Rendre des comptes – un choix politique

Transcription

Rendre des comptes – un choix politique
Rendre des comptes – un choix politique
par Jonathan Cohen, National Organization for Men Against Sexism (NOMAS)
Relu par Phyllis B. Frank
La reddition de comptes est devenue un mot d'ordre dans le mouvement pour mettre fin à la violence conjugale.
Il est presque impossible d'exercer un métier qui traite de la violence conjugale sans entendre parler de la
reddition de comptes. Mais si certains soupirent à entendre ces mots, pour les femmes battues, celles qui les
défendent et leurs allié-es, c'est un principe essentiel dans le mouvement pour la liberté.
La reddition de comptes, en ce qui concerne le travail contre les violences conjugales, est un terme souvent mal
compris. Traditionnellement, la reddition de comptes renvoie au fait que des gens avec moins de pouvoir et
d'autorité doivent répondre de leurs agissement à ceux qui ont plus de pouvoir et d'autorité. Nous voyons ceci
sur le lieu de travail. Les salarié-es doivent rendre des comptes à leurs employeurs.
Mais dans les mouvements pour la justice sociale et la liberté, la signification et la pratique de la reddition de
comptes sont tout à fait différentes. En fait, c'est un retournement de la signification traditionnelle et s’interprète
dans le contexte d’une théorie politique de l’oppression.
L’oppression a un ancrage concret dans le monde. Elle a souvent été inscrite dans le développement et la culture
même de chaque pays. Ce n'est pas juste un concept théorique; c'est une réalité avec des bases et des conditions
tangibles. L'oppression opère le plus souvent comme une dynamique entre les groupes. Dans le sexisme, le
racisme, le classisme, etc, un groupe, le groupe dominant, marginalise et avilit l'autre. Les membres du groupe
dominant sont souvent totalement inconscients de cette dynamique. En revanche, celles et ceux du groupe
marginalisé sont blessé-es, discriminé-es et nié-es dans leurs droits les plus fondamentaux et sont presque
toujours conscient-es et lucide vis à vis de l'oppression qui s'exerce.
Autre facette de l’oppression : dans l'histoire humaine, quand des gens ont été opprimés, ils ont résisté à cette
oppression. C'est une vérité intrinsèque à la nature humaine que d'aspirer à la liberté, de combattre et de lutter
pour y accéder. Dans chaque coin du globe où des personnes sont opprimées, elles résistent à leur oppression et
organisent des mouvements politiques et sociaux pour y mettre fin.
Le sens que nous donnons à la reddition de comptes, dans le contexte de mouvements politiques et sociaux pour
la justice et la liberté, est le suivant : les membres des groupes dominants, ceux qui possèdent plus de pouvoir,
d'autorité et de privilèges, doivent rendre des comptes aux membres des groupes opprimés ou marginalisés dans l'effort pour mettre fin à toutes les oppressions. Comme les personnes opprimées ou marginalisées sont les
cibles de discrimination, de marginalisation et de violence, elles sont les expertes de l'oppression (le racisme, le
sexisme, le classisme, etc) qu’elles subissent quotidiennement. L'oppression a naturellement pour effet de
rendre les privilèges et les avantages invisibles aux membres des groupes dominants qui en bénéficient. De telle
sorte qu'ils ne sont pas confrontés aux réalités des préjudices qu'ils infligent au groupe opprimé.
Par contre, les réalités de l'oppression sont évidentes et visibles pour les personnes opprimées. Leur survie
même exige une connaissance intime de la dynamique de l'oppression exercées contre elles. Nous sommes donc
d'avis qu'il importe de voir en elles les leaders des mouvements pour mettre fin à l'oppression. Elles savent
mieux ce que signifie le fait d'être la cible de l'oppression et elles savent mieux quelles stratégies seront les plus
efficaces pour mettre fin à cette oppression.
Rendre des comptes signifie donc que les personnes qui ne sont pas du groupe marginalisé doivent écouter les
voix des opprimé-es, répondre à leurs attentes et accepter leur leadership. Les personnes qui le font sont
mentionnés comme des alliées dans la lutte pour la justice.
Dans l'effort pour mettre fin à la violence conjugale, il est décisif d'écouter les voix des femmes,
particulièrement celles des femmes battues et les voix de celles qui les défendent. Indépendamment de leurs
bonnes intentions, les maladresses, les erreurs de jugement ou de stratégie de la part des allié-es peuvent avoir
des conséquences dévastatrices pour des femmes battues et leurs enfants. La mise en danger de ces vies est un
risque très réel pour les personnes qui ne sont pas vigilantes quant à cette pratique de reddition de comptes.
Écouter les voix des femmes ne signifie pas écouter cette femme-ci ou cette autre femme là-bas, ou essayer de
comprendre quel groupe de femmes écouter. Il s'agit plutôt de comprendre comment entendre la voix collective
des femmes battues et du mouvement regroupant ces femmes. Effectuée judicieusement, cette pratique fournira
un corpus de pensée, d'expérience, de théorie et d'analyse issues de milliers de femmes pendant des décennies
de luttes. En y mettant de l’attention et de l’application, ce n'est pas si dur de comprendre ce que les voix
collectives de femmes battues disent.
Nous tou-tes qui travaillons à contrer la violence conjugale, nous devrions rendre des comptes aux femmes
battues et à celles qui les défendent. Par « Nous tou-tes », je veux dire chaque personne dans chaque secteur de
la communauté - du système judiciaire pénal aux services sociaux, aux communautés religieuses, etc. Cela
signifie que le leadership des femmes battues et de celles qui les défendent doit jouer un rôle central dans tous
les efforts de la communauté pour mettre fin à la violence conjugale. Cela ne signifie pas que celles qui
défendent les femmes battues aient simplement un siège à la table, mais que tout le monde appuie leurs
recommandations.
Notre définition de la reddition de comptes conteste en profondeur un système où la convention veut que
les gens qui ont le moins de pouvoir doivent répondre de leur agissements à ceux qui en ont le plus.
Dans bien des tentatives de coalitions communautaires, il existe une table de concertation qui travaille à bâtir et
améliorer une réponse collective et coordonnée face à la violence conjugale. Cette table regroupe des
représentant-es d’organisations communautaires et d’institutions comme des policiers-ères, des officiers de
probation, des procureur-es, des juges, des thérapeutes, des infirmiers-ères, des enseignant-es, des animateurstrices de programmes pour conjoints agresseurs, des membres de communautés religieuses, etc. Une façon de
mettre ce concept de reddition de comptes en pratique, serait que la prise de décisions parmi ces divers
représentant-es ait lieu comme suit:
Chaque représentant-e possède à égalité avec les autres une voix ou un « droit à la parole », à une
exception: les représentantes des femmes battues, celles qui les défendent et/ou leurs organisations. Elles
seules disposeraient d'un pouvoir de veto sur toute décision prise par la coalition ou la table de concertation.
L'instauration et la pratique d'une telle politique dans chaque communauté constitueraient une avancée
importante dans l'effort pour rendre des comptes aux femmes battues, pour déplacer le pouvoir dans notre lutte,
pour aider et autonomiser les femmes battues et pour construire le mouvement visant à éradiquer la violence
conjugale.
Source : « The Politics of Accountability » (1987): http://www.nomas.org/node/123
Lire aussi Barbara J. Hart, Coordinated Community Approaches to Domestic Violence - http://www.ncdsv.org/images/Coordinated
%20Community%20Approaches%20to%20DV.pdf
Traduction : Yeun L-Y. Révision : Martin Dufresne

Documents pareils