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32e année trimestriel Lecture Jeune Revue de réflexion, d’information et de choix de livres pour adolescents LES CLASSIQUES DE LA LITTÉRATURE POUR ADOLESCENTS Actes de la journée d’étude organisée par Lecture Jeunesse et la BnF / Centre national de la littérature pour la jeunesse La Joie par les livres le 23 octobre 2008 mars 2009 N°129 I Lors de la journée d’étude du 23 octobre 2008 nous nous sommes interrogés sur les « classiques » de la littérature pour adolescents… Et vous ? Quelles ont été les œuvres marquantes de votre adolescence ? Et quels seront selon vous les « classiques » de demain ? Répondez--nous sur le forum de Lecture Jeunesse www.lecturejeunesse.com rubrique « forum ». Nous publierons les résultats de cette enquête dans le prochain numéro de Lecture Jeune Sommaire Éditorial page 2 Dossier Actes de la journée d’étude : Les classiques de la littérature pour adolescents page 3 Parcours de lecture Livres accroche Et après Lecteurs confirmés Ouvrages de référence page 42 page 50 page 64 page 70 En savoir plus page 71 Index page 75 2 Édito Hélène Sagnet Chaque année nous recevons un nombre toujours plus important d’ouvrages (plus de 8000 nouveautés en 2008 en littérature jeunesse), un livre chassant l’autre… Parmi ces titres, quels sont ceux qui rencontreront un succès réel auprès des jeunes lecteurs, ou tout au moins dureront un peu ? Quant à ceux qui pourraient accéder au statut d’œuvre patrimoniale, ils relèvent encore d’une autre réflexion. Ils sont bien peu nombreux ces livres qui perdurent et continuent à être lus par des générations de lecteurs. Ils procèdent de modes de légitimations sociales et culturelles complexes, et nous serions bien en peine de définir des critères littéraires précis pouvant expliquer cette longévité : universalité des thèmes, force de l’écriture, singularité de l’œuvre… L’École, bien sûr, reste l’instance de consécration première et le lieu de création d’une culture commune. Mais certains livres ont emprunté d’autres chemins et sont néanmoins devenus « cultes », véritables « classiques de l’adolescence » : Le Seigneur des Anneaux, L’Attrape-cœur… 1 Cité par Jean-François Hersent, Direction du Livre et de la Lecture 2 La moitié des jeunes interrogés n’a pas répondu. 56 % des répondants ont déclaré avoir un livre « préféré » et 46 % un auteur « préféré », qui constituent à leurs yeux « une référence absolue » : 123 titres d’ouvrages et 117 noms d’auteurs ont été cités plus d’une fois Quelles sont ces œuvres marquantes pour les adolescents ? Une enquête intitulée « Le livre préféré des jeunes Européens à l’aube de l’an 2000 »1 met en avant les titres et auteurs suivants2 : Roméo et Juliette (1,2 %), Le Seigneur des Anneaux (1,1 %), Os Luisiadas (0,9 %), L’Alchimiste (0,8 %) et Les Misérables (0,7 %) ; S. King (2,1 %), Shakespeare (1,9 %), Tolkien (1,2 %), P. Cœlho (1,1 %), A. Christie et J. Gaarder (0,8 %)3. Une grande disparité de réponses qui montre la prégnance de la culture scolaire, mais peu de véritable culture commune… Et à l’heure des industries culturelles de masse, de nouvelles formes de promotion des œuvres convergent. Elles modifient largement les modalités de réception et d’appropriation des ouvrages par les jeunes. 3 Si l’enquête était menée aujourd’hui, il est certain que J.K. Rowling côtoierait Stephen King… Ainsi, lors de la journée d’étude intitulée « Les classiques de la littérature pour adolescents », organisée le 23 octobre 2008 en partenariat avec La Joie par les livres, avons-nous tenté de jouer les devins. À l’aide de quelques outils critiques, nous nous sommes interrogés… Quels seront, selon les prescripteurs adultes, les classiques de demain ? Comment se « fabrique » un classique ? Qu’en font les éditeurs ? Comment les promouvoir auprès des jeunes à l’École et en bibliothèque ? Quels sont les classiques ou plutôt les « œuvres cultes » des adolescents d’aujourd’hui ? T I Lecture Jeune - mars 2009 Le dossier Actes de la journée d’étude : Les classiques de la littérature pour adolescents Lecture Jeunesse Les classiques pour adolescents, un objet à mieux identifier… par Annick Lorant-Jolly page 4 à 5 Lecture critique et boule de cristal… par Françoise Ballanger page 6 à 11 La petite fabrique des classiques adolescents par Francis Marcoin page 12 à 17 Lire les classiques à l’École par Annie Portelette page 18 à 23 Classique littéraire, best-seller ou œuvre culte ? Le cas du Seigneur des Anneaux par Olivier Vanhée page 24 à 28 Les éditeurs et les « classiques » : Table ronde animée par Annick Lorant-Jolly, avec François Martin, Catherine Bon-de Sairigné et Charlotte Ruffault par Anne Clerc page 29 à 32 Gérer et valoriser un fonds de classiques en bibliothèque par Christine Péclard page 33 à 36 Internet, nouvel espace de légitimation adolescente des œuvres ? L’exemple des fanfictions sur Fascination par Hélène Sagnet page 37 à 40 Les classiques pour adolescents, 4 Le dossier un objet à mieux identifier… Annick Lorant-Jolly Définition Pourquoi ce thème a-t-il été retenu alors qu’il peut sembler un peu en retrait par rapport à des thématiques plus actuelles pour les professionnels de la littérature pour adolescents ? Commençons par interroger l’intitulé lui-même, « Les classiques de la littérature pour adolescents », posé comme une évidence, alors qu’il ne va pas de soi du tout. Dans ses termes Annick Lorant-Jolly est rédactrice en chef de La Revue des livres pour enfants. L’expression « les classiques de la littérature » semble inévitablement liée à ces ouvrages du patrimoine français et étranger qui ont su traverser les siècles et constituer un héritage assumé et commun, encore aujourd’hui, avec les jeunes générations. L’École et les enseignants jouent un rôle essentiel dans la prescription et la transmission de ces œuvres. Ils ont la tâche – parfois difficile – de mettre en place toutes les médiations nécessaires pour réduire un peu « l’étrange étrangeté » de ces livres qui, de par leur ancrage dans une époque et une société éloignées de la nôtre (dans le temps et dans l’espace), renvoient à des références qui ne sont plus contemporaines. Ces œuvres résistent aussi par leur langue, leur choix de construction narrative : ainsi des romans de chevalerie du Moyen Âge ou, plus près de nous, le fameux Robinson Crusoé de Daniel Defoe – dont peu d’entre nous peuvent d’ailleurs prétendre avoir lu la version intégrale et originale. Si l’on introduit maintenant la dimension du public visé – les classiques de la littérature pour la jeunesse et, ici, plus précisément les adolescents/jeunes adultes – la question se complexifie encore : dans la production littéraire des siècles passés, quelles sont les œuvres qui ont été retenues, appréciées, qui ont marqué des générations de jeunes lecteurs et qui constituent encore des références communes ? Il faut d’abord interroger les médiateurs du livre – bibliothécaires, enseignants, éducateurs, parents, etc. – pour qu’ils nous livrent leur bibliothèque idéale et implicite, ces romans qui leur semblent essentiels et qui ont une portée assez large pour prétendre dépasser la singularité de leur univers. Et il y a fort à parier que ces personnes ne seront pas toujours d’accord sur les titres à conserver. Françoise Ballanger rend compte, dans ce dossier, d’une petite enquête menée auprès de prescripteurs et critiques spécialisés. Rappelons que ce panthéon – en permanente redéfinition – est composé, de façon hétérogène, à la fois d’œuvres classiques, au sens « historico-littéraire » du terme, et d’œuvres – de littérature générale ou écrites pour des jeunes – qui ont, plus récemment, fait la preuve de leur richesse et de leur universalité. Lecture Jeune - mars 2009 5 Il reste enfin à croiser ces avis avec ceux des jeunes lecteurs eux-mêmes (consulter les enquêtes régulières du ministère de la Culture ou autres travaux de chercheurs, plus ponctuels). Hélène Sagnet ouvre des perspectives intéressantes sur ce thème avec les « fanfictions », textes rédigés sur Internet, à partir de romans à succès. Et dans ses pratiques Première question : par quels processus complexes s’opère cette légitimation de certaines œuvres (du côté de l’institution scolaire mais aussi des institutions culturelles) ? Francis Marcoin esquisse une analyse de ce qu’il a appelé « la petite fabrique des classiques ». Olivier Vanhée, quant à lui, s’attache précisément au « phénomène » lié au Seigneur des Anneaux. Deuxième question : comment les professionnels du livre et de la lecture (enseignants et bibliothécaires) travaillent-ils avec les jeunes publics pour leur faire découvrir ces classiques et faciliter l’accès à ces œuvres, parfois difficiles ? C’est l’objet des contributions d’Annie Portelette et de Christine Péclard. Il nous a paru enfin essentiel de rendre hommage au patient travail des éditeurs pour la jeunesse, qui assurent une veille à travers leur catalogue et permettent que ces classiques continuent à être disponibles, dans leur version originale ou adaptée, en proposant parfois de nouvelles traductions et/ou illustrations. La table ronde qui a rassemblé Charlotte Ruffault, directrice des éditions Hachette Jeunesse, Catherine Bon-de Sairigné, responsable du service éditorial de Gallimard Jeunesse et François Martin, directeur de la collection « Babel J » chez Actes Sud, fut fort éclairante. Nous espérons que ce dossier aidera à mieux cerner ce que sont aujourd’hui les classiques de la littérature pour adolescents et contribuera à donner des repères pour identifier, parmi les œuvres contemporaines, celles qui pourraient se dégager du flot ininterrompu de la production (en littérature générale et de jeunesse) comme étant des œuvres marquantes, susceptibles de devenir les classiques de demain. Publication d‘Annick Lorant-Jolly • Images des livres pour la jeunesse, sous la dir. de Sophie Van der Linden et Annick Lorant-Jolly, Thierry Magnier, CRDP Académie de Créteil, 2006 Lecture Jeune - mars 2009 Lecture critique Le dossier et boule de cristal… 6 Françoise Ballanger Enquête Françoise Ballanger est formatrice et critique de littérature de jeunesse, ancienne responsable du service publications de « La Joie par les livres » et rédactrice en chef de La Revue des livres pour enfants. 1 Patrick Borione, libraire, collaborateur de Lecture Jeunesse et de La Revue des livres pour enfants, Nic Diament, ancienne directrice de La Joie par les livres, auteur du Dictionnaire des écrivains français pour la jeunesse, Aline Eisenegger, documentaliste à La Joie par les livres, Bernard Epin, critique, auteur de Les livres de vos enfants, parlons-en !, Viviane Ezratty, directrice de la bibliothèque L’Heure joyeuse de Paris, Claude Ganiayre, ancienne rédactrice en chef de La Revue des livres pour enfants et professeur à Paris X-Nanterre, Annick Lorant-Jolly, ancienne responsable des publications du CRDP de l’académie de Créteil et rédactrice en chef de La Revue « En suivant l’actualité des romans pour adolescents en tant que critique, peut-on voir lesquels sont destinés à devenir des classiques ? » Pour répondre à la question qui m’a été posée en ces termes, et plutôt que de m’en tenir à ma seule expérience, j’ai préféré confronter les points de vue d’une dizaine de personnes engagées depuis longtemps dans une activité critique1.Je leur ai demandé quels auteurs ou quels textes des quinze, vingt ou trente dernières années étaient devenus, selon eux, des classiques et quels romans plus récents pourraient le devenir, en essayant de dire pourquoi. Cette question très large a évidemment amené mes interlocuteurs à s’interroger non seulement sur les qualités qui peuvent définir un classique, mais aussi sur le rôle que joue la critique, sur ses limites ou ses fausses pistes car je leur ai demandé de citer également des romans dont ils avaient pensé qu’ils deviendraient des classiques mais que l’on a oubliés depuis. Ne pouvant pas entrer dans le détail de chacun des entretiens, qui ont tous été fort riches, je m’en tiendrai à commenter les points forts qui sont ressortis de ces discussions. Le titre en forme de clin d’œil souligne simplement que, pour la plupart des personnes interrogées, la question est surprenante : « on ne se demande jamais ça ! ». La boule de cristal ne semble pas faire partie des outils indispensables aux critiques… Classiques pour enfants ou pour adolescents ? Premier constat, presque unanime : la difficulté à dégager une spécificité adolescente. Non seulement parce qu’il est très difficile pour un critique de donner un âge de lecture pour un livre, ou parce que beaucoup de romanciers s’adressent indifféremment aux enfants ou aux adolescents, mais aussi à cause de l’évolution conjointe du public et de l’édition : on observe en général un glissement « vers le bas » (textes initialement pour adultes repris dans des collections jeunesse, abaissement de l’âge des lecteurs au fur et à mesure que le temps passe…) même si le phénomène inverse existe aussi, notamment pour les traductions de textes publiés à l’origine pour la jeunesse et importés dans l’édition adulte (par exemple : Lucy Montgomerry, Russel Banks). Tout cela explique pourquoi les textes et auteurs cités ne sont pas toujours strictement « pour adolescents ». des livres pour enfants, Véronique Soulé, directrice de Livres au trésor et Joëlle Turin, critique et formatrice, ancienne rédactrice en chef de Lecture Jeune, collaboratrice de La Revue des livres pour enfants. Des éléments de définition problématiques Plusieurs notions apparaissent avec évidence comme des caractéristiques des classiques – la durée, la pluralité des lectures possibles, la possibilité d’une transmission, l’intemporalité, l’universalité, la notoriété, la consécration scolaire, etc. – mais suscitent de nombreuses questions Lecture Jeune - mars 2009 7 quand il s’agit de littérature pour la jeunesse, comme l’ont souligné presque tous mes interlocuteurs. -- Concernant la durée de vie des livres, les critiques déplorent les phénomènes « d’oubli massif » auxquels est soumise la littérature de jeunesse dans son ensemble, dont l’histoire est très largement ignorée. Malgré les actions entreprises pour faire valoir que cette littérature est un patrimoine et que sa mémoire mérite donc d’être préservée, l’impression générale est que les bibliothécaires eux-mêmes ne connaissent pas cette histoire, ou en tout cas, pas suffisamment pour pouvoir avoir des références sur les auteurs ou les titres qui ont été marquants. Comment dès lors peut-il exister des classiques au sein de cette littérature dépourvue d’histoire ? Sur ce point, l’exemple du travail entrepris par le comité de lecture de Livres au trésor en Seine-Saint-Denis me semble très intéressant. Dans ce département où il y a beaucoup de jeunes bibliothécaires, le besoin s’est fait sentir de profiter des rencontres mensuelles, en principe consacrées à l’étude des nouveautés, pour se former aussi à l’histoire de la littérature de jeunesse, en échangeant entre bibliothécaires de différentes générations sur des titres anciens. Les participants reçoivent à l’avance l’indication du titre qui fera l’objet de la discussion et sont invités à le lire ou à le relire pour pouvoir ensuite échanger sur la manière dont ils ont réagi à la lecture de ce « vieux » texte et pour juger s’il leur paraît encore lisible par les adultes et a fortiori par un enfant ou un adolescent aujourd’hui. La première surprise (je ne sais pas d’ailleurs si c’en est vraiment une, ce serait sans doute la même chose dans d’autres domaines…) c’est que, lorsqu’on propose un titre « classique » à la relecture, on s’aperçoit que pour la plupart des gens, il s’agit… d’une première lecture. Ce qui n’est pas une honte ! Ce phénomène est bien connu : une des définitions de l’œuvre classique est justement « un texte que personne n’a lu mais dont tout le monde a entendu parler2». Cependant on perçoit toujours un petit sentiment de culpabilité qui pointe lorsqu’on aborde les classiques. Une remarque qui est peut-être moins anodine qu’il n’y paraît… Livres au trésor a aussi décidé de fabriquer des marque-pages destinés aux bibliothécaires (pas aux enfants !). Il en existe une dizaine, répartis par genres (livres d’images, romans policiers, de science-fiction, etc.) sur lesquels il y a tout simplement l’intitulé du genre, avec une courte liste d’ouvrages : 4 ou 5 titres qui ont marqué l’histoire de la littérature de jeunesse de ce genre, et un ouvrage de référence. -- La notion de transmission apparaît également problématique lorsqu’on parle des classiques pour adolescents. Plusieurs personnes ont observé une sorte de contradiction entre le désir de transmettre et la revendication adolescente de rupture et de distinction par rapport à ce qui les précède : le goût de la nouveauté et le besoin d’affirmer l’appartenance à une génération qui se démarque des précédentes n’entrent-ils pas en opposition avec la transmission et l’héritage des générations passées ? D’où la question : est-il possible de proposer quelque chose de « vieux » à des jeunes ? Lecture Jeune - mars 2009 2 Comment parler des livres que l’on n’a pas lus ?,Pierre Bayard, éditions de Minuit, 2007 8 Lecture critique et boule de cristal… Les adaptations littéraires au Cinéma -- L’intemporalité qui caractérise les classiques peut également poser problème. Ainsi, de nombreux auteurs reconnus comme intéressants ou célèbres n’ont pas été cités comme des classiques – ou futurs classiques – parce qu’ils sont trop « dans l’air du temps ». L’auteur qui a cristallisé le plus de commentaires sur ce point, c’est Marie-Aude Murail, un écrivain sur lequel les avis sont très partagés. Pour certains, elle est vraiment un auteur classique parce qu’elle est connue de tous, qu’elle a reçu énormément de prix, qu’elle est consacrée et plébiscitée. Son œuvre est assez riche pour permettre de multiples lectures. D’autres considèrent que ses romans sont beaucoup trop dans l’air du temps, représentatifs seulement d’une certaine bourgeoisie actuelle. Cela a été dit souvent aussi à propos d’auteurs « de l’écurie de L’École des Loisirs » comme Marie Desplechin ou Brigitte Smadja, avec l’interrogation : de tels ouvrages peuvent-ils durer ? Les avis sont très partagés, la boule de cristal ne dit rien… -- Même perplexité autour de la notion d’universalité : il y a une vraie difficulté à intégrer dans le patrimoine de la littérature de jeunesse (pour autant qu’il existe ! voir supra) des textes venus d’ailleurs, reconnus comme classiques à l’étranger, mais qui, en France, n’accèdent pas à ce statut. Pour preuve, les réticences à les faire figurer sur les listes des lectures patrimoniales recommandées en classe. L’exemple le plus frappant est celui d’Astrid Lindgren, considérée comme un véritable auteur classique non seulement en Suède mais aussi dans de très nombreux autres pays… Et qui reste pourtant largement méconnue en France. Les qualités d’un classique Michael Morpurgo Le Royaume de Kensuké, Michael Morpurgo J’en viens aux caractéristiques intrinsèques des titres évoqués par les intervenants. C’est là-dessus que les critiques se sont le plus exprimés puisque, manifestement, le cœur de leur métier est de mettre en évidence les qualités d’un texte. Ils ont donc argumenté sur ce qui les pousse à défendre un roman et à essayer de convaincre d’autres personnes de le lire. Ce qui ne signifie pas pour autant qu’ils le considèrent comme un futur classique : parmi les critères de qualité énoncés, certains ne leur semblent pas correspondre aux exigences d’une « classicisation », comme nous le verrons plus loin. Pour tenter de cerner les qualités particulières d’un auteur devenu un classique selon les critiques interrogés, je prendrai l’exemple de Michael Morpurgo, puisqu’il a été cité quasiment par tous. C’est assurément un classique, non seulement parce qu’il est l’auteur d’une œuvre (on peut retrouver des constantes d’un roman à l’autre), mais aussi parce que les traits qui contribuent à la richesse de ses romans, semblent aptes à toucher un grand nombre de lecteurs, aussi bien adultes qu’adolescents, ou enfants, et cela notamment par la mise en scène des relations entre générations (par exemple dans Le Royaume de Kensuké) par la mise en avant du thème de la mémoire. Les qualités d’écriture ont bien sûr été relevées : ainsi dans Soldat Peaceful, le travail sur la narration, la construction qui fait alterner passé et présent, la montée du suspense, etc. De plus, Morpurgo s’inscrit dans une tradition littéraire : dans Le Royaume de Kensuké par exemple, on retrouve le topos de la robinsonnade. Lecture Jeune - mars 2009 9 Cette intertextualité est l’une des caractéristiques des livres qui paraissent le plus à même de devenir des classiques : ils feront référence parce qu’eux-mêmes font des références. La notion d’échos d’une œuvre à l’autre apparaît bien comme centrale. La portée symbolique des récits, manifeste dans la puissance métaphorique des personnages et des intrigues, est enfin considérée comme essentielle, permettant de dépasser le côté circonstanciel des événements narrés. Comme si finalement, c’étaient des thèmes plutôt que des textes particuliers, que l’on pourrait qualifier de classiques. Les œuvres passent, les questions propres à toucher l’adolescence demeurent… C’est ainsi que l’on retrouve l’importance de la dimension initiatique, de la révolte ou de la quête de soi, sous des avatars qui se renouvellent. L’audience de la critique Reste que pour nombre d’auteurs tout aussi excellents, les critiques constatent, non sans un certain dépit, qu’ils ne sont pas connus au-delà d’un cercle finalement très restreint. J’ai entendu dire à de nombreuses reprises : « En fait, ce sont des classiques pour nous les critiques (à la rigueur, pour les bibliothécaires jeunesse…), mais nous savons bien que ce ne sont pas des classiques pour les autres ». La remarque signifie, me semble-t-il, qu’à la question « est-il possible de faire connaître et aimer à un cercle plus large ce que nous, critiques, essayons de mettre en avant ? », la réponse est plutôt négative ! Comme s’il existait une culture propre aux critiques et aux bibliothécaires, qui ne parviendrait pas à s’étendre à d’autres cercles. La littérature de jeunesse, malgré la reconnaissance croissante dont elle fait l’objet, reste encore malgré tout une affaire de spécialistes. Voilà pourquoi ont été cités tant de titres qui auraient pu – ou dû – devenir des classiques et ne le sont pas, en dehors d’un milieu restreint. Les instances de légitimation : la critique, l’École ou les médias ? Les critiques ont néanmoins le sentiment de participer à certains processus de légitimation : des livres qui ont été critiqués dans des revues professionnelles, qui ont figuré dans des sélections de bibliothécaires, peuvent obtenir des prix, ce qui leur permet d’être repérés par des enseignants qui s’intéressent à la littérature jeunesse, lesquels vont former et informer leurs collègues, en soutenant à leur tour ces ouvrages dans des revues pédagogiques, voire en les faisant figurer dans les listes de lectures recommandées en classe… C’est par ce processus que, parfois, la critique est le premier maillon d’une très longue chaîne qui aboutit à la reconnaissance de certains titres au-delà du cercle initial. Mais c’est rare ! Et il est clair pour tous que la véritable instance de consécration c’est l’École, pas la critique… Ce constat s’accompagne d’une très grande perplexité ou, en tout cas, d’une incapacité totale à répondre à la question de savoir pourquoi ce mécanisme opère pour certains titres et pas pour d’autres. De toute façon, le décalage est ressenti comme très important entre ce qui est mis en avant par les critiques et ce qui suscite une reconnaissance plus large, due, le plus souvent, à de tout autres causes. À cet égard, le cas des Chroniques de Narnia est significatif : c’est un ouvrage qui, dès Lecture Jeune - mars 2009 10 Lecture critique et boule de cristal… sa parution, a été considéré comme très intéressant par les critiques et les bibliothécaires, qui a été beaucoup soutenu, et qui a toujours figuré dans des sélections (par exemple « les guides de lecture » de La Joie par les livres), en un mot, le genre de romans que les bibliothécaires ont l’impression de soutenir à bout de bras et que, en dehors d’eux, personne ne connaît… Jusqu’au jour où il y a eu un film. Alors Les Chroniques de Narnia se sont vendues à des millions d’exemplaires ! Les Chroniques de Narnia, C. S. Lewis Publications de Françoise Ballanger • Enquête sur le roman policier pour la jeunesse, La Joie par les livres/Paris bibliothèques, 2003 • « L’analyse prescriptive » in Littérature de jeunesse : incertaines frontières, actes du colloque de Cerisy la Salle, dir. Isabelle Nières-Chevrel, Gallimard Jeunesse, 2005 • « Images de marginaux dans le roman français contemporain » in L’inscription du social dans le roman contemporain pour la jeunesse, dir. Kodjo Attipkoe, L’Harmattan, « Références critiques en littérature d’enfance et de jeunesse », 2008 • « Paradoxes du réalisme et enjeux littéraires dans le roman pour la jeunesse » in Babar, Harry Potter & Cie. Livres d’enfants d’hier et d’aujourd’hui, dir. Olivier Piffault, BnF, 2008 Des romans exceptionnels… ou consensuels ? Je terminerai par un ensemble de remarques qui laissent percevoir une contradiction fondamentale entre le travail critique mené au fur et à mesure des parutions et la « détection » des classiques. Foin de la boule de cristal ! Car la mise en avant d’un auteur pour les qualités de son style, la singularité de son univers et de son écriture – ce qui est justement l’objectif de la critique ! – apparaît plutôt comme un obstacle à sa classicisation. Ce paradoxe s’explique par l’ambivalence de la notion de « nouveauté » : un critique apprécie un texte original, qui apporte quelque chose de nouveau, c’est-à-dire avec une forme d’écriture, une thématique, un univers, voire un genre, qu’il n’avait jamais rencontrés. Un livre qui se démarque dans l’abondance de la production, pas « un livre de plus » : voilà ce qui donne envie de défendre un titre et peut lui donner des chances de survie, puisqu’il a des caractéristiques remarquables. Mais, paradoxalement, c’est aussi ce qui peut l’empêcher de durer, car d’une certaine manière c’est un livre précurseur. Or, qui dit précurseur dit livres « qui suivront », si bien que, avec le temps, ces textes apparaissent semblables aux autres. Par exemple, dans le genre de la fantasy, ou plus exactement d’un certain type de merveilleux, Moumine le troll a ouvert la voie et puis a été imité, dépassé. Il en est de même pour les romans pour adolescents des années 70, remarquables à l’époque pour l’audace de leur thématique, ou pour certains romans policiers : au moment de leur parution, ils ont été extraordinaires de nouveauté et puis, peu à peu, l’habitude s’est installée, d’autres textes ont été écrits et les premiers, finalement, ne peuvent plus soutenir la comparaison. L’originalité est à double tranchant aussi parce qu’elle peut empêcher l’universalité. Beaucoup de critiques ont insisté sur le fait que leurs préférences tiennent à la singularité d’une œuvre, à une résonance unique avec des attentes personnelles, et mettent en avant le critère de sincérité (par opposition à des textes « fabriqués »). La valeur d’une lecture est celle de la rencontre, intime, qui concerne chaque lecteur et il peut sembler contradictoire de vouloir que cela soit universel. D’où une observation fréquente : les textes les plus faciles à partager et à transmettre sont ceux qui supposent un certain consensus, autrement dit un « gommage » de ce qui fait l’originalité des textes les plus forts. Très souvent, en citant des romans, mes interlocuteurs ajoutaient : « ça bien sûr, c’est devenu un classique [dit-il avec un petit accent amer], ça par contre, personne ne connaît, c’est dommage, c’est tellement bien ! » On sentait là un décalage entre la lecture véritablement aimée et la reconnaissance d’un classique. Comme si les classiques, aux yeux des critiques, se définissaient par « ce qui va forcément plaire ». Lecture Jeune - mars 2009 11 Quelques exemples parmi les titres les plus fréquemment cités : • Auteurs et titres déjà anciens considérés comme assurément classiques Le Petit Nicolas, de René Goscinny « évidemment ! », qui n’est pas spécialement pour adolescents. L’œuvre de Roald Dahl et d’Astrid Lindgren. Le Petit Nicolas, René Goscinny L’Œil du loup et Kamo de Daniel Pennac ; Mon ami Frédéric de Hans Peter Richter ; Mon bel oranger de José Mauro de Vasconcelos ; Une île rue des oiseaux d’Uri Orlev ; Béquille de Peter Hartling ; La Maison vide de Claude Gutman. Robert Cormier fait l’unanimité, avec une remarque sur l’impossibilité de dépasser le cercle des bibliothécaires : c’est vraiment un classique de bibliothèque. Il en est de même pour Valérie Dayre ou Nadèjda Garrel. • Auteurs et titres plus récents, perçus comme futurs classiques Michael Morpurgo, cité quasiment à chaque fois. Harry Potter de Joanne Kathleen Rowling ; Silvana Gandolfi ; À la croisée des mondes de Philip Pullman ; Le Passeur de Lois Lowry ; Le Passage de Louis Sachar ; Anne Fine ; Bernard Friot ; Guus Kuijer ; Lettres de l’intérieur de John Marsden ; La longue marche des dindes de Kathleen Karr ; JeanClaude Mourlevat (mais avis partagés) ; Anne-Laure Bondoux ; JeanFrançois Chabas. Mon ami Frédéric, Hans Peter Richter Harry Potter, J. K. Rowling Et, plus récent encore, c’est Tobie Lolness de Timothée de Fombelle qui est cité le plus souvent. • La liste la plus longue est celle des « regrets » : les romans et les auteurs qui mériteraient de devenir des classiques, mais ne le sont pas… encore ! Push de Sapphire ; La Couronne d’argent de Robert O’Brien ; Les 79 carrés de Malcolm Bosse ; Les Enfants Tillerman de Cynthia Voigt ; Les Chapardeurs de Mary Norton ; Cher inconnu de Berlie Doherty ; Harlem blues de Walter Dean Myers ou, pour l’ensemble de leur œuvre, Mildred Taylor ; Nina Bawden ; Eric Lindor Fall ; William Camus ; Pierre Pelot, Bertrand Solet ; Randall Jarrell ; Francisco Coloane ; Ursula Le Guin ; Jean-Noël Blanc ; Leon Garfield ; Alki Zei ; Christine Nostlinger ; Roberto Piumini ; Hubert Mingarelli. Tobie Lolness, Timothée de Fombelle Soldat Peaceful, Michael Morpurgo Lecture Jeune - mars 2009 La petite fabrique Le dossier des classiques adolescents 12 Francis Marcoin Analyse En 1782, quand Berquin publie L’Ami des enfans, il le fait immédiatement suivre d’un Ami des adolescens. Il n’y a là qu’une sorte de variante : l’adolescent est un enfant un peu plus grand. On parlera de littérature enfantine ou d’enfance, non de littérature adolescente, formule du reste équivoque : en janvier 1826, le Journal des savants, publié par l’Académie des inscriptions et Belles Lettres, désigne la littérature romantique comme « adolescente, libre et vivace », face au genre classique « expirant ». Ici, l’adjectif « adolescent » ne caractérise pas le destinataire mais l’allure même des œuvres, ambiguïté que l’on retrouve de nos jours. Francis Marcoin est professeur de littérature française à l’université d’Artois (Arras). Il est responsable du DEA « Études Littéraires française étrangères et comparées : territoires du littéraire », dont une option intitulée « Territoires de l’enfance », membre de l’O.N.L. (Observatoire National de la Lecture), membre de l’équipe de direction de l’INRP (Institut national de recherche pédagogique). Il dirige le centre de recherche « Imaginaire et didactique » (CRELID). Il est aussi directeur des Cahiers Robinson, seule revue universitaire française dédiée à la littérature de jeunesse. Un âge incertain Le mot lui-même tarde à l’emporter : au XIXe siècle, si une presse féminine se développe, on parle de Journal des demoiselles, des jeunes personnes, des jeunes filles. En face, il n’y a pas de Journal des jeunes gens, mais le dernier tiers du siècle verra s’épanouir, notamment dans le catalogue d’Hetzel, une « littérature de plein air » tournée vers un public masculin à la fois jeune et d’un âge incertain. Certains titres connaîtront une longévité particulière, et Michel Strogoff, réédité en « Classique abrégé » de L’École des Loisirs, est présenté comme « roman adolescent » sur les sites marchands, mais beaucoup d’observateurs considèrent aujourd’hui Jules Verne comme un auteur pour adultes. Où commence et où finit l’adolescence ? En 1951, les éditions Rouge & Or déclarent qu’« il n’est jamais trop tôt pour ouvrir aux diverses formes de l’Art l’esprit des jeunes, voire des très jeunes », et annoncent un choix judicieux « parmi les meilleures œuvres de notre patrimoine littéraire classique et moderne » pour former le goût « des moins de vingt ans », ce qui offre une vision large et indécise des « jeunes ». On trouve cette annonce sur la jaquette du Grand Silence blanc de Louis-Frédéric Rouquette, « roman vécu d’Alaska », paru en 1921 et qui connut un grand succès, comme Le Livre des bêtes qu’on appelle sauvages d’André Demaison, paru en 1929 et repris dans le même catalogue pour la jeunesse. Dans la lignée de Kipling, ces romans sont fondés sur la découverte ou le dépassement de soi. Si on les désigne comme « classiques », c’est dans un sens différent de l’acception originelle, qui était beaucoup plus restrictive et en lien avec la littérature générale la plus légitime, celle des adultes cultivés, rendue accessible à des lecteurs moins avancés. Ces classiques n’étaient pas les ouvrages qui parlaient le mieux de l’adolescence mais ceux qui devaient accompagner la personne durant toute son existence. Certes, en 1696, Fénelon avait déjà ouvert une brèche avec Télémaque, un Lecture Jeune - mars 2009 13 livre pédagogique ouvert à l’âme adolescente. Mais Télémaque est-il aujourd’hui un classique de l’adolescence ? À l’évidence non, du point de vue des lectures plus ou moins spontanées. Il ne figure du reste pas dans les « Classiques abrégés » de l’École des loisirs, qui répond à la définition « traditionnelle » du classique1, c’est à dire un ouvrage de référence, digne d’être enseigné dans les classes. Progressivement, on parle moins à l’enfant que de l’enfant, ce qui ne simplifie pas la question. Car les premiers souvenirs d’enfance s’adressent à l’adulte : c’est toute la différence entre récit d’enfance et littérature enfantine. On le voit avec Vallès, et si L’Enfant est devenu un classique de l’École, la suite de la trilogie ne connaît pas la même postérité ; la jeunesse ne s’est pas emparée du Bachelier. Tout un pan de la littérature sur l’adolescence demeure dans le canton le plus légitime : ainsi L’Adolescent (1875) de Dostoïevski, qui se disait un enfant du siècle, un enfant de l’incroyance et du doute ; ou la troisième partie de Jean-Christophe de Romain Rolland, L’Adolescent (1904), qui s’insère dans un grand mouvement, un flux de civilisation. Ces adolescences font désormais partie d’un passé, comme le montre Un adolescent d’autrefois (1969) de François Mauriac, où un jeune homme rassemble les souvenirs d’une éducation pieuse et austère, supervisée par l’attention vigilante d’un vieux curé. Il est investi de la mission de ramener dans le giron de l’église le fils du régisseur, qui a décidé de quitter la soutane. Ce simple résumé dit le décalage avec notre époque. Mauriac fut un auteur de l’adolescence pour la génération du baby-boom passant de la « Bibliothèque verte » ou « Rouge & Or » au « Livre de Poche ». Créée en 1954, cette collection, par ses prix accessibles comme par son catalogue, apparaît, dans les années 60, comme une véritable bibliothèque de l’adolescence, avec Pierre Benoît, Pearl Buck, A.J. Cronin, Albert Camus, Hervé Bazin surtout, dont Vipère au poing fait un peu le pendant du Nœud de vipères de Mauriac. 1 Défense et illustration des classiques abrégés de l’École des loisirs, n° spécial de L’École des Lettres, 2005-2006, n°6-7 L’Enfant, Jules Vallès L’adolescent et ses monstres Dans ce catalogue, aujourd’hui tombé en désuétude, l’adolescence n’est pas encore une maladie, mais au même moment, en 1956, le docteur Jean Rousselet publie L’Adolescent, cet inconnu, annonçant que le sujet va se médicaliser et se psychiatriser, comme en attestera une multitude de titres. L’adolescent est donc un bon sujet pour les sciences sociales, mais aussi pour la littérature. « Le Livre de Poche » ne proposera qu’en 1967 L’Attrape-Cœur (The Catcher in the Rye) de J.D. Salinger, paru en 1951 et traduit par Sébastien Japrisot en 1953, pour Robert Laffont. Un an avant 1968, cette mise à disposition d’un livre qui avait été censuré et interdit aux moins de 18 ans aux États-Unis, annonce qu’une nouvelle adolescence nous arrive. Mais c’est aussi le moment où « Le Livre de Poche » commence à perdre ce statut non déclaré de bibliothèque d’une adolescence à laquelle on proposera des collections de plus en plus spécifiques. C’est en « Pocket » que sera reprise en 1994 la nouvelle traduction d’Annie Saumont, plus noire que la précédente, avant d’être rééditée en « Pocket jeunes adultes » (2005). Lecture Jeune - mars 2009 Vipère au poing, Hervé Bazin L’Attrape-Cœur (The Catcher in the Rye), J.D. Salinger 14 La petite fabrique des littéraires classiques adolescents Les adaptations au Cinéma Le Grand Meaulnes, Alain-Fournier 2 S. Pinsker, « The Catcher in the Rye and all : is the Age of Formation book over ? », The Georgia Review, 1986, vol. 40, n°4, p. 953-967 3 laminutelitterairedelouisbernard. blogspot.com 4 Personnage de White Teeth (Sourires de loup) de Zadie Smith, dont la mère brûle l’ouvrage de Salinger après que luimême a brûlé les Versets sataniques de Salman Rushdie Ce « livre culte », bien plus que Le Grand Meaulnes d’Alain-Fournier (1913), illustre un âge confondu avec l’idée même de crise, et par essence, contraire à l’idée de classique, en s’opposant à tout ce qui classe, à l’École ou hors de l’École. Georges Duhamel écrivait dans Le Jardin des bêtes sauvages (1933, « Livre de Poche » : 1963) : « Pitié pour moi ! Pitié pour tous les adolescents du monde ! Je ne suis pas heureux. Tout, en moi, est discordance et combat. Mon cœur est d’un enfant, mais j’ai la voix d’un homme, les mains, les pieds, les muscles d’un homme ». Duhamel s’en est remis. Salinger, non, fuyant le monde, n’écrivant plus rien. Désormais, il est presque impossible, en littérature, de parler d’une adolescence épanouie. Jeunes refusant l’âge adulte, errances urbaines, ruptures familiales, désœuvrement, alcool, drogue, caractérisent ce que les Anglo-Saxons appellent le teen novel, le roman d’une génération qui serait perdue (Lost generation). C’est le concept même de roman de formation qui est contesté2, ébranlé, il est vrai, depuis plus longtemps si l’on pense au Diable au corps de Raymond Radiguet (1923, « Livre de Poche » : 1955) ou aux Enfants terribles de Jean Cocteau (1929, « Livre de Poche » : 1958). The Catcher in the Rye fascinera des générations de lecteurs. Mais de quel âge ? On lit sur un blog intitulé La minute littéraire de Louis Bernard3 : « Je suis vert de ne pas avoir découvert ce livre à 14 ans, comme Millat Iqbal4 et Frédéric Beigbeder, plutôt qu’à bientôt deux fois plus ». Paradoxalement, le roman de Salinger est « académisé » par des auteurs médiatiques, et Beigbeder se fait filmer par Jean-Marie Périer dans L’Attrape Salinger, où il part à la rencontre de l’écrivain reclus. Sur le site Buzz littéraire, les pages dévolues à la « littérature trentenaire/urbaine » entretiennent la nostalgie de l’adolescence, « de ses instants de grâce et de liberté absolue ». Florian Zeller y a été présenté comme « le grand attendu de la rentrée littéraire 2006 » avec Julien Parme, le récit d’un « ado » de 14 ans incompris de ses parents, qui décide de partir « pour vivre les nuits de l’adulte qu’il n’est pas encore ». Le thème et le ton veulent rappeler le Holden Caulfield de Salinger, « qui décidément inspire toujours et plus que jamais les jeunes auteurs », même si le titre renvoie au Stendhal du Rouge et le Noir et de La Chartreuse de Parme. Construire un catalogue La Nuit des temps, René Barjavel J’ai pas pleuré, Ida Grinspan Pourtant, dans « Pocket jeunes adultes » (romans adolescents dès 12 ans !) on trouve aussi toute une autre littérature : La Vingt-Cinquième Heure de Virgil Georghiu (1949, « Livre de Poche » : 1956), La Nuit des temps de René Barjavel (1968), Au nom de tous les miens de Martin Gray (1971), Toto-Chan la petite fille à la fenêtre de Tetsuko Kuroyanagi (1981), J’ai pas pleuré de Ida Grinspan (2002), Survivre avec les loups de Misha Defonseca (1997), livres porteurs d’une morale explicite et non des tourments d’un individu, souvent au travers de témoignages écrits avec l’aide de professionnels de l’écriture. Ce catalogue fait une proposition assez cohérente, dont le livre de Salinger n’est finalement pas si représentatif. Lecture Jeune - mars 2009 15 Comme la littérature enfantine, la littérature adolescente est donc au départ une initiative éditoriale, s’inscrivant dans une perspective de chaînage qui elle-même entre en relation avec le fonds dont dispose tel éditeur. En l’occurrence, cette collection reprend des valeurs sûres, à la différence d’autres, qui misent sur des nouveautés ou sur des auteurs plus récents, catalogués « ado ». Mais on ne sait pas si les adolescents la lisent, et on se doute même qu’ils ne la lisent pas trop, spontanément du moins. D’autant que toutes les enquêtes sont d’accord sur ce point : l’adolescence serait le moment de la vie où l’on lit le moins. Un article sur le site de l’Unapel (Union des associations de parents de l’école libre), « Les ados lisent de tout5 », est obligé de le reconnaître. Après avoir constaté depuis 1995 la multiplication des collections pour adolescents et contradictoirement la recherche par les éditeurs d’un public plus large, de 10 à 90 ans, pour retrouver le succès d’Harry Potter, Noémi Constans conclut : « les jeunes ont à leur disposition une offre riche. Il est dommage que beaucoup d’entre eux ne la connaissent pas », ajoutant : « On le sait : ils lisent peu de romans, tandis que les CDI et bibliothèques constituent les principaux acheteurs de cette littérature ». On voit la tentative de fabriquer sinon un classique, du moins un succès, avec un découpage en tranches d’âge de plus en plus accentué, en contradiction avec le phénomène nommé par la critique anglo-saxonne crossoverfiction pour désigner la littérature qui croise les publics. Le roman renvoie-t-il seulement aux préoccupations, réelles ou supposées, des adolescents ? C’est ce qui semble ressortir de la rubrique La raison du plus court dans la revue Ado-livres, à propos d’un livre de Fabrice Vigne, Les Giètes6. Le roman a pour cadre une maison d’accueil pour personnes âgées : en attendant les visites régulières de son petit-fils, un vieil homme passe son temps à jouer au Scrabble et à relire son vieux journal, rédigé 45 ans plus tôt. « Photoroman, la toute nouvelle collection des éditions Thierry Magnier, est-elle destinée aux vieillards passionnés par les pensées de Flaubert et membres du Parti Communiste Français ? Si oui, alors tout va bien ! Sinon, il y a lieu de se poser quelques questions sur ce choix éditorial de Jeanne Benameur et Francis Jolly »7. Conscients d’un risque d’enfermement, les éditeurs proposent donc des ouvrages qui se veulent ouverts aux autres époques de la vie et parlent de la vieillesse ou de la mort, mais aussi et surtout ouverts au monde et à ses conflits. Tout un courant romanesque se dote même d’un double devoir, qui est d’entretenir la vigilance du lecteur sur les questions essentielles tout en le soumettant à de fortes exigences nées d’une écriture sans concession, abordant les thèmes les plus austères dans une narration épurée, souvent elliptique et en rupture avec les formes habituelles du récit. On a pu parler d’une « lecture de salut », vouée à la propagation d’un art de vivre associant libération de soi et forte contrainte intérieure, les filles manifestant une prédilection particulière pour cette forme de lecture8. Cette double exigence des auteurs va de pair avec une demande éditoriale qui suscite l’éclosion d’ouvrages modernes ayant toutes les caractéristiques des classiques, autour de questions comme celles de la guerre -- dans nos pays qui Lecture Jeune - mars 2009 5 « Les ados lisent de tout », in Famille & Éducation n°450, 2004 6 Thierry Magnier, collection « Photoroman », Paris, 2007 7 Relevé dans son blog « Le Fond du tiroir » par l’auteur qui, réagissant à une réception beaucoup plus chaleureuse sur le blog « Sylire », déclare avoir voulu écrire en fait « un roman de la vieillesse » 8 « Lire au féminin, lire au masculin », Gérard Mauger, in Lecture jeune n°120, p.21 16 La petite fabrique des littéraires classiques adolescents Les adaptations au Cinéma 9 « Un âge vraiment pas tendre », Le Monde, 30 novembre 2007 10 Blog sur le site de Livres Hebdo, [Du côté des lecteurs ?], « De la littérature ado à la littérature sans lecteur », 18 janvier 2008 L’Herbe bleue ne la connaissent que de loin --, ou le retour d’éléments traumatiques, notamment l’Holocauste. Dans Sobibor de Jean Molla (« Scripto », Gallimard), Emma, une jeune fille souffrant d’anorexie, découvre un cahier que sa grand-mère, tout juste décédée, cachait sous une pile de linge. Elle y apprend le rôle épouvantable qu’ont joué ses deux grands-parents à Sobibor, un camp d’extermination dont il ne reste rien puisque les Allemands ont tout rasé et planté des pins à sa place. C’est donc ce qu’il y a de traumatique dans l’événement qui est en jeu : non pas simplement ce qui s’est passé mais le silence qui vient après, l’horreur que l’on léguerait inévitablement à ses descendants et qui pousserait une adolescente à se détruire en refusant toute nourriture. Outre sa thématique, ce roman nous semble caractéristique, car il a reçu de nombreux prix et il bénéficie d’une critique très louangeuse sur divers blogs, de la part des jeunes lecteurs eux-mêmes. Ce qui permet de nuancer le propos de Claude Poissenot qui, revenant sur le débat né d’un article de Marion Faure contre la noirceur des livres destinés aux adolescents9, a observé le taux d’emprunt des ouvrages de trois auteurs, Wajdi Mouawad, Catherine Zambon et Malin Lindroth, cités par les éditeurs comme des écrivains qui « font œuvre ». Son enquête révélerait la très faible attractivité de cette littérature « pourtant présentée comme supérieure », et un véritable divorce entre cette production éditoriale et ses éventuels lecteurs10. Malgré son caractère peu probant, cette enquête pose une vraie question sur « cette coûteuse mobilisation et sur les résultats qu’elle peut produire », mais semble oublier que cette mobilisation est par essence celle de l’École, de l’éducation en général, vouée à promouvoir des « classiques », c’est-à-dire des ouvrages présentant les signes d’une qualité supposée durable. La même enquête menée sur des titres très différents produirait sans doute le même résultat. Par contraste, il serait intéressant d’avoir des chiffres équivalents pour d’autres romans relevant d’un autre mode de « fabrication » réputé plus spontané, comme Le Pavillon des enfants fous (1978, « Livre de Poche » : 1982) qui présente également le cas d’une adolescente anorexique, celui de l’auteur, Valérie Valère, alors âgée de 17 ans et qui mourra très jeune d’un excès de médicaments. On lit à son sujet de nombreux témoignages (apparemment) spontanés sur les sites marchands qui s’appliquent aujourd’hui à perpétuer la vogue de ce type d’ouvrages. Dans le même genre, L’Herbe bleue : journal d’une jeune fille de 15 ans (Presses de la Cité, 1972), traduction de Go ask Alice, se présente comme le journal d’une jeune fille qui sombre par accident dans la toxicomanie. Son auteur est en fait Béatrice Sparks, une psychologue spécialiste des faux journaux intimes et membre de la « Church of Jesus Christ of Latter Day Saints ». Réédité en « Pocket jeunes adultes » en 2003, il est encore présenté comme journal intime d’une jeune droguée : « c’est une adolescente comme les autres à la fin des sixties, quelque part dans cette Amérique profonde où les journées se ressemblent […] Elle n’a que 15 ans lorsqu’elle découvre la drogue au cours d’une fête chez une amie qui a versé à son insu du LSD dans des verres de Coca […] L’adolescente sombre alors dans l’enfer de la dépendance, Lecture Jeune - mars 2009 17 et sa vie n’est plus qu’angoisse et détresse ». Mais la supercherie est désormais connue : « C’est un fake11 ? je suis effondré », lit-on sur un blog. Et : « Je n’ai jamais lu ce livre mais je l’ai abondamment cité comme exemple dans mes commentaires et autres devoirs de français. C’est trop trippant de savoir que c un faux alors que le fait de le cité dans un devoir marchait trop bien avec les profs »12. Cependant, à côté de ceux qui trouvent le livre ridicule, beaucoup disent avoir été touchés et en parlent comme du livre référence de leur adolescence. On peut suivre le même débat au sujet de Survivre avec les loups, débat qui nous plonge au cœur de la « fabrication » d’un roman, posant aussi bien la question de la fiction que de son usage et de sa prescription. Cette fabrique est multiple, elle est celle des éditeurs, des auteurs, des pédagogues, des spécialistes du livre, des lecteurs euxmêmes, renvoyant à une idée de l’adolescence qui ne cesse de varier. Car chaque génération s’en forge une représentation marquée par un « livre culte », notion, qui semble tout particulièrement attachée aux passions de la jeunesse et qui tantôt rivalise, tantôt se confond avec celle de « classique ». 11 Un faux. Dans les jeux en ligne, ce terme désigne un pseudonyme différent de celui habituellement utilisé 12 Nous conservons l’écriture originale du message Publications de Francis Marcoin • À l’école de la littérature, Éditions ouvrières, 1992 • La comtesse de Ségur ou le bonheur immobile, Artois Presses Université, 1999 • Librairie de jeunesse et littérature industrielle au XIXe siècle, Champion, 2006 • La littérature de jeunesse, avec Christian Chelebourg, coll. « 128 », Armand Colin, 2007 Lecture Jeune - mars 2009 18 Le dossier Lire les classiques à l’École Annie Portelette Analyse Annie Portelette est professeur de Lettres Modernes, enseignante en collège dans l’Académie de Créteil, à temps partagé avec d’autres fonctions depuis 1988. Elle est également formatrice associée à l’IUFM de Créteil/ Paris XII et participe à deux sujets d’études de l’INRP : Professionnalisation/professionnalité et Enseignement et Littérature. Depuis 2009, elle intervient également dans la mission « Maîtrise de la langue » de l’Académie de Créteil. 1 Le Monde de l’Éducation, n° 373, octobre 2008 2 « L’idée majeure est que les élèves partagent une culture commune en matière de littérature, qu’ils connaissent notre patrimoine culturel et pour cela, il faut commencer au collège. » 3 « Comment se fabrique le patrimoine ? », Jean Davallon, Sciences Humaines, n° 36, 2002 Dans la perspective d’enseignante qui est la mienne, les classiques de la littérature sont les œuvres définies par les programmes, les arbitrages sur le corpus classique ayant été faits en amont, par l’institution. Comme tous les autres métiers, enseigner s’apprend. Des connaissances sur les textes, sur les débats dans la communauté disciplinaire, sur la recherche dans le domaine de la littérature, sur la didactique, sur les enjeux de la lecture littéraire, sur le public scolaire, permettent d’élaborer des gestes professionnels qui vont créer, pour les élèves, les conditions d’une rencontre possible avec les classiques. Dans un article récent du Monde de l’Éducation1, Jean-Louis Nembrini, directeur de l’enseignement, présente l’esprit des nouveaux programmes du collège, premier texte de référence pour l’enseignant, en expliquant les enjeux de la lecture des classiques.2 Ces propos se situent du côté des objets, les textes littéraires de l’héritage et les élèves sont invités à une lecture de célébration, pour reprendre l’expression de Bourdieu, dans une visée intégratrice. Tout autre est la perspective des didacticiens de la littérature, autre éclairage essentiel pour le professeur. Dans ce même numéro du Monde de l’Éducation, Gérard Langlade, universitaire et chercheur, déclare que la littérature constitue « une expérience de la réalité fictive, qui permet à l’élève de travailler son identité en parlant d’elle à travers de la fiction. » Il se place ainsi du côté du sujet. Or, le rapport personnel au texte est ce qui fonde la lecture littéraire ; il participe à la construction d’une identité et à l’enrichissement de l’imaginaire. Le travail du professeur se situe dans la tension entre ces deux pôles, le lecteur et le texte, dans une approche humaniste de la culture humaniste. À l’intérieur de ce cadre, quelques fils rouges orientent ses choix. Des stratégies pour favoriser le processus d’affiliation à l’héritage classique Le premier de ces fils concerne le processus de patrimonialisation. « L’originalité de ce mode de transmission culturelle s’opère à partir de ceux qui reçoivent et non de ceux qui donnent. »3 Il s’agit donc d’amener les élèves à se reconnaître comme héritiers de ce legs des classiques, éloigné d’eux au moins dans le temps, et souvent par la langue utilisée et le contexte culturel qui a vu naître l’œuvre. Une des premières formes de médiation entre le texte et le lecteur concerne les entrées dans l’œuvre proposées et leur diversification nécessaire. Pour lancer la lecture de l’Odyssée en 6e, une tempête d’idées, suivie Lecture Jeune - mars 2009 19 d’une recherche de classement, a permis de faire surgir les savoirs des élèves et d’activer leur mémoire de lecteurs. Ainsi s’établit une première familiarité avec le texte et le monde de la Grèce antique. Avec le groupe d’élèves en difficulté, j’utilise une deuxième entrée : créer des images du monde méditerranéen. Les lecteurs les plus démunis ne parviennent pas toujours à élaborer des images intérieures à partir de leur lecture et nous les perdons dès le début du travail. Un numéro de GEO4 m’a servi de support. Au fil des photos où Ulysse est censé être passé, des élèves font des rapprochements : cela ressemble au Portugal, à l’Algérie, au Maroc. Ainsi se dessine une sorte de géographie méditerranéenne où ils se reconnaissent. Couleurs, lumières, paysages se gravent dans leur mémoire et seront réactivés dans la suite de la lecture. Une seconde piste pour rapprocher l’œuvre du lecteur consiste à articuler différentes versions du « texte fondateur ». J’ai d’abord choisi de faire lire une adaptation de l’Odyssée5 pour la jeunesse, de manière à favoriser un premier mouvement de lecture d’adhésion, nécessaire à l’engagement dans la lecture. Des extraits d’autres éditions ont ponctué l’étude en fonction des objectifs poursuivis et de la lisibilité de la traduction ou de l’édition. Ainsi le premier contact avec l’œuvre s’est fait à partir du début de l’Invocation à la muse dans la traduction de Philippe Jacottet, relativement accessible, permettant d’introduire la place de l’Odyssée chez les Grecs de l’Antiquité. Un petit passage en grec met en lumière la tonalité et la présence de vers et fournit l’occasion d’éclaircir le lien entre le titre et le nom du personnage. Plus tard, la dimension épique, minorée dans l’adaptation, sera introduite à partir des passages de la collection « Épopée » de Casterman, plus proche du texte grec et lisible en 6e, en parallèle avec quelques extraits de la traduction de Victor Bérard, plus difficiles d’accès. L’appropriation peut s’opérer en choisissant des problématiques qui parlent à des élèves, notamment celle des relations père-fils. J’ai constitué en 6e un groupement de textes autour de trois couples : Ulysse et Télémaque, leurs retrouvailles, Dédale et Icare, Phébus et Phaëton, soit deux passages des Métamorphoses d’Ovide6. Une consigne ouverte permet à tous d’entrer dans le travail : « Quels points communs entre ces trois textes ? Quelles différences ? ». Les commentaires témoignent de l’identification aux personnages et aux situations audelà des contextes. Problèmes d’autorité des pères et de responsabilité des adultes : « Dédale ne sait pas se faire obéir et son fils meurt ». Les pères parlent trop, les fils n écoutent plus : « Il [Dédale] est saoulant ! » Faiblesse des pères qui ne savent pas dire non et se laissent prendre leur place : « Il [Phaëton] veut prendre la place de son père et c’est la catastrophe ». Problème de père absent et de parents séparés : Phébus cède à son fils… « oui, mais c’est parce qu’il ne vit pas avec lui, alors, il ne peut pas vraiment lui refuser. » Au contraire, Ulysse et Télémaque sont qualifiés d’alliés, de complices. Les élèves sont sensibles à ce père qui avoue ses torts, et au lien fort qui l’unit à son fils : « Je suis ton père, ton père qui t’a fait souffrir, il n’y a pas d’autre Ulysse que moi, Ulysse, je ne suis pas un dieu. » À ma question finale sur ce qu’ils pensent de ces pères et de ces fils de l’Antiquité, A. s’exclamera : « C’est pareil que Lecture Jeune - mars 2009 4 La Grèce sur les traces d’Homère, GEO n° 171, mai 1993 5 D’après la traduction de Lecomte de Lisle, « Livre de Poche Jeunesse », Hachette, 2001 6 16 métamorphoses d’Ovide, Ovide, traduction de Françoise Rachmühl, « Castor Poche », Flammarion, 2003 ; Les Métamorphoses, Ovide, traduction de Joseph Chamonard, GF-Flammarion, 1993 20 Lire les classiques à l’École Les adaptations littéraires au Cinéma maintenant ! ». J’apporte en conclusion l’idée que la littérature parle des grandes questions qui préoccupent les hommes, la relation père-fils en est une. 7 Lector in fabula, Umberto Eco, Grasset, 1985 Les métamorphoses, Ovide 8 L’Esprit des Lois, « De l’esclavage des nègres », Montesquieu, livre XV, chapitre V, 1748, GF-Flammarion, 1993 La problématique de la patrimonialisation rejoint les apports des théories de la réception : second fil rouge pour l’enseignant. Leur objectif est de s’intéresser à la façon dont le lecteur appréhende le texte, dont il le reçoit et construit le sens. À l’inverse, les théories littéraires du XXe siècle se sont d’abord intéressées au texte avant de réfléchir au lecteur de ces textes. Le rôle de celui-ci est irremplaçable dans l’élaboration de la signification. Sans lui, le texte n’existe pas ; c’est sa lecture qui actualise et concrétise l’œuvre. Parlant du texte, Umberto Eco dit : « C’est un mécanisme paresseux qui a besoin du lecteur pour fonctionner7 ». Et Pierre Bayard distingue le texte du lecteur du texte de l’auteur. Transposé à l’École, cela consiste à accorder un vrai statut au lecteur, à sa parole et à son pouvoir d’interprétation. Il revient au professeur de faire se confronter les différentes interprétations et de renvoyer les lecteurs au texte, pour les valider ou les invalider. Ménager un temps pour recueillir ces premières interprétations et les mettre en débat est essentiel : c’est accorder à l’élève un statut de lecteur, et c’est donner les moyens au professeur de se saisir de ce matériau pour construire le travail sur le texte. En 3e, à la lecture d’un recueil de nouvelles de Jack London, Les Temps maudits, une élève déclare : « C’est pas intéressant, c’est toujours pareil ! ». Cette exclamation un peu provocatrice malgré une grande diversité de lieux, d’époques, de thèmes, peut être rejetée par un professeur déçu et agacé ou, au contraire, considérée comme une intuition qui peut servir de fil conducteur pour appréhender la même vision du monde construite par chacune des nouvelles et introduire la notion d’univers d’auteur. À la lecture de l’Invocation à la muse au début de l’Odyssée, où est annoncé tout ce qui va suivre, un élève s’écrie « C’est mal raconté ! » Quand cette réaction est prise en compte, que l’élève peut s’en expliquer, son jugement témoigne d’une réelle expérience de lecteur : « On sait tout par avance, y’a plus de suspens ». Le professeur peut s’emparer de la remarque pour expliquer la réception spécifique de l’œuvre chez les Grecs de l’Antiquité par rapport à l’horizon d’attente des collégiens de 6e : moins le plaisir de découvrir les aventures d’Ulysse que celui de réentendre un récit déjà connu. Il peut alors inviter les élèves à faire le lien avec des expériences identiques : souvenirs de mêmes histoires lues ou racontées, BD relues, films revus. C’est l’occasion d’évoquer les contes qu’on réécoute depuis des siècles, les chansons de gestes du Moyen Âge et de souligner l’oralité de tous ces récits. Il est possible aussi de jouer sciemment avec l’horizon d’attente des élèves, stratégie efficace pour anticiper les obstacles et mieux préparer la réception programmée par l’œuvre. Le texte de Montesquieu De l’esclavage des nègres8 suscite souvent une lecture au premier degré chez des collégiens possédant peu de références sur l’auteur, les penseurs du XVIIIe siècle et les débats de l’époque. Après une première expérience malheureuse ayant abouti à une impasse – la lecture du professeur contre celle des élèves – j’ai utilisé le détour d’un autre Lecture Jeune - mars 2009 21 texte, fonctionnant sur le même procédé de l’ironie par antiphrase mais sur un thème qui choquerait à coup sûr les élèves. J. Swift a écrit de Modestes propositions pour empêcher les enfants des pauvres en Irlande d’être à charge de leurs parents ou de leur pays et pour les rendre utiles au public, où il propose que ces enfants, assimilés au bétail, servent à l’alimentation du pays : seraient ainsi résolus les problèmes de famine et de surpopulation. Le transfert de l’horizon d’attente sur De l’esclavage des nègres a été possible et les élèves ont perçu le procédé d’argumentation. Troisième fil rouge et enjeu essentiel de la situation scolaire, s’interroger sur le sens de cette activité « lire les classiques ». Elle va de soi pour le professeur de lettres qui évolue depuis le début de ses études dans un entre soi où lire les classiques est de l’ordre de l’évidence. Elle est à construire pour des élèves souvent éloignés de la connivence culturelle de l’École, pour qui les classiques n’ont pas de légitimité en soi. Attitude qui heurte et hérisse le professeur mais qui l’oblige à se poser la question radicale : pourquoi lire les classiques ? L’approche anthropologique offre un levier fort. S’interroger sur pourquoi des hommes écrivent (et lisent), aide à construire le sens de cette activité humaine adressée à d’autres hommes. Si l’on crée les conditions de la rencontre avec le texte, on découvre que les élèves sont capables de curiosité et prêts à surmonter des difficultés. Ils perçoivent inconsciemment que les classiques peuvent les aider à réfléchir sur le monde, sur eux-mêmes et participent à l’élaboration de leur monde intérieur. La littérature n’est pas faite pour donner lieu à des questionnaires ni pour servir de réservoir à l’étude des figures de style ou des schémas narratif ou actanciel. Elle est adossée aux grandes interrogations des hommes, métaphysiques, éthiques, elle montre comment les valeurs sont socialisées. Elle exprime en fiction des réponses aux attitudes émotionnelles. C’est un lieu où s’expriment des connaissances sur le monde dans des formes différentes du savoir logique et scientifique et qui restent pertinentes pour des lecteurs de toute époque. C’est à ces dimensions de la littérature que sont sensibles les collégiens, c’est ce qui lui donne sens, ce qui les touche, les émeut, les effraie, les révolte, les fait débattre et parler de leurs lectures. Les textes fondateurs, la Bible, les mythes grecs, peuvent être travaillés dans cette perspective. À la fin d’un cours, je demande aux élèves d’écrire deux ou trois grandes questions que se posent les hommes de toutes les époques. À la séance suivante, je distribue à la classe la liste des questions retapées, qui devient objet de travail pour tous. Les fortes convergences frappent les élèves. On procède à un classement des questions qui fait apparaître celles en lien avec la science, auxquelles on pourrait répondre par des recherches, et celles pour lesquelles on ne possède pas de réponse, des « énigmes », disent les élèves. Ces dernières concernent Dieu/les dieux, la création du monde/l’apparition des hommes, la mort/la vie après la mort, le temps. Lors d’une autre séance, je distribue un groupement de textes sur quelques mythes de création : trois textes tirés de la Théogonie d’Hésiode, un passage de la Genèse et d’autres mythes issus de cultures différentes. Les élèves repèrent immédiatement le fil conducteur. Je leur demande de lire et Lecture Jeune - mars 2009 22 Lire les classiques à l’École noter les passages susceptibles de répondre aux questions formulées par la classe. La mobilisation forte leur permet de se confronter aux difficultés de certains textes. Le sens des mythes – des récits pour expliquer les origines – se construit. Plus tard, des textes scientifiques seront introduits. Entraves et freins 9 Italo Calvino, Pourquoi lire les classiques, « Points », Seuil, 1981 10 Tzvetan Todorov, Perspectives actuelles de l’enseignement du français, Actes du séminaire de la DESCO, 2001 11 Dans Perspectives actuelles de l’enseignement du français, Actes du séminaire de la DESCO, 2001 Dans la lecture des classiques, on pense généralement aux freins inhérents aux élèves : langue pauvre, manque de repères culturels et d’habitus de lecture, image de lecteurs démunis au regard d’œuvres aux conditions d’accès difficiles qui s’inscrivent dans un contexte culturel et historique précis, utilisent une langue particulière et renvoient à un monde étranger aux lecteurs collégiens. La mission de l’École est précisément de réduire la distance entre les œuvres et les lecteurs, et j’ai déjà évoqué quelques leviers possibles. D’autres entraves naissent des enseignants eux-mêmes et de leur rencontre avec l’altérité des élèves. Le rapport qu’il nous arrive à nous, professeurs de lettres, d’entretenir avec la littérature en constitue une. Ainsi, nous donnons plus volontiers la parole aux lecteurs élèves sur les œuvres de littérature de jeunesse et nous nous crispons quand il s’agit de la littérature. Nous avons tendance alors à reprendre la main pour proposer une interprétation s’appuyant sur des connaissances expertes et toute une tradition culturelle. Nous ne sommes plus dans cette posture décrite par Italo Calvino où « toute relecture d’un classique est une découverte, comme une première lecture »9. La seconde vient de notre approche de la littérature, essentiellement textuelle, qui entre en tension avec celle des élèves qui abordent les œuvres d’abord par les affects et les valeurs. Construire l’attention au texte est un objectif du professeur de lettres mais en entraînant trop vite les élèves sur ce terrain ou d’une manière trop technique, on risque de les perdre ; situation paradoxale où « le professeur du secondaire a une lourde tâche : intérioriser ce qu’il a appris à l’université mais ne pas l’enseigner, le ramener plutôt au statut d’outils invisibles10. » Passer de la centration sur le texte à la centration sur le lecteur constitue un enjeu important de la professionnalisation. Par ailleurs, faire face à l’inattendu qui surgit de la parole des élèves quand on leur laisse un espace d’appropriation, revient à se mettre en danger et la tendance à l’esquive est forte. Mais d’autres gestes professionnels sont possibles pour apprendre à circuler dans les propos des élèves. Parfois, l’esquive se situe du côté du choix des textes, des textes plutôt consensuels que des œuvres fortes, qui suscitent réactions, débats, engagements. Dans une recherche de l’INRP, le protocole voulait qu’une même œuvre, La Petite Sirène d’Andersen, soit étudiée de la maternelle à la terminale11 afin de faire se confronter les pratiques. Les notions religieuses et sexuelles qui traversent le conte ont posé problème à des enseignants : embarras pour aborder les questions autour de l’âme immortelle considérées comme n’appartenant pas à l’espace laïc de l’École, sentiment d’insécurité à laisser les élèves s’exprimer sur une question pour laquelle ils n’ont pas de réponse. Lecture Jeune - mars 2009 23 Je conclurai sur ce qui est au cœur de cet article, le travail du professeur et les gestes professionnels qui favorisent le dialogue avec les œuvres, leur appropriation et l’engagement du lecteur dans le travail sur le texte. Un premier ensemble concerne la notion d’entrée dans l’œuvre : penser la rencontre avec le texte, diversifier les entrées, privilégier celles qui parlent aux élèves, anticiper les obstacles et concevoir des détours, envisager la littérature de jeunesse et la littérature « jeune adulte » en articulation plutôt qu’en opposition. Une seconde famille se centre sur les dispositifs à prévoir pour donner un statut au lecteur : offrir du temps pour la parole de l’élève et les échanges, partir d’une consigne de travail ouverte et non d’un questionnaire. Un dernier groupe a trait à la place et au rôle de l’enseignant : être dans une posture d’étayage, accueillir les réactions des élèves et les mettre en dialogue, les faire évoluer, rebondir entre elles, réagir dans le vif de la classe en introduisant les savoirs au moment opportun. Tout cet artisanat du métier nécessite une formation professionnelle. Lecture Jeune - mars 2009 Publications d’Annie Portelette • « Lancer une année de lecture littéraire en 6e », Le Français aujourd’hui n° 149, La littérature de jeunesse : repères, enjeux et pratiques, Armand Colin • « Des lecteurs de 6e à la rencontre des textes de l’Antiquité », Le Français aujourd’hui n° 155, Lecture des textes fondateurs, enjeux culturels et littéraires, Armand Colin • « Lire l’Odyssée en réseaux », Cahier pédagogique n° 462, La littérature de jeunesse, une nouvelle discipline scolaire ? • « Une pratique de formation continue en littérature dans le second degré », Repères 37, Pratiques effectives de la littérature à l’école et au collège, INRP. Articles dans une publication de l’académie de Créteil Lire en français en 6e Classique littéraire, best-seller ou œuvre culte ? 24 Le dossier Le cas du Seigneur des Anneaux Olivier Vanhée Étude Olivier Vanhée est doctorant en sociologie à l’École Normale Supérieure de Lettres et Sciences Humaines de Lyon. 1 Cette enquête a été réalisée en 2003/2004 auprès d’une vingtaine d’adolescents de 12 à 17 ans, dans le cadre d’un séminaire de recherche en sociologie, à l’École Normale Supérieure de Lettres et Sciences Humaines (Lyon). Il ne s’agit donc pas d’une population représentative mais ces entretiens approfondis permettent d’élaborer quelques « pistes de réflexion » 2 « La réception de J.R.R. Tolkien en France, 1973-2003 : quelques repères », Vincent Ferré, in Tolkien, trente ans après, Paris, Christian Bourgois, 2004, p.25 Au-delà des romans de J.R.R. Tolkien, Le Seigneur des Anneaux est présent sous de multiples formes dans le paysage culturel français et mondial. De la littérature au cinéma, du jeu de rôle au jeu vidéo, sans compter toute une gamme de produits dérivés, cette œuvre est particulièrement visible. Les termes employés pour la décrire sont multiples : best-seller et « blockbuster » et aussi œuvre littéraire érudite ; « classique » du patrimoine culturel britannique et « classique » de la culture populaire mondiale ; franchise commerciale à succès et « œuvre culte »... Ce jeu sur les dénominations nous invite à analyser la réception du Seigneur des Anneaux dans une perspective historique : quelles sont les instances de légitimation qui ont contribué successivement ou simultanément à définir le statut symbolique du Seigneur des Anneaux ? En quoi les adaptations cinématographiques et vidéo-ludiques de l’œuvre de Tolkien ont-elles renouvelé le lectorat et le statut de son œuvre ? Comment de jeunes lecteurs s’approprient-ils ce « classique » ? La réponse à ces questions implique de resituer Le Seigneur des Anneaux dans le cadre des transformations plus larges des modes de consécration culturels. On s’attachera dans un premier temps à suivre l’histoire éditoriale des romans de Tolkien, avant la sortie des adaptations cinématographiques du Seigneur des Anneaux, et à identifier les processus de légitimation en jeu. La sortie des films en 2001, 2002, et 2003, se traduit par une évolution paradoxale : la déclinaison de l’œuvre sur des supports et produits dérivés multiples l’inscrit pleinement dans « l’économie médiatico-publicitaire » alors que se développent de nombreuses analyses savantes de cet ouvrage. Une enquête par entretiens1 permet enfin de voir quelles ont été les réceptions effectives de cette œuvre mondialisée, par des adolescents. Une double légitimité fondée sur l’étendue du public et un statut d’œuvre culte dans le fandom Les romans de Tolkien ont acquis une notoriété dans les années 50 et 60 dans le monde anglo-saxon, et dans les années 70 en France, mais la réception critique et littéraire initiale de l’œuvre est ambivalente et très partagée. Ce qui prédomine dans les médias est une méconnaissance de l’œuvre de Tolkien, longtemps traitée avec mépris ou négligence2 par les détenteurs de l’autorité culturelle. La reconnaissance de l’auteur se joue donc d’abord à deux autres niveaux : d’une part, une reconnaissance par le nombre, avec une œuvre sans cesse rééditée depuis sa parution et traduite en une Lecture Jeune - mars 2009 25 vingtaine de langues ; d’autre part, une reconnaissance plus localisée dans le cadre des institutions de la « culture fan » et de l’émergence du genre littéraire de la fantasy. Ce sont essentiellement des groupes et associations de fans et d’admirateurs qui ont contribué à la reconnaissance de son œuvre, en dehors des instances officielles de consécration. Nous pouvons évoquer à leur propos des « entrepreneurs culturels3 » de la fantasy pour désigner des associations et sociétés d’admirateurs, fanzines, revues, conventions, qui participent à la formation d’un appareil critique de célébration. Ces réseaux de sociabilité forment des instances relativement autonomes de consécration et de hiérarchisation, et constituent un moyen de résistance collectivement constitué4 contre la marginalisation culturelle de la fantasy : « collectionner, échanger, créer des clubs, reconstituer des séries complètes, établir des bibliographies, comparer les éditions, les personnages, puis les auteurs, les styles, c’est se livrer sur un terrain à peu près libre de toute autorité culturelle à la même activité, stricto sensu, que l’historien de l’art ou de la littérature dans le domaine réservé de la culture légitime »5. À la grande surprise de Tolkien, son œuvre s’avère très populaire dans la contre-culture américaine des années 606, ou encore dans la culture hacker7 émergente, et les sous-cultures technologiques des scientifiques et ingénieurs. Les premières sociétés d’admirateurs voient le jour dans les années 60 : la Tolkien Society of America s’est réunie pour la première fois en février 1965 ; en 1967 est créée la Mythopoeic Society pour l’étude et l’appréciation de la littérature mythique et fantastique ; la Tolkien Society est créée en 1969 au Royaume-Uni. Pour ce qui est de la France, Vincent Ferré affirme que « la discontinuité et des erreurs de parutions » ont « constitué un obstacle à la reconnaissance »8 de l’auteur : différences de traduction de termes identiques ; accès à une partie très restreinte de son œuvre, d’où une méconnaissance du « lien essentiel entre l’invention fictionnelle et les recherches universitaires de Tolkien »9 ; assimilation à la littérature jeunesse et au fantastique. Anne Besson souligne que la traduction de nombreux ouvrages de fantasy inspirés de Tolkien a également participé au processus de « classicisation ». La mise en place de marqueurs génériques, issus de l’œuvre de Tolkien, la situe en œuvre fondatrice10. Anne Besson revient d’abord sur son influence thématique : « elfes, nains, orques, dragons, quête initiatique, puissance maléfique sont ainsi devenus autant de signaux d’appartenance générique ». Mais au-delà de ce « réservoir de motifs, de personnages et de structures narratives mis à disposition du développement du genre », Anne Besson insiste sur l’influence structurelle de l’œuvre de Tolkien : « l’immense majorité de la production de la fantasy contemporaine ne se limite pas à un roman isolé, mais se poursuivent en cycles courant sur plusieurs volumes. Cette ampleur systématique se justifie par la volonté de donner progressivement cohérence et consistance à un univers fictionnel conçu comme complet et autonome »11. Lecture Jeune - mars 2009 3 Lire le noir, Annie Collovald, Éric Neveu, Armand Colin/BPI, 2004, p.19 4 La Culture des individus, Bernard Lahire, La Découverte, 2004, p.60 5 « La constitution du champ de la bande dessinée », Luc Boltanski, in Actes de la recherches en sciences sociales, n°1, 1975, p.41 6 « America in the 1960 : Reception of Tolkien », Foster Mike, in Drout (ed.) J.R.R. Tolkien Encyclopedia, Routledge, 2006 7 Les hackers sont des amateurs d’informatique dont les connaissances et compétences approfondies dans ce domaine leur permettent des créations ou des usages détournés de logiciels, de jeux, ou d’Internet 8 « La réception de J.R.R. Tolkien en France, 1973-2003 : quelques repères », Vincent Ferré, in Tolkien, trente ans après, Christian Bourgois, 2004, p.8 9 op. cit. p.21 10 « La Terre du Milieu et les royaumes voisins : de l’influence de Tolkien sur les cycles de fantasy contemporains », Anne Besson, in Tolkien, trente ans après, Christian Bourgois, 2004, p.357 11 Anne Besson, op. cit. p.357 26 Classique littéraire, best-seller ou œuvre culte ? Les Le casadaptations du Seigneur deslittéraires Anneaux au Cinéma 12 Finie la lecture ? Lire au collège, lire au lycée : une enquête longitudinale, Christine Détrez, Thèse pour le doctorat de sciences sociales, EHESS, 1998, p.291 13 « Lecture des filles et des garçons : à propos du Seigneur des Anneaux », Christine Détrez, in Les jeunes et l’agencement des sexes, La Dispute, 2007, p.46 14 Finie la lecture ? Lire au collège, lire au lycée : une enquête longitudinale, Christine Détrez, Thèse pour le doctorat de sciences sociales, EHESS, 1998, p.422 15 « Formes de lecture étudiantes et catégories scolaires de l’entendement lectoral », Bernard Lahire, in Sociétés contemporaines, n°48, 2002 Si les ouvrages de fantasy se singularisent par des marqueurs génériques inspirés du Seigneur des Anneaux, nous remarquons que le lectorat de Tolkien et de la fantasy est également bien spécifique, plutôt masculin et de formation scientifique, ce qui a pu contribuer à la marginalisation de l’œuvre, étant donné la moindre valorisation culturelle et symbolique de ce type de capital scolaire et de la culture scientifique en général. Selon l’enquête de Christine Détrez, au collège, Le Seigneur des Anneaux est très majoritairement lu par des garçons de milieux favorisés et « en avance » scolairement : ces derniers le placent en tête de leurs titres préférés. Il est par contre absent des listes des garçons qui présentent un retard scolaire ou dont les parents sont ouvriers12. Nous retrouvons donc d’une part une différenciation des pactes de lecture privilégiés par ces jeunes lecteurs selon leur genre : « alors que les filles vont plus souvent que les garçons vers les romans classiques, les romans destinés à la jeunesse, les témoignages, les romans psychologiques, les garçons puisent plus souvent que les filles dans les romans de science-fiction, de fantastique et les romans d’aventure ». Le classique de Tolkien est donc « essentiellement une lecture de garçons. Dans un relevé des titres lus par les adolescents sur 4 ans, seules trois filles, sur 4000 réponses, ont cité Le Seigneur des Anneaux »13. Au-delà des différences de genre, elle constate la « domination relative des enfants de cadres intellectuels supérieurs au sein du lectorat d’un certain nombre de genres, surtout la science-fiction et le fantastique »14. Christine Détrez constate enfin la constitution d’un lectorat spécifique pour la fantasy au lycée. Les enquêtes sur les lectures des étudiants témoignent également d’un lectorat spécifique composé d’un grand nombre de jeunes suivant des formations de type scientifique15. Le Seigneur des Anneaux a donc d’abord été reconnu en tant que bestseller, dominant culturellement par l’étendue de son lectorat et la durée de son succès, et aussi comme « œuvre culte » au sein de cercles de fans et d’amateurs de fantasy. Il a conquis une forte légitimité auprès d’un lectorat spécifique, plutôt masculin et de formation scientifique. Nous pouvons donc évoquer une reconnaissance, mais celle-ci reste partielle : les facteurs de marginalisation de cette œuvre sont nombreux. Si l’œuvre est reconnue comme un classique, elle est cantonnée à un genre souvent décrit comme « paralittéraire », ou aux réseaux informels de la « culture fan »; la domination par le nombre et la popularité est en outre un facteur de disqualification dans le champ littéraire. La sortie des adaptations cinématographiques du Seigneur des Anneaux et les transformations de la légitimité de cette œuvre Dès la fin des années 80 dans le monde anglo-saxon, mais surtout à partir des années 2000, se constituent des savoirs spécialisés sur Le Seigneur des Anneaux, qui est transformé en objet de savoir universitaire, et acquiert donc une reconnaissance académique. La mise en place des « instruments de l’érudition culturelle » renvoie Lecture Jeune - mars 2009 27 à une domination culturelle par l’officialité et le prestige, et non plus seulement par le nombre. Un regain de légitimité et l’apparition de commentateurs en provenance du champ de l’Université se mettent en place, qui transfèrent leurs habitudes académiques « à l’exégèse de biens symboliques que leur indignité culturelle protégeait jusque là contre l’esprit de sérieux »16. La constitution d’un domaine interdisciplinaire d’études tolkieniennes s’est faite en lien avec un travail d’édition complète des œuvres de Tolkien : la publication et l’élargissement des sources bibliographiques permettant de l’appréhender dans son ensemble. Le journal des Tolkien Studies paraît ainsi depuis 2004. Vincent Ferré évoque aussi comme perspectives d’analyse « les problématiques liées à la fiction, à la relation entre théorie et fiction, au merveilleux ; la richesse de son intertextualité – avec Beowulf, les sagas islandaises, la littérature arthurienne mais aussi Shakespeare et la Bible – son influence féconde sur la littérature et le cinéma »17. Le Seigneur des Anneaux tend également à être reconnu comme une forme légitime de « littérature jeunesse », dans le cadre de la réhabilitation de la lecture ordinaire18. L’œuvre est en effet inscrite dans la liste des lectures conseillées en 5e et 4e, et fait l’objet de réflexions sur son usage pédagogique19. La sortie des films a entraîné une redéfinition du Seigneur des Anneaux comme produit multimédia et franchise commerciale mondialisée20, ce qui a ouvert la voie à de nouvelles formes d’appropriation de la part d’un lectorat élargi et renouvelé. Vincent Ferré affirme ainsi que « la véritable rupture s’est produite avec l’adaptation cinématographique du Seigneur des Anneaux par Peter Jackson, entre 2001 et 2003. Les ventes témoignent de l’intérêt soudain pour l’œuvre : plus de livres se sont vendus au cours de la seule année 2001 que pendant les sept années précédentes, entre 1994 et 2000, ou les vingt premières années, entre 1972 et 1992 »21. Martin Barker et Ernest Mathijs ont mené une enquête internationale sur la réception des films, en se fondant sur plusieurs méthodes22 : une analyse des stratégies marketing différenciées selon les pays ; une enquête par questionnaire dans 20 pays ; des entretiens avec des spectateurs, dont certains sont également lecteurs. Les auteurs invitent à rompre avec l’illusion de l’instantanéité de la réception : elle n’est pas un acte immédiat mais un processus, avec une temporalité spécifique, une chronologie. Une œuvre existe au-delà de sa publication : rumeurs, polémiques, produits dérivés, campagnes de promotion, sites Internet, tous ces « matériaux ancillaires » jouent un grand rôle dans le processus de construction du sens des objets culturels populaires, et informent les attentes et les interprétations. Les auteurs ont ainsi mis en évidence les différences entre les spectateurs qui avaient lu le livre et les autres, de même que les formes spécifiques d’interprétation d’une catégorie de spectateurs, qui « ont l’amitié comme fil commun à travers trois principales questions (personnage préféré, source d’information, et événement social) ». Regarder Le Seigneur des Anneaux se fait donc entre amis et c’est un film sur Lecture Jeune - mars 2009 16 « La constitution du champ de la bande dessinée », Luc Boltanski, in Actes de la recherches en sciences sociales, n°1, 1975, p.42 17 Vincent Ferré, op. cit. p.22 18 « Bien lire, entre lectures utiles et lectures futiles », Christine Détrez, in Bulletin des bibliothèques de France, n°6, novembre 2001, pp.14-23 19 « Peut-on lire le Seigneur des Anneaux en classe ? », Marie-Cécile Guernier, in Lire au lycée professionnel, n°55, automne 2007, pp.14-20 20 Popular Culture in Global Context : The Lord of the Rings Phenomenon, Ernst Mathuis, Wallflower Press, 2006 21 « La réception de J.R.R. Tolkien en France, 1973-2003 : quelques repères », Vincent Ferré, in Tolkien, trente ans après, Christian Bourgois, 2004, p.30 22 Watching the Lord of the Rings : Tolkien’s World Audiences, Martin Barker, Ernst Mathuis, Peter Lang Publishing, 2007 28 Classique littéraire, best-seller ou œuvre culte ? Le cas du Seigneur des Anneaux l’amitié. Les circonstances de la réception (aller voir le film entre amis) sont ici associées au processus d’attribution de sens au film par les spectateurs. 23 « Lecture des filles et des garçons : à propos du Seigneur des anneaux », Christine Détrez, in Les jeunes et l’agencement des sexes, Paris, La Dispute, 2007, p.54 24 op. cit. p.62 Publications d’Olivier Vanhée • « La production d’une “ culture manga “ en France : une analyse sociologique de la pluralité des appropriations et des pratiques liées au manga », in Japon Pluriel n°7, Actes du 7e colloque de la Société française des études japonaises, éditions Philippe Picquier, 2008 • « Reading Harry Potter : a Personal and Collective Experience », Participations. Journal of Audience & Reception Studies, 5-2, novembre 2008 • « Les nouvelles sensibilisations au livre », « Les librairies manga », « Les librairies Album », in Histoire des librairies, éditions du Cercle de la librairie, 2009 On a pu essayer de voir comment la réception du film était encadrée par ces discours et matériaux promotionnels dans le cadre d’une enquête de réception menée en 2003-2004. Christine Détrez a constaté une modification sensible du lectorat de Tolkien suite à la sortie du film : « Dans une enquête réalisée en 2002 en DrômeArdèche, on obtient trois quarts de garçons et un quart de filles dans les lecteurs déclarés du Seigneur des Anneaux ». Nous constatons néanmoins que les discours d’accompagnement du film sont très différenciés selon le genre du public ciblé par les magazines pour adolescents : « Ces magazines tentent de guider les réceptions de leurs lecteurs en associant filles et garçons à des univers différents : émotion et prisme des identifications pour les filles, univers de l’héroïcfantasy et humour pour les garçons »23. Les entretiens mettent surtout en évidence une différenciation des réceptions des filles selon leur milieu social d’origine : « la critique féminine des stéréotypes genrés émane principalement des adolescentes des milieux les plus favorisés, pour qui elle fonctionne comme un véritable moyen de distinction : pour ces jeunes filles, la vraie fille, la chochotte, c’est l’autre, et surtout pas elle ». Une différence notoire avec les garçons, pour qui « l’acceptation du stéréotype semble bien moins problématique » : « tous les adolescents interrogés disent apprécier le film pour ses scènes de bataille et pour l’histoire en général, se référant ainsi explicitement au modèle classique des préférences masculines ». Mais il faut bien distinguer ici ce qui relève d’une déclaration et d’une réelle intériorisation, et on notera que ce sont les capitaux scolaires et l’origine sociale qui différencient d’abord les réceptions : « l’attention à la psychologie […], la capacité à percevoir un message dans le film, et à l’exprimer, est un axe d’interprétation extrêmement distinctif, et qui dépend non pas de l’identité genrée, mais bien des capitaux scolaires et sociaux détenus par les adolescents, filles ou garçons »24. Si le lectorat du Seigneur des Anneaux s’est donc élargi et féminisé, grâce à la médiatisation des films, on constate une différenciation des modes d’appropriation, et un décalage avec les horizons d’attente élaborés par les discours d’accompagnement. Lecture Jeune - mars 2009 29 Le dossier Les éditeurs et les « classiques » Anne Clerc Table ronde Du côté de l’offre éditoriale, trois éditeurs on accepté de présenter leur démarche autour des « classiques ». Quels titres choisissent-ils de publier ? Comment entendent-ils les promouvoir auprès du public adolescent ? Est-ce qu’il s’agit de proposer de nouvelles traductions, des réécritures ou de proposer un texte intégral ? Il est intéressant dans un premier temps, de distinguer le travail qui est réalisé sur les classiques « du passé », notamment dans les catalogues d’Hachette Jeunesse et de Gallimard Jeunesse, et dans un second temps, la politique de François Martin, sur la collection « Babel J » rééditant des ouvrages contemporains, qui seront peut-être « les classiques de demain ». Annick Lorant-Jolly : Charlotte Ruffault, quelle est la part des classiques dans votre catalogue et quels sont vos critères de sélection ? Charlotte Ruffault : Hachette fut un des éditeurs pionniers de la transmission populaire de la littérature. Aussi, nous nous devons de poursuivre cette mission. À l’heure actuelle, la collection qui promeut les classiques est « Le Livre de Poche Jeunesse ». « Le Livre de Poche » est une filiale du groupe et il y a un dialogue permanent entre le secteur adulte et la jeunesse, dont j’ai la charge. Mais quand s’arrêtent les classiques et quand commencent les contemporains ? La question se pose à chaque réédition. Premier constat : sans le travail de prescription de l’École, certains textes ne seraient plus lus. Nous avons classé la sélection en deux segments (en dehors des genres) : classiques et contemporains. Hachette Jeunesse a réservé le segment « classique » aux œuvres écrites avant les années 70/80. Cette date marque l’explosion de la littérature jeunesse en France, l’engouement des auteurs pour ce public et la naissance de très nombreuses collections. Avant les années 70, et l’apparition des collections de poche pour la jeunesse, il n’y avait quasiment que « la Bibliothèque rose » et « la Bibliothèque verte ». Mais le fonds « contemporain », né après 1980, ne résiste pas toujours à la dictature de l’offre et la demande… Très peu de textes récents perdurent. Il n’y en a qu’une petite centaine dans le catalogue et ce sont essentiellement ceux qui ont été « élus » par l’École comme des titres de référence. On observe deux phénomènes : la démission des parents qui ne transmettent plus « leurs » classiques, et une banalisation du travail des auteurs. Il faut s’interroger : que transmettre au jeune public ? Pourquoi ces titres-là en particulier ? Parce qu’ils ont laissé chez les lecteurs (adultes), une trace plaisante, enrichissante, indélébile. Lecture Jeune - mars 2009 Animée par Annick Lorant-Jolly Avec François Martin, Actes Sud Junior, directeur de la collection « Babel J » ; Catherine Bon-de Sairigné, responsable du service éditorial de Gallimard Jeunesse ; Charlotte Ruffault, directrice d’Hachette Jeunesse, en charge du secteur « Fiction Jeunesse ». Catherine Bon-de Sairigné Après des études d’Histoire de l’Art à l’Institut d’Art et d’Archéologie, Catherine Bon-de Sairigné a collaboré au bimensuel Astrapi (Bayard Presse) en tant que journaliste extérieure avant d’écrire des livres documentaires pour les enfants. Elle est l’auteur de plusieurs titres de la collection « Découverte Benjamin » chez Gallimard Jeunesse. Entrée chez Gallimard Jeunesse en 1984 comme responsable de cette collection, elle a été ensuite en charge de la collection « Les Racines du Savoir » et de la collection « Secrets ». Elle est responsable du département « Littérature » de Gallimard Jeunesse, depuis 1999. 30 Les éditeurs et les « classiques » ALJ : Quand vous décidez de rééditer un livre, dit « classique », tentez-vous de le remettre au « goût du jour » ? Charlotte Ruffault Depuis près de 30 ans fidèle au secteur jeunesse de la littérature, d’abord comme bibliothécaire, puis comme éditrice, et parfois comme auteur (Gallimard, Larousse, Syros), et après avoir été journaliste, Charlotte Ruffault a connu plusieurs maisons d’édition. Conceptrice de collections qui ont marqué leur temps : « Les Petits carnets » par exemple, en 1975 chez Syros, ou plus tard, dans les années 80, « Les Dictionnaires » des sentiments, des émotions ou encore la collection « J’accuse », toujours chez Syros, elle a travaillé aussi bien avec des petits éditeurs comme Le Sourire qui mord ou Syros (qu’elle a dirigées pendant cinq ans), que des plus importants comme Bayard Jeunesse. Depuis plus de six ans, elle est directrice chez Hachette Livre, en charge du secteur « Fiction Jeunesse », qui comprend, entre autres, les célèbres « Bibliothèque Rose » et « Verte », et la non moins connue collection du « Livre de Poche Jeunesse ». 1 Oliver Twist, de Charles Dickens, « Le Livre de Poche Jeunesse », Hachette, 2005 CR : Oui, il est important d’adapter une collection à son époque. Notamment, en choisissant des illustrations qui sont plutôt attrayantes. Pour ce faire, « Le Livre de Poche Jeunesse » renouvelle régulièrement ses couvertures. Plus les œuvres sont classiques, moins elles sont évidentes à l’achat, donc l’« enveloppe » joue un rôle prépondérant. Il y aussi la question des traductions. Pendant longtemps, Hachette Jeunesse s’est reposée sur des versions datant du XIXe ou du début du XXe siècle, or une traduction « vieillit » très rapidement, beaucoup plus vite que son texte original. Par conséquent, des classiques sont retraduits. Cela a été le cas récemment pour Oliver Twist1, et pour Mon ami Frédéric2. ALJ : Gallimard Jeunesse mène également un travail de promotion sur les classiques. Catherine Bon-de Sairigné, pouvez-vous nous éclairer sur la politique de votre maison ? Catherine Bon-de Sairigné : Nous sommes très attachés à soutenir notre fonds et à faire en sorte que la vie des livres ne soit pas éphémère. Nous publions bien sûr bon nombre de titres dits classiques, qui font partie du patrimoine des siècles passés. Et nous avons à notre catalogue de grands auteurs qui font indéniablement partie des classiques et qu’il est important de soutenir : comme Kessel, Hemingway, Roald Dahl ou Le Clézio, pour n’en citer que quelquesuns. Pour faire vivre tous ces ouvrages, nous pouvons proposer de nouvelles traductions, plus accessibles (c’est ce qui est fait pour les titres que nous publions dans ce que nous appelons les « Folio junior Universels »), nous pouvons renouveler les couvertures. C’est le cas par exemple dernièrement des illustrations de couverture des romans de Jules Verne3. Nous n’indiquons pas de segmentation des livres par genre au sein de nos collections, c’est pour nous trop arbitraire. Mais sur la 4e de couverture, nous nous efforçons de donner une idée claire du contenu du livre, de ses caractéristiques, des genres qu’il aborde (histoire, aventure, humour etc.), de son auteur. Il y a des auteurs qui sont devenus ou sont appelés à devenir des « classiques », comme Michael Morpurgo ou J.K. Rowling. Je pense qu’une œuvre classique a une qualité littéraire, une force d’écriture et une universalité dans les thèmes qui sont abordés. En ce sens, Harry Potter est un futur classique. Ce sont aussi des livres qui ont un pouvoir de séduction qui peut toucher un large éventail, par l’âge, de lecteurs. Parmi les nouveaux auteurs, l’œuvre de Timothée de Fombelle4 est l’un des coups de cœur de Gallimard Jeunesse, qui espère bien le garder longtemps dans son catalogue et en faire un classique ! Les collections de poche sont accessibles au plus grand nombre, certes, mais il y a également les belles éditions en grands formats. Et si la plupart du temps, le chemin s’effectue du grand format vers le poche, il y a également des trajets inverses. Par exemple certains titres de Michael Morpurgo, comme Cheval de guerre5, d’abord paru en « Folio Junior », qui a été réédité avec des illustrations en couleurs de François Place. Lecture Jeune - mars 2009 31 ALJ : Et comment faites-vous pour décider si un texte restera ou non au catalogue ? Comment s’effectue cette entreprise d’élagage ? CR : Lorsqu’il s’agit de « littérature de divertissement », un ouvrage vendu à moins de 500 ou 400 exemplaires, n’est pas conservé. Actuellement, en France, un ouvrage jeunesse se vend en moyenne aux alentours de 1500 à 2000 exemplaires. En dessous de 2000 exemplaires, un livre n’est quasiment pas rentable. Par contre, une œuvre classique, qui est dans le catalogue depuis plus de 10 ou 20 ans, a une chance supplémentaire. L’éditeur analyse l’état des stocks et suit l’évolution de l’ouvrage. S’il n’est vendu qu’à 200 exemplaires, mais que les ventes restent stables sur l’année, il est conservé. Mais, si les ventes se sont effondrées, il part dans ce que j’appelle « le petit placard », en attendant une occasion pour le mettre en avant. CBDS : Notre sélection n’est pas aussi systématique. Notre équipe étudie les chiffres de vente, mais nous pouvons choisir de conserver des livres qui nous tiennent à cœur bien que ceux-ci n’aient pas réalisé des chiffres de ventes extraordinaires. Mais il faut parfois faire des choix difficiles et des arbitrages entre des titres, pour laisser de la place à des ouvrages que l’on souhaite également défendre. ALJ : Quelles sont les occasions qui permettent de mettre les classiques en avant ? CR : Parmi les « opportunités », il y a l’École, le travail de l’éditeur auprès des professeurs. Et surtout, l’adaptation d’un classique au cinéma. Il y a un véritable engouement des cinéastes pour la littérature jeunesse et chaque année, une dizaine de films sont adaptés de romans jeunesse ! C’est une aubaine pour le fonds car nous pouvons mettre en lumière un titre du patrimoine. Ainsi, nous avons travaillé sur Oliver Twist, qui a eu la chance d’être revisité par Polanski6 au cinéma. Aussi, l’éditeur tente de faire coïncider la publication de la nouvelle édition avec la sortie du film. Et souvent, on retrouvera l’affiche du film en couverture. « Le Livre de Poche Jeunesse » a également réédité Les Enfants de Timpelbach7 de Winterfeld, à la sortie du film de Nicolas Barry, en décembre 2008. Tout comme ce fut le cas pour Oliver Twist, les répercussions sur les ventes sont immédiates. Ces œuvres connaissent un renouveau. Et enfin, il y a les commémorations : les anniversaires de la naissance ou de la mort d’un auteur, qui sont autant d’occasions pour faire vivre le catalogue des classiques. ALJ : Pour revenir aux classiques de demain, comment faitesvous, François Martin, pour choisir les titres qui intégreront la collection « Babel J » ? Quels sont vos critères ? François Martin : Actes Sud est une maison qui vient de fêter ses 30 ans, donc elle n’a pas l’ancienneté de Gallimard ou d’Hachette. Par conséquent, nos orientations sont différentes. « Babel J » est une collection qui tente de faire le pont entre le secteur jeunesse et le secteur adulte. Sa vocation est « transfrontières », visant un lectorat de lycéens et de jeunes adultes. Elle est adossée à la collection poche, prestigieuse, d’Actes Lecture Jeune - mars 2009 2 Mon ami Frédéric, de Hans Peter Richter, « Le Livre de Poche Jeunesse », Hachette, 2007 3 Voyage au centre de la Terre, de Jules Verne, « Folio Junior », Gallimard Jeunesse 2008 4 Timothée de Fombelle est l’auteur de Tobie Lolness : La vie suspendue, T.1, 2006 et Les Yeux d’Elisha, T.2, 2007, Gallimard Jeunesse 5 Cheval de guerre, de Michael Morpurgo, illustré par François Place, « Folio Junior », Gallimard Jeunesse, 2008 6 Oliver Twist, réalisé par Roman Polanski, Pathé Distribution, 2005 7 Les Enfants de Timpelbach, de Henry Winterfeld, « Le Livre de Poche Jeunesse », Hachette, 2008 32 Les éditeurs et les « classiques » Après une formation en Lettres modernes et journalisme, François Martin a travaillé dans le domaine de l’action culturelle et événementielle. Puis il est entré aux éditions Actes Sud Junior en 1997. Il est aujourd’hui éditeur, en charge de la fiction (albums, romans, poésie…) et, à ce titre, s’occupe de la collection « Babel J ». Sud « Babel », une collection qui elle-même a ses spécificités, relevant d’une démarche éditoriale intégrée. La collection « Babel J » comprend aujourd’hui une vingtaine de titres et est constituée presque pour moitié de traductions ; avec peut-être des ouvrages qui seront les classiques de demain, si l’on pense à Sous le règne de Bone, de Russell Banks ou Loin, très loin de tout de Ursula Le Guin. Tous les titres « Babel J » sont donc issus de la littérature générale. Dans un premier temps, nous « puisons » dans le fonds d’Actes Sud, mais également dans le catalogue des éditeurs associés, qui aujourd’hui appartiennent au même ensemble. Par exemple, nous avons édité deux titres de la collection « La Brune » que dirige Sylvie Gracia aux éditions du Rouergue (Mon amour ma vie8, de Claudie Gallay et Le Problème avec les maths9, de Catherine Leblanc). Je tiens à souligner que « Babel J », c’est Actes Sud. Cette filiation est essentielle car la collection prend appui sur une identité forte. Néanmoins la collection ne se restreint pas à la maison mère et certains titres proviennent d’éditeurs indépendants, comme Marguerite10, de Leïla Sebbar, paru initialement chez un petit éditeur, Folies d’Encre. Pour ces derniers, c’est une réelle opportunité car l’ouvrage sera diffusé dans les circuits de la littérature jeunesse. L’une des spécificités d’Actes Sud, c’est d’avoir sa propre diffusion et ses propres équipes de représentants, dont une qui se consacre spécifiquement aux catalogues jeunesse. 8 Mon amour ma vie, de Claudie Gallay, ALJ : Vous publiez également des titres étrangers, comment effectuez-vous votre sélection ? François Martin « Babel J », Actes Sud Junior, 2008 9 Le Problème avec les maths, de Catherine Leblanc, « Babel J », Actes Sud Junior, 2007 FM : Je sollicite pour cela tous les éditeurs concernés de la maison. Parmi les traductions, nous avons ainsi Je suis le tigre sur tes épaules11. Quand il est sorti chez Actes Sud dans les années 90, il n’a pas eu le succès escompté et l’ouvrage a connu un second souffle lorsqu’il a été publié dans la collection « Babel J » en 2006. Les traductions nous permettent d’explorer des aires linguistiques qui sont rarement publiées en édition (par exemple, Enfants des rues12, qui est traduit du chinois). J’aime l’idée que cette collection soit ouverte sur le monde, sur la littérature traduite, à l’image des jeunes adultes qui voyagent, étudient à l’étranger. « Babel J » cherche à décloisonner les lectorats, mais encore fautil que nous soyons relayés, qu’il y ait des espaces, des médiateurs, qui permettent ce passage entre secteur jeunesse et secteur adulte. Mettre ces livres à la portée d’une nouvelle génération de lecteurs, c’est tout le défi. 10 Marguerite, de Leïla Sebbar, « Babel J », Actes Sud Junior, 2007 11 Je suis le tigre sur tes épaules, de Günter Ohnemus, « Babel J », Actes Sud Junior, 2006 12 Enfants des rues, de Ta-Chun Chang, « Babel J », Actes Sud Junior, 2007 Lecture Jeune - mars 2009 Gérer et valoriser un fonds de classiques Le dossier en bibliothèque 33 Christine Péclard Étude Pour tenter une synthèse des différentes définitions évoquées tout au long de la journée d’étude, le titre de « classiques » sera attribué aux œuvres qui résistent au temps, par leur thématique, leur style et leur écriture. Nous pouvons distinguer deux types de « classiques ». D’une part, les œuvres qui ont défié les siècles, le plus souvent destinées à un public d’adultes et adoptées par les jeunes comme Defoe, Dickens, London, Stevenson, Twain, Verne, Wilde… ou bien des œuvres destinées aux enfants, comme Carrol, Collodi, Lagerlöf, Malot, Ségur, Stahl… D’autre part, des œuvres contemporaines qui sont plébiscitées par les jeunes et rééditées régulièrement. Gérer un fonds de classiques Les acquisitions Une œuvre classique doit être considérée sous deux aspects : le texte, dont le bibliothécaire retiendra l’édition intégrale, plutôt qu’une adaptation, et sa présentation matérielle (format, couverture, illustrations éventuelles) qui gagne à être actualisée. Un fonds de « classiques » doit être, paradoxalement, constamment renouvelé. Les éditions en fac-similé avec les gravures d’origine doivent cohabiter avec des collections de poche avec ou sans illustrations, pour offrir toutes les approches et permettre l’appropriation des œuvres, sans phénomène de sacralisation. Il appartient aux bibliothèques qui ont mission de conservation, comme l’Heure Joyeuse à Paris, la BnF et la Joie par les livres, de conserver toutes les éditions existantes comme témoignages d’une époque pour les chercheurs à venir. Aux bibliothèques de lecture publique revient la mission de faire la promotion de ces œuvres sous les formes les plus attrayantes et les plus modernes possible. La Joie par les livres aide les bibliothécaires à faire le tri dans leurs rayons et à repérer les éditions remarquables signalées dans la Revue des livres pour enfants ou dans le guide de lecture Escales en littérature de jeunesse, régulièrement réédité, qui propose un choix de classiques publiés avant 1940 : 76 titres, en additionnant les titres des deux volumes, dans l’édition de 2001, 65 dans la réédition de 2007. Dans l’édition de 2007, 13 titres disparaissent et non des moindres : Oliver Twist et David Copperfield de Dickens, Moonfleet de Faulkner, Casse-Noisette d’Hoffman, Deux pour une de Kästner, Les Patins d’argent de Stahl, L’Île mystérieuse, Les Enfants du Capitaine Grant et Michel Strogoff de Jules Verne. Faut-il en déduire que ces titres sont démodés et ne se lisent plus ? Ce serait hasardeux, si nous les comparons à ceux réédités dans la Lecture Jeune - mars 2009 Christine Péclard a travaillé pendant 20 ans dans différentes bibliothèques jeunesse en banlieue et à Paris et a créé la bibliothèque spécialisée pour la jeunesse dans le 19e arrondissement de Paris. Elle a été responsable d’une bibliothèque de trois sections dans le 13e arrondissement où elle a développé de multiples partenariats, avant d’être chargée de la coordination des bibliothèques jeunesse de la Ville de Paris. Depuis avril 2007, elle est chargée de la préfiguration de la médiathèque Marguerite Duras, qui ouvrira fin 2009, rue de Bagnolet, à Paris. La petite fille aux oiseaux, Lucie Rauzier-Fontayne 34 Gérer et valoriser un fonds de classiques en bibliothèque 1 Don Quichotte, Miguel de Cervantes Saavedra, Milan jeunesse, 2006. Moby Dick, Herman Melville, Hachette Jeunesse, 2001 2 Le Chancellor, Jules Verne, Actes Sud Junior, Les mondes connus et inconnus/ Ville de Nantes, 2004 Mirifiques aventures de Maître Antifer, Jules Verne, Actes Sud Junior, Les mondes connus et inconnus/Ville de Nantes, 2004 Le Rayon vert, Jules Verne, Syros jeunesse, 2004 Le Sphynx des glaces, Jules Verne, Actes Sud Junior, Les mondes connus et inconnus/ Ville de Nantes, 2004 L’Île rose, Charles Vildrac, Ed. Thierry Magnier, 2006 Le Prince heureux, Gallimard jeunesse, 2002 3 Escales en littérature de jeunesse, la Joie par les livres, Ed. du Cercle de la Librairie, 2001 et 2007 4 Des livres et vous : bibliographie sélective pour les années collège, production pour la jeunesse et qui ne paraissent pas plus modernes : Don Quichotte de Cervantes, Moby Dick de Melville1, quatre titres de Jules Verne réédités à l’occasion du centenaire de sa mort en 2005, L’Île rose de Vildrac, et Le Prince heureux de Wilde2. Au hasard des disparitions et des créations de collections des maisons d’édition, les titres passent d’un catalogue à un autre et parfois disparaissent purement et simplement en attendant une éventuelle réédition. Quoi qu’il en soit, les bibliothécaires continuent à débusquer avec opiniâtreté les classiques dans les catalogues d’éditeurs, afin de les proposer à leurs lecteurs. Ils signalent, le cas échéant, les titres épuisés dont ils déplorent la disparition dans l’espoir d’attirer l’attention des éditeurs : -- 32 titres signalés, sur 700 romans et nouvelles dans la dernière édition d’Escales en littérature de jeunesse de La Joie par les Livres.3 -- 10 titres sur les 333 proposés dans la dernière édition de la bibliographie sélective des années collège : Des livres et vous, de la Ville de Paris.4 Même s’ils sont indisponibles en librairie, ces titres se trouvent toujours en bibliothèque et méritent d’être promus. L’interpellation des éditeurs peut déboucher sur un véritable partenariat. Ainsi, la collaboration entre Thierry Magnier et la Joie par les livres a permis la réédition, en 2006 de L’Île rose de Charles Vildrac5 (réactualisé par la belle exposition que l’Heure Joyeuse a dédiée à cet auteur, à l’occasion du 40e anniversaire de sa mort en 2001), ou encore de La Petite Fille aux oiseaux, de Lucie Rauzier-Fontayne, publié en 19586. Certains éditeurs, comme Jean Delas de l’École des loisirs, sont tellement conscients de la promotion apportée à leur production par les bibliographies sélectives des bibliothèques de la Ville de Paris qu’ils en financent les retirages et les diffusent dans leurs propres points de vente. les Bibliothèques de la Ville de Paris, Paris-Bibliothèques éditions, 1995, 2000, 2006 5 L’Île rose était paru chez Albin Michel en 1924 6 La Petite Fille aux oiseaux, Lucie Rauzier-Fontayne, Ed. Thierry Magnier, « Romans ados », 2006. (publiée dans « La Bibliothèque rose », chez Hachette en 1958) Le classement Tous les types de classement ont été expérimentés par les bibliothécaires : les collections pour adolescents, mêlant les classiques et les textes contemporains, ont été, tantôt isolées, tantôt mélangées aux romans pour la jeunesse ou pour adultes. Tous ces classements ont trouvé des adeptes ou des détracteurs au fil des années, autant parmi les bibliothécaires que parmi les lecteurs. Aujourd’hui, nous avons tout à gagner à ne pas cantonner les adolescents aux sections jeunesse, mais à les encourager à se familiariser le plus tôt possible avec les collections de la section adulte, en facilitant au maximum le passage. Les passerelles telles que l’espace Intermezzo à Toulouse, les espaces décloisonnés comme à Marne-la-Vallée, sont des modèles qui tendent à se généraliser. C’est sur ce principe que nous organiserons les espaces de la future médiathèque Marguerite Duras, rue de Bagnolet, dans le 20 e arrondissement, à Paris, sur 4 200 m2. Valoriser un fonds de classiques Mais cela ne suffit pas pour permettre une appropriation des collections. Rien ne remplace le conseil au lecteur qui peut prendre plusieurs formes : Lecture Jeune - mars 2009 35 Le conseil individualisé L’incitation à la lecture pour les plus jeunes, diffère à l’adolescence. La revendication d’autonomie des adolescents passe par le refus du conseil des adultes, surtout ceux des parents et des bibliothécaires, qui ont guidé leurs premiers pas dans la lecture. Comme le signale Claude Poissenot : « la bibliothèque est d’inspiration parentale et d’inspiration scolaire également. Il est donc difficile pour les adolescents de s’autonomiser par rapport à un lieu qui émane de ce dont il convient de se détacher. »7 7 Adolescents et bibliothèques : Je t’aime, moi non plus : Actes du colloque organisé Les présentations de romans Elles ont lieu dans le cadre de comités de lecture, animés par les bibliothécaires, dans les CDI de collège ou de lycée, en partenariat avec les professeurs documentalistes, et connaissent un grand succès. Ces comités de lecture fonctionnent d’autant mieux qu’ils débouchent sur des rencontres avec les auteurs, en « chair et en os »… De toute évidence, ce n’est pas le meilleur vecteur de promotion des œuvres classiques du patrimoine. par le Conseil général du Val d’Oise et l’association Cible 95, le 20 octobre 2005 à l’Institut polytechnique Saint-Louis Les prix Certains prix littéraires (Les Incorruptibles, le Goncourt des lycéens, etc.) sont un excellent moyen de faire lire – même de « faibles » lecteurs… –, mais il ne s’agit que de promouvoir des romans qui font l’actualité ! Les bibliographies sélectives Elles laissent une grande liberté aux jeunes lecteurs, proposant des parcours de lecture par genre, thème, auteur, ou niveau de lecture. Elles constituent un bon moyen de promotion de la littérature, surtout si la présentation est attrayante et si la mise en page permet la reproduction de couvertures des ouvrages proposés. Les bibliographies sélectives par tranche d’âge, proposées par la Ville de Paris et remises à jour tous les 5 ans, intègrent aussi bien les classiques de la littérature de jeunesse que les meilleurs exemples de la production la plus récente. En comparant les trois éditions de la bibliographie sélective des années collège Des livres et vous, parues respectivement en 1995, 2000 et 2006, on peut faire un certain nombre de constatations, d’une part par rapport au catalogue destiné aux prescripteurs, d’autre part, par rapport à la plaquette distribuée gratuitement aux usagers qui représente une sélection de la sélection. L’intérêt de la première édition était précisément de mêler les classiques « anciens » et contemporains, dans le même classement thématique : Jules Verne voisinait ainsi avec Christian Léourier ou Michel Honaker, Tom Saywer, l’intrépide, côtoyait Le Prince de Central Park ou Smith8; London, Stevenson ou Mac Orlan proposaient la découverte de terres lointaines, tout comme François Place ou Michael Morpurgo. L’Enfant de Jules Vallès ne rougissait pas du voisinage avec L’Enfant du dimanche de Gudrun Mebs. Enfin, les maîtres du polar s’appelaient aussi bien Jonquet, Horowitz ou Pennac, que Doyle ou Leblanc. Dix ans et deux éditions plus tard, les œuvres du patrimoine ont cédé, sous la poussée d’une production pléthorique (10 000 titres de littérature jeunesse édités en 2008, dont 6 000 nouveautés), dont on a retenu les meilleurs titres. Lecture Jeune - mars 2009 L’Enfant du dimanche, Gudrun Mebs 8 Tom Saywer, Mark Twain ; Le Prince de Central Park, Evan H. Rhodes ; Smith, Léon Garfield 36 Gérer et valoriser un fonds de classiques en bibliothèque 9 Le parti pris de ne retenir dans cette liste que les titres déjà parus en 1995 (date de la 1ère édition de « Des livres et vous »), élimine de fait les titres plus récents, cités dans la dernière édition, dont certains ont déjà acquis le statut de « classiques », comme Jean-Claude Mourlevat, L’Enfant-Océan, paru en 1999, Louis Sachar, Le Passage, 2000, John Marsen, Lettres de l’intérieur, 1998, Philippe Pulmann, À la croisée des mondes, dont le premier tome : Les Royaumes du Nord est paru en 1998, ou encore J. K. Rowling, Harry Potter à l’école des sorciers, 2002 et plus récemment, Timothée de Fombelle, Tobie Lolness : La Vie suspendue, 2006 et Les Yeux d’Elisha, 2007 Le Passeur, Lois Lowry Publications de Christine Péclard • « Le rôle de la formation dans le métier de bibliothécaire pour enfants », C. Péclard et M.-L. Gestin, in La Revue des livres pour enfants, n° 193-194, juin 2000 • « Un projet d’établissement fédérateur », in Lecture Jeune, n° 112, décembre 2004 • « Les bibliothèques et les tout-petits », in Lectures, livres, et bibliothèques pour enfants, Cercle de la Librairie, p.128-136, 1993 • « Une aventure : l’Heure Joyeuse », mémoire de fin d’étude du DSB, 1985 Les « classiques » ont quasiment disparu de l’édition de 2006, à une exception près : Bilbot le Hobbit, de Tolkien, paru en 1937, donc correspondant aux critères de la sélection de La Joie par les Livres (parution avant 1940). Pour les œuvres contemporaines, le taux de renouvellement entre deux éditions reste très important. Sur les 434 titres de l’édition de 2006, 34 ont plus de 10 ans, soit 7,8 % seulement de la sélection. Au total, 55 titres de la deuxième édition, dont 21 parus entre 1999 et 2000, sont encore cités dans la troisième édition, soit 12,6 % de la sélection. Si l’on compare la 1ère et la 3e édition de la bibliographie, seuls 37 titres de l’édition de 1995, dont 4 titres épuisés, sont cités parmi les 434 de l’édition de 2006, soit 8,5 % (cf. liste des titres cités en tableau). Il est assez rassurant de voir que les auteurs cités comme « classiques » par Françoise Ballanger et l’aréopage qu’elle a consulté pour établir son palmarès ont été également retenus par les bibliothécaires parisiens : ainsi Michael Morpurgo, Robert Cormier et Lois Lowry sont consacrés comme classiques. Marie-Aude Murail est toujours plébiscitée par les jeunes, même si son œuvre est trop « dans l’air du temps », comme le souligne Françoise Ballanger, pour résister au passage des générations. Enfin, cette sélection9 donne raison à François Martin, directeur de la collection « Babel J» chez Actes Sud Junior, qui vient de rééditer Loin, très loin de tout de Ursula Le Guin. Est-ce à dire que les bibliothécaires renoncent à leur rôle de passeur en refusant de promouvoir les classiques, en contradiction avec le soin qu’ils mettent à maintenir cette offre pour les générations présentes et futures ? Laisserons-nous définitivement à l’Éducation Nationale le soin de transmettre ces œuvres ? Suivons plutôt l’exemple du comité de lecture de Livres au trésor qui, conscient de l’enjeu, propose à ses participants de revisiter les classiques et réalise des bibliographies sur les grands héros de la littérature enfantine comme Peter Pan. La comparaison de ces différentes sélections permet de dégager un certain consensus, au moins parmi les prescripteurs. Il reste maintenant à vérifier que ce palmarès est le même pour les lecteurs concernés ! C’est un nouveau sujet d’étude à approfondir. Titres communs à la première (1995) et à la troisième édition (2006) Des Livres et vous : bibliographie sélective pour les années collège 1937 1980 1979 1980 1981 1986 1987 1988 1989 1990 1991 Bilbot le Hobbit, J.R.R. Tolkien Anastasia Krupnik, L. Lowry Les Garennes de Watership Down, R. Adams La Tue-mouche, J.-H. Malineau (épuisé) Une difficile amitié, M. Sachs Allô! Ici le tueur, J. Bennet La Steppe infinie, E. Hautzig Cheval de guerre, M. Morpurgo Premier amour dernier amour, S. Morgenstern Harlem Blues, W.D.Myers Mon enfance en Allemagne nazie, I. Koehn L’Éclipse (épuisé), R. Cormier Singularité, W. Sleator (épuisé) La Marque du feu, J. Carol Thomas Loin de chez moi, D. Kherdian Bonne nuit, M. Tom, M. Magorian Hypatia, A. Zitelman Nous construirons une ère nouvelle (épuisé), R. Finckh L’île du Crâne, A. Horowitz 1991 1992 1993 1994 1995 Loin, très loin de tout, U. Le Guin Dinky rouge sang, M.-A. Murail Promenade par temps de guerre, A.-M. Pol Shabanu, S. Fisher Staples Les derniers géants, F. Place Pas de vacances pour Immense-Savoir, M. Salzman Le chant de Be, L. Beake À fleur de peau, T. Damgarembga Cher inconnu, B. Dohertie Sudie (épuisé), S. Flanigan La fille du Carnaval, T. Lenain Années d'enfance, O. Jona Tom et le jardin de minuit, P. Pearce Bébés de farine, A. Fine Le Passeur, L. Lowry Sur l’autre rive, L. Sauerwein C’est la vie Lili, V. Dayre Avec tout ce qu’on a fait pour toi, M. Brantôme Lecture Jeune - mars 2009 Le dossier Internet, nouvel espace de légitimation adolescente des œuvres ? L’exemple des fanfictions sur Fascination 37 Hélène Sagnet Étude Des fans s’emparant de leur univers préféré pour en rédiger leurs propres versions et prolongements, le phénomène ne semble pas nouveau1. L’Américain Henry Jenkins, spécialiste des communautés de fans, fixe l’origine des fanfictions à la série télévisée Star Trek, dont l’arrêt avait conduit les fans à rédiger des suites, publiées dans des fanzines2. Autour de séries ou de films cultes comme Star Wars, s’inventent des récits qui explorent les « vides » de l’histoire, élaborent des hypothèses de lecture, etc. Internet a évidemment donné de l’ampleur au phénomène ; les fanfictions ne sont plus uniquement rédigées par des fans au sens premier du terme et leur lectorat s’est élargi. Désormais, des histoires s’écrivent à partir de multiples univers (mangas, jeux vidéo, films, livres…). Sur le site américain fanfiction.net, on peut lire plus de 375 000 récits dédiés à Harry Potter (on les appelle des potterfictions), 41 400 textes autour du Seigneur des Anneaux, et plus de 40 000 histoires sur Twilight, la série de Stephenie Meyer3 ! Si l’engouement autour d’Harry Potter et du Seigneur des Anneaux4 ne surprend guère (ces œuvres ne pourraient-elles être qualifiées de « classiques » ?), le phénomène Twilight est plus étonnant ! Naviguer sur Internet dans les espaces adolescents consacrés à cette série, nous permet d’observer les engouements réels des jeunes, ainsi que les nouvelles modalités d’appropriation des textes. Et si Twilight ne peut, certes, pas accéder au statut d’œuvre patrimoniale, il n’en reste pas moins un titre marquant dans le parcours de lecture de nombreux adolescents. Qu’est-ce qui a séduit 25 millions de lecteurs de par le monde ? Comment, sans l’appui du marketing et de la publicité dans un premier temps, s’est constituée la communauté de fans de Stephenie Meyer ? Les ingrédients du succès « La plus bouleversante tragédie amoureuse depuis Les Hauts de Hurlevent » argue l’éditeur. Fascination tient plutôt de la littérature populaire romantique5. Le récit est fortement ancré dans un quotidien marqué par les codes des fictions teenage américaines – high school, grosses voitures, etc. Le tout est mâtiné de fantastique, par le biais des personnages de vampires et de loups-garous. En résumé : la très banale Bella tombe amoureuse du sublime Edward qui se révèle être un vampire, ce qui complexifie grandement leur vie sentimentale. Au-delà de l’histoire d’amour contrariée – Edward met Bella en danger et celleci doute de ses sentiments à l’égard de Jacob, son ami le loup-garou – l’ouvrage traite très largement de désir et de sensualité. La grande affaire est que Bella et Edward, très attirés l’un par l’autre, ne peuvent Lecture Jeune - mars 2009 Margaux, Élodie, Noémie et Bérénice ont été contactées via Internet puis interrogées lors d’entretiens téléphoniques. Les textes cités, repris d’Internet (blogs, forums) sont retranscrits littéralement. Hélène Sagnet est directrice de Lecture Jeunesse, directrice de rédaction de la revue Lecture Jeune. 1 Conan Doyle, qui avait fait mourir son héros, Sherlock Holmes, n’avait-il pas dû lui redonner vie après que des lecteurs ont décidé d’inventer des suites aux romans ? 2 Aux États-Unis, les fanfictions sont largement étudiées dans le cadre du courant des cultural studies. Un ouvrage de référence est paru en 2006 : Fan fictions and fan commmunities in the age of Internet, K. Hellekson, K. Busse (dir.), McFarland & Company, Jefferson (États-Unis) 3 Tous les chiffres cités datent d’octobre 2008 4 Lire l’article d’Olivier Vahnée p. 24 5 Même si l’auteur fait référence aux classiques de la littérature romantique, Les Hauts de Hurlevent, Orgueil et préjugés, Roméo et Juliette, etc. qu’elle cite en exergue de chaque tome et fait lire à son héroïne, Bella ! 38 Internet, nouvel espace de légitimation adolescente des œuvres ? L’exemple des fanfictions sur Fascination 6 Le premier tome de la série s’ouvre sur une citation de la Genèse, sur le Bien et le Mal. La couverture fait également référence au fruit défendu. Au fil des tomes, les idées véhiculées sur le statut de la femme, l’individualisme et le communautarisme, le repli sur la famille, le mariage, l’avortement, etc. dérangent ! 7 « Ce qui me plaît, c’est que c’est à la fois fantastique et réel… » (Margaux, 14 ans, 3e) 8 « On s’identifie au personnage de Bella parce qu’elle est banale. » (Elodie, 20 ans, Licence de Lettres) 9 Noémie, 20 ans, classe préparatoire École vétérinaire 10 « J’en parle tout le temps à mes amis. » (Margaux) 11 « On a envie que le livre soit plus connu… L’écrivain mérite d’être connu. » (Margaux) 12 « J’ai relu Fascination cinq ou six fois. Je relis régulièrement mes passages préférés… » (Noémie) 13 « J’ai eu envie d’aller sur un forum pour parler du livre. J’ai retrouvé la fille qui me l’avait conseillée… J’ai trouvé plein d’informations… J’ai cherché des choses sur l’écrivain… » (Margaux) 14 « Sur mon blog, j’ai mis mes propres analyses des caractères des personnages. » (Noémie) 15 « Oui, le blog c’était pour prolonger un peu l’univers… C’était aussi en attendant la sortie, pour combler l’attente. » (Noémie) 16 En France, beaucoup sont hébergés sur la plateforme Skyblog, par exemple : http:// eternity-edward.skyrock.com/; http://x-lionand-lamb-x.skyrock.com/, etc. avoir de vie sexuelle sans risque, tant que Bella est humaine. Notons d’ores et déjà que l’ouvrage nous semble assez peu progressiste. Audelà des très nombreux stéréotypes véhiculés sur le statut de la femme (Bella est présentée comme une véritable petite femme d’intérieur, et comme un être sans défense et, de fait, constamment sous la surveillance d’autrui), l’ouvrage met en avant l’impossibilité de faire l’amour avant le mariage – c’est la condition qu’Edward, né à un autre siècle, pose à la transformation de Bella en vampire6. Quoi qu’il en soit, l’auteure est parvenue à créer un univers captivant – parce que toujours très réaliste, nourri de détails du quotidien, malgré la dimension fantastique7 – et un personnage d’héroïne romantique, un peu « fleur bleue », auquel s’identifient aisément les jeunes lectrices8. Il est perçu comme un livre qui « fait rêver toutes les filles »9. La découverte de l’ouvrage et son partage Pour les lectrices, la découverte de l’ouvrage fut un moment important : « Je suis entrée dans une librairie et c’est une jeune fille qui me l’a conseillé. Ses yeux brillaient tellement… Ça m’a impressionné la façon dont elle m’en a parlé ! » (Margaux). Fascination est souvent conseillé par des pairs : « Il y avait des articles sur les blogs. Les gens en parlaient de façon positive, encourageaient les autres à le lire… Ils parlaient d’un livre exceptionnel ! Leurs critiques… c’était très fort ! Il y avait de l’émotion… On le voyait que sur quelques blogs, y avait pas de presse. » (Elodie). L’objet livre a aussi largement contribué à les séduire : « J’ai trouvé les couvertures magnifiques. » (Margaux). Et puis, pour elles, la magie opère, voilà un livre qu’on ne peut pas lâcher : « Je l’ai lu d’une traite. En deux jours. Quand je l’ai refermé je n’avais qu’une envie, m’y replonger. C’était comme une drogue ! J’y repensais tout le temps pendant la journée. C’était obsessionnel » (Noémie). Dès lors, elles souhaitent partager ce plaisir10 et faire connaître le livre et son auteur11. Des formes d’appropriation actives du livre « C’est un livre à part, il y a eu beaucoup d’émotions ! C’était la première fois que je me sentais à ce point dans un livre. Après je n’ai rien pu lire d’autre pendant longtemps, je trouvais les autres livres fades… Oui, je ne voulais pas quitter cet univers » (Elodie). Pour ne pas « quitter l’univers », les jeunes filles développent différentes stratégies. Évidemment, elles relisent l’ouvrage12. Elles éprouvent le besoin d’en savoir plus sur l’auteur, son univers, et fréquentent sites et forums qui lui sont dédiés13. Et elles élaborent également des analyses personnelles, notamment des personnages14. Ces bonnes lectrices ont aussi construit des réseaux de lecture à partir de Fascination qui fait très directement référence à Jane Austen et à la littérature romantique : « Bella lit des livres. Ça m’a donné envie de lire. J’ai lu Les Hauts de Hurlevent, je l’ai beaucoup aimé. Et Roméo et Juliette, moins. Avant j’avais déjà lu des histoires de vampires, Héritier de Dracula, Entretien avec un vampire… Mais je n’ai pas encore lu Bram Stoker » (Margaux). Mais Lecture Jeune - mars 2009 39 ce qu’elles cherchent avant tout, c’est de pouvoir partager leur plaisir de lecture, mettre en mots leurs émotions, d’où la fréquente création de blogs consacrés à la série15. Blogs, forums et sites d’information Il existe des milliers de blogs autour de Fascination16. Le site de Noémie http://fascination50.skyrock.com/ a été créé dès février 2006 ! Il a depuis reçu près de 460 000 visites ! Extrêmement riche – plus de 56 articles – le blog est devenu « officiel ». Noémie, par le biais d’un concours, a en effet été choisie par Hachette pour se rendre au lancement du tome IV à New York. Le récit de ce séjour a attiré plus de 50 000 visiteurs en quelques jours ! Que trouve-t-on sur ces blogs ? Des éléments liés à l’actualité – extraits et bandes annonces du film17, avis sur le tome IV et événements autour de sa sortie… – ; de l’information sur l’auteur ; des analyses – analyse des couvertures de l’ouvrage, fiches sur les personnages, cartes et photographies des lieux du récit, éléments de mythologie indienne et vampirique… – ; des jeux et sondages – voter pour son personnage préféré, pour le meilleur tome de la série, pour ou contre l’adaptation du livre au cinéma ?, faut-il que Bella se transforme en vampire ? ou encore, le mormonisme de Stephenie Meyer influe-t-il sur le sort des personnages ? – et également les recettes des plats que prépare Bella, la bibliothèque de Bella, des playlists, des fanfictions, etc. Les échanges s’organisent également sur des forums. Sur http://forum. ados.fr/livres-bd/liste_categorie.html par exemple on trouve près de 100 pages et plus de 20 000 messages consacrés à Fascination. De quoi y parle-t-on ? De son plaisir de lecture avant tout18 ; de l’actualité – la sortie du dernier tome ou l’adaptation cinématographique19. Quelques échanges également sur les goûts et la culture littéraire des jeunes lectrices : « Donc voilà, après avoir essayé les grands auteurs j’ai le droit de dire que j’aime SM [Stephenie Meyer]. Comme dis ma prof de français, il faut lire des classiques mais aussi ce qu’on aime même si pour certain, c’est de la merde, le principe est de lire » ! Les fanfictions sont aussi fréquemment évoquées : « c une fille qui traduit des chapitres du tome 1 mais vu par edward tu devrais les lire c trop bien meme si c juste des fanfictions ecrite par des fans comme le dit emmy ». 17 Twilight. Chapitre 1 : Fascination, de Catherine Hardwicke, janvier 2009 18 « Je viens de découvrir ce forum !!! Quel plaisir de voir que vous comprenez toutes ce qu’on ressent aprés avoir lu ces livres. » (retranscription littérale) 19 « moi ossi j’ai tres peur de l’adaptation du livre au ciné car c’est nous qui nous imaginons notre edward est en voyan un qui doit le representer sa va nous gacher un peu le “film” mais bon en tout cas ces livres sons vraiment magnifique… » 20 « J’aime bien écrire. J’avais déjà écrit des fanfictions, sur une série télévisée Un dos tres… J’ai lu des fanfictions sur des sites de fans de séries TV… Sur Harry Potter aussi… J’en ai écrit mais ça m’inspirait pas trop… J’ai lu des fanfictions sur Fascination et ça m’a plu. Fascination ça m’a inspiré ! … Oui je crois que c’était le plaisir d’écrire avant tout… J’ai écrit cinq ou six chapitres. J’ai commencé là en septembre [2008]… Ça venait tout seul, c’était très facile… Avec cette fanfiction sur mon blog j’ai eu beaucoup de visites, avant j’en avais pas trop. Les « com » [commentaires] ça fait plaisir… Oui ça donne envie d’écrire, de travailler l’imagination. » (Margaux) Les fanfictions Les fanfictions sont donc une des modalités d’appropriation active de l’œuvre20. Si pour d’autres titres – Harry Potter, Le Seigneur des Anneaux, etc. – les jeunes auteurs cherchent à tester leur connaissance de l’œuvre et à proposer des hypothèses de lecture – en respectant toujours l’œuvre initiale21 – dans le cas de la série de Stephenie Meyer, qui joue largement sur la « culture du sentiment », il semble que l’on soit dans une réception plus ordinaire et la fanfiction est ici avant tout un moyen de prolonger l’univers, de rester avec les personnages, en attendant « la suite » de l’histoire. C’est aussi un bon outil pour mettre en mots des fantasmes et faire vivre aux personnages tout ce qu’on a imaginé (et que l’histoire n’a pas dit)22. Mais certaines jeunes filles Lecture Jeune - mars 2009 21 « Si on veut mettre beaucoup de détails il faut forcément très bien connaître le bouquin. Il faut parfois aller relire des passages pour rester cohérent » (Bérénice, alias Eternara, 16 ans, licence de japonais, auteur sur le site fanfic-fr.net/) 22 Beaucoup de fanfictions dédiées à Fascination ont un caractère sexuel explicite, la première nuit entre Edward et Bella est fréquemment décrite 40 Internet, nouvel espace de légitimation adolescente des œuvres ? L’exemple des fanfictions sur Fascination 23 http://the-meadow.fr/ : http://fascination. forumactif.fr/concours-f16/concours-de-fanfiction-premier-prix-breaking-dawn-t2039.htm 24 http://fanfiction.net : plus de 40 000 textes sur Twilight. http://www.fanfic-fr.net/ : 9 textes 25 Dans la fanfiction intitulée « Vérité », l’auteur écrit : « Je veux rendre hommage, comme certains disent, à Jacob Black, qui est mon personnage préféré » 26 « Admiratrice du XVIIe siècle, j’écris cette fanfic à cette époque, dans un contexte improbable à Fascination, mais tel que je l’ai imaginé... » Aléanore, « Le temps d’une valse » 27 Lire l’article « Le succès de la série Twilight » dans la rubrique « Rencontre avec… » en page 3 du n° 128 de la revue Lecture Jeune (décembre 2008) Bibliographie complémentaire • « Les fanfictions, nouveau lieu d’expression de soi pour la jeunesse ? », S. François, in Agora débats/jeunesse n°46, 2007 • Aux frontières du champ littéraire : sociologie des écrivains amateurs, C. Poliak, Economica, coll. Études sociologiques, 2007 • « Les fanfictions sur Internet », M. Martin, in Médiamorphoses n°186, 2006 • Fan fictions and fan commmunities in the age of Internet, K. Hellekson, K. Busse (dir.), McFarland & Company, Jefferson (États-Unis), 2006 • Les cultes médiatiques : culture fan et œuvres cultes, P. Le Guern, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2002 @ Retrouvez l’intégralité de cet article sur notre site : www.lecturejeunesse.com sont tellement fan qu’elles s’y refusent presque : « J’ai lu en anglais la fanfiction The lion and the lamb. C’est écrit par une des créatrices du site Twilight Lexicon. C’est une suite possible du tome 1. Non… Ça ressemble trop à la vraie histoire. Ça pouvait tellement être possible… Je voulais pas mélanger les fictions avec la vraie histoire… » (Noémie). On peut lire les fanfictions consacrées à Fascination sur les blogs des fans, sur des forums, sur des sites qui organisent des concours23 et également sur les sites de fanfictions24. Les fanfictions sont de petits exercices de style qui utilisent des procédés narratifs classiques. Ainsi, on trouve fréquemment des textes adoptant un point de vue autre que celui de Bella – le récit d’Edward. Certaines histoires donnent davantage d’importance à un personnage secondaire – beaucoup sont consacrées à Jacob, lequel jouit du soutien de fans qui souhaiteraient que Bella en tombe amoureuse25. Les dénouements sont modifiés – Bella épouse Jacob – et des suites sont imaginées – Bella est transformée en vampire. Certains événements précis font l’objet de courts récits – le mariage d’Edward et Bella, leur première nuit, etc. Des auteurs s’emparent des non-dits de l’histoire et inventent par exemple le passé des personnages – quels humains étaient les vampires avant leur transformation ? D’autres modifient le contexte même du récit – Edward et Bella se rencontrent au XVIIe siècle26. Plus simplement, de nombreuses fanfictions racontent la même histoire mais avec les propres mots des jeunes rédacteurs. Aujourd’hui, le phénomène Twilight est largement rattrapé par le marketing27. L’ouvrage est devenu un best-seller vendu à plus de 25 millions d’exemplaires dans le monde, l’auteur est consacré et l’adaptation au cinéma attire plus de deux millions de spectateurs en France. Le Wall Street Journal aurait écrit : « Harry va devoir faire de la place à Edward et Bella ». Mais pour de nombreuses jeunes filles Fascination restera avant tout une expérience de lecture inoubliable, un ouvrage à part dans leur petite bibliothèque intérieure : « Oui, je crois que c’est un livre dont je me souviendrai, même quand je serais adulte » (Noémie). Par divers « bricolages » (pour reprendre le terme de Michel De Certeau), elles ont cherché à prolonger et surtout à partager leur expérience de lecture. Internet leur a offert les espaces nécessaires. C’est en parcourant ces lieux de pratique des adolescents – sites, blogs, forums, etc. – que nous pourrons prendre en compte la réalité de leurs goûts ! C’est là également que nous découvrirons la très grande richesse et créativité de leurs formes de lecture ! Fascination, 2005 (Twilight). Tentation, 2006 (New moon). Hésitation, 2007 (Eclipse). Révélation, 2008 (Breaking down), coll. « Black Moon », Hachette Jeunesse Lecture Jeune - mars 2009 Parcours de lecture Livres accroche Littératures Bandes dessinées Documentaires page 42 à 46 page 47 à 48 page 49 Et après Littératures Bandes dessinées Documentaires page 50 à 59 page 60 à 62 page 63 Lecteurs confirmés Littératures Bandes dessinées Documentaires Ouvrages de référence page 64 à 66 page 67 à 68 page 69 page 70 42 Parcours de lecture Livres accroche Littératures 1I Ange Intervista, 2008 (Cinémascope) 310 p. 13,90 € 978-2-35756-016-1 Genre Fantastique Mots clés Famille Amitié Paris L’Arche de Noa Noa est une jeune fille de 11 ans, studieuse et serviable. Elle suit les cours au collège, avec ses amis, les jumeaux, Benjamin et Clément, et leur acolyte Gabriel. Mais un soir, de retour de l’école, elle est la seule à entendre des bruits venant des sous-sols du bâtiment. Durant la nuit, elle est réveillée par d’autres sons étranges, puis par une voix : elle aperçoit alors un elfe, nommé Tura, qu’elle essaie d’attraper, en vain. Le lendemain, elle assiste dans l’escalier de son immeuble à une bataille entre elfes et fées. Et surtout, elle se fait attaquer par une horrible femme-louve ! Noa va découvrir que sa petite sœur a réveillé le Mal Absolu, et va tout faire pour la sauver ! Ce roman fantastique est parfois décevant en termes de qualité littéraire, mais son rythme haletant séduira les adolescents. En effet, les références aux titres de fantasy à succès sont nombreuses (Harry Potter, Le Seigneur des Anneaux...). En outre, le narrateur s’adresse directement au lecteur, l’entraînant vers de fausses pistes, l’engageant à bien lire ce qui va suivre, de manière à instaurer une certaine interactivité. L’Arche de Noa plaira autant aux fans du genre qu’aux débutants en la matière. ■ Sébastien Féranec 2 I Mon Kdi® n’est pas un Kdo Michel Besnier Ill. d’Henri Galeron Motus, 2008 (« Pommes pirates papillons ») 72 p. 10 € 978-2-90735-491-2 Genre Poésie Mots clés Consommation Supermarché Guidés par Michel Besnier et Henri Galeron, parcourons les allées du supermarché, jalonnées de « rouleaux doux d’essuie-tout », de « PQ triple épaisseur qui sent la fleur », de « coquillettes coudes spaghetti farfalle vermicelle torti » et autres « maquereaux à la moutarde » ! Dans ce recueil de poésies entièrement consacré au temple de la société de consommation, textes et illustrations se répondent judicieusement, se renvoyant la balle avec drôlerie et malice ! Michel Besnier s’amuse autant avec les mots qu’Henri Galeron avec ses crayons : jeux de langage, coupures de mots inattendues se mêlent aux illustrations au trait qui donnent aux textes une dimension nouvelle ! Imprimé sur un épais papier recyclé, le livre s’avère aussi un très bel objet. Mais surtout, sous cet aspect à la fois comique et élégant, se cache une critique très fine de notre société « ultra-consommatrice » dans laquelle nous évoluons tous, en grands habitués des supermarchés ! Un ouvrage qui séduira les lecteurs de tout âge ! ■ Marianne Joly Lecture Jeune - mars 2009 43 3I Tels quels Monsieur Teckel possède un corps infiniment long. Épris d’amour pour une chienne aux jolis cils, il n’hésite pas à user du bistouri pour « se raccourcir », sans penser une seconde que Madame Teckel pourrait l’aimer tel qu’il est… Ce court album, publié hors collection chez Autrement dans un petit format à l’italienne, aborde sans esbroufe le sens du verbe « aimer ». Les mots sont absents : Juliette Binet, cette illustratrice tout juste diplômée des Arts décoratifs de Strasbourg, aime que le silence reflète avec tendresse la violence du monde qui nous entoure. L’amour et la violence… deux sentiments qui se mêlent parfois à l’image de cet album. La réflexion philosophique est déclenchée et l’adulte pourra guider le jeune lecteur dans ses interrogations. ■ Élise Hoël 4I Autrement Jeunesse, 2008 20 p. 10 € 978-2-74671-173-0 Genre Album Mots clés Amour Différence Handicap Au rebond Alex est un jeune lycéen qui vit seul avec sa mère célibataire dans un petit appartement de cité. Sa vie ne lui semble pas « assez », jusqu’au jour où il fait la connaissance de Christian qu’il estime plus chanceux. Ce dernier est le fils unique d’une riche famille bourgeoise, habite une grande villa et connaît un certain succès auprès des filles… Mais, un jour, le jeune homme ne vient plus en classe et ne donne plus aucune nouvelle. Alex, inquiet pour son ami, débarque chez lui et découvre la maison laissée à l’abandon. Le père de Christian a quitté le foyer pour une autre femme et le jeune homme veille sur sa mère complètement déprimée… Alex et sa mère vont les aider et, ensemble, ils vont découvrir l’importance de la solidarité. Ce roman de Jean-Philippe Blondel, très facile d’accès et sans prétention, décrit avec justesse les affres de l’adolescence, les problèmes du quotidien, et montre que si, à côté, l’herbe semble toujours plus verte, la vie réserve parfois des surprises… Le style enlevé du roman et les réflexions des personnages, drôles, malgré la situation, nous entraînent à leurs côtés. Le tout sur fond de « basket », qui rythme la vie des adolescents. Transformés par cette expérience, les deux amis paraissent plus forts et plus authentiques. ■ Anne Clerc 5I Juliette Binet Jean-Philippe Blondel Actes Sud Junior, 2009 (romans ado) 99 p. 9€ 978-2-74277-969-7 Genre Roman d’apprentissage Mots clés Amitié Séparation Solidarité Saia Farid, Karim et Sofiane se retrouvent seuls sur la montagne d’Annemasse, en Haute-Savoie : leur père a rejoint depuis longtemps l’Algérie et leur mère vient de mourir. Ils décident de partir à la recherche de l’oncle Omar au Pays Basque. Si la situation prête aux Lecture Jeune - mars 2009 Jean-François Chabas L’École des loisirs, 2008 (Médium) 98 p. 8€ 44 Livres accroche 978-2-21109-115-8 Genre Roman d’apprentissge Mots clés Mort Fratrie Fugue larmes, les jeunes gens tiennent le coup grâce aux blagues et aux jeux et les trois frères ne montrent jamais leur chagrin. Bien qu’il soit ici question de mort, le ton, léger, instaure une distance qui permet de savourer le récit. En effet, les jeux de mots sont nombreux et les situations sont décrites avec humour. Les personnages, anticaricaturaux, charment. Le lecteur passe agréablement du rire aux larmes et continue, longtemps après la lecture, de réfléchir à l’une des phrases qui ponctuent le roman : « Les frères courent, et ils oublient leur peine ». ■ Agnès Donon 6 I La Fin du monde Fabrice Colin Mango, 2009 (Autres Mondes) 190 p. 9€ 978-2-74042-434-6 Genre Science-fiction Mots clés Nucléaire Adolescence Quatre adolescents aux quatre coins du monde. Jim, un jeune Américain. François, un Français vivant à Paris, Xian, un Chinois passionné d’échecs. Et enfin, Hafsa qui vit en Palestine. Quatre destinées et quatre points de vue, alors qu’éclate un conflit nucléaire. Les États-Unis seront les premiers touchés mais les attaques s’enchaînent, visant les capitales et les mégapoles du monde entier… Un seul espoir : rejoindre une base secrète au Groenland, en attendant que l’hiver nucléaire s’achève. Fabrice Colin propose une œuvre pour la jeunesse « efficace » et sans ornements. De fait, on peut lui reprocher de passer outre la description du contexte politique qui conduit à ce conflit mondial et d’avoir simplifié son style ; plus percutant que littéraire. Mais l’intérêt de cette fiction réside ailleurs : la montée en puissance de la peur et du désespoir, tandis que les villes sont détruites les unes après les autres. Cette angoisse est d’autant plus intense, qu’elle repose sur les points de vue des adolescents, disséminés à travers le monde. Il s’agit bien d’un roman jeunesse « sur-mesure », qui n’est pas sans rappeler certains « blockbusters » du cinéma américain, exploitant les mêmes thématiques. En ce sens, bien qu’il ne s’agisse pas d’une œuvre impérissable, on peut penser que ce nouveau roman de Fabrice Colin touchera un large public. ■ Anne Clerc 7 I Mes années 70 Claudine Desmarteau Panama, 2008 54 p. 19,50 € 978-2-75570-361-0 Genre Album Une petite fille, qu’on imagine aisément être l’illustratrice, raconte son enfance dans les années 70. Chaque double page traite d’une thématique, d’un événement ou d’un objet représentatif de l’époque. Il est ainsi question du téléphone fixe orange, de la télévision en noir et blanc, des cagoules « qui grattent », des sous-pulls, de l’immonde papier peint, etc. Fidèles à leurs grands formats, les éditions Panama proposent un album aux planches colorées et dynamiques où l’orange et le marron prédominent ! Lecture Jeune - mars 2009 Littératures Un ouvrage réussi qui ne fera pas que le bonheur des nostalgiques de l’époque « Flower Power ». Les plus jeunes et les adolescents pourront imaginer les années 70, sous le regard amusé de Claudine Desmarteau. Un univers psychédélique à partager en famille. L’occasion également pour les lecteurs de comparer leur jeunesse avec celle de leurs parents, car comme le rappelle l’auteur, certains mots ou expressions n’existaient pas encore à l’époque : « Internet, TGV, mondialisation, chômage, etc. » ■ Anne Clerc Mots clés Années 70 Humour Nostalgie 8 I À la poursuite de l’enfantôme Suite au divorce de ses parents, la famille de Charles (sa mère Laura et sa sœur Jasmin) emménage dans un immeuble ultramoderne à Verneuil, en Normandie. Nouvelle vie, nouveau lycée, nouveaux amis et nouveaux problèmes, car un « enfantôme » vient hanter les nuits de la petite fille, Jasmin. Tout le clan familial s’en retrouve bouleversé. Charles fuit l’appartement tous les jeudis soirs, il visionne de vieux films fantastiques dans le cinéma de quartier et sympathise avec Yves, le projectionniste. Laura, pour sa part, est accaparée par son travail et envoie sa fille chez un psychologue, une fois par semaine. Rêve ou réalité ? Qu’en est-il de l’esprit de cette fille qui obsède Jasmin ? Charles, pour aider sa petite sœur, tournera un film sur ledit spectre : une certaine Lise Colombelle morte à l’âge de 6 ans, sous les bombardements, en 1944… Jean-Baptiste Evette propose une fiction douce-amère qui oscille entre réalisme et fantastique. Charles, l’adolescent de 15 ans, se découvre une passion pour le cinéma tandis qu’il est partagé entre son esprit cartésien et la voix du fantôme présent dans la vie de Jasmin. C’est un roman captivant, au style soigné. Les chapitres courts et bien structurés permettent d’aborder de nombreux sujets : le divorce, les premiers émois amoureux, les relations d’amitié et surtout la construction de son identité. ■ Anne Clerc Jean-Baptiste Evette Ill. de Julie Serprix Gallimard Jeunesse, 2008 (Hors-Piste) 157 p. 8,50 € 978-2070-6199-48 Genre Fantastique Mots clés Fantôme Psychologie Divorce 9 I La Guerre des livres Le contexte est celui d’une guerre civile. Shadi, jeune pilote de l’école spatiale de la Sécession, se retrouve prisonnier sur une planète ennemie : Libellia, la Bibliothèque des Mondes. Auprès du conservateur idéaliste et altruiste de la bibliothèque, Angus, le jeune homme s’initiera à l’art ancestral de la lecture sur papier, fera la connaissance de bouquinistes, relieurs et collectionneurs. À travers toutes ces rencontres, il comprendra peu à peu pourquoi tous ces gens sont passionnés par les livres. Clandestin, il se voit poursuivi par les services secrets de l’Empereur du clan ennemi. Ce dernier, dont la fille est mourante, doit retrouver dans l’un des livres, l’information qui permettra de la sauver ! Lecture Jeune - mars 2009 Alain Grousset Ill. de Manchu Gallimard Jeunesse, 2008 (Hors-Piste) 141 p. 8€ 978-2-07-061882-8 Genre Science-fiction 45 46 Livres accroche Mots clés Livres Savoir Sans alarmisme, ni rejet de la technologie, l’auteur nous raconte pourquoi on peut aimer les livres : leur utilité dans un univers où « l’hyperéseau », « l’overblog » et les livres numériques sont les seuls accès au Savoir. L’écriture est simple, le propos est clair, pas de néologismes incongrus ou d’inventions inutiles. En outre, l’intrigue est passionnante et les personnages, aux caractères affirmés, rendent la lecture agréable. ■ Thomas Bailly 10 I L’Écho des armes Yann Mens Thierry Magnier, 2008 (Nouvelles) 154 p. 9€ 978-2-84420-640-4 Genre Nouvelles Mots clés Guerre Conflit Violence Un recueil de nouvelles sur les conflits et les guerres qui jalonnent la planète : du quotidien des civils, à la réalité du combat, en passant par les membres des groupes armés aux quatre coins de la planète, quasiment toutes les formes d’affrontements présentes à travers le monde, sont évoquées. Comme souvent dans ce type d’ouvrage, la qualité des textes est inégale. Il n’en reste pas moins que ces récits sont forts, riches en émotion. Yann Mens a pris le parti d’évoquer des guerres qui nous semblent lointaines et dont les médias parlent peu (le conflit de la Côte d’Ivoire dans la nouvelle Awa, par exemple). À travers ces textes, nous ne lisons pas seulement des récits de guerre mais nous voyons aussi les répercussions que peuvent avoir les affrontements sur une amitié, ou les choix que l’on est obligé de faire. Les conflits, malgré la souffrance qu’ils provoquent, font émerger des sentiments profonds et favorisent la solidarité, l’entraide, point de départ à la tolérance. Cet ouvrage nous donne à réfléchir sur la condition humaine . ■ Marilyne Duval 11 I Jeu de mains Adeline Yzac Éditions du Rouergue, 2009 (doAdo) 111 p. 7€ 9-782-84156-995-3 Mots clés Masturbation Sexualité Humour Valantin a 14 ans. Son truc, c’est sa « Pepsi », comme il dit. Son membre, sa verge, son pénis. Il change de nom en fonction de son humeur ou de celle de son engin. Parce qu’il s’en moque, Valantin : au quotidien, il y a la vie, le plaisir et surtout, les filles, avec leurs seins, leurs cuisses et leurs mains. Il ne voit pas de mal à se faire du bien, même si, de temps en temps, il se demande ce qui cloche chez lui. Valantin confond, à son plus grand étonnement, désir, colère et plaisir. Il commence à comprendre que tout va ensemble, que les frontières sont ténues, que l’un provoque l’autre. Ce texte court, percutant et drôle, aborde crûment la masturbation, sujet encore souvent tabou. Le résultat est, curieusement, pudique. Jeu de mains parle avec justesse du désir, de la sexualité et de la sensualité, qui prend souvent le dessus. Car après tout, comme dans la vie, ce qui saisit Valantin, ce n’est qu’un afflux de sang. ■ Marie Cambolieu Lecture Jeune - mars 2009 47 Parcours de lecture Livres accroche BD 12 I Le Diable des sept mers, T.1 Cette histoire de pirates, riche en péripéties, se situe au début du XVIIIe siècle en Caroline du Sud et dans les îles côtières. Au début du récit une jeune héritière, Harriet, fuit, prête à tout pour échapper à l’autorité de son vieux père, riche planteur au passé trouble. Son mariage secret avec le jeune Conrad, immédiatement découvert, déclenche une cascade d’événements dramatiques, de poursuites et de rencontres où s’affrontent les protagonistes : pirates féroces aux trognes inquiétantes parmi lesquels se détachent Murdoch, surnommé « le diable des sept mers », l’Iguane et les Anglais chargés de les anéantir au cours d’un abordage sanglant. L’appât du gain et la recherche de trésors enfouis dans des îles au sable fin entraînent ces hommes à commettre meurtres et trahisons. Le suspense est maîtrisé dans ce récit ponctué de ruptures et le lecteur n’a qu’une hâte : connaître enfin l’aboutissement de cette chasse au trésor. Le graphisme sert admirablement la narration, alternant les évocations moites des bayous, les grands ciels bleus des îles, le fracas sanglant des abordages et les nuits effroyables où se balancent les corps des pendus. Gageons que la suite sera aussi réussie ! ■ Colette Broutin Yves H. Ill. d’Hermann Dupuis, 2008 (Aire libre) 48 p. 14 € 978-2-8001-4239-5 Mots clés Piraterie 13 I Dom Juan Cette transposition de la pièce de Molière en bande dessinée, suivie du texte intégral, a pour ambition de faciliter la compréhension de l’œuvre. Il suffit de comparer la tirade de Sganarelle, sur le tabac, et le portrait qu’il fait de Dom Juan, avec sa traduction graphique, pour saisir l’efficacité du procédé. En effet, un découpage judicieux de la tirade, éclairé par un dessin expressif quoique manquant d’originalité, plonge immédiatement le lecteur au cœur de l’intrigue. Les techniques de la bande dessinée sont ainsi mises à profit intelligemment et le lecteur parvient, sans peine, jusqu’à la fin de l’acte V. Plans larges, gros plans, plongées et contre-plongées, zooms, champs et contrechamps participent à la mise en scène de la comédie. Quand le texte seul nécessite des compétences de lecteur confirmé, la bande dessinée s’avère très efficace car elle permet de visualiser ce qu’il faut imaginer. Ainsi le sermon que Dom Louis adresse à son fils silencieux (acte IV, scène 4) est traité en plans fixes. Le père, de dos, s’adresse Lecture Jeune - mars 2009 Simon Léturgie D’après l’œuvre de Molière Vents d’Ouest, 2008 (Commedia) 38 p. 7,50 € 978-2-7493-0381-9 Mots clés Comédie 48 Livres accroche à Dom Juan dont les mimiques traduisent tour à tour l’indifférence, l’ennui, l’agacement, l’exaspération. À conseiller aux lecteurs que rebute la confrontation aux textes classiques. ■ Colette Broutin 14 I Vinland Saga, T.1 Makoto Yukimura Kurokawa, 2009 218 p. 7,50 € 978-2-351-42355-4 Genre Manga Mots clés Viking Nous sommes en royaume franc, au début du XIe siècle. Deux clans s’affrontent pour la prise d’une forteresse. Une troupe de Vikings, commandée par Askelaad, assiste à la scène. Le chef envoie Thorfinn, un jeune garçon, pour passer un pacte avec le chef des assiégeants : s’ils acceptent de partager le butin, 100 guerriers nordiques viendront les aider en attaquant la forteresse par le lac, point faible de la défense. Les Vikings, après avoir traversé la montagne attaquent à revers. Ils s’emparent du butin malgré l’accord passé avec les Francs. De retour au village, Thorfinn affronte Askelaad au cours d’un duel pour venger la mort de son père. Vaincu, il se retire sur un bateau où il raconte à une jeune esclave l’histoire de sa famille. C’est avec un vrai plaisir que le lecteur retrouve le mangaka, Makoto Yukimura, qui nous avait enchantés avec sa série de science-fiction intitulée Planètes (Panini, 2005). Ce manga met en avant son souci du trait réaliste et précis. Mais ce qui surprend davantage, c’est évidemment le thème choisi : les Vikings. Car ce manga historique, ce qui est plutôt rare, est très bien documenté. Il suffit d’observer les croquis préparatifs de la maison de Thors, père de Thorfinn, en fin de volume. L’auteur s’appuie sur des événements connus de l’histoire médiévale européenne pour construire un récit autour du jeune homme, dont l’unique objectif est la vengeance. Cette série, qui compte déjà six titres au Japon a tous les atouts pour devenir un classique : un graphisme de qualité et un sujet passionnant. ■ Sébastien Féranec Lecture Jeune - mars 2009 49 Parcours de lecture Livres accroche Documentaires 15 I Le Dico des héros de l’Antiquité Les Dieux ne sont pas évoqués dans cet ouvrage seuls les héros y trouvent leur place. Il est aussi question des légendes qui ont fait leur renommée. Les personnages sont classés par ordre alphabétique, d’Abraham à Zénon, et non par période ou civilisation, ce qui est ingénieux car la recherche est ainsi facilitée. Les cinq civilisations de l’Antiquité européenne sont présentées : hébraïque, mésopotamienne, grecque, égyptienne et romaine. Les textes sont accompagnés d’illustrations et de photographies qui présentent des lieux de l’Antiquité. À la fin, une courte bibliographie permet d’en savoir plus sur cette époque : documentaires, romans ou bandes dessinées. Cet ouvrage pourra être feuilleté par plaisir ou servir pour des exposés qui ne demandent pas d’approfondissement. Les textes sont clairs et concis et les illustrations informent efficacement. Les indications pour se repérer dans l’ouvrage sont habilement mises en page par la maquette claire et aérée. La brièveté et la limpidité des énoncés rendent ce documentaire accessible à tous les lecteurs. ■ Thomas Bailly Vivianne Koenig Ill. de Lise Herzog La Martinière Jeunesse, 2008 126 p. 15 € 978-2-7324-3827-6 Mots clés Antiquité Histoire Héros 16 I Au secours, mon corps !? Cinq chapitres présentent, tour à tour, les changements psychologiques liés à la puberté (« Mon corps, ma tête et moi »), les évolutions physiques (« Petite anatomie »), l’hygiène de vie (« À l’écoute de mon corps »), les complexes et l’affirmation de la personnalité (« (Se) plaire et séduire »), les dangers et les comportements à risque (« Pas sympa pour le corps »). Tous les petits bobos et grands questionnements qui préoccupent les ados, filles et garçons, sont traités avec tact et sans dramatiser le propos, en proposant aussi quelques pistes pour obtenir plus d’informations : Fil Santé, Points Accueil Écoute Jeunes… On peut regretter qu’il n’y ait pas d’adresses complètes. Des « flashs » en couleur et une typographie très variée mettent en avant des articles courts et pertinents, le tout agrémenté de dessins humoristiques et de doubles pages de photos d’ados. Raison de plus, pour les jeunes – et les moins jeunes – de feuilleter ce livre et d’y revenir à volonté. ■ Nikoleta Bouilloux-Lafont Lecture Jeune - mars 2009 Florence Lotthé-Glaser Ill. de Marion Puech et Marc Clamens Bayard Jeunesse, 2008 (Okapi 100% ado) 91 p. 12,90 € 978-2-7470-2323-8 Mots clés Puberté Corps Santé 50 Parcours de lecture Et après Littératures 17 I Ange Syros, 2008 (Soon) 276 p. 14,50 € 978-2-74-850711-9 Genre Science-fiction Mots clés Espace Amour À mille miles de toute terre habitée Depuis le départ de son père, Deyann vit éloigné de tous sur un satellite minier complètement autonome et isolé à l’extrémité de l’univers. Un jour, les alarmes du niveau 32 se déclenchent et Deyann découvre le corps sans vie d’une jeune fille vêtue d’une robe rouge. De retour aux commandes de la station, il se rend compte qu’il n’est plus seul : une terrible bête répandant du froid autour d’elle s’attaque à lui. En se faufilant par une faille, Deyann accède alors à d’autres mondes. Le duo Ange (pseudonyme de Anne et Gérard Guéro) a construit un univers original que le lecteur découvre en même temps que le héros. Grâce aux mondes parallèles, différentes époques sont exposées et les passages intertemporels rendent la narration très attrayante. Certains remarqueront les multiples références cinématographiques (à Alien, entre autres). Par ailleurs l’histoire d’amour entre Deyann et la jeune fille vient s’ajouter au plaisir de lecture. Un roman captivant, bien équilibré entre sentiments et aventure. ■ Sébastien Féranec 18 I Une jolie fille rien que pour moi Aurélie Antolini Intervista, 2008 (Les Mues) 177 p. 14 € 978-2-910-75390-0 Genre Humour Mots clés Enfance Amour Quotidien Le narrateur, âgé de 11 ans, nous livre ici son quotidien rocambolesque, dans un style insolite, candide et touchant. Il mène une vie tranquille auprès de sa « mère célibataire », Gisèle, jusqu’au jour où celle-ci fait entrer dans sa vie un homme, que notre héros désigne comme « le type qui lui sert de père ». Au même moment, ils partent tous les trois en vacances dans le sud de la France et le jeune garçon va faire la connaissance de Minouche ; elle a le même âge que lui et il tombe éperdument amoureux… Mais à l’heure de la rentrée et des amitiés nouvelles, non seulement notre narrateur doit délaisser sa dulcinée, mais il semble avoir levé le voile sur son mystérieux père… S’il déroute dans un premier temps, le roman de cette auteure de 29 ans se lit avec plaisir, comme on dévorerait des sucreries. Le style dénote dans la production littéraire jeunesse actuelle et apporte un peu de fraîcheur. En effet, le texte est ponctué d’expressions surréalistes, de néologismes ou de métaphores qui font sourire le lecteur. Le thème du premier amour a été largement couvert par de nombreux écrivains, mais Aurélie Antolini tire son épingle du jeu en y ajoutant quelques Lecture Jeune - mars 2009 51 pincées d’intrigue et d’humour ! Enfin, les lettres échangées entre Minouche et le narrateur durant la période scolaire sont tendres, justes et pleines de poésie. Un ouvrage à la couverture acidulée qui plaira aux jeunes lecteurs. ■ Anne Clerc Réseau de lecture : La collection « Les Mues » chez Intervista, existe depuis 2006 et propose de beaux livres aux titres souvent insolites. On (re)lira avec autant de plaisir les deux ouvrages de Raphaële Moussafir : Du vent dans mes mollets (2006), Et pendant ce temps-là, les araignées tricotent des pulls autour de nos bilboquets (2007). 19 I Gringo Shaman Robin vient d’avoir le bac. Il ne sait pas encore de quoi sera fait son avenir. Ses pensées divaguent vers d’autres continents, des lieux lointains peuplés d’Indiens réducteurs de têtes, d’Amazones et de drogues sacrées. Il voit ce monde en rêve, au coin des rues, dans le cabinet du psychiatre. Robin n’a d’autre solution que de se croire fou, ou bien d’écouter le mystérieux shaman qui vient lui rendre visite la nuit et l’investit d’une mission… Après avoir convaincu ses parents, et reçu les recommandations de sa grand-mère, il part en Équateur pour une expérience des plus inoubliables. Aux frontières du fantastique, ce roman, sous forme de quête initiatique, s’empare des rituels sacrés des anciens, qui trouvent un écho sans pareil dans les délires propres à l’adolescence. L’écriture très travaillée (marque de fabrique de la collection « Exprim’ ») s’accorde parfaitement à la tonalité du récit. Le choix des titres de la bandeson mentionnés en tête d’ouvrage nous semble cependant artificiel et certaines musiques détonnent. ■ Élise Hoël Rolland Auda Sarbacane, 2008 (Exprim’) 195 p. 9€ 978-2-84865-239-9 Genre Roman d’apprentissage Mots clés Injustice Magie Quête initiatique 20 I Le Secret de la pierre occulte Le 13 avril 1099, Idruk Mayflower fête son quatorzième anniversaire. Lui et son maître alchimiste Luitpirc se rendent à l’abbaye de Westminster où ils découvrent le corps de Gauffrey, tué conformément aux rites sataniques. Le redoutable Inquisiteur suprême, Lord Malkmus de Mordred, semble vouloir arrêter à tout prix Idruk, lequel commence à comprendre l’importance de ses pouvoirs magiques, dépassant de loin ceux de l’alchimie… Dès le début, le lecteur est immergé dans l’univers du Moyen Âge, où Inquisition et sorcellerie rivalisent. Puis le fantastique domine avec des références aux récits légendaires et féeriques des chevaliers de la Table Ronde. Les rebondissements sont nombreux et les personnages bien campés. Le roman devient alors une longue quête initiatique où le lecteur, s’identifiant à Idruk, affronte d’imaginaires obstacles. Une aventure qui ne manque pas de piquant ! ■ Sébastien Féranec Lecture Jeune - mars 2009 Artur Balder Trad. de l’anglais par Maryvonne Ssossé Albin Michel Jeunesse, 2008 (Wiz) 581 p. 17 € 978-2-22618-612-6 Genre Fantastique Mots clés Angleterre Moyen Âge Sorcellerie 52 Et après 21 I Le Temps des miracles Anne-Laure Bondoux Bayard Jeunesse, 2009 (Millézime) 256 p. 11,90 € 978-2747026451 Genre Roman d’apprentissage Mots clés Exil Le Temps des miracles est l’histoire d’une fuite, celle de Blaise Fortune et Gloria Bohème abandonnant la Géorgie – et plus précisément le Caucase, rongé par les conflits d’indépendance entre Géorgiens, Abkhazes et Tchètchènes – pour rejoindre la France et son ancestrale triade « Liberté, Égalité, Fraternité ». Gloria a recueilli le garçon au fond du verger de son père, alors qu’un train venait de dérailler. L’enfant lui a été confié par une femme portant le nom de Jeanne Fortune, blessée dans l’accident. Au fil de leurs pérégrinations, Gloria et Blaise croiseront une galerie de personnages, tout droit sortis d’un film d’Emir Kusturica. Tout d’abord à Tblissi, dans « l’Immeuble » communautaire : Mademoiselle Talia, chanteuse à l’opéra, Abdelmalik, le grand noir boxeur, Sergueï le coiffeur ou encore Madame Hanska, la vieille bique. À Soukoumi, ils rencontreront Nour et sa fille Fatima. Leur route se poursuivra ensuite en Russie, en Ukraine, etc. En Hongrie, ils montent finalement dans un camion censé les conduire vers cet Eden qu’est la France : Blaise à l’arrière avec les bestiaux, Gloria à l’avant. Mais arrivés à destination, Gloria est embarquée par la police et Blaise reste seul sur le territoire français et devient un « mineur étranger isolé ». Dans son cœur reste le souvenir de Gloria et la promesse qu’elle lui a faite ; retrouver sa mère, Jeanne Fortune… Qu’adviendra-t-il ? Voici un roman aigre-doux à l’image de la vie. Le lecteur songe à l’univers des films d’Emir Kusturica, et notamment La vie est un miracle, qui, tel ce roman, sonnent comme une ode à la vie. Certains trouveront enfin dans ce roman une véritable réflexion sur le métier d’écrivain. « Y a-t-il une différence entre dire un mensonge et inventer une histoire ? » se demande Blaise… N’est-ce pas justement tout l’art de l’auteur que d’inventer des récits pour oublier l’inconsistance de l’existence ? Il est des livres qu’on relit à tout âge et à tout moment de la vie, car ils sont porteurs d’un message universel… Le Temps des miracles en fera certainement partie ! ■ Marianne Joly Autre avis : Tout comme dans Pépites et Les Larmes de l’assassin, nous retrouvons dans le nouveau roman d’Anne-Laure Bondoux des personnages attachants, enthousiastes et pleins de vie. Ici, les miracles sont multiples : tout d’abord la destinée de Blaise Fortune, protégé par Gloria. Ce couple traverse les épreuves et le petit garçon devient un adolescent : il apprend à se battre, il grandit, il côtoie la mort et découvre l’amour. Dernier miracle : les retrouvailles de Blaise avec Gloria, alors qu’il vit en France depuis de nombreuses années. La vieille femme lui révélera alors les origines de sa naissance et sa véritable identité. L’auteur traite avec justesse les questions de la filiation et de l’exil. L’énergie est présente tout au long des pages, et « la chasse au désespoir » est réussie. ■ Anne Clerc Un site Internet est spécifiquement dédié à l’œuvre : http://letempsdesmiracles.bondoux.net/index.html. Ndlr. Lecture Jeune - mars 2009 Littératures 53 22 I Cadavre au sous-sol Tasha, 15 ans, vit à Vancouver avec son père Léonard, gérant d’une chaîne de restaurants. Sa vie bascule quand le corps de sa mère est retrouvé dans le sous-sol du Café Montréal. Les indices désignent tous le même coupable : le père de Tasha, condamné avant d’être jugé. Tasha refuse cette accusation et décide de mener son enquête en compagnie de son ami Mike. Norah Mc Clintock maîtrise à la perfection l’art du roman policier. De multiples prix canadiens ont récompensé son talent. Les obstacles que doit franchir Tasha sont nombreux ; le lecteur partage les doutes du personnage et s’interroge sur l’identité du coupable. L’enquête captive et le suspense s’intensifie jusqu’au dénouement. La (re)lecture est aussi très appréciée car elle permet de découvrir les indices glissés ça et là par l’auteur. Ce roman est une très bonne entrée dans le genre. ■ Sébastien Féranec Norah Mc Clintock Rageot, 2008 (Heure noire) 250 p. 7,30 € 978-2-7002-3144-1 Genre Roman policier Mots clés Famille Meurtre 23 I L’Apprenti Depuis dix ans, Séverine Magois traduit fidèlement pour les Éditions Théâtrales l’œuvre de Daniel Keene, dramaturge et metteur en scène australien de premier plan, dont le public français a su apprécier le regard très humain porté sur les tragédies de nos existences modernes. Keene, qui inspire nos metteurs en scène, a été artiste en résidence au Théâtre de la Commune d’Aubervilliers en 2004 et écrit souvent à la demande de compagnies françaises. L’Apprenti, sa première pièce longue destinée au jeune public, explore un thème récurrent de son théâtre, les relations entre père et fils, dans un registre nouveau, plus proche du conte que de la tragédie. Julien douze ans a du mal à s’entendre avec son père, qui possède certes deux paires de lunettes, une pour voir de près, une pour voir de loin, mais ne « voit rien de rien ». De sa fenêtre, le jeune garçon observe les clients du café d’en face, à la recherche d’un autre père, plus disponible. Ce sera Pascal, un homme solitaire, sans famille, que Julien se choisira et qui devra apprendre le rôle de père. Treize scènes, une par mois, durant un an. Deux personnages agaçants et attachants qui « vivent d’instant en instant devant nos yeux ». Un plateau de théâtre vide, où lumières et bruitages suggèrent seuls le passage des saisons et les lieux – marché, parc, cinéma, grilles du collège, etc. – où se retrouvent Pascal et Julien, comme n’importe quel père et son fils. Au fil des rencontres, ces deux-là apprennent à se connaître, se regarder, se parler, se disputent aussi, et en viennent même à se ressembler. « Je veux que mes personnages hissent leur âme à la surface de leur peau », dit Keene, dont le théâtre s’attaque toujours « au cœur du tumulte », là où l’on passe du rire aux larmes, où le silence existe et où les mots ont la force du poème. ■ Charlotte Plat Lecture Jeune - mars 2009 Daniel Keene Trad. de l’anglais (Australie) par Séverine Magois Éditions Théâtrales, 2008 (Jeunesse) 88 p. 7€ 978-2-84260-255-0 Genre Théâtre Mots clés Adolescence Famille 54 Et après 24 I Déchaîné Ally Kennen Trad. de l’anglais par Alice Marchand Gallimard Jeunesse, 2009 (Scripto) 351 p. 13 € 978-2070-5773-30 Genre Thriller Mots clés Amour Famille Violence Suffit-il qu’un livre soit publié pour être de la littérature ? De toute évidence, la réponse est « non » pour Déchaîné d’Ally Kennen. Il s’agit bien là d’un pur produit fabriqué pour capter un lectorat peu exigeant, friand de sensations fortes. On retrouve tous les poncifs, tous les lieux communs sur les quartiers laissés à l’abandon, peuplés de familles pauvres, de parents défaillants, d’adolescents à la dérive et livrés à eux-mêmes. Ainsi Charlie Parsons, le héros, se fait trancher l’extrémité du majeur par son meilleur copain, Démon, dès les premières lignes et ce malheureux bout de chair, conservé dans un bocal, finira pieusement enterré par son propriétaire à la page 350. Entre-temps, il aura laissé libre cours à ses pulsions qui le conduisent à entamer une correspondance avec un condamné à mort et à voler un 15 tonnes de victuailles dont il se gave. Un séjour en prison, au régime ultra-sévère, va le faire réfléchir et le ramener sur le « droit chemin » ! Car, il a un bon fond, le bougre ! Il a même compris que les études pouvaient le sortir de sa « merde » (sic). Enterrons donc ce livre et espérons qu’il n’aura pas de descendance ! ■ Colette Broutin 25 I Les Hurluberlus E.L. Konigsburg Trad. de l’anglais (États-Unis) par Sylvie Dorthan Bayard Jeunesse, 2008 (Millézime) 347 p. 11,50 € 9-782 84156-995-3 Mots clés Patrimoine Humour Solidarité Margaret Rose Kane, 12 ans, doit passer l’été dans un épouvantable camp de vacances, mais fait tout son possible pour en échapper. En la ramenant chez ses oncles, Jake Kaplan, le fils de l’odieuse directrice du camp, découvre au fond de leur jardin l’œuvre d’une vie : celle des oncles de Margaret, Alex et Morris Rose, anciens bijoutiers et horlogers. Il s’agit de trois tours construites par ces personnages farfelus. Toutes sortes de matériaux de récupération ont servi à leur élaboration. Jake, lui-même artiste, est fasciné par ces œuvres. Ce garçon secret, intelligent et sensible fait évidemment chavirer le cœur de Margaret qui lui voue une admiration sans bornes. C’est alors que la terrible nouvelle tombe : les voisins ont obtenu du conseil municipal la permission de démolir les tours. Aidés par des amis d’enfance, Margaret et Jake comptent mettre sur pied un plan pour les protéger et défendre leur statut d’œuvre d’art et de patrimoine culturel de la ville. E.L. Konigsburg a beau écrire des histoires aux thématiques fort différentes, son style et son audace offrent à chaque fois un défi pour le jeune lecteur, qu’elle met au même niveau que ses personnages. Elle les veut intelligents et ouverts. Elle aborde des concepts, rarement traités en littérature jeunesse : il est question d’art, de culture, de patrimoine et surtout de la protection de celui-ci. Sujet éculé ? Certainement pas. À travers l’œil amoureux des frères Rose, on découvre l’art populaire. On regrettera que le texte, parfois pesant et calqué sur l’anglais, aplanisse Lecture Jeune - mars 2009 Littératures le style mordant et inventif de ce « pilier » de la littérature de jeunesse américaine. N’en reste pas moins la trame de fond, subtile et profonde, qui pousse à la réflexion. Le roman s’adresse à des adolescents bons lecteurs et curieux ! ■ Marie Cambolieu 26 I Le Bruit des os qui craquent Cela se passe aujourd’hui, en Afrique, dans un pays déchiré par la guerre civile, au cœur de la forêt où campent des rebelles. Elikia, 13 ans, forcée de devenir enfant-soldat après le massacre de sa famille, décide de s’échapper avec Joseph, 8 ans. Le récit de leur fuite, de leur accueil à l’hôpital, de la mort d’Elikia constitue la trame de l’intrigue. L’infirmière Angelina, qui les accueille à l’hôpital, vient transmettre le récit posthume d’Elikia. Mais « on ne rédige pas des rapports officiels avec des propos d’enfants ». Les voix alternent entre celles des enfants et les monologues de l’infirmière, entrecoupés de fragments du journal d’Elikia. La forme très contemporaine du plaidoyer d’Angelina, sur un sujet politique brûlant, invite le public à prendre parti. Le récit se déroule sur deux plans : le dialogue direct des enfants en relation avec l’action en cours et le récit intérieur de chacun qui accompagne le dialogue comme un aparté… partition à quatre voix, que coupe régulièrement celle de l’infirmière face au silence de la commission. Le récit a une forte dimension tragique : Elikia va mourir et nous l’accompagnons dans cette marche qui n’en finit pas. Si le style impose une distance, la prose poétique laisse deviner les émotions et les sentiments. Ce texte n’est pas une œuvre originale destinée à la jeunesse. Il possède une qualité rare : il n’invite pas à s’apitoyer sur le sort des enfantssoldats et à voler à leur secours. En effet, les personnages de cette histoire prennent en charge leur destin avec la dignité et la simplicité des héros tragiques. Ils amènent le public, adolescents et adultes, à réfléchir sur les racines d’un drame humain et politique de notre temps. ■ Nicole Wells Suzanne Lebeau Éditions Théâtrales, 2008 (Jeunesse) 93 p. 7€ 978-2-84260-298-7 Genre Théâtre Mots clés Enfants-soldats Guerre Pauvreté 27 I La Résistance : l’histoire de Peter Après s’être échappés de Grange Hall (La Déclaration, LJ n° 124), Anna et Peter sont devenus des Légaux. Ils vivent dans une banlieue de Londres et élèvent ensemble Ben, le jeune frère d’Anna. Pour pouvoir fournir au Réseau Souterrain des informations, Peter va accepter le travail que lui propose son grand-père, Richard Pincent, propriétaire du laboratoire qui produit les pilules de longévité. Une fois infiltré dans « Pincent Pharma », Peter apprend qu’une nouvelle génération de pilules va bientôt arriver sur le marché. Il va aussi découvrir, avec horreur, d’où proviennent les cellules souches nécessaires à la fabrication de la longévité +… Lecture Jeune - mars 2009 Gemma Malley Trad. de l’anglais par Nathalie Perrony Naïve, 2008 (Naïveland) 414 p. 18 € 978-2-35021-166-4 55 56 Et après Genre Science-fiction Mots clés Adolescence Dictature Immortalité La Résistance fait suite à La Déclaration, premier roman traduit de Gemma Malley paru il y a plus d’un an, mais le ton change radicalement. La Déclaration, alternant récit et extraits du journal intime d’Anna, était un roman intimiste axé sur les questionnements de cette jeune fille, une « Surplus » qui avait peu à peu intégré et admis l’illégitimité de son existence. Ce deuxième volume, écrit uniquement à la troisième personne et centré sur Peter, est un roman d’action hanté par la question du choix politique. Peter devra choisir entre vivre dans une société qui va à l’encontre de ses convictions personnelles, et l’adhésion à un groupuscule pour qui l’idéologie a plus de valeur qu’une vie humaine. Choisir entre les progrès de la science, luttant contre la vieillesse et la maladie, et les dérives de la manipulation génétique qu’elle implique… Sur un scénario classique – prévisible –, ce deuxième tome est moins rythmé, du moins dans sa première partie, et il prend des allures de roman initiatique, Peter étant confronté aux questions philosophiques que soulève l’auteur. Il grandit et fait des choix d’adulte. Moins bouleversant que La Déclaration, La Résistance reste un bon moment de lecture. ■ Rozenn Muzellec 28 I Allers sans retours Jean-Hugues Oppel Syros, 2008 (Rat noir) 121 p. 10 € 978-2-7485-0748-5 Genre Roman policier Mots clés Vengeance Justice Prison Flash-back sur un braquage : quatre coupables et une seule arrestation. Plusieurs années se sont écoulées lorsque Dominique venge Claude, qui a fini par se suicider, après un long séjour derrière les barreaux. L’ambiguïté des prénoms, masculin ou féminin, est un habile procédé, qui permet de centrer le récit autour de Claude, une femme courageuse qui n’a pas voulu dénoncer ses trois complices. L’univers carcéral s’est refermé sur elle, jusqu’à la pousser à un acte irrémédiable. Le lien entre les personnages est peu à peu dévoilé : le frère a décidé de rendre « justice » à sa sœur et le déroulement est inéluctable, comme dans une tragédie antique. Jean-Hugues Oppel dénonce ici l’enfer de la prison et les humiliations quotidiennes. Le roman met aussi en cause la « vendetta », mécanisme de la haine qui ne peut tenir lieu de justice. Ce texte peut amorcer un débat sur la justice et la prison. Un exemple de roman noir réussi ! ■ Cécile Robin-Lapeyre 29 I Il était une fois dans le Nord Philip Pullman Trad. de l’anglais par Jean Esch Ill. de John Lawrence Gallimard Jeunesse, 2008 Tome supplémentaire de la fameuse trilogie À la croisée des mondes, ce roman se déroule avant la naissance de Lyra. Lee Scoresby, accompagné de son « daemon-lièvre » Hester, arrive à Novy Odense, ville du grand Nord. L’atmosphère y est très tendue à cause Lecture Jeune - mars 2009 Littératures des prochaines élections à la mairie. Témoin d’ignobles manœuvres politico-financières, Lee ne pourra s’empêcher d’intervenir. Il rencontrera l’ours guerrier, Iorek Byrnison et ces deux personnages fabuleux s’allieront contre un ennemi commun. L’univers de la trilogie est présent dans ce roman grâce au talent de conteur de l’auteur qui nous emmène avec aisance dans le merveilleux. La dimension épique et poétique charmera les jeunes, notamment ceux qui ne connaissent pas encore l’œuvre de Pullman. L’esthétique de l’objet livre est très travaillée : la couverture est toilée et l’ouvrage est orné de gravures signées John Lawrence. Un jeu intégré à la fin de l’ouvrage en amplifie la beauté et attirera de nombreux lecteurs joueurs. ■ Sébastien Féranec 95 p. 12,50 € 978-2-07-062125-5 Genre Fantasy Mots clés Amitié Arctique 30 I Arthur, l’autre légende L’auteur de ce roman ose s’attaquer au légendaire roi Arthur ! Alors que e les historiens savent peu de choses de ce V siècle troublé, ce nouveau récit prétend détruire le mythe et rétablir la vérité en « apportant son dé à coudre à l’océan de légendes qu’il a inspirées » ! Dans ce texte palpitant, la narratrice est une petite paysanne, Wynna, sauvée d’un massacre perpétré par Arthur et ses hommes. Ces derniers soumettent ceux qui refusent de prêter allégeance au roi. Elle est confiée à Myrddin, le barde, alias Merlin, qui a mis son intelligence et sa ruse au service d’Arthur. La Bretagne insulaire est une mosaïque de fiefs et Myrddin rêve de reconstruire un puissant royaume en éradiquant les Saxons, ralliant les Irlandais et autres seigneurs à son maître. Il est prêt à tout pour faire de lui un grand roi pacifique, y compris mettre en scène des légendes, trahir et faire assassiner ceux qui peuvent faire obstacle à ses desseins. Myrddin garde la jeune fille auprès de lui, et la déguise en garçon. Devenu l’écuyer Wynn, elle participe aux péripéties des conquêtes d’Arthur et de Merlin, ce qui permet à l’auteur, par le truchement d’un regard neuf, d’évoquer cet univers violent. Les héros légendaires y perdent leurs vertus chrétiennes et leur beauté idéalisée. Ils sont caricaturés avec un humour rappelant les Monthy Python. Ce roman, d’une grande qualité littéraire, peut se savourer selon plusieurs niveaux de lecture. Certains aimeront décrypter les correspondances entre les personnages et les héros de la légende arthurienne, d’autres apprécieront le point de vue original d’une petite fille devenue pivot des gestes héroïques. ■ Colette Broutin Autre avis : Versez quelques cuillères d’aventures arthuriennes, ajoutez quelques personnages bien trempés, saupoudrez le tout d’une petite touche « british »… vous obtiendrez alors un roman croustillant ! Arthur, l’autre légende réjouira aussi bien les fans de chevalerie que les amateurs d’humour anglais décalé ! Philip Reeve revisite le mythe du Lecture Jeune - mars 2009 Philip Reeve Trad. de l’anglais par Stéphane Carn Gallimard Jeunesse, 2008 (Scripto) 368 p. 12 € 978-2-07-061440-0 Genre Roman d’aventures Mots clés Légendes Moyen Âge Chevalerie 57 58 Et après roi Arthur et réunit tous les ingrédients pour tenir le lecteur en haleine : multiplication des péripéties, intrigues et démythification du grand roi ! Le tout dans un style tellement habile que le lecteur croirait voir les scènes se dérouler sous ses yeux : les personnages sont parfaitement dépeints et l’ambiance de la Bretagne insulaire minutieusement reconstituée. Philip Reeve est décidément un fameux barde, car on ne lâche pas le roman avant de l’avoir fini ! Enfin, il faut saluer l’excellente traduction de Stéphane Carn qui a adroitement conservé le style florissant de l’auteur. Le roman a reçu en 2008 le « Carnegie Medal », décerné par un jury de bibliothécaires jeunesse en Grande--Bretagne. ■ Marianne Joly 31 I Mark Walden Trad. de l’anglais par Anne-Judith Descombey Éditions du Masque, 2008 (MSK) 298 p. 11 € 978-2-7024-3382-9 Genre Fantastique Mots clés Amitié Quête initiatique Grande École du Mal et de la Ruse, T.1 Otto Malpense, 13 ans, se réveille en compagnie de Wing Fanchu dans un hélicoptère qui survole l’océan. Ils ont tous deux été enlevés pour intégrer la G.E.M.R. : la Grande École du Mal et de la Ruse. Le docteur Néro, fondateur et directeur de l’établissement, les accueille pour former l’élite du mal : « Ici, nous voulons voir se développer toutes vos potentialités, s’épanouir votre fourberie innée, nous voulons vous aider à tourner le plus mal possible. À peine « recrutés », Otto, Wing, Shelby et Laura vont réunir leurs « pouvoirs » pour échapper à leur sort. Rien ne pourra les arrêter… ou presque ! Le lecteur ignore comment et pourquoi les élèves ont été choisis et découvre au fur et à mesure les défauts de chacun d’entre eux. L’écriture fluide de Mark Walden, rend la lecture captivante. Le mystère est omniprésent et le suspense s’intensifie au fil des pages, jusqu’au dénouement. Un roman qui incite à réfléchir sur les notions de Bien et de Mal. Il s’agit d’un premier tome, dont on attend la suite impatiemment. ■ Sébastien Féranec 32 I Clic Collectif Trad. de l’anglais par Marie Cambolieu Milan, 2008 (Macadam) 248 p. 13 € 978-2-7459-3266-2 Un roman, dix auteurs. Et pas n’importe lesquels : David Almond, Eoin Colfer, Nick Hornby, Roddy Doyle… Pari audacieux et original, au service d’une cause : le soutien à Amnesty International. Le roman débute avec la mort du photographe de presse George Keane, dit « Gé », qui laisse inconsolables ses petits-enfants : Jason, un ado rebelle, et surtout la petite Maggie. Chacun hérite d’un paquet mystérieux : l’adolescent découvre une liasse de photos de célébrités, dédicacées à son nom, et la fille, une boîte insolite, contenant sept coquillages exotiques, avec une carte énigmatique en guise de testament : Lecture Jeune - mars 2009 Littératures « Relance-les tous ! ». À partir de là, des histoires s’enchaînent et s’enchevêtrent ; des rebondissements inattendus nous réservent de belles surprises. Chaque auteur reprend le « cadavre exquis » et lève un peu plus le voile sur Gé, en superposant les événements et les rencontres qui l’ont mené à travers le monde. Des plages d'Angleterre à la ville de Sapporo, en passant par la Russie et l’Australie, on retrouve les traces du photographe et l’on découvre son portrait en creux.Parallèlement, on assiste à l’évolution de Jason et de Maggie, qui, chacun à sa manière, continuent l’œuvre de leur grand-père. La diversité des styles et des tons du roman fait écho à la multitude d’époques, de personnages et de contrées lointaines qui s’entrecroisent avant de laisser apparaître le puzzle reconstitué d’une vie, l’univers d’un homme. Si tous les récits n’ont pas la même charge émotionnelle ni la même subtilité, l’ensemble évite les subterfuges cousus de fil blanc, impose sa logique et laisse une agréable impression d’unité. ■ Nikoleta Bouilloux-Lafont Réseau de lecture : Vous retrouverez les chroniques de certains titres phares de ces auteurs dans nos numéros précédents, à savoir la série Artemis Fowl, d’E. Colfer (LJ n° 103-105-107-119), À propos d’un gamin, de N. Hornby (LJ n° 107), Rendez-vous au pub, de R. Doyle (LJ n° 99), Glaise, de D. Almond (LJ n° 125)… Lecture Jeune - mars 2009 Genre Cadavre exquis Mots clés Photographie Voyage 59 60 Parcours de lecture Et après BD 33 I Alcante Ill. de Fanny Montgermont Dupuis, 2008 (Aire Libre) 80 p. 18 € 978-2-80014-211-1 Mots clés Maladie Paternité Différence La vie d’un homme bascule quand une femme, avec qui il a vécu 13 ans auparavant, l’appelle pour le rencontrer. Jusque là, il a mené une vie facile de grand adolescent, séducteur et égoïste. Il découvre qu’il a un fils, atteint d’une maladie génétique incurable, la progéria, qui accélère le vieillissement. La jeune femme, gravement malade elle aussi, sollicite son aide pour s’occuper de l’enfant pendant son hospitalisation. Comment assumer cette paternité imprévue qui, non seulement bouleverse sa vie sentimentale et professionnelle, mais le confronte à un fils dont l’apparence sénile le met mal à l’aise ? Le récit est admirablement servi par un dessin aux couleurs légères, expression juste et intime des émotions qui bouleversent les personnages. Au cours de ces instants partagés, le père et le fils se découvrent, se heurtent, vivent des moments de complicité émouvante où leurs mains se joignent dans un amour infini. Sans céder à la sensiblerie, cet album plein de pudeur éclaire le drame des enfants atteints d’une maladie génétique rare, qui vivent dans l’attente angoissante d’une mort prématurée. ■ Colette Broutin 34 I Boulet Delcourt, 2009 (Shampoing) 200 p. 16,90 € 978-2756-01454-8 978-2756-01710-5 Mots clés Quotidien Internet Quelques jours ensemble Notes, T.1 et T.2 Ces ouvrages racontent peu de choses si ce n’est de petits épisodes, des tranches de vie récoltées au jour le jour par le dessinateur pour enfants, Boulet. Toutes les planches de cette bande dessinée sont issues de la première année d’existence du blog de l’auteur. C’est en quelque sorte un journal « ex-time » de l’auteur où les thèmes – des plus farfelus au plus sérieux – sont abordés sur le ton de l’humour : le ménage, le sexe, Internet, les courses, les amis, la vision de soi, la télévision, etc. Avec toute sa palette graphique, Boulet nous propose sa vision de la vie ; celle d’un adolescent qui a grandi trop vite, confronté à tous les problèmes des « vrais » adultes. Il y a une certaine connivence entre cet « adulescent » de 28 ans et les plus jeunes car le regard qu’il pose sur le monde et ses interrogations pourraient être partagés par des adolescents : les complexes physiques, l’humour « potache », une certaine nonchalance, un goût prononcé pour la lecture des mangas, pour la musique, etc. Le dessin varie d’un « strip » à l’autre et l’anarchie dans la succession des thèmes – conséquence de la publication Lecture Jeune - mars 2009 61 quotidienne de ses planches sur son blog – rendent la lecture plaisante. La série devrait compter 4 tomes. ■ Thomas Bailly Vous pouvez consulter le blog de Boulet à l’adresse suivante : www.bouletcorp.com/blog/. Ndlr. 35 I Vinci, T.1 : L’Ange brisé Pourquoi François Ier s’est-il déplacé en personne pour confier un tableau au prieur de l’abbaye de Vauluisant ? Ce portrait peint par le grand Léonard de Vinci ne ressemble en rien à son œuvre connue. Pourquoi ce tableau mystérieux doit-il n’être vu de personne ? Le roi revient quelques années en arrière, en 1494, à Milan, lorsque d’étranges crimes sont perpétrés. De grands personnages de la ville ont été retrouvés le visage dépecé et certains témoins évoquent la présence d’une énorme chauve-souris ou d’un monstre de deux mètres de haut. Le prévôt fait appel au grand Léonard pour ses connaissances en anatomie mais ne le soupçonne-t-il pas d’être le tueur ? Une superbe bande dessinée historique, à l’intrigue bien ficelée. Une affaire criminelle palpitante dans le décor d’une ville de la Renaissance italienne, minutieusement reconstituée, aux chaudes couleurs aquarellées. Le choix du papier glacé renforce la précision et la luminosité du dessin. On attend le second et dernier tome avec impatience. ■ Agnès Donon Didier Convard Ill. de Gilles Chaillet Glénat, 2008 (Caractère) 56 p. 13 € 978-2-7234-5771-2 Mots clés Léonard de Vinci François Ier Renaissance Mattéo, première époque (1914-1915) 36 I Durant la guerre de 14--18, se décide le destin de Mattéo, jeune héros de cette bande dessinée. Fils d’un anarchiste espagnol et réfugié en Catalogne française, il aurait pu échapper à la mobilisation. Mais comment résister aux pressions de son entourage ? L’heure du départ approche : le jeune homme espère une victoire rapide. Mattéo pense à la jolie Juliette dont il est amoureux. Celle-ci ne lui cache pas ses préférences pour ceux qui partent au combat. Ainsi, Mattéo partage le sort de milliers de soldats fracassés dans la boue des tranchées et stupidement sacrifiés par la folie de leurs supérieurs. Le dessin aquarellé, superbe, et la palette choisie permettent de saisir aussi bien les paysages et la boucherie des combats que les portraits expressifs de ceux qui sont entraînés dans l’horreur des combats. Le réalisme des images renforce ce puissant plaidoyer contre la guerre. Gageons que la suite des aventures de Mattéo, déserteur malgré lui, sera aussi réussie. ■ Colette Broutin Lecture Jeune - mars 2009 Jean-Pierre Gibrat Futuropolis, 2008 64 p. 16 € 978-2-7548-0113-3 Mots clés Première Guerre mondiale Courage Amour 62 Et après 37 I Éric Liberge Musée du Louvre/Futuropolis, 2008 65 p. 16 € 978-2-7548-0168-3 Mots clés Musée Patrimoine Surdité Cette bande dessinée est la troisième collaboration entre le musée du Louvre et les Éditions Futuropolis. Une fois de plus, c’est une réussite ! L’auteur, Éric Liberge, inscrit ce livre dans la politique du musée pour rendre accessibles ses collections au public sourd et malentendant. Il imagine un scénario qui rend perceptible, à un lecteur entendant, l’univers des sourds et les difficultés quotidiennes auxquelles ils sont confrontés. Le héros est un jeune sourd-muet qui doit effectuer un stage au musée du Louvre. Mais les circonstances lui font rencontrer un étrange gardien qui lui propose de le seconder dans la surveillance nocturne de l’établissement, pendant les heures impaires ! C’est alors que le récit bascule et que les frontières s’effacent entre réel et imaginaire. En effet, qui n’a rêvé, au moins une fois, de visiter un musée, seul, la nuit ? Le lecteur s’identifie au jeune héros en partageant sa fantastique expérience et surtout ses angoisses, car ce gardien surprenant lui confie une lourde responsabilité : prendre en charge la souffrance des œuvres d’art en les libérant de leur immobilité ! Au fil des pages, dont le graphisme est sans défaut, on évolue dans le décor des galeries, reconnaissant les œuvres au second plan, pendant qu’au premier se joue l’aventure du héros. Mais très vite le cadre des vignettes se modifie jusqu’à exploser comme les murs du Musée ! En adoptant le point de vue du jeune sourd, le récit met en scène ses émotions, ses révoltes, ses douleurs, sa formidable énergie et sa sensibilité exceptionnelle. Mais est-ce compatible avec la nécessité absolue de conserver et de protéger les œuvres d’art ? ■ Colette Broutin Réseau de lecture : Nous conseillons les deux bandes dessinées déjà parues dans cette collection : Période glaciaire (2005) de Nicolas de Crécy et Les Sous-Sols du révolu (2006) de Marc-Antoine Mathieu. 38 I Tsutomu Takahashi Kana, 2008 (Big Kana) 240 p. 13,50 € 978-2-5050-0321-2 Genre Manga Mots clés Japon Famille Aux heures impaires Bakuon Rettô, T.1 En 1980, Takashi Kase vient de déménager dans un nouveau quartier de Tokyo, plus proche de la campagne. Ses parents ont ainsi souhaité l’éloigner de ses mauvaises fréquentations. Mais très vite, il se retrouve entraîné par des motards, les Zéros, groupe de bôsôzokus. Lors de sa première virée en moto en tant que passager, Takashi est pris en chasse par la police. Le portrait de l’adolescent en quête d’identité est très juste et non exagéré. Cette série (dont treize volumes sont déjà publiés au Japon) est l’œuvre de Tsutomu Takahashi, créateur de Sidooh (Panini Comics). Nous retrouvons ici sa spécificité : des dessins très réalistes. Les grandes planches sur des doubles pages traduisent le dynamisme des actions et mettent en valeur les indéniables talents artistiques de l’auteur. ■ Sébastien Féranec Lecture Jeune - mars 2009 BD 63 Parcours de lecture Et après Documentaires 39 I Les Machos expliqués à mon frère Clémentine Autain, militante féministe, retrace l’histoire du combat pour l’égalité des sexes et invite le lecteur à se forger un regard critique sur l’état actuel des rapports entre les hommes et les femmes. En ciblant quelques banalités (pourquoi du bleu pour les garçons et du rose pour les filles ?), stéréotypes ancrés dans nos mentalités, elle interroge l’intime, l’identité, et la possibilité pour chacun de se construire en tant qu’individu et d’apprendre à se détacher des modèles imposés. De nombreux exemples, précis et datés, viennent appuyer l’exposé de l’auteur. La forme dialogique et le style oral rendent le texte limpide et dynamique, captivant le lecteur dès les premières lignes. La clarté du récit et la simplicité d’approche sont des éléments appréciables qui permettront au lecteur d’approfondir un sujet en l’impliquant directement. ■ Élise Hoël 40 I Clémentine Autain Ill. de Lise Herzog Seuil, 2008 (Expliqué à) 99 p. 7€ 978-2-02097-004-4 Mots clés Féminisme Injustice Relation fille/garçon Victor Schoelcher : « non à l’esclavage » Joseph Wresinski: «non à la misère» Dans le premier livre, il est question de Victor Schoelcher qui obtient l’abolition de l’esclavage par un décret de la IIe République, le 27 avril 1848, puis il poursuit inlassablement son action pour que la loi soit effectivement appliquée. C’est un homme cultivé dont les opinions républicaines lui valurent d’être exilé par Napoléon III, honneur qu’il partagea avec son ami Victor Hugo. Le père Joseph Wresinski, quant à lui, a fondé le Mouvement ATD-QuartMonde et le texte en souligne la spécificité, de ses débuts, à Noisy-le-Grand pendant l’hiver 1957, jusqu’à la grande manifestation au Trocadéro baptisée « Journée mondiale de lutte contre la misère », en 1987. Ces récits clairs et bien écrits sont complétés par une chronologie et une actualisation des problématiques qui, malheureusement, n’ont pas disparu. Des personnalités engagées dans ces combats sont évoquées. Une documentation iconographique, une liste des associations et organisations non gouvernementales luttant contre l’esclavage et la pauvreté fournissent des outils pour une éventuelle exploitation pédagogique. ■ Colette Broutin Lecture Jeune - mars 2009 Gérad Dhôtel Actes Sud Junior, 2008 (Ceux qui ont dit non) 95 p. 7,80 € 978-2-7427-7761-1 Caroline Glorion Actes Sud Junior, 2008 (Ceux qui ont dit non) 95 p. 7,80 € 978-2-7427-7758-7 Mots clés Esclavage Misère 64 Parcours de lecture Lecteurs confirmés Littératures 41 I J.M.G. Le Clézio Gallimard, 2008 (Blanche) 206 p. 18 € 978-2-07-012283-7 Genre Roman historique Mots clés Guerre Adolescence L’histoire dans l’Histoire : Ethel n’a que dix ans lorsqu’elle découvre l’Exposition Coloniale avec son grand-oncle Soliman. Celui-ci éveille pour toujours sa curiosité sur le monde. La petite fille se lie d’amitié avec Xénia, une exilée russe. Les réunions hebdomadaires dans le salon paternel font écho à la catastrophe annoncée : la guerre, précédée par une vague d’antisémitisme. Jusqu’alors, bercée par la confusion des voix, Ethel ne donnait pas de sens aux propos des adultes. Devenue adolescente, elle découvre leur hypocrisie et leur cupidité. Face à l’image négative de ce microcosme social, de cette bourgeoisie d’affaires opportuniste et raciste, la jeune fille se forge une pensée positive. Avec ce personnage emblématique, le roman donne une clef de l’œuvre de l’auteur : l’adolescence est souvent synonyme de clairvoyance (Ethel rappelle Esther, l’« Étoile errante » qui a fuit la France pour Israël). Ce roman de la mémoire s’inspire de la biographie de la mère de l’auteur. Le portrait maternel émeut et la personnalité de l’écrivain se dessine en creux : « J’ai écrit cette histoire en mémoire d’une jeune fille qui fut malgré elle une héroïne à vingt ans. » Cette jeune fille lutte pour un monde plus juste, honore les valeurs que ne respectent plus les adultes. Ethel est une adolescente idéalisée qui touchera un public de jeunes adultes. ■ Cécile Robin-Lapeyre 42 I Xavier Gual Trad. de l’espagnol par Antoine Martin Au Diable Vauvert, 2008 292 p. 17 € 978-2-84626-148-7 Mots clés Banlieue Drogue Ritournelle de la faim Ketchup Miki, adolescent d’une banlieue espagnole, a abandonné les études, selon lui inutiles. Son unique désir est de s’acheter une belle voiture, ce qui nécessite de trouver un financement. Quels que soient les moyens utilisés, Miki trouvera de l’argent : les deals se multiplient, les filles sont des marchandises et son ami Sapo l’entraîne sur le tournage d’un film porno. Le récit est très réaliste. La traduction est réussie et les dialogues, proches d’une écriture scénaristique, rendent la lecture facile. Les chapitres sont courts et les points de vue alternent : le professeur clame sa colère face à l’intolérable attitude de Miki, la mère, le policier, le dealer, le skinhead livrent leurs pensées. Ce roman est provocateur, et ne plaira pas à tous les lecteurs. Les scènes et le vocabulaire sont crus et peignent une jeunesse aussi désespérée que désespérante, qui n’a plus aucune valeur, ni même l’amour ou l’amitié ! La lecture marque les esprits et incite à la réflexion. ■ Cécile Robin-Lapeyre Lecture Jeune - mars 2009 65 43 I Ailleurs Une femme quitte précipitamment l’Australie avec ses deux enfants pour se réfugier dans la grande demeure familiale, en France. Elle y retrouve sa mère, son frère et sa belle-sœur qui vient d’accoucher. Mais l’enfant est mort né et la jeune femme ne peut se résoudre à l’enterrer. Alors que le roman se déroule de nos jours – quelques détails comme un portable, suffisent à l’indiquer – l’intrigue semble se passer dans une époque lointaine, ailleurs… L’atmosphère est lourde et mêle deux drames parallèles : le cadavre du bébé évoque un scénario morbide et l’épouse a fui la maltraitance conjugale. Beaucoup de questions resteront en suspens dans ce roman, comme le sort du père que l’enfant tente de joindre au téléphone. La mort rôde sur la demeure et menace tous les protagonistes… Peu de mots, pas de descriptions inutiles, ni de digressions, une littérature efficace : une écriture envoûtante décrit par touches suggestives un huis clos qui se déroule dans un lieu tout aussi enchanteur que maléfique. Les lecteurs les plus âgés apprécieront ce conte sombre, car il n’est pas sans rappeler l’univers cinématographique qui leur est familier : gothique et fantastique. ■ Cécile Robin-Lapeyre 44 I Julia Leigh Trad. de l’anglais par Jean Guiloineau Christian Bourgois, 2008 104 p. 15 € 978-2-267-01995-7 Mots clés Famille Mort Violence Toute la nuit devant nous Trois nouvelles, sans lien entre elles, composent ce recueil. « Le fils de l’étoile » se déroule lors d’une colonie de vacances. François se singularise des autres garçons et prend sur le narrateur, Mestrel, un ascendant d’autant plus fort que ce dernier devient le bouc émissaire de ses camarades. Ces deux solitaires connaîtront une amitié fusionnelle et le plus fort vengera le plus faible… L’atmosphère particulière repose sur la fascination et la répulsion inspirées par le personnage central. À cette dualité s’ajoute l’opposition entre les registres : réaliste et fantastique. La deuxième nouvelle décrit comment quatre adolescents décident de sacrifier leur vie pour attirer l’attention sur le désastre écologique qui menace la Terre. La préparation de leur action se déroule, implacable et bouleversante ! La troisième nouvelle a pour cadre Marseille, le football et les quartiers Nord. « Le père à Francis » a essayé de sauver les « minots » de sa cité, mais aujourd’hui il est mort. Un adolescent, en prison, se souvient. Il a laissé filer la chance que lui offrait cet homme généreux. Une histoire juste, jusque dans le langage du jeune homme et la nostalgie terrible qui s’en dégage. Trois ambiances radicalement différentes, pour un thème commun : l’adolescence, associée à la mort. Des récits d’une lecture facile, avec une chute tragique, dont le lecteur ne ressort pas indemne. À réserver à des lecteurs assez matures. Un petit chef-d’œuvre du genre ! ■ Cécile Robin-Lapeyre Lecture Jeune - mars 2009 Marcus Malte Zulma, 2008 125 p. 15,50 € 978-2843-04459-5 Genre Nouvelles Mots clés Adolescence Violence Mort 66 Lecteurs confirmés 45 I Haruki Murakami Trad. du japonais par Hélène Morita Belfond, 2008 432 p. 21,50 € 978-2-7144-4284-0 Genre Nouvelles Mots clés Fantastique Poésie Une jeune fille promet à son petit copain qu’elle fera l’amour avec lui quand elle aura un mari. Victime d’un singe kleptomane, une jeune femme sent son propre nom lui échapper. Au cours d’une promenade, un médecin ramasse une pierre en forme de rein, qui ferait un bon presse-papiers dans son cabinet. Mais la pierre ne tient pas en place. Un détective « totalement bénévole », que cela « intéresse énormément, sur un plan personnel, de localiser les personnes qui ont disparu », recherche un homme d’affaires volatilisé entre le vingt-quatrième et le vingt-sixième étage de son immeuble. Vainement. Singulières, envoûtantes, bien qu’inégales, voici vingt-trois nouvelle du grand Murakami. L’occasion de se laisser ravir par l’art du conteur, par son univers insolite, traversé de hasards et de coïncidences, d’étranges échappées oniriques. Le fantastique de Murakami possède une séduction tenace, un humour désinvolte dignes de Buñuel. Narquois, l’auteur renvoie personnages et lecteurs à leur propre perplexité, sans proposer d’explication : « Des choses qui commencent sans raison s’arrêtent sans raison. Le contraire peut être vrai aussi. » ■ Charlotte Plat 46 I Nathalie Papin L’école des loisirs, 2008 (Théâtre) 62 p. 6,50 € 978-2-211-09330-9 Genre Théâtre Mots clés Coma Vie Mort Saules aveugles, femme endormie La Morsure de l’âne Au bord du royaume des ombres, un fleuve sépare le monde des vivants de celui des morts. Le long de sa berge, dans une zone « vague », circulent les égarés, ni vivants ni morts. Mais ce lieu se métamorphose et on devine une chambre d’hôpital en soins intensifs. Dans ce lieu insolite, Paco devrait mourir. Il croise des créatures qui semblent sorties de mythes anciens. D’autres sont de simples humains. Plongé dans l’inconscience, il est fortement tenté d’abandonner. Mais les signaux qui arrivent du monde des vivants l’emportent. La pièce comporte 16 scènes sans titre, non numérotées. Un premier ensemble s’articule autour du ballet des passeurs de la mort : Noïké, l’âne, la Mort. Le groupe suivant s’organise autour des humains, ceux qui ont déjà anticipé la mort de Paco, et ceux qui se battent pour le rappeler à la vie. Mais le véritable combat est celui de Paco avec son corps, dont il voudrait bien se débarrasser. Ce dernier s’accroche, et l’invite à tenter avec lui un retour vers la vie. Le dialogue très linéaire s’attache à rendre la fluidité du rêve et de ses figures. Dans cette opération de dévoilement, le suspense est moindre mais le questionnement important. Chacun demande des comptes, argumente, se laisse convaincre. Ce texte réussit à raconter en termes à la fois simples et poétiques une expérience aux frontières de la mort. ■ Nicole Wells Lecture Jeune - mars 2009 67 Parcours de lecture Lecteurs confirmés BD 47 I Je mourrai pas gibier Mettre en image le roman de Guillaume Guéraud était un pari risqué et audacieux, mais Alfred nous propose une adaptation réussie qui permet une nouvelle lecture de l’oeuvre. Le village de Mortagne, où évolue l’adolescent Martial, est scindé en deux clans : ceux qui travaillent à la scierie de M. Listrac et les autres, qui se consacrent à la vigne, au Château Clément. Martial gravite autour de ces groupes, tout comme Terence, le simple d’esprit de la bourgade. Ce dernier est attaqué de toute part. Il est victime d’insultes, jusqu’au jour où il est passé à tabac. Alfred a choisi de dessiner avec un simple stylo bic, sur du vieux papier. Le trait est vif, précis, les visages, comme taillés au couteau. La mise en scène graphique de l’auteur révèle de nouveaux aspects du texte de Guéraud. Ici, le malaise général et intrinsèque qui plane sur Mortagne marque le lecteur. Certainement plus que la tuerie finale. Le ciel, terne, pèse sur la campagne, les regards sont tour à tour vides ou apeurés. Les couleurs servent admirablement le dessin d’Alfred. Une adaptation réussie qui saura toucher un nouveau public, non habitué à la lecture des romans destinés aux adolescents. ■ Anne Clerc 48 I Alfred D’après l’œuvre de Guillaume Guéraud Delcourt, 2009 (Mirages) 111 p. 14,95 € 978-275601-313-8 Mots clés Meurtre Violence Shutter Island Cette bande dessinée est une adaptation du roman éponyme de Dennis Lehane, publié en 2003. Dans les années 1950, l’îlot de Shutter Island, au large de Boston, abrite un hôpital psychiatrique où sont internés des criminels souffrant de troubles mentaux. Le marshal Tedy Daniels et son coéquipier Chuck Aule prennent le bateau pour se rendre dans la forteresse, à la demande du directeur. En effet, une prisonnière, Rachel Solando, s’est évadée sans laisser de traces, excepté une feuille de papier laissée sur son lit sur laquelle elle a dessiné une succession de chiffres et de lettres, sans signification apparente. Les enquêteurs s’interrogent sur le véritable rôle des médecins psychiatres qui semblent leur cacher la vérité. Se livrent-ils à des traitements expérimentaux sur les malades, en particulier ceux qui sont enfermés dans le phare ? On comprend que l’inspecteur a des motifs personnels pour être sur cet îlot : il recherche le responsable de la mort de sa femme, un certain Andrew Laeddis… jusqu’au moment où le récit bascule ! Lecture Jeune - mars 2009 Dennis Lehane Ill. de Christian de Metter Rivages/Casterman, 2008 128 p. 18 € 978-2-203-00775-8 Mots clés Suspense Angoisse 68 Lecteurs confirmés L’atmosphère de ce huis clos, hanté par de dangereux psychopathes, est admirablement servie par le graphisme et de sombres teintes encrées, jouant sur les contrastes sépia. Le lecteur est littéralement piégé par des indices savamment distillés, qui le conduisent à une terrifiante révélation finale. C’est une œuvre aboutie car on relit attentivement cet album pour savourer l’agencement des dessins et des textes avec le plaisir d’y déceler la maîtrise parfaite du récit. ■ Colette Broutin 49 I Nancy Peña La boîte à bulles, 2008 (Contre-jour) 78 p. 17 € 978-2-8453-070-2 Mots clés Londres Tea Party On retrouve avec plaisir l’univers singulier de Nancy Peña qui dans Le chat du kimono, – voir LJ n° 123 – déjà nous avait charmés. Tea Party est d’ailleurs une suite se déroulant quinze années plus tard à Londres. On croise à nouveau nos drôles de héros qui avaient de près ou de loin côtoyé le personnage du chat. Alice Barnes est devenue une jolie jeune femme et c’est elle désormais qui revêt le kimono aux chats. Son père a mis au défi Lord Mac Dale de dénicher le meilleur thé du monde et les deux hommes ont engagé pour ce faire des « cookery counsellers » ! Victor Neville tentera de s’acquitter aux mieux de cette tâche. Mais parviendra-t-il à gérer ses hallucinations et les pièges tendus par Alice Barnes ? Skerlock Holmes pourrait-il l’aider à démêler les trompeuses apparences ? Attention Victor Neville car « seuls les chats ont neuf vies ! » Gentiment déjanté, joliment référencé, Tea Party propose un univers délicat et réjouissant, tout empreint d’onirisme. L’élégant trait noir s’emplit d’ailleurs de rouge lorsque l’histoire semble flirter avec le fantastique… On a hâte de partir à la recherche de la recette perdue des « merveilleux black shortbreads » aux côtés de Neville ! ■ Hélène Sagnet Lecture Jeune - mars 2009 69 Parcours de lecture Lecteurs confirmés Documentaires 50 I L’Europe de A à Z Ce documentaire se présente sous une forme classique : l’abécédaire. Cette disposition permet une recherche facile en 26 rubriques mais cette entrée alphabétique a quelques inconvénients : par exemple les mots clés retenus représentent parfois des symboles. Un index thématique permet aussi une consultation ponctuelle. L’ouvrage peut également se lire de bout en bout, comme un socle de culture générale. Le contenu recouvre l’identité européenne, géographique, politique, économique et culturelle. Les encarts sont intéressants (le traité de Lisbonne, la Turquie, le vieillissement de la population, etc.). Vision positive de la construction européenne, l’ouvrage ne donne pas la parole à ses détracteurs. Malgré l’apparence « cahier d’écolier », l’illustration démarque ce livre d’un manuel scolaire et semble le destiner à un public jeune. Sa lecture demande cependant un niveau de connaissances acquis à partir du lycée. Nous regrettons la lisibilité parfois imparfaite : typographie trop petite, couleur qui noie le texte. Mais c’est un ouvrage riche, qui ne sera pas trop vite obsolète, hormis l’encart sur l’Euro. ■ Cécile Robin-Lapeyre 51 I Claire A. Poinsignon Ill. de Frédérique Bertrand Arte éditions / Éditions du Rouergue, 2008 127 p. 15 € 978-2-84156-961-8 Mots clés Europe Histoire Rebelles sur grand écran Cet ouvrage très complet propose d’analyser différentes figures de rebelles aussi bien dans des classiques que dans des films plus récents, aux genres très différents. Cinq catégories de rebelles structurent l’ouvrage : « Rebelles sans cause », « J’vous dis merde », « Rebelles avec causes », « Le démon des armes » et « Paradis perdu ». Le documentaire donne des informations générales sur les cinéastes, sur certains acteurs mythiques et propose de décortiquer très précisément quelques scènesclés. Les résumés des films, les biographies des cinéastes cités ainsi qu’un petit glossaire des termes techniques bouclent ce documentaire. Pierre Gabaston, professeur des écoles et spécialiste du cinéma nous offre ici une étude transversale très réussie. Destiné à des adolescent passionnés de cinéma ou à des professeurs désireux de faire étudier cette thématique en classe, l’ouvrage apporte des éléments très précis sur un sujet qui sort des sentiers battus et ne manquera pas d’intéresser les jeunes ! ■ Marianne Joly Lecture Jeune - mars 2009 Pierre Gabaston Actes Sud Junior/ Cinémathèque française, 2008 (Atelier cinéma) 88 p. 16 € 978-2-7427-7968-0 Mots clés Cinéma Rebelles 70 Parcours de lecture Ouvrages de référence 52 I Collectif Hachette et la Bibliothèque nationale de France/Centre national de la littérature pour la jeunesse – La Joie par les livres, 2008 231 p. 23 € 9-782-01201-767-2 Mots clés Traduction Édition Mondialisation Traduire les livres pour la jeunesse : enjeux et spécificités Cet ouvrage de référence est composé des actes du colloque qui s’est tenu à la Bibliothèque nationale de France les 31 mai et 1er juin 2007. Acteurs de l’édition jeunesse (éditeurs, auteurs, traducteurs) et universitaires se sont penchés sur le cas de la traduction de littérature pour la jeunesse. Quelle est la part des ouvrages traduits dans la production francophone ? Où se vendent les livres français ? Pourquoi la production anglo-saxonne semble-t-elle franchir toutes les frontières avec un même succès ? Autant de questions auxquelles ces professionnels du secteur tentent de répondre, avec leurs expériences, leurs visions propres. Les traducteurs invités parlent avec bonheur et passion de leur métier à la fois si beau et si difficile, et les éditeurs, de leurs coups de cœur et succès de librairie (notamment Cécile Terouanne évoque l’acquisition de Twilight pour Hachette). On notera une réflexion profonde et passionnante de la traduction comme vectrice de culture étrangère et prisme de perception d’une littérature, à travers l’enquête de Nathalie Beau (de la Joie par les livres) et de Mathilde Lévêque (Enseignante chercheuse), et le point de vue de Vivianne Ezratty (de la bibliothèque de L’Heure joyeuse). Enfin, il est question des particularités de la traduction de livres en direction d’un jeune public, pour la fiction romanesque, mais aussi pour l’album, le manga ou le documentaire. Si toutes ces problématiques apportent un éclairage nécessaire et fascinant sur un domaine qui, en dépit de son histoire riche et ancienne, est en perpétuelle évolution, on regrettera que certaines interventions restent théoriques et ne fassent pas davantage état des contraintes ressenties par les acteurs de l’édition au quotidien (délais toujours plus serrés, communication réduite, etc.) À l’heure de la mondialisation et alors que la frontière entre littérature pour la jeunesse et pour les adultes devient souvent ténue, il est dommage qu’un ouvrage aussi ambitieux et destiné à un public de professionnels n’ait pas davantage pris en compte les conditions actuelles de réalisation des livres. ■ Marie Cambolieu Lecture Jeune - mars 2009 En savoir plus Formations page 72 Informations page 74 72 En savoir plus Formations Lecture Jeunesse Programme Premier semestre 2009 Nos stages et journées d’étude se déroulent à Paris à des dates prédéterminées. Ils sont également proposés sur site à la demande des bibliothèques municipales, bibliothèques départementales de prêt, IUFM, associations… Programmes détaillés : www.lecturejeunesse.com Stages : Savoirs de base ● Les mangas niveau « repères » Problématique La France est le second pays lecteur de mangas après le Japon. Les jeunes se sont emparés de ces livres dont les héros et valeurs, étonnamment, leur ressemblent. Comment mieux appréhender la qualité littéraire et graphique de ces ouvrages ? Comment se repérer dans les courants et les genres pour prendre une place de conseil auprès des jeunes ? Objectifs - Acquérir des clés de compréhension de la société japonaise - Situer les grands courants, les genres, les auteurs incontournables - Identifier les éditeurs, les collections, les séries - Maîtriser le fonctionnement narratif et graphique de ces ouvrages - Choisir et comparer les titres en vue d’une politique d’acquisition raisonnée Dates : 1-2-3 avril 2009 Clôture des inscriptions : 4 mars 2009 ● Les adolescents et les documentaires Problématique Pour leurs recherches scolaires, les adolescents utilisent Internet avant de se tourner vers le livre documentaire, oubliant qu’il peut constituer une étape dans leur repérage tout en suscitant le plaisir de la lecture. Comment prendre en compte la demande de renseignements scolaires et le besoin de découvertes personnelles dans la constitution d’un fonds qui soit à la fois cohérent et repérable ? Objectifs Object Dates : 13-14-15 mai 2009 Clôture des inscriptions : 15 avril 2009 Clôture ● Les albums et les adolescents ● - Développer une politique d’acquisition de documentaires qui prenne en compte les programmes scolaires et les centres d’intérêts des jeunes, en complémentarité avec les ressources d’Internet - Identifier les collections « jeunesse » ainsi que certaines collections généralistes accessibles aux adolescents - Comparer les documentaires portant sur un même thème et évaluer leur qualité Problématique Les adolescents d’aujourd’hui ont une culture de l’image très étendue. Lecteurs de bandes dessinées notamment, comment leur faire découvrir et apprécier de nouvelles formes visuelles dans le domaine du livre ? Objectifs - Identifier l’offre éditoriale - Découvrir et analyser des univers d’auteurs - Proposer des pistes d’entrée dans les littératures graphiques Dates : 3-4-5 juin 2009 Clôture des inscriptions : 6 mai 2009 - Définir - Identif des titre intérêt - Explor - Analy jugeme public a Dates : Problé La band créativi et l’ima riches e en bibli Object - Comp le rapp - Identi d’intére - Analys Dates : Clôture ● Les romans à l’adolescence niveau « repères » Problématique Comment se repérer dans la production d’ouvrages de fiction, pour proposer aux jeunes des livres adaptés à leurs parcours de lecteurs ? Lecture Jeune - mars 2009 ● Problé On ass théâtra d’entré 73 Inscriptions Catherine Escher Tél. : 01-44-72-81-50 – [email protected] Renseignements pédagogiques Hélène Sagnet – Nikoleta Bouilloux-Lafont Tél. : 01-44-72-81-52 Tarifs des journées d’étude Tarifs des stages 405 € TTC (Prise en charge de l’employeur) 305 € TTC (Prise en charge personnelle) Objectifs - Définir les enjeux de la lecture à l’adolescence - Identifier les collections « pour » adolescents ainsi que des titres de littérature générale pouvant susciter leur intérêt - Explorer des univers d’auteurs - Analyser et critiquer un livre, en dépassant le simple jugement de valeur personnel et en gardant à l’esprit le public auquel le roman est destiné Dates : 10-11-12 juin 2009 Clôture des inscriptions : 13 mai 2009 60 € TTC (Prise en charge de l’employeur) 30 € TTC (Prise en charge personnelle) ces textes et leurs mises en scène pour le public adolescent ? Objectifs - Comprendre les spécificités du texte théâtral et ses enjeux pour un jeune public - Identifier dans le répertoire théâtral contemporain des textes susceptibles de s’adresser aux adolescents - Proposer de nouvelles modalités de rapport au texte : lire, dire et jouer Dates : 1-2-3 juillet 2009 Clôture des inscriptions : 3 juin 2009 ● La bande dessinée niveau « repères » Problématique La bande dessinée est une forme littéraire d’une grande créativité. Fondée sur la force du rapport entre le texte et l’image, elle offre des pistes d’entrée dans la lecture riches et singulières. Comment la valoriser et l’utiliser en bibliothèque ? Objectifs - Comprendre le fonctionnement narratif (et notamment le rapport texte/image) - Identifier les titres et les collections susceptibles d’intéresser un public adolescent - Analyser, critiquer et conseiller une bande dessinée Dates : 24-25-26 juin 2009 Clôture des inscriptions : 27 mai 2009 ● Le théâtre et les adolescents Problématique On assiste à un véritable renouveau du répertoire théâtral contemporain jeune public. Quelles pistes d’entrée singulières en lecture peut-on trouver dans Lecture Jeune - mars 2009 74 En savoir plus Informations Festivals et salons Exposition • Le 29e Salon du livre de Paris ouvre ses portes du 13 au 18 mars avec le Mexique comme invité d’honneur. Site Internet : www.salondulivreparis.com • Le 4e Festival du Livre Jeunesse du Havre, aura lieu du 27 au 29 mars et le thème en sera « Gourmandises ». Site Internet: http://festihavrelivrejeunesse.over-blog.com • L’exposition « Le Louvre invite la bande dessinée. Le petit dessein » se tient du 22 janvier au 13 avril 2009. Depuis 2005, le musée du Louvre s’est associé avec les éditions Futuropolis pour créer une collection de bandes dessinées. Le principe est de demander à un auteur de BD de choisir une oeuvre, une collection, une salle du Louvre et d’en faire un élément important de l’« histoire ». On pourra y voir des planches des quatre albums de la collection : - Période glaciaire, par Nicolas de Crécy (2005) ; - Les Sous-sols du Révolu, par Marc-Antoine Mathieu (2006) ; - Aux heures impaires, par Eric Liberge (2008) ; - Le Ciel au-dessus du Louvre, par Bernar Yslaire et Jean-Claude Carrière (à paraître en 2009) Site Internet : www.louvre.fr Prix Appel à témoignages • Le 36e Festival de la BD d’Angoulême a décerné le prix du meilleur album à Winshluss pour Pinocchio (éditions Les Requins Marteaux) et le prix « Essentiel » Jeunesse au Petit Prince (éditions Gallimard, « Fétiche ») de Joann Sfar. Site : www.bdangouleme.com Le numéro 130 (parution en juin 2009) de la revue Lecture Jeune sera consacré à l’humour ! • La 10 e Fête du livre jeunesse de Villeurbanne aura lieu les 25 et 26 avril 2009. Pour célébrer cet anniversaire, de nombreux auteurs et illustrateurs : Nathalie Novi, Susie Morgenstern, François Roca ou Lionel Le Neouanic seront de la fête ! Site Internet : www.marie-villeurbanne.fr • Le Prix Sorcières 2009 a récompensé Ulrich Hub pour son roman L’Arche part à 8 heures (Alice Jeunesse, « Les Romans ») dans la catégorie « romans 9-12 ans » et deux titres ex-aequo dans la catégorie « romans adolescents » : Le dernier Orc, de Silvana de Mari, traduit de l’italien par Jacques Barbéri (Albin Michel Jeunesse, « Wiz ») et Be Safe, de Xavier-Laurent Petit (L’École des loisirs, « Médium »). Revues • Le prochain numéro de la revue Hors-cadre[s], à paraître en mars 2009, aura pour thème « Apparitions/disparitions ». Qu’est-ce qui faire rire les adolescents (au cinéma, sur Internet, à la télé, dans les livres...) ? Partageons-nous leurs codes et pratiques dans ce domaine ? L’humour relève-t-il d’une dimension sexuée, générationnelle ? Nous souhaitons vivement recueillir vos témoignages ! - Pourriez-vous, en quelques lignes, nous faire part des réflexions et actions menées autour de l’humour en bibliothèque, en direction d’un public d’ados (actions, animations, etc.) ? - Pourriez-vous partager vos observations (les textes qui les font rire), vos succès dans la médiation de titres et également vos déboires (textes que vous jugiez hilarants ou en tout cas amusants et qui ne les ont pas fait sourire !!) ? - Nous publierons ces courts témoignages dans notre revue ! Merci de nous écrire à l’adresse suivante : Anne Clerc [email protected] Lecture Jeune - mars 2009 Index Auteurs page 76 Titres page 77 Genres et mots clés page 78 76 Index Auteurs A Alcante Alfred Ange Antolini, Aurélie Auda, Rolland Autain, Clémentine B Balder, Arthur Besnier, Michel Binet, Juliette Blondel, Jean-Philippe Bondoux, Anne-Laure Boulet C Chabas, Jean-François Chaillet, Gilles Clintock, Norah Mc Colin, Fabrice Convard, Didier D De Metter, Christian Desmarteau, Claudine Dhôtel, Gérard notice 33 47 1, 17 18 19 39 notice 20 2 3 4 21 34 notice 5 35 22 6 35 notice 48 7 40 E notice G notice H notice K notice L notice Evette, Jean-Baptiste Gabatson, Pierre Gibrat, Jean-Pierre Glorion, Caroline Grousset, Alain Gual, Xavier H., Yves Hermann Keene, Daniel Kennen, Ally Koenig, Viviane Konigsburg, E.L. Le Clézio, J.M.G Lebeau, Suzanne Lehane, Denis Leigh, Julia Léturgie, Simon 8 Liberge, Éric Lotthé-Glaser, Florence 37 16 M notice O notice P notice R notice T notice W notice Y notice Malley, Gemma Malte, Marcus Mens, Yann Montgermont, Fanny Murakami, Haruki Oppel, Jean-Hugues Papin, Natalie Pena, Nancy Poinsignon, Claire A. Pullman, Philip Reeve, Philip Takahashi, Tsutomu Walden, Mark Yukimura, Makoto Yzac, Adeline 27 44 10 33 45 28 46 49 50 29 30 38 31 14 11 51 36 40 9 42 12 12 23 24 15 25 41 26 48 43 13 Lecture Jeune - mars 2009 77 Index Titres A À la poursuite de l’enfantôme À mille miles de toute terre habitée Ailleurs Allers sans retours Apprenti (L’) Arche de Noa (L’) Arthur, l’autre légende Au rebond Au secours, mon corps !? Aux heures impaires notice 8 17 43 28 23 1 30 4 16 37 B notice C notice Bakuon Rettô, T.1 Bruit des os qui craquent (Le) 38 26 Cadavre au sous-sol Clic D 22 32 Déchaîné Diable des sept mers (Le), T.1 Dico des Héros de l’Antiquité (Le) Dom Juan E Écho des armes (L’) Europe de A à Z notice 24 12 15 13 notice 10 50 F notice G notice Fin du monde (La) Grande École du Mal et de la Ruse, T.1 Gringo Shaman Guerre des livres (La) 6 notice I notice J notice Il était une fois dans le Nord Je mourrai pas gibier Jeu de mains Joseph Wresinski : « non à la misère » Q notice R notice S notice T notice Quelques jours ensemble Rebelles sur grand écran Résistance : l’histoire de Peter (La) Ritournelle de la faim Tea Party Tels quels Temps des miracles (Le) Toute la nuit devant nous Traduire les livres pour la jeunesse : enjeux et spécificités 5 45 20 48 49 3 21 44 52 V notice Victor Schoelcher : « non à l’esclavage » Vinci : L’Ange brisé, T.1 Vinland Saga 40 notice 51 27 41 notice Une jolie fille rien que pour moi 47 11 M 33 U 29 notice 34 Saia Saules aveugles, femmes endormies Secret de la pierre occulte (Le) Shutter Island 25 K Ketchup notice Notes, T.1 et T.2 31 19 9 H Hurluberlus (Les) N 42 Machos expliqués à mon frère (Les) 39 Mattéo, première époque (1914-1915) 36 Mes années 70 7 Mon Kdi n’est pas un Kdo 2 Morsure de l’âne (La) 46 Lecture Jeune - mars 2009 18 40 35 14 78 Index Genres et mots clés Genres D A notice Album 3, 7 C notice F notice Cadavre exquis 32 Fantastique Fantasy 1, 8, 20, 31 29 H notice Humour 18 M notice Manga 14, 38 N notice Nouvelles 10, 44, 45 P notice Poésie R Roman Roman Roman Roman 2 d’apprentissage d’aventures historique policier S Science-fiction T Théâtre Thriller notice Adolescence Amitié Amour Angleterre Angoisse Années 70 Antiquité Arctique B Banlieue Bibliothèque Bonheur C Chevalerie Cinéma Coma Comédie Conflit Consommation Corps Famille Fantastique Fantôme Féminisme François Ier Fratrie Fugue H notice Mots clés A F 22, 28 23, 26, 46 24 notice 6, 23, 27, 41, 44 1, 4, 29, 31 3, 17, 18, 24 20 48 7 15 29 notice 42 21 notice 30 51 46 13 10 2 16 notice Édition Enfance Enfants-soldats Esclavage Espace Europe Exil 4, 5, 19, 21 30 6, 9, 17, 27 27 3, 33 8 42 E G notice notice Dictature Différence Divorce Drogue 52 18 26 40 17 50 21 notice 1, 22, 23, 24, 38, 43 45 8 39 35 5 5 Guerre Handicap Héros Histoire Humour I Immortalité Injustice Internet notice 10, 26,14 notice 3 15 15, 50 7, 11, 25 notice 27 19, 39 34 J notice L notice M notice Japon Justice Légendes Léonard de Vinci Livres Londres Magie Maladie Masturbation Meurtre Misère Mondialisation Mort Moyen Âge Musée N Nostalgie Nucléaire 38 28 30 35 9 49 19 33 11 22, 47 40 52 5, 43, 44, 46 20, 30 37 notice 7 6 Lecture Jeune - mars 2009 P notice Paris Paternité Patrimoine Pauvreté Photographie Piraterie Poésie Prison Psychologie Puberté 1 33 25, 37 26 32 12 45 28 8 16 Q notice Quête initiatique Quotidien R 19, 31 18, 34 Rebelles Relations fille/garçon Renaissance S Santé Savoir Séparation Solidarité Sexualité Solidarité Supermarché Surdité Suspense notice 51 39 35 notice 16 9 4 4 11 20, 25 2 37 48 T notice V notice Traduction Vengeance Vie Viking Violence Voyage 52 28 46 14 10, 24, 43, 44, 47 32 79 Ours Lecture Jeune 190, rue du Faubourg Saint-Denis - 75010 Paris Tél. : 01 44 72 81 50 - Fax : 01 44 72 05 47 Courriel : [email protected] Directrice de la publication Bernadette Seibel Directrice de la rédaction Hélène Sagnet (81-52) Rédactrice en chef Anne Clerc (81-53) Administration Catherine Escher (81-50) Comité de rédaction Patrick Borione, Madeleine Couet-Butlen, Annick Lorant-Jolly, Bernadette Seibel, Véronique Soulé, Jean-Claude Utard, Anne Zali Conception Réalisation Isabelle Dumontaux Correction Florence Nahon Illustration de couverture © Chloé Poizat Ont collaboré à ce numéro Thomas Bailly, Nikoleta Bouilloux-Lafont, Michelle Brillatz, Colette Broutin, Marie Cambolière, Michelle Charbonnier, Anne Clerc, Agnès Donon, Marilyne Duval, Sébastien Féranec, Laurence Guillaume, Elise Hoël, Marianne Joly, Gilberte Mantoux, Amélie Mondésir, Rozenn Muzellec, Charlotte Plat, Jean Ratier, Cécile Robin-Lapeyre, Hélène Sagnet, Sonia Seddiki, Nicole Wells. Impression L’ARTESIENNE - Dépôt légal : mars 2009 Tél. : 03 21 72 78 90 I.S.S.N. 1163-4987 C.P.P.P. n° 1107G79329 Revue éditée par l’association Lecture Jeunesse Association de loi 1901 déclarée le 4 janvier 1974 Agréée par le Secrétariat d’Etat Jeunesse et Sport le 27/01/1977 – N° 94.155 Cette revue est publiée avec le concours de la Mairie de Paris, du Centre national du livre et de la Direction du livre et de la lecture (Ministère de la culture). L’Association reçoit également le soutien du Fonds Merymu (Fondation de France). Lecture Jeune - mars 2009 80 Abonnement Bulletin de commande 2009 Nom, prénom : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Organisme : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Adresse : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Code Postal : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Ville : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Email : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2009 - Abonnement pour 4 numéros (Numéros 129 à 132) France : 42 € Autres pays et DOM TOM : 46 € Vente au numéro : 14 € Paiement par chèque joint Pour les organismes, facture en ….. exemplaires Merci de retourner votre bulletin à l'adresse suivante : Lecture Jeunesse Abonnement 190, rue du Faubourg Saint-Denis 75010 Paris @ www.lecturejeunesse.com ■ ■ ■ ■ ■ Pour adhérer à l’association Lecture Jeunesse Je désire adhérer à l’association Lecture Jeunesse et soutenir son action en qualité de : Membre adhérent : 25 € ■ Membre bienfaiteur : 45 € et + ■ Date et signature Chers lecteurs, Lecture Jeunesse vous invite à découvrir son catalogue de formations du 1er semestre 2009 Retrouvez le programme détaillé en pages 72 et 73 Lecture Jeune Les derniers numéros N°123 Arnaud Cathrine N°125 N°124 Histoire et mémoires de l'immigration Cultures adolescentes N°126 N°127 N°128 Valérie Dayre À l'heure du virtuel Des romans violents ?