lutin (qu'on
l'appelle comme on voudra), dont les farces, les actions et les
mouvements nous aident à capter la trace, si mince soit-elle,
des âmes, se trouve très fidèlement copié dans mes écrits, soit
parce que j'ai scrupuleusement déclaré mes défauts, soit parce
que, en cachette de ma vigilance [a hurtadillas de mi
vigilancia],
m'ont
échappé,
dissimulés
pêle-mêle
[arrebujados] parmi les expressions, les sottises, les
exagérations, bien des pensées et des mots qui ont mis à
découvert les folies de mon inclination et les délires de
mon esprit.”
Ainsi, la “transcription” de l'âme est susceptible d'échapper au
contrôle du scripteur, et de traduire (trahir?) – signifiés et signifiants [pensamientos y palabras] entremêlés – une réalité plus complexe que celle qu'elle prétendait d'abord livrer. Dans arrebujados
subsiste encore le masque que nous pouvions croire levé, masque qui
justement révèle [han descubierto]…
Quel écrivain, dans tout le XVIIIe siècle européen, a pressenti, avec
autant de subtile et narquoise lucidité, les jeux inattendus de l'inconscient, et l'attention qu'il faut prêter à l'envers aussi bien qu'à
l'endroit des mots? Vertigineusement, l'espace d'un éclair, Diego
devient notre contemporain.
“Sur ma vie, on saura qui je suis!”
Je voudrais, pour terminer, indiquer les grands fils conducteurs
de la démarche autobiographique, et montrer qu'ils ne sont pas
fondamentalement dissociables de ceux qui apparaissent dans
l'oeuvre entière.
Un balancement incessant entre Folie et Sagesse, voilà le trait
essentiel. Diego se voit et se déclare délirant, instable, il parle
des “exaltations répétées de son âme”, comme le Persifleur
parlera de ses «âmes hebdomadaires”. Cette folie, qui semble
prolonger, sur un autre registre, celle qui dessinait certains traits du
masque burlesque, et qui est encore une façon d'échapper à la
norme, de s'isoler, est inséparable de la revendication
d'indépendance et de liberté. Nous touchons là au coeur du
comportement de Torres dans tous les ordres de l'activité
intellectuelle. Il rejette le dogmatisme, le savoir officiel. Sous la
docte apparence, il traque la bêtise et l'incompétence. L'université
(surtout celle de ses chers collègues...), il la voit comme une réserve,
où une peuplade sale, hirsute, refuse le contact du monde vivant, et
jargonne pour mieux enrober une parfaite vacuité d'esprit. Devant la
dictature du savoir en place, une seule arme: la dérision, un seul
recours: soi-même. La règle d'or est: “Aide-toi de tes talents”.
On conçoit que l'accent soit mis sur la lutte personnelle pour
s'informer, apprendre à juger seul, se construire soi-même. Comme
Don Quichotte, Diego est fils de ses oeuvres. Son succès, il ne le
doit qu'à lui-même, et surtout pas à la distinction de la naissance.
Si quelque tentation nobiliaire a percé dans ses premiers écrits, elle
s'estompe ensuite pour céder la place à une orgueilleuse proclamation
de roture. La seule autorité qu'il reconnaisse est celle de l'Église,
mais elle a en lui un fils si dédaigneux de la science des
théologiens, que l'on serait enclin a lui appliquer la réflexion que
Starobinski a menée sur Jean-Jacques5.
Dans le domaine de l'écriture, c'est encore une conduite analogue:
rejeter l'Autre, revenir vers soi, se forger un style original, “lieu
de la singularité”, pour reprendre l'expression de François
Roustang6. Ce rejet se double d'un autre: celui des vocables étrangers
5
“La religion dont il est imbu se confond avec sa propre personne. Suprême
hérésie, car dès lors le christianisme ne se distingue plus de l'acte narcissique
par lequel l'individu se choisit lui-même. [...] Le christianisme s'intériorise
et devient chez Rousseau une puissance purement subjective, confondue avec
la liberté et les exaltations de la conscience individuelle» (L'œil vivan t,
N.R.F., pp. 139-140).
6
Singularité volontaire, mais qui, en même temps, échappe à l'auteur,
comme le montrait aussi François Roustang.
– français, principalement – venus supplanter ceux qui sont nés
“dans le nombril des Castilles”, pittoresque image de ce
mouvement de retour sur soi, du refus de laisser s'altérer une
pureté native. A l'échelle d'une nation ou d'un groupe humain,
l'autarcie langagière est aussi une forme d'individualisme.
Il faudrait aussi s'arrêter sur les nombreuses réflexions que Diego
consacre au métier d'écrire. Sa plume n'est pas seulement “le plumeau qui chasse de son coeur une sotte mélancolie”. Elle est aussi
instrument de plaisir, d'une quête de la réussite patiemment menée
sous le sage couvert de la folie. Dès 1726, il parle de la aventura,
gobierno y destino de escritor: la merveilleuse formule, et si
vite trouvée! Aventura dit le combat sans cesse renouvelé, sur le
terrain du verbe, pour exister et se tailler une place au soleil;
gobierno, la conduite attentive et responsable de l'écriture;
destino, tout a la fois le mystérieux élan qui précède l'être et
l'emporte vers sa plénitude.
Cette plénitude est celle que constitue le tiercé du succès: fama,
dinero y libertad, qui s'appellent et se confortent mutuellement.
L'argent, moyen essentiel de la liberté, ruisselle partout dans l'autodiscours. Il ne s'agit au début que d'une modeste présence, puis
résonne de plus en plus fort le tintement des ducats qu'ensache le
Gran Piscator. Il tient ses comptes bien à jour, pour consigner
ce bilan en 1762: “Depuis quarante-deux ans que j'écris mes
almanachs et mes sottises, j'ai gagné plus de neuf cent mille
réaux”. L'argent qui est dit si mal gagné est signe de réussite,
motif de fierté. Et il y a de quoi: Diego est l'un des rares
écrivains de son temps – peut-être le seul – à pouvoir vivre de sa
plume. Il a un sens très développé du commerce des livres, et ses
almanachs atteignent des tirages fabuleux pour l'époque (quelque dix
mille exemplaires pour celui de 1756).
Mais si vif que soit l'éclat de l'argent, là n'est pas l'essentiel. Ce
qui compte, surtout, c'est la gloire, l'illustration du nom, Torres,
qui dans l'oeuvre revient à chaque pas: obstinée résurgence d'une
combinaison de voyelles et de consonnes, brève et immuable, en
laquelle se concentre, pour soi et pour autrui, l'essence de l'être.
***
Partout et toujours éclate l'intense volonté de privilégier le
moi, de le tenir pour indissociable du concept de pureté naturelle.
Autour de JE gravitent des écrits qui traduisent une préoccupation
constante: qu'il s'agisse de médecine, de théologie ou de langage,
des vertus d'une eau minérale ou d'apiculture, de l'appartenance à
l'Eglise, de la fondation d'une académie ou de l'organisation d'un
concours poétique, on observe des déclarations et des conduites
homologues, ou pour parler comme Michel Leiris, cette “petite
constellation de choses qu'on tend à reproduire, sous des formes
diverses, un nombre illimité de fois”.
Un Rousseau à la mode espagnole? Oui et non. Quels que soient
les signes de parenté, on voit bien ce qui les sépare. Je tenais cependant à vous faire connaître cet homme de paradoxe, anachronique
dans ses prédilections stylistiques et idéologiques, et pourtant moderne par sa façon de concevoir .le discours sur soi, célèbre de son
vivant comme aucun de ses contemporains ne le fut, et pourtant
tenu à l'écart par l'élite éclairée, qui méprisait son savoir d'un
autre âge et son travestissement clownesque.
Aujourd'hui, alors que s'élargit notre champ de vision et que
s'affinent de nouvelles méthodes d'investigation, l'autodiscours
torrésien paraît digne de figurer en bonne place dans la polyphonie
des individualismes en Occident.
Diego a peut-être lu dans les étoiles l'intérêt grandissant qu'il
suscite actuellement, lui qui écrit:
“Bien des siècles après ma mort, je serai cité comme un
homme insigne, et attention s'il vous plaît, comme un auteur de
livres.”
Dans un château normand, deux cent neuf ans après l'instant
fatidique, l'ironique prédiction se réalise encore une fois... Son
ombre doit en éprouver bien du plaisir!
[Edición digital del texto original. Este estudio se publicó en
el volumen colectivo Individualisme et autobiographie en
Occident, Bruxelles, Éditions de l'Université de Bruxelles,
1983, pp. 127-141].

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