Delcourt, une passion bien gérée

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Delcourt, une passion bien gérée
Charente Libre
5
BD • l’homme du jour
Vendredi 28 janvier 2011
ANNIVERSAIRE • Les éditions Delcourt ont vingt-cinq ans • Leur histoire est intimement liée
à Angoulême où Guy Delcourt a recruté ses premiers auteurs • Il est aujourd’hui un pape de l’édition.
, une passion bien gérée
Parmi les 58 albums de la Sélection officielle cette année,
il y a cinq Delcourt...
© Godi - Le Lombard
«Angoulême
et moi...
”
... c’est une histoire d’amour. J’ai dû
venir dès le troisième ou quatrième
salon comme on disait alors. C’est
un rendez-vous incontournable. Le
festival souffre pourtant de deux
maux. Un, il donne toujours le
sentiment d’être sur la corde raide,
que sa pérennité n’est pas garantie,
c’est agaçant et ça ne devait plus
être le cas. Deux, il devrait être
davantage représentatif. La BD
populaire de qualité n’est pas assez
présente. C’est peut-être dans son
ADN, mais il faut le modifier.»
Aujourd’hui, il faut
choisir ce que l’on
va éditer. Dans les
années quatre-vingt,
il fallait trouver !
Guy Delcourt fête cette année les vingt-cinq ans de sa maison d’édition. La réussite n’a pas tué l’essentiel: sa passion de la BD, intacte.
Ivan DRAPEAU
[email protected]
G
uy Delcourt. Sur l’annuaire
de la notoriété, ils sont deux.
L’autre est député socialiste
du Pas-de-Calais. Celui qui nous
intéresse est aussi nordiste. Du
pays de Dany Boon dont il édite
(sortie le 2 février) l’album tiré du
film «Rien à déclarer» .
Guy Delcourt, éditeur: le nom,
sans le prénom, en noir dans un
rectangle blanc posé sur un triangle rouge inversé: la marque, imprimée au bas de la couverture de
milliers d’albums, a pile vingtcinq ans. L’anniversaire est célébré à Angoulême pendant ce festival, il le sera aussi à Bruxelles,
Lausanne et Saint-Malo.
Derrière la marque, un homme,
52 ans, lunettes fines, chemise
ouverte, costume gris, silhouette
élégante. Les festivals angoumoisins qu’il fréquente assidûment
depuis plus de trente ans passent,
il est toujours là et ne change pas,
juste quelques cheveux ont un
peu blanchi. En revanche, sa petite entreprise est devenue grosse,
40 salariés, avec directeur de collection, directeur marketing, directeur financier, 27 millions de
chiffre d’affaires en 2010, troisième éditeur français, derrière
Glénat et Dargaud.
La réussite n’a pas tué l’essentiel:
sa passion de la BD, intacte. «C’est
un vrai passionné, un connaisseur,
un esprit ouvert». C’est la réponse
qui fuse si on demande à des auteurs qu’il édite, Jean-Luc Masbou
et Jean-Luc Loyer en l’occurrence,
de le définir en deux mots.
«A la fois business
et grand gosse»
Une preuve ? Parmi les 58 albums
dans la course aux prix à Angoulême cette année, il y a cinq Delcourt, dont «La parenthèse»,
d’Elodie Durand, qui vient de recevoir le prix BD des lecteurs de Libération. Guy Delcourt s’emballe.
Dates
1958. Naissance de Guy Delcourt
à Paris, mais enfance dans le Nord.
1970. Date approximative du souvenir
mais souvenir marquant: il plonge dans
la BD à bras raccourcis grâce à un album
de Franquin, «Spirou et Fantasio».
«Ah, un album poignant. Une histoire vraie, maîtrisée, un sens de la
narration formidable, audacieux,
un exemple du champ inépuisable
des moyens d’expression que constitue la BD.» Il est ainsi, toujours
capable de s’émerveiller, inoxydable à l’usure des lectures.
Ses auteurs n’arrivent même pas à
en dire du mal. «J’ai pas envie de
balancer, je vais me faire virer»,
plaisante Jean-Luc Masbou qui
ajoute: «Je crois, pour discuter
avec des auteurs d’autres écuries,
que Guy Delcourt a su préserver un
esprit et une ambiance à sa maison
d’édition. On s’y sent bien. Il est à
la fois business et grand gosse.»
Jean-Luc Loyer a toutefois le sentiment que la taille de l’entreprise
le rend désormais moins accessible qu’hier mais reste indulgent.
«Le personnage est intéressant,
cultivé, il a toujours un vrai regard
sur une nouvelle BD.»
Diplômé de l’Essec, grande école
de commerce, Guy Delcourt assure qu’il n’avait jamais imaginé
1974. Nouvelle date approximative mais
temps fort: au Furet du Nord, la fameuse
librairie de Lille, il obtient une dédicace
de Franquin, l’extase.
1977. A moins que ce ne soit l’année
d’avant, première visite au salon
d’Angoulême. Il n’y compte plus ses
participations. Au moins trente.
Photo Renaud Joubert
qu’il lancerait son entreprise, «en
tout cas ça n’a jamais été un but en
soi». Passionné de BD dès son
plus jeune âge, il jure qu’il n’avait
jamais non plus envisagé d’en
faire son métier. «C’est pour ça
que j’avais fait des études sérieuses», s’amuse-t-il.
Il aura finalement conjugué les
deux. Un séjour à Los Angeles
juste après ses études, un peu de
journalisme et le voilà embarqué
dans l’aventure du journal Pilote,
rédacteur-en-chef pendant un an.
L’expérience n’aura pas duré mais
il en gardera des parrains fameux,
Claude Moliterni, Guy Vidal et
Greg, grands noms de la BD et de
son histoire.
Angoulême est sans doute l’autre
clé de son parcours. «Aujourd’hui,
il faut choisir ce que l’on va éditer
dans une profusion de créations.
Dans les années quatre-vingt, il
fallait trouver !», souligne-t-il. Et
où trouver à l’époque ? A la section
BD de l’école des Beaux-Arts
d’Angoulême juste lancée. Il a été
Archive CL
le premier à y penser et à puiser
dans ce vivier. «Et il y avait de sacrés talents, une promotion exceptionnelle.» Il cite pêle-mêle Mazan, Turf, Ayroles, Masbou. Ils allaient grandir ensemble, ils
étaient réunis avant-hier soir pour
une bouffe.
Qualité et exigence sont les deux
maîtres mots de Guy Delcourt, ce
que lui reconnaissent les auteurs,
«Je ne suis pas sûr que sans lui
j’aurais réussi le même démarrage
dans le métier», convient JeanLuc Masbou. «Mon boulot, poursuit Guy Delcourt, c’est d’être une
synthèse, de faire de l’œuvre artistique un produit qui trouvera son
public. Alors, forcément, il y a un
prix à payer, celui de l’exigence et
de la rigueur, quitte à me faire
traiter de radin !» L’histoire lui
donne raison. Les éditions Delcourt tiennent bon, elles dégagent
des bénéfices et n’ont pas perdu
leur âme. «Il faut juste ne pas s’endormir sur son catalogue, la BD
n’est jamais une rente.»
1986. Il se lance et créé sa maison
d’éditions.
<< 1996. «La fabrique Delcourt»,
le titre de la première exposition
qui lui soit consacrée à Angoulême.
Le début d’une consécration.
2011. Delcourt éditions est la troisième
entreprise française du secteur.

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