Client au bord de la crise de nerfs

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Client au bord de la crise de nerfs
André Giroux
Q
ue faire quand le stress submerge votre client au point
de nuire à son bien-être ? « La
question financière est l’une des principales causes d’anxiété, rappelle Nicolas
Chevrier, psychologue au Services
Psychologiques Séquoia. Cela peut
conduire à un trouble de l’adaptation
assez important », qui peut se répercuter éventuellement dans la relation
avec le conseiller ou dans les décisions
d’investissement. L’envie peut alors
vous prendre de lancer à votre client :
« mon coco, regarde la réalité en face
et ensuite on reverra ton portefeuille. »
Il y a pourtant des façons d’aborder
cette question délicate avec lui sans
saborder la relation.
Les programmes d ’éducation
financière et les plans de retraite contribuent à augmenter la
confiance de la population en ses capacités financières. C’est là
le rayon d’action des conseillers et des planificateurs financiers.
Mais il peut venir un moment où cela ne suffit pas.
« L’anxiété recouvre généralement un évitement, prévient
Nicolas Chevrier. Par exemple, quand le consommateur reçoit sa
facture de carte de crédit, il la met de côté sans l’ouvrir pendant
plusieurs jours. Il évite ainsi de voir le montant dû. Il reporte
constamment l’accomplissement des tâches que lui demande son
conseiller, comme la préparation d’un budget ou la rencontre
d’un banquier pour obtenir un prêt. Cet évitement stigmatise
l’anxiété. Si ce scénario se répète, le conseiller peut, à raison, en
arriver à la conclusion qu’il est allé au bout de ses possibilités et
qu’une rencontre avec un psychologue pourrait aider son client
à dénouer l’impasse. »
Client au bord
de la crise de nerfs
La perception du problème financier
« Le stress financier n’est pas nécessairement lié à l’ampleur
de la perturbation financière, souligne la psychologue Louise
Fréchette, mais plutôt à la capacité de résilience ou à la fragilité
émotionnelle. Certaines personnes gèrent bien leurs émotions,
malgré un coup financier important. D’autres personnes, malgré
une situation financière moins dramatique, pourront en faire une
dépression, même entretenir des idées suicidaires. »
Louise Fréchette énonce quelques signes pouvant indiquer au
conseiller que son client peut avoir besoin d’un soutien psychologique :
■■ Perturbation du sommeil ou de l’appétit;
■■ Maintien d’idées pessimistes sur la capacité d’amélioration
de la situation financière et ce, malgré les suggestions
du conseiller;
■■ Le client subit plusieurs pertes simultanément (séparation,
perte d’emploi, deuil d’un proche, etc.);
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■■ Problèmes financiers associés à la toxicomanie;
■■ Se blâmer à outrance quant à ses difficultés financières. « Une
personne devrait être apte à reconnaître sa responsabilité
sans s’accabler ou se culpabiliser à outrance », nuance
Louise Fréchette;
■■ À l’inverse, blâmer uniquement l’entourage et n’assumer
aucune responsabilité quant à une situation financière
difficile bien que les faits démontrent une part
de responsabilité.
« Dans le dernier cas, souligne Louise Fréchette, la situation
sera plus délicate, car la personne qui a tendance à ne blâmer
que les autres pour ses difficultés ne percevra pas qu’elle a besoin
d’aide et aura tendance à réagir négativement à toute suggestion
en ce sens. »
Référer un client à un psychologue :
comment s’y prendre ?
La réalisation d’un bon plan financier peut suffire à faire
disparaître les symptômes de stress ou d’anxiété. Après tout,
l’évaluation de la tolérance au risque ne constitue-t-elle pas le
travail de base du conseiller ? Qui plus est, lorsqu’un psychologue diagnostique que la situation financière est à la source des
problèmes de santé, il référera souvent son client à un conseiller.
Mais l’inverse est aussi vrai. Il peut arriver que le conseiller ne
parvienne à rien d’efficace avec son client, à cause du trop haut
degré de stress ou d’anxiété de ce dernier. Comment intervenir
dans une telle situation ?
Si la relation de confiance entre le client et son conseiller est
établie depuis un bon moment et que le client entretient un bon
lien avec ce dernier, Louise Fréchette propose l’approche directe,
mais rassurante. « Il faut faire valoir au client que sa situation est
temporaire, normale et qu’il a besoin d’un soutien pour traverser
la crise. Cette démarche contribue à dédramatiser la situation. »
Le sujet pourrait être ouvert ainsi : « Vous traversez une
situation difficile, il est normal que vous vous sentiez stressé
et ébranlé par ce qui vous arrive. Avez-vous pensé à obtenir un
soutien professionnel pour traverser cette période difficile de
votre vie ? »
« Aborder le sujet sous la forme d’une question sera moins
une source de confrontation et peut-être moins humiliant pour
le client, avise Louise Fréchette. Une approche sous forme affirmative risquerait de placer, aux yeux du client, le conseiller dans
la position d’expert qui évalue sa santé mentale. Poser le débat
sous la forme d’une question laisse aussi une porte de sortie
au client. Il pourra répondre qu’il n’y a pas pensé ou qu’il ne
croit pas avoir besoin d’aide thérapeutique, s’il sent le besoin de
sauver la face. Si la réponse obtenue s’y prête, le conseiller pourra
néanmoins suggérer qu’il vaudrait peut-être le coup que le client
pense à l’hypothèse d’un soutien thérapeutique et ajouter qu’en
période de stress intense, une personne a d’autant plus besoin
Votre client a-t-il besoin de revoir sa situation financière ?
Le National Foundation for Credit Counseling (NFCC), un
organisme américain à but non lucratif, a préparé un test de dix
questions visant à identifier les besoins de révision d’un plan
financier. Une réponse positive à une seule de ces questions suffit
à identifier la nécessité de l’exercice.
1
2
3
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Le solde de la carte de crédit augmente-t-il chaque mois ?
L’argent constitue-t-il une source de conflit à la maison ?
Ai-je pensé à la faillite ?
Ai-je demandé une nouvelle carte de crédit parce que celles
que j’ai approchent de la limite de crédit accordé ?
5 Le total des dettes est-il inconnu ?
6 Les factures sont-elles payées tardivement, voire reportées
de plusieurs mois ?
7 Les dettes interfèrent-elles avec l’emploi ou la vie de famille ?
8 Les agences de recouvrement sont-elles dans le décor ?
9 Une soudaine perte d’emploi entraînerait-elle
immédiatement une crise financière ?
10 Est-ce que j’ai de la difficulté à constituer un fonds d’urgence ?
Un sondage réalisé sur le site Web du NFCC en 2012 et auxquelles 1 454 personnes ont répondu révèle que 80 % des répondants
avaient besoin d’une révision majeure de leur situation financière.
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de prendre soin d’elle ou de recourir aux services d’une personne
qui l’aidera à le faire. »
Si ce qu’il perçoit de son client amène le conseiller à vouloir être
plus affirmatif. « Il doit bien faire comprendre à son client qu’il
s’agit d’une opinion et qu’en aucun cas il se pose en évaluateur de
la santé mentale de son client », insiste Louise Fréchette.
Le conseiller pourra alors adopter la stratégie que suggère
la psychologue : « Lorsque vous me dites à quel point vous êtes
inquiet et stressé, cela me préoccupe et j’aimerais vous encourager
à consulter un psychologue afin de ne pas traverser seul cette
période difficile. »
« Avec cette stratégie, le conseiller ne pose pas un jugement
de valeur, il exprime son inquiétude », nuance Louise Fréchette.
La situation sera peut-être plus délicate avec un client peu
connu du conseiller et où le lien de confiance est peut-être moins
établi, moins solide. La psychologue suggère alors une démarche
un peu plus indirecte en explorant cette piste : « Généralement,
les gens qui traversent le genre de situation que vous affrontez
actuellement vivent beaucoup de stress. Je ne sais pas si cela
pourrait vous aider, mais je connais des clients qui ont vécu
une situation semblable à la vôtre et qui, en plus de recevoir des
conseils financiers, ont bénéficié d’un soutien psychologique.
Croyez-vous que cela pourrait vous aider ? »
Une telle démarche, « par sa forme interrogative, laisse le
client libre de répondre ce qui lui paraît approprié, mentionne
la psychologue. Spécifier que d’autres personnes ont recouru à
des ressources psychologiques dédramatise la situation. »
Un client moins stressé et moins anxieux sera ensuite plus
apte à intégrer les recommandations de son conseiller.
Suggérer un
psychologue
à son client Les stratégies suggérées
et celles à éviter
■■ Le client recevra plus facilement
des termes tels que « stress »,
« anxiété » et « inquiétude » que les
formulations comme « problèmes
psychologiques » ou « problèmes
émotionnels »;
■■ Les expressions « période difficile »,
« étape de vie stressante »,
« moment difficile à passer »
mettent l’accent sur le fait que
ce que traverse le client est de
nature temporaire et que l’aide
suggérée est ponctuelle. Si le
problème déborde de ce contexte,
il appartiendra au psychologue de
le déterminer;
■■ Les mots « accompagnement »
et « soutien » sont souvent plus
recevables que « thérapie » qui peut
faire référence à quelque chose de
honteux ou d’interminable chez
certaines personnes.
■■ Il vaut mieux suggérer et laisser le
client réfléchir à sa situation que
d’adopter une attitude qui puisse
être perçue comme l’expression
d’un jugement.
J’ai mal à mon argent
Étonnamment, les organismes québécois et canadiens de santé ou de
statistiques n’ont pas mené de recherches sur le lien entre santé et problèmes
financiers. Toutefois, « nous le constatons dans notre pratique clinique »,
observe M. Chevrier.
Il faut aller du côté des États-Unis pour trouver des liens statistiques. Un
sondage de l’Associated Press a établi que les personnes stressées à cause de
dettes avaient 65 % plus de risques de souffrir de tensions musculaires ou de
douleurs au bas du dos que celles qui ne subissent pas de stress financier.
Le sondage illustrait aussi que :
■■
27 % de gens qui vivent un stress financier avaient des ulcères ou des
problèmes digestifs, par rapport à 8 % chez les personnes qui ne vivent
pas de stress financier;
■■
44 % des premiers souffraient de maux de tête ou de migraines,
comparativement à 4 % des seconds;
■■
23 % ont souffert d’une dépression, en comparaison à 4 % chez les
personnes sans stress financier.
10Octobre 2012
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