1 Katherine: A Long, Hard Case Joye Weisel

Transcription

1 Katherine: A Long, Hard Case Joye Weisel
International Journal of Psychoanalytic Self Psychology, 6:444–468, 2011 Copyright
© The International Association for Psychoanalytic Self Psychology ISSN: 15551024 print / 1940-9141 online
DOI: 10.1080/15551024.2011.606630
Katherine: A Long, Hard Case
Joye Weisel-Barth, Ph.D., Pys.D.
Résumé
Cet article commémore ma relation thérapeutique à long-terme avec Katherine. En
reconstituant notre travail, quelques idées au sujet d’une thérapie à long-terme se sont
clarifiées. Principalement la suivante: à mesure que les contextes de vie et les besoins de la
patiente changent, le travail thérapeutique devient différent. À mesure que nos contextes
respectifs se modifient, de nouvelles thérapies émergent spontanément, mettant en scène de
nouveaux joueurs, de nouveaux rôles, des réponses affectives différentes, et des tâches
thérapeutiques modifiées. Dans ce travail, il s'est avéré que la flexibilité dans la théorie et la
procédure clinique fut une nécessité et un défi fréquents. À mesure que la relation entre
Katherine et moi s'est approfondie, atteignant ce que j'appelle une "intimité analytique", mon
lien personnel avec et mon sens de responsabilité envers Katherine se sont aussi intensifiés.
Cette longue relation a alors soulevé la question suivante pour moi: Quelle est la relation de la
thérapeute -affectivement, pratiquement, et moralement- avec la souffrance de ses patients?
Introduction
Chacun de nous a probablement un cas le pire/le plus difficile, un patient qui, "si seulement
nous avions su," nous n'aurions jamais accepté de le voir. Le mien, c'est Katherine, le sujet de cet
article. Ma relation complexe avec elle - nous nous sommes vues par séquence pendant 30 ans - a
traversé "vents et marées". En dépit de certains bons "vents", nous avons survécu à une
prédominance de "marées" menaçantes. Notre relation s'est maintenue à travers différentes
répétitions, et à des fréquences de rencontres et des objectifs thérapeutiques très variables. J'ai dû
examiner et réexaminer les connexions complexes entre les contextes de vie, les théories, et les
choix cliniques, et j'ai été forcée de me demander ce que Katherine et moi faisions/créions
ensemble. J'ai dû définir pour moi-même ce qu'est une psychanalyse contemporaine.
Katherine est une personne à qui je suis profondément attachée, que j'aime, et que j'ai aussi
haïe intensément. Pourtant, en essayant de raconter notre histoire, je me retrouve à écrire plusieurs
récits sans lien à l'intérieur des récits. Notre longue relation est constituée de plusieurs relations
différentes - complètes avec des personnages et des contextes différents, et des besoins émotionnels
disparates; et, comme la vie, tout cela émerge comme un patchwork continuellement en
changement plutôt que comme une histoire linéaire. En fait, il me semble que Katherine et moi
avons fait plusieurs thérapies ensemble. Cette qualité de patchwork - changements et multiplicité de certaines relations thérapeutiques à long-terme représente l'intérêt majeur de cet article.
De toute manière, je pense à Katherine et à moi comme à une seule histoire ou en chapitres
multiples. Avec elle, je me suis abandonnée à une intimité intersubjective laquelle, bien que
précieuse pour moi, me semble parfois aussi professionnellement suspecte. Du moins, je m'en
inquiète. Il en résulte que notre travail ensemble a remis en question, étiré, et parfois taillé en pièces
mon identité en tant que psychologue et analyste, me forçant continuellement à réviser mes
1
prémisses et croyances analytiques fondamentales. Je présente ici certaines de mes pensées au sujet
de l'expérience de connexion intersubjective profonde et la quête analytique qui en ont résultées.
Permettez-moi de commencer par le récit d'un dialogue qui a eu lieu pendant la dernière
dépression suicidaire de Katherine il y a environ 5 ans. Celle-ci était la pire de plusieurs dépressions
dont Katherine a souffert et dont j'ai été témoin et le dialogue est un bon exemple d'un moment de
"grande marée" dans notre relation.
Notes de juin 2005
Tôt le matin, j'écoute le message suicidaire de Katherine du milieu de la nuit, et je me bats
avec un signal occupé agressif jusqu'en après-midi en tentant en vain de l'atteindre. L'opératrice me
dit que son téléphone est décroché.
"Merci beaucoup de ne pas m'avoir rappelée. J'apprécie tellement ton souci pour moi. 'Clic'" c'est le message tranchant et sarcastique que Katherine vient de me laisser. Je la rappelle
immédiatement, et cette fois le téléphone sonne jusqu'à la boîte vocale. Encore déjouée! Je lui laisse
mon propre message anxieux, "Pour l'amour de Dieu, Katherine, je t'ai appelée et appelée, et tout ce
que j'ai eu c'est le signal occupé. Je m'inquiète à ton sujet."
Je suis dérangée par la fréquence des messages rageurs de Katherine. J'ai la tête chaude et
elle me semble pleine à craquer. Pour me protéger, je me raconte des drôleries. Je nomme le
bombardement quotidiens des messages vocaux de Katherine ses "chansons d'amour", de la
musique en mineur, jouée sur un instrument craqué et brisé. "Dr Joye, quelle sorte de docteure estu? Pourquoi ne peux-tu pas m'aider? 'Clic'". "Donne-moi juste une raison de vivre. Et ne dis pas
Eliza. Elle sera bien mieux avec son père; elle n'a pas du tout besoin de moi. 'Clic'". "Je suppose que
tu as une très belle journée. Je devrais aller à l'hôpital, mais tu n'es pas là pour me dire comment le
faire." Clic, clic, clic.
Lorsque je la rejoins finalement, je trouve une Katherine différente, contrite et vulnérable.
Son ton de voix radouci est totalement différent des messages vocaux tranchants, fâchés et
provocants.
"Dr Joye, merci beaucoup pour ton message. J'ai des problèmes avec la compagnie de
téléphone -la facture non-payée- et ils ont stoppé mes appels et ma boîte vocale. Je me suis fâchée et
j'ai lancé le téléphone. J'ai dû me battre avec un employé pour ravoir mon service. Et ensuite, je me
sentais tellement paralysée que je ne pouvais plus prendre tes appels."
"Mauvaise journée."
"Duh! Je ne trouve pas de raison d'être ici. J'ai 50 dollars à la banque et je reçois les factures
du début du mois. Ma tête est terriblement pleine et bourdonne. Eliza serait mieux sans moi."
Après, elle me dit ce qu'elle a fait hier soir pour sa fille Eliza. La fillette fait partie d'un club
de vélo qui avait organisé une sortie de minuit à travers la ville. N'étant pas confortable de l'y
envoyer seule à 13 ans, et ne voulant pas la décevoir, Katherine a emprunté un vélo et a suivi le
groupe pendant 25 milles dans la noirceur. Elle, Katherine, qui peut à peine se lever de son divan
tellement elle est dépressive, elle a fait ça! Après un moment de silence, Katherine me dit:
"J'apprécie ton appel. Merci beaucoup. Je te verrai lundi."
Je sens des larmes affluer dans ma gorge en raccrochant, et je remarque ensuite l'heure. Il
est passé 6 h p.m.; et mon samedi, ma journée de congé, est foutu.
2
Ses changements abrupts d'état, sa colère, sa haine d'elle-même, son sentiment de trahison
et d'abandon, sa vive douleur psychique, ses désirs suicidaires, ses profondes capacités
d'attachement, ses attitudes ambivalentes envers l'agentivité et la responsabilité; mon impatience,
mon agacement, mon ressentiment, ma préoccupation envers elle - tout est présent dans cette mise
en action. Lorsque j'ai présenté ce dialogue à une conférence professionnelle, certains collègues ont
fait mon éloge pour avoir tenu bon avec Katherine, pour la suivre dans les tunnels sombres de sa
dépression, pour l'avoir rejoins et pour avoir vérifié si elle était en sécurité, mais d'autres m'ont
remis en question. Que pensais-je faire là? Ce n'est pas de la psychanalyse! Quel est ce ton de
réprimande dans le message que je lui ai laissé? Pourquoi ai-je pris autant la responsabilité de la
rejoindre, de la poursuivre jusqu'à perdre patience? Qu'advient-il de sa responsabilité? Pourquoi
n'ai-je pas confronté son ton colérique et son comportement agressif? Et la question la moins
aimable de toutes, Comment un tel long traitement peut-il aboutir à une telle pagaille émotionnelle?
Un peu d'histoire
D'avoir sauvé Katherine du suicide il y a longtemps m'a laissée attachée à elle. Ayant sauvé
sa vie une fois, je m'en sens inexplicablement, involontairement, mais indéniablement responsable;
et, je crois que je me sentais aussi de cette manière là même avant sa tentative de suicide. J'imagine
que c'est une condition problématique pour une psychanalyste, ou est-ce le cas?
Bien sûr, la vie de Katherine n'a pas été attrayante, ou non plus une vie à laquelle j'apprécie
être liée. Elle a commencé dans la pauvreté et la misère, la négligence et l'exploitation sexuelle.
Comme enfant, Katherine n'a pas appris comment le monde fonctionnait, ni choix, ni valeurs
morales ou éthiques. Dans son foyer, il n'y avait aucune inspiration, ni curiosité, ni espoir. La
musique et la poésie de la vie y étaient noyées dans la censure, le sarcasme et les jurons. Katherine a
grandi dans une pauvreté spirituelle, un enfant perdu dans une grosse famille où les garçons
quittaient le foyer très tôt; où les filles avaient des bébés à l'adolescence; et où une soeur s'est noyée
parce que le père du bébé, le beau-père de Katherine, a laissé la fillette de 3 ans se baigner seule
alors qu'il courait à l'extérieur acheté ses cigarettes.
Katherine s'est sauvée aux Etats-Unis, à réussi à faire son cours collégial, et s'est efforcée de
travailler de manière productive. Toutefois, en plus de ce manque terrible de chance, elle souffre de
dépression chronique, périodiquement entrecoupée de périodes de noirceur aiguë et une histoire
parsemée de mauvais choix. Sa vie illustre la force de prédiction des identifications et des attentes
négatives. En voici un exemple: Un ami d'un frère plus vieux a violé Katherine quand elle avait 14
ans. Depuis cette nuit, elle s'appelle elle-même "une f---kée dans la noirceur", une métaphore
dégoûtante qui saisit ses sentiments de haine de soi et de dévalorisation; le sentiment d'être
exploitable, seule, et nulle. Katherine a invariablement choisi des hommes qui la traitaient ainsi.
Pendant 30 ans elle s'est tenue loin des, ou a agi froidement envers la plupart des gens, accumulant
ses affections les plus profondes et les gaspillant toutes ensuite sur un homme qu'elle appelait "Lui".
"Lui", l'objet des désirs de Katherine, est un musicien doué, sexy et charismatique qui vole
son argent, voit d'autres femmes, et marie certaines en série. Périodiquement, il laisse tomber
Katherine, comme il l'a fait à Noël précédant la dépression relatée plus tôt. Ce Noël sans lui - sans
appel de lui, sans cadeau, ou même juste une pensée pour elle - a déclenché la chute émotionnelle de
Katherine. J'ai haï la flamme que Katherine Lui portait, de même que sa chanson qui me lèvait le
coeur: "Oh, mon homme je l'aime tant-ant-ant!"
Il y a 29 ans, quand elle est venue me voir pour la première fois, charmante et aimable, et
nouvellement arrivée à Los Angeles, j'avais du coeur et de l'espoir pour Katherine. C'était au tout
3
début de sa poursuite de "Lui", mais encore trop tôt pour lire ce qui était écrit sur les murs. Elle est
arrivée en thérapie dans un état de désespoir et de rage suite à sa première désertion. Elle avait les
yeux opaque de "je-vous-mets-au-défi" des sérieusement déprimés.
À moi, elle apportait sa douleur et sa dépression, et sur moi, elle déplaçait sa rage. Pendant
les premiers sept mois de notre relation, nos rencontres prenaient toujours un chemin prévisible :
après quelques brefs échanges de gentillesse et la communication de petites nouvelles, Katherine
sombrait dans un silence froid, tendu et parfois triste. Même si elle semblait incapable de, ou ne
voulait pas, répondre à mes nombreuses tentatives de la questionner, elle me regardait fixement
avec un air malheureux ou encore me lançait des regards furieux. À chaque séance, à mesure qu’un
lourd silence annulait toute tentative d’exploration, Katherine devenait de plus en plus anxieuse et
frustrée. Les minutes s'égrenaient alors dans un froid glacial; et peu de temps avant la fin de la
séance, d'un air renfrogné, elle faisait brusquement et bruyamment sa sortie me laissant avec la
réverbération de la portière claquée de mon bureau. Invariablement, Katherine me rappelait peu de
temps après pour s’excuser, en pleurs et pleine de regrets, mettant en action, je l’ai compris après,
l’arc dynamique d’une relation abusive, frustrée, émotionnellement aride et claustrophobique. Une
danse psychologique apache, moi étant une des Apaches!
J’étais alors relativement nouvelle au jeu de la psychothérapie, aux débuts d’une pratique
privée avec l’excitation et la curiosité de découvrir du nouveau à chaque rencontre. Il est probable
que mon excitation et ma curiosité ont rendu possible que je puisse tolérer – à peine- ce qui me
semblait un vaste désert de silence. Même si ses départs bruyants m'ébranlaient, ils constituaient
une ponctuation soulageante pour moi à ces vastes espaces de silence douloureux. Même à ce stade
précoce de mon développement clinique, une partie de moi était intéressée à observer et à
comprendre les significations des changements soudains d'humeurs et de comportements chez
Katherine. Je ne pouvais pas encore concevoir ni nommer le leg du traumatisme: la dissociation et la
dérégulation des affects, des états psychiques, et des comportements.
En réaction à ma formation dans une institution psychanalytique orthodoxe - où l'idéal
thérapeutique était une mauvaise version d'une psychologie de l'ego intellectualisée - j'avais adhéré
avec enthousiasme aux nouvelles notions de Bowlby au sujet des besoins universels d'attachement
et aux idées de Kohut au sujet de la centralité de l'affect et de l'expérience objetsoi à la fois dans le
développement et en thérapie. Avec Katherine, surtout Kohut était utile; ses idées me fournissaient
un soutien structurant. En travaillant avec elle, j'essayais d'être -et était surtout- intéressée,
empathique, et en exploration. J'étais aussi souvent confuse et découragée par le manque de progrès
de ma patiente et quant à mon rôle dans l'amélioration de sa détresse.
En rétrospective, l'idée de l'empathie en tant qu'outil thérapeutique dominant chez Kohut et la forme que celle-ci donnait à ma pensée et à mon comportement clinique - m'ont aidée à rester
présente avec Katherine à travers de nombreux doutes au sujet de notre progrès, du processus, et
de ma compétence thérapeutique. Le pouvoir stabilisant de la théorie! Que l'empathie, cet outil
thérapeutique nécessaire et fondamental, puisse jouer différemment pour chaque dyade n'était pas
encore clair pour moi. Néanmoins, même si, aujourd'hui, je conçois ma relation avec Katherine de
multiples manières, la psychologie du soi a structuré mon premier travail avec elle et a consolidé ma
conviction de l'utilité de la théorie lorsqu'on a l'impression de s'enfoncer dans le sable mouvant
relationnel.
Après plusieurs mois, Katherine m'a soudainement demandée, "Comment pouvez-vous
endurer ça?" Ce fut son premier geste relationnel envers moi, ma première petite impression que je
pouvais exister comme personne séparée pour elle. Je lui ai dit que le silence et les sorties
4
colériques étaient difficiles pour moi, mais que je voulais la connaître. J'ai ajouté qu'elle semblait
souvent perdue et seule, cachée, et que je croyais qu'une partie d'elle voulait que je la trouve.
Lentement, Katherine a répondu à mon intérêt et à mon attention. Avoir quelqu'un qui soit
déterminée à la connaître est devenu si important pour Katherine que, si elle n'avait pas le montant
du billet de transport - avant qu'elle se procure une auto- elle marchait les huit milles de Laurel
Canyon à mon bureau à Encino. Son sens de responsabilité d'être présente à chacune de nos deux
séances hebdomadaires a soulagé mes doutes sur la valeur de ce que nous faisions. Je me suis dit, "Il
doit y avoir quelque chose qui compte pour elle si elle s'épuise pour se rendre ici". Quoi que ce soit
de nourrissant que je lui offrais, Katherine semblait affamée de le prendre.
L'enjeu central qui a scellé notre relation était relié aux sentiments polyvalents de Katherine
envers sa mère, ma reconnaissance et mon acceptation de ces sentiments. Sa mère, qui avait souffert
dans deux mauvais mariages et mis au monde sept enfants, était une esclave donneuse de soin.
Katherine se rappelait son labeur sans fin: coudre les vêtements, préparer les repas, laver et étendre
la montagne de lavage d'une grosse famille. De plus, la mère devait occasionnellement se trouver
des petits emplois à l'extérieur pour rejoindre les deux bouts. Elle se retrouvait donc physiquement
épuisée et émotionnellement vidée quand elle devait prendre soin de Katherine et des autres
enfants. Elle était peu démonstrative; émotionnellement absente; et, le pire, passive et silencieuse
face à la cruauté de son deuxième mari envers Katherine. Par exemple, lorsque Katherine était
partie à l'école, le beau-père rempli de rage avait tué le chien bien-aimé de la fillette. La mère a feint
l'ignorer et n'a jamais parlé à Katherine de cet évènement ou tenté de la réconforter.
La mère semblait être intellectuellement aride et incapable d'imaginer l'esprit curieux de
Katherine, encore moins de le nourrir. Comme si elle avait manqué de carburant pour vivre, elle
était aussi passive et bloquée dans le reste de sa vie. Katherine ne se rappelle pas que sa mère lisait
quelque chose ou écoutait de la musique ou s'habillait, excepté un seul soir pour une sortie avec le
beau-père quand Katherine avait 4 ans. Le vide désolant de l'esprit de la mère avait privé Katherine
d'expériences en miroir vivifiantes, la laissant psychiquement désolée et désorganisée
émotionnellement et dans son comportement - en bref, désespérément confuse au sujet des
significations de son expérience de vie.
Du côté positif, la mère était bonne, jamais critique ou blâmante, et elle appréciait l'aide
domestique de Katherine. "Tu es une bonne aidante" est le seul compliment que Katherine se
rappelle avoir eu de sa mère. En tant que deuxième aînée et la plus responsable des enfants,
Katherine assistait sa mère dans le travail de maison et avec les petits, et tentait de la soutenir
émotionnellement.
Donc, dans le transfert lorsque Katherine mettait en action avec moi les violentes
oscillations de sentiments envers et en réponse à sa mère - l'affection et la responsabilité, le désir, la
pitié et le mépris, le retrait et le silence, la haine et la rage totales - elle se rendait compte que, non
seulement je comprenais ces fluctuations, mais que je pouvais aussi tolérer ces tourbillons dans ses
sentiments, ses humeurs et ses comportements. J'imagine que ma tolérance était exprimée surtout
non verbalement dans mes expressions faciales, le rythme et les tonalités de ma voix, les multiples
correspondances affectives trans-modales, gestes et signes de reconnaissance décrits par les
chercheurs de la petite enfance. Certes, en 1980, je n'avais pas le langage que j'ai maintenant pour
décrire ces processus de reconnaissance/mentalisation.1
1 J'ai de la gratitude envers les nombreux maîtres de mon éducation analytique de m'avoir donné les mots
pour décrire ces processus analytiques ineffables: des sommités telles que Kohut, Mitchell, Sander, Lyons-
5
Même si cet article concerne surtout une description de la relation entre Katherine et moi,
j'insère ici un mot au sujet de l'action thérapeutique. Quel que soit leur origine, ma capacité à
reconnaître et à accepter la pleine ampleur, profondeur et épaisseur des émotions de Katherine, ma
détermination à comprendre et à articuler ses intentions et ses motivations, et ma disponibilité à
participer à des mises en actions avec elle jusqu'à ce que leurs significations émergent, tout cela l'a
profondément affectée, mettant un baume sur sa solitude et sur sa souffrance émotionnelle de
toujours. L'impact de mon écoute attentive et de ma compréhension émotionnelle m'avait alors
étonné; en fait, il m'étonne encore.
Comme notre relation s'est approfondie avec le temps, Katherine a commencé à reconnaître
la douleur reliée à sa famille d'origine et simultanément semblait mieux capable de réorganiser ses
états émotionnels et de réguler ses humeurs irrégulières et ses changements de comportement; et,
je crois que ma reconnaissance -exprimée implicitement de multiples manières, de même
qu'articulée explicitement- a aussi confirmé des intuitions et des vérités qu'elle savait déjà de
manière voilée. De les clarifier intersubjectivement lui a permis de se les approprier consciemment
et, ainsi, de se sentir plus réelle et de mieux gérer sa vie adulte. C'est le processus de guérison que
Winnicott, Benjamin, Fonagy, Hastings, et bien d'autres décrivent dans leurs écrits. Katherine et moi
le vivions ensemble; et en le faisant, elle a commencé à m'appeler sa "mère américaine".
Pour ma part, j'avais mes propres enjeux de mère. Même si beaucoup plus pâles que ceux de
Katherine, les miens jouaient sur les mêmes thèmes. Ma mère était une femme occupée et vibrante,
qui avait peu d'intérêt émotionnel pour sa petite fille dévoreuse de livres. Comme Katherine, je suis
devenue la bonne enfant serviable dans l'espoir de me mériter son attention et son amour. Jusqu'à
sa mort, je suis restée proche d'elle et de chez-elle, la plupart du temps dans un rôle d'aidante, en
essayant sans cesse d'améliorer la qualité de notre attachement, de négocier un certain degré
d'intimité et de reconnaissance avec/d'elle, et pour profiter de la vitalité qu'elle répandait chez les
autres. Cette stratégie a fonctionné: avec les années nos rôles ayant changé, j'ai reçu plus d'affection
et d'amour - et même des parcelles de reconnaissance- de ma mère.
Comparant mon expérience et mes réponses d'accommodation avec celles de Katherine, et
voyant sa volonté de vivre, sa faim de santé et de nouvelle expérience - volonté qui l'a poussée, à un
très jeune âge, en dépit de grands obstacles, très loin de sa famille et de sa culture indigentes- je
n'éprouvais qu'admiration et respect pour sa poursuite acharnée d'une meilleure vie et pour son
courage. Malgré tout, je prenais aussi conscience que, quoiqu'imparfait et tendu, j'avais eu un foyer
psychique avec ma mère, alors qu'elle n'en avait pas eu avec la sienne. Donc, le fait qu'elle et moi
avons pu créer ensemble un sentiment de foyer semble être le miracle de notre longue relation.
Au cours de notre première année, Katherine a commencé à écrire son journal dans le
langage mélodieux de son héritage irlandais. Il était vivant et original, réfléchi et humoristique. Ce
journal contrastait dramatiquement avec les longs silences obstinés qui ont marqués le début de
notre relation, et les marmonnements de colère et les claquements de porte qui marquaient ses
départs précipités. Avec les années, elle a confié à ma garde 23 volumes de ce journal. J'en suis
venue à croire que c'était une autre manière de l'aider à contenir sa vie relationnelle et que j'étais
devenue la gardienne et la championne de ses souvenirs.
Ruth, Daniel Stern, le Boston Change Process Group, Beebe, Lachmann, Teicholz, Bromberg, Aron, Benjamin,
Davies, Main, Target, Fonagy, Steven Stern, Stolorow, et Orange; et d'autres collègues brillants plus près de
chez-moi, comme Shane, Pickles, Coburn, Bacal, et Hastings.
6
Très tôt, Katherine était avide de nouvelles expériences - livres, musique, théâtre- comme un
nomade du désert à un oasis. Je revois son visage resplendissant lors de la première année quand
elle me décrivait un concert d'Ella Fitzgerald. Cependant, son journal plein de vie et sa joie dans
l'expérience esthétique contrastait totalement avec la manière de conduire sa vie. Au début de la
thérapie, elle ne s'entendait avec personne, socialement ou dans aucun de ses emplois de courte
durée. Lors de nos séances, elle me racontait des histoires répétitives d'interactions blessantes et
enrageantes avec les gens: des gens stupides, mesquins, des gens qui, soit ne la comprenaient pas,
soit ne la respectaient pas, soit se comportaient de manière hautaine et supérieure. Elle passait
rapidement de la gêne, à des doutes sur elle-même, à des moments de grandiosité, et à des périodes
de mépris terrible envers les autres. En réponse à ses perceptions de mauvais traitements,
Katherine explosait parfois. Ses accès de rage faisait sauter la dépression qui bloquait sa vie, une
dépression faite d'humeurs désespérantes comme une embâcle visqueuse, vaseuse entravant son
flot naturel.
Pendant sa relation intermittente avec "Lui", il y eut d'autres hommes comme lui. Les
hommes qui attiraient Katherine étaient invariablement beaux, décontractés, enjôleurs au départ;
plus tard, cruels et méprisants. Une fois, elle m'a lu une lettre d'amour d'un homme d'un genre
différent, de toute évidence follement romantique. La lettre était joyeuse et drôle, charmante, pleine
de compliments, d'images brillantes et appropriées et d'illusions. J'imaginais l'auteur comme étant
potentiellement un gars formidable. Katherine était méprisante et dégoûtée qu'un parfait étranger
puisse ainsi "avoir son coeur présomptueux sur sa main". Bien sûr, elle le rejettait avec le même
mépris, la même cruauté et la même indifférence qu'elle subissait de la part de ses amoureux.
Initialement, j'ai été attirée par Katherine surtout parce qu'elle était si radicalement
différente de moi. Son coeur était plus meurtri que le mien, et son cran et ses besoins d'attachement
tellement plus grands; et, bien sûr, elle avait plusieurs autres qualités subtiles, magnétiques, complémentaires aux miennes- qui attiraient ma subjectivité mais impossibles à décrire
concrètement. Ces qualités résident dans l'implicite.
Voici quelques différences concrètes. Issue d'un milieu national et culturel très différent du
mien, elle était loin de chez elle et avait souvent le mal du pays. Pour ma part, j'étais enracinée et
impliquée dans ma culture natale. Avec les années, Katherine m'a appris et m'a enseigné beaucoup
de choses au sujet de son histoire culturelle, ses traditions et son art. Katherine était physiquement
aussi différente de moi qu'on puisse l'imaginer. Alors que je suis de petite taille et moyennement
attrayante, elle est exceptionnellement belle: très grande avec de longs pieds et mains gracieux qui
me font penser à la danse et à la musique. Dans sa jeune vingtaine, sa silhouette gracile et son visage
de jeunesse parfaitement rosé et innocent lui avaient attirés des offres de mannequinat à Dublin, à
Londres et à New York. Nous en sommes venues à comprendre ses refus hautains comme un reflet
de ses doutes sur elle-même plutôt qu'un manque de désir. Sa beauté m'intriguait; une beauté
saisissante qui suscitait mon envie et ma curiosité.
De plus, Katherine pensait, se comportait différemment, et même dégageait une odeur
différente de la mienne. Son odeur était étrange, complexe, et musquée; et au centre de celle-ci il y
avait un accent de plantes exotiques et de terre mouillée; à ses bords, un vague goût sucré qui
persistait dans mon bureau plusieurs heures après une séance. Katherine partageait cette odeur
avec deux autres personnes importantes dans ma vie, et je suis certaine que c'est l'une des raisons
de mon attrait pour elle. Ce que nous avions en commun, c'était un amour de la langue, des désirs de
s'améliorer pleins de doutes, des passions esthétiques, un intense désir de faire de nouvelles
expériences, et le plaisir de partager des moments personnels.
7
J'haïssais la cruauté de Katherine; toutefois, cette cruauté suscitait et attirait ma curiosité et
d'une certaine manière resserrait les liens entre nous. Je suis une personne assez douce et surtout
bonne. Que ce soit par compassion pour ses origines dans son enfance, soit dû à des aspects non
explorés et déniés de moi-même, soit les deux, je trouvais que la cruauté de Katherine me choquait
et magnétisait mon attention; et, même si je savais qu'elle provenait de - en fait, imitait et éclairait sa vie de maltraitance, je l'haïssais quand même et était fascinée par elle. Elle semblait prendre
plaisir à faire mal aux autres, particulièrement les types de Los Angeles imbus d'eux-mêmes qu'on
trouve dans l'industrie du spectacle. Lorsqu'elle me racontait une remarque humiliante, incisive
qu'elle avait fait à un homme ou à un autre, elle devenait vivante, colorée, avec une vitalité soudaine
et surprenante. Elle exprimait de la honte ou de la culpabilité seulement quand elle avait blessé une
créature innocente. Sous l'emprise de ce qu'elle appelait son mode "frappe et brûle", Katherine avait
abusé de chats errants qui étaient sous ses soins. Très chagrinée une fois -j'ai la nausée en m'en
rappelant - elle m'a confessée qu'elle avait jeté des chatons nouveaux-nés contre le mur, et ensuite,
horrifiée, avait ramassé ces créatures mortes, tordues, désirant désespérément les ramener à la vie.
Une telle impulsivité et une telle rage, réactives à son sentiment d'impuissance et en résonnance au
beau-père haï, témoignait de l'héritage de traumatisme et de violence de Katherine. Parfois, j'étais la
cible de la cruauté de Katherine et toujours, plus tard, de son remord et de son repentir.
Suicide
Notre rupture importante est survenue il y a 22 ans au cours de la première dépression
profonde de Katherine; un épisode déclenché, bien sûr, par une déception en rapport avec "Lui". À
cette période, après plus de six ans du début de notre travail, Katherine fonctionnait mieux dans son
travail et dans sa vie personnelle. Certains des aspects dérégulés, aigus de ses sentiments et de ses
comportements s'étaient un peu adoucis. Elle pouvait aussi nommer et comprendre les raisons et
les significations sous-jacentes à sa dépression. Toutefois, même si elle était parvenue à faire
confiance à ma présence et à mon intérêt pour elle, notre relation n'a pas eu suffisamment d'effet
stabilisateur pour l'empêcher de sombrer dans une profonde dépression accompagnée d'une perte
d'agentivité. Katherine avait l'impression de se noyer et d'être impuissante à s'en sauver. J'étais
inquiète et j'avais de sombres pressentiments.
C'est alors que je lui suggérai d'essayer une nouvelle sorte d'antidépresseurs dont on parlait
beaucoup. et Katherine accepta de prendre du Prozac. Même si j'avais peu lu au sujet des
médicaments ISRS (Inhibiteur sélectif de la recapture de la sérotonine), mon inquiétude pour elle et
mon intérêt pour l'exploration scientifique du cerveau m'ont poussée à faire cette recommandation.
Cependant, cette simple suggestion était pour moi très conflictuelle étant donné que la
recommandation d'un antidépresseur en 1987 défiait la pratique psychanalytique prédominante. Je
suppose avoir jeté un regard au-dessus de mon épaule de peur de voir apparaître la police
analytique qui me punirait de ma dérogation à un idéal analytique. Même si intellectuellement
j'étais méfiante de toute pureté doctrinale en soi et de toutes les modalités par lesquelles
l'orthodoxie contraignait les possibilités, j'étais alors un enfant psychanalytique inquiète, désireuse
de plaire à mes aînés analytiques.
Au début, le Prozac a semblé faire des miracles. Katherine disait, comme les dépressifs à vie
qui essaient la médication pour la première fois, "C'est comme ça que les gens normaux doivent se
sentir". Alors, aussi soudainement que le Prozac avait été efficace, son pouvoir est tombé, et
Katherine est devenue à nouveau profondément déprimée. J'ai appris plus tard que, tout au long de
cette période, elle avait bu beaucoup d'alcool, qu'elle avait pris la médication de manière peu
méthodique et inégale, et qu'elle avait tout simplement cessé de la prendre. Toutefois, sa première
8
réponse spectaculaire à la médication avait fortement confirmé qu'au moins une partie de ce à quoi
Katherine et moi faisions face était lié à la chimie de son cerveau.
La veille du Jour de l'An 1988, j'ai reçu un message de sa part: "J'ai pris un contenant de
Prozac, un autre contenant de Seconal, et je sirote du champagne. Ce n'est pas une mauvaise
manière de mourir. Bonne et heureuse Année". Lorsque j'ai essayé de l'appeler, un noeud dans le
coeur, personne n'a répondu. Sans réfléchir, j'ai automatiquement signalé le 911 et rapporté son
suicide.
Katherine ne m'a pas pardonnée d'être intervenue. Deux jours après la tentative de suicide,
surprise de se retrouver encore vivante et endettée par dessus la tête - avec l'addition des nouvelles
factures médicales- elle m'a crié après au téléphone m'accusant d'avoir ruiné sa vie. "Crève", me ditelle. Lorsqu'elle quitta l'hôpital, elle refusa de me voir; et pendant environ cinq ans, j'ai perdu
contact avec elle. Mes liens physiques avec Katherine étant coupés, je me sentais à la fois soulagée et
doucement inquiète d'elle pendant tout ce temps.
Mon intervention dans la tentative de suicide de Katherine m'a, d'une certaine manière, liée
à elle irrévocablement. La décision d'appeler la police, quoique légalement obligatoire pour les
psychologues, je l'ai vécue comme l'engagement final de ma responsabilité dans la relation. Donc,
même si je n'ai pas vu Katherine pendant plusieurs années après cette intervention, elle savait que
mon action en avait été une d'amour et de responsabilité.
Nouveaux contextes, nouvelles stratégies de traitement
Katherine m'a rappelée il y a maintenant 18 ans quand elle s'est retrouvée enceinte. Au
cours de cette conversation, elle m'a dit qu'elle allait bien professionnellement; et, étant donné que
le père de l'enfant était un salaud, elle avait décidé d'avoir et d'élever seule cet enfant. Elle dit,
"J'aurai besoin d'aide de maternage et c'est toi ça". J'ai entendu plusieurs choses dans cette demande
directe et audacieuse: son besoin clair, sa vieille méfiance du monde, ses doutes sur elle-même, ses
peurs et son désir d'être une bonne mère, son acceptation d'une responsabilité adulte, et son
respect pour ma capacité de la soutenir.
Au cours des années subséquentes, j'ai été sa consultante régulière, parfois dans mon
bureau, et parfois au téléphone, maintenant mon attention thérapeutique sur sa parentalité. Mon
souvenir des chatons morts me donnait toute la motivation dont j'avais besoin pour l'aider à
materner sa petite fille. J'espérais qu'ensemble nous pourrions briser la chaîne générationnelle de
bébés mutilés dans sa famille. En même temps, j'avais confiance que les ressources naturelles de
Katherine et notre relation - le réel espace de travail que nous avions créé ensemble, que Katherine
avait commencé à nommer son "foyer américain" - nous porterait à travers l'enfance d'Éliza.
Au cours du travail de parentalité, nous avons fait du travail personnel d'exploration, de
reconstruction et d'exhumation de sa première famille. Toutefois, en rétrospective, je crois que nous
avons surtout traité des exigences pratiques de la vie de Katherine. Je me sentais déchirée par ce
choix entre mes identités professionnelles conflictuelles. Je voulais, à la fois, être une bonne
thérapeute pour Katherine et en même temps correspondre à un quelconque idéal psychanalytique
imaginaire. Même si je comprenais intuitivement que les contextes comptaient et devaient organiser
mes stratégies thérapeutiques et, même si à ce moment-là, les contextes exigeaient de mettre
l'accent sur le pratique, je me sentais quand même déchirée et coupable. Avec le temps, j'ai
réconcilié mes enjeux conflictuels en arrivant à la croyance que mon choix de me centrer sur le
maternage de Katherine était cohérent avec le maintien d'un véritable pont empathique avec elle; il
reflétait ce que j'imaginais que Katherine voulait et avait besoin de ma part.
9
Il y a dix-huit ans, Katherine avait besoin de beaucoup d'aide pratique. Son bébé était né
avec une sérieuse anomalie de naissance - résolue depuis- qui exigeait énormément d'attention de
médecins spécialistes; et, bien sûr, Katherine vivait toutes les inquiétudes et le stress que de telles
conditions font subir aux parents. Je l'ai aidée à négocier les noeuds du monde médical et à
développer les habiletés interpersonnelles qui facilitent les bonnes relations avec les aidants; des
relations qui, en retour, soutenaient les intérêts de bébé Eliza. Mon aide incluait des conseils et des
jeux de rôle, rien de bien analytique dans le sens traditionnel. Toutefois, pour une âme apeurée,
isolée dans un territoire étranger avec une tâche effrayante à faire, je crois que mon aide pratique
fut la réponse "affectivement nécessaire". J'irais même plus loin, je crois aussi que d'avoir refusé
mon savoir pratique aurait été moralement mal.
Peut-être avais-je peur d'un autre épisode suicidaire; ou peut-être, me rappelant mes
premières années de tâtonnements comme mère, j'étais déterminée de donner à Katherine la
consultation pratique et le soutien à sa parentalité dont elle avait besoin selon moi. Mon sentiment
s'adaptait à ce qui était au centre de ce que Katherine apportait à nos séances: elle commençait
habituellement avec une question ou un défi concret, immédiat, et nous nous mettions en mode
solution de problème. Le processus incluait les souvenirs et les associations de Katherine, mais dans
le contexte d'une préoccupation pratique immédiate. De toute manière, je ne me souviens pas de
cette période comme en étant une de thérapie intense et formelle avec Katherine, et je blague
souvent que je lui ai servi d'une combinaison de quasi-grand-mère, quasi-coach de vie, quasi
instructeur de charme. Qu'est-ce que j'étais pour elle? Comme elle le disait, je suis devenue son
"peep" (comme dans "people"). En rétrospective, cette période -pendant laquelle ma connexion avec
elle et mon souci d'elle et de son enfant sont devenus plus intenses- a élargi et approfondi notre
relation intersubjective. À mesure que Katherine devenait capable d'imaginer l'esprit de son enfant,
elle semblait commencer à pouvoir imaginer le mien.
La flexibilité théorique et clinique que j'ai adoptée avec Katherine - notre ajustement de la
thérapie aux besoins et aux contextes de sa vie - m'est souvent apparue comme une trahison
coupable d'un père psychanalytique imaginaire. Ce père ressemblait dans mon imagination à un
prophète massif du Vieux Testament qui punissait la désobéissance par de puissantes armes de
culpabilité et de honte. J'ai appris plus tard que des analystes désobéissants avaient toujours
secrètement adapté les règles analytiques fondamentales et ce, depuis la naissance de cette
pratique.
En dépit des changements dans le cadre, je crois que, de manière générale, j'ai maintenu une
constante sensibilité analytique avec Katherine: en tentant de maintenir notre relation ouvertement
curieuse des significations de son expérience de vie et attentive aux vicissitudes de notre relation,
les tensions et les fissures, les variations dans l'épaisseur et dans la flexibilité de la connexion. De
fait, ma longue relation avec Katherine soutient ma conviction, comme Howard Bacal (voir Bacal et
Herzog, 2003) l'a si éloquemment affirmé, que toute analyse est unique et requiert des procédures
spécifiques aux besoins et aux contextes de la dyade; et que, comme Donna Orange le suggère, nous
"devons tenir nos théories légèrement" (voir Stolorow, Atwood, et Orange, 1999, p. 386). J'ajoute
que parfois nous devons jongler avec de multiples théories pour le bénéfice de notre travail.
La m___e survient
Les choses auraient pu continuer ainsi indéfiniment si un chauffeur intoxiqué et sans
assurances n'avait pas blessé très gravement Katherine il y a neuf ans de ça. À ce moment-là, avec
des défaillances occasionnelles, Katherine vivait mieux que jamais sa vie. Même si elle provoquait
10
encore du mécontentement, elle réussissait une vie professionnelle, avait des amis et des
connexions communautaires, et prenait bien soin de sa fille Eliza - une fillette facile, joyeuse, et
gratifiante de neuf ans. En fait, elle était devenue une mère intéressée et impliquée. Pour moi, le
développement de Katherine semblait valider l'utilité de notre étrange relation thérapeutique à
long-terme.
Au début, l'accident a mis un arrêt à sa vie; et ensuite, très rapidement, il projeta Katherine
dans un tourbillon d'épreuves physiques et économiques. Le bilan physique initial était terrible: une
hanche cassée, un bras brisé, un crâne fracturé, le tout ayant cependant guéri rapidement. Les effets
à long-terme semblaient dévastateurs. L'accident laissait Katherine avec des blessures
considérables et difficiles à identifier au cerveau. Initialement, elle a perdu une dizaine de points au
QI, en même temps que la capacité de bien se rappeler, de planifier en séquence ses tâches. Sa vision
et sa capacité auditive étaient réduites, et sa démarche était vacillante. Elle était aphasique dans son
expression; et un bruit parasite étrange dans son cerveau, fort et incessant, lui causait une sensation
de désorientation en public et la rendait irritable en privé. Parce qu'elle ne pouvait pas se
concentrer très longtemps sur une tâche, la seule planification de la journée de sa fille taxait toutes
ses ressources. Le plus triste de tout ça, Katherine avait perdu son immense talent d'écriture.
Miraculeusement, cependant, la substance de Katherine - le quoi, le où, et l'humanité- semblait
encore intacte. J'attribue cela à l'intégrité de son cerveau émotionnel -ces structures profondes à
l'intérieur du cerveau qui ont été, d'une manière ou d'une autre, épargnées dans le naufrage
neurologique de l'accident.
L'accident et son avalanche de conséquences ont confirmé pour Katherine toutes les attentes
négatives qu'elle avait collectionnées et nourries toute sa vie. En dépit d'une très sombre
perspective, elle a initialement mobilisé ses ressources saines pour récupérer physiquement dans le
but de prendre soin de son enfant. Incapable de travailler, elle recevait un revenu dérisoire du
Workman's Compensation - un montant nettement insuffisant pour pouvoir économiquement à ses
propres besoins ou à ceux de son adolescente intellectuellement et musicalement douée. La misère
économique conséquente a exacerbé de nombreux autres facteurs qui ont contribués à la mener à
une dépression dévastatrice quatre années après l'accident. Pendant cette période, l'état me payait
un honoraire minime pour nos séances parce que Katherine avait été victime d'un crime violent.
Au moment de sa maladie dépressive, elle attendait un règlement financier permanent du
Workman's Compensation - un processus d'attente, en passant, qui semblait interminable et
kafkaïen. Toutefois, Katherine, extrêmement frugale et inventive, d'une manière ou d'une autre, a pu
mettre en place des choses assez étonnantes pour sa fille, lui trouver des écoles, des camps
musicaux et des bourses, et même en grattant, ramasser quelques sous pour de l'argent de poche
pour elle. La Katherine responsable n'est jamais disparue totalement, mais je confesse que j'ai aidé
Katherine financièrement pendant ce temps, en achetant un violon pour Eliza, par exemple. Quelque
soit le cadre analytique existant encore, il fut alors sévèrement compromis et brisé.
Katherine était maintenant vidée, épuisée, et elle souffrait de la fatigue du combattant. "Lui",
l'homme qui l'avait obsédé pendant presque toute sa vie adulte, l'avait aidée par intermittence
durant les première années après son accident. Il l'appelait régulièrement et la visitait lors de ses
voyages peu fréquents à Los Angeles. Toutefois, récemment divorcé, il avait apparemment
commencé une nouvelle relation amoureuse et avait abandonné Katherine pour la Nième fois au
cours leur relation souffrante. Elle fut initialement dévastée, mais énergisée par la rage -un moment
comme dans le dialogue au début de cet article. Peu après, toutefois, l'ardeur de la rage se
transforma en paralysie.
11
Permettez-moi de décrire notre séance décisive d'il y a 5 ans. Sa dépression s'annonçait dans
l'odeur de Katherine avant même que je la vois. Sur ses cheveux négligés, graisseux et sur son corps
non lavé, la douceur étrange de son odeur était devenue dégoûtante et fétide. Même au téléphone,
en écoutant l'une des "chansons d'amour" cinglantes de Katherine, je pouvais parfois sentir cette
odeur forte et nauséabonde. Katherine avait aussi l'air blafarde, grise, fantomatique, et je me
surprenais en train de chercher en vain sur son visage tiré et sur son corps squelettique la fille
charmante disparue. Incapable de manger, de dormir, ou de se lever de son divan, elle n'avait aucun
goût de prendre soin d'elle-même. "C'est ce qui arrive quand l'agentivité s'écroule", pensai-je.
Aujourd'hui, son projet suicidaire allait exiger une action drastique. "Je veux ravoir mes
médicaments," me dit-elle.
"Mais tu les as mis sous ma garde", lui répondis-je.
"Tu n'as plus à t'en soucier".
J'eus alors un éclair de certitude: "Si Katherine quitte seule d'ici, je ne la reverrai jamais". Les
derniers fils de ma retenue thérapeutique se sont défaits, les règles fondamentales qui me liaient
ont volé en éclats et ont été balayées au vent, et j'ai abandonné tout effort de les retrouver. J'ai laissé
tous les morceaux restants de notre cadre thérapeutique gisant sur le plancher de mon bureau. J'ai
annulé tous les rendez-vous de ma journée et j'ai conduit Katherine à l'hôpital. Et, pour qu'elle
accepte de s'y rendre, j'ai accepté de faire des arrangements compliqués pour la prise en charge
d'Éliza, mobilisant toutes les connexions sociales disponibles de la famille. Ensuite, j'ai récupéré la
fille à l'école, lui ai expliqué au sujet de sa mère, et lui ai acheté un burger. Adieu, adieu à la
neutralité de l'analyste!
Le séjour à l'hôpital fut propice. L'état de la Californie qui avait lésiné à donner un soutien
financier subsistant à Katherine, lui a offert une hospitalisation de deux mois. Un psychiatre créatif a
conçu une concoction chimique qui incluait un stimulant avec un stabilisateur d'humeur et des
agents antidépresseurs et anti-anxiété. La combinaison fut efficace; Katherine s'est réanimée.
Pendant les années qui suivirent, elle est restée scrupuleusement soumise à ce cocktail de
médicaments. Je l'ai visitée à plusieurs reprises pendant son séjour, et j'ai eu une conversation avec
elle au sujet de la vie et de la mort. Quels que soient les facteurs et sans savoir dans quelle
proportion - un répit nécessaire de la pression et de la responsabilité, l'aide chimique, la réponse de
sa communauté à sa maladie, et ma présence fiable -Katherine a, pour la première fois de sa vie,
choisit consciemment de vivre.
Voici quelques réflexions que j'ai écrites un an après l'hospitalisation de Katherine:
Il y a maintenant un an, et certaines choses semblent radicalement différentes alors que
d'autres restent anciennes et familières. Le plus étonnant, Katherine a renoncé à "Lui". En dépit
d'efforts frénétiques de sa part pour la reconquérir, il n'exerce plus aucune emprise émotionnelle
sur elle. Allez comprendre! Katherine a aussi maintenu un peu de la tranquillité intérieure acquise à
l'hôpital et elle a élargi les horizons de sa vie en y incluant un programme régulier d'exercices, une
meilleure alimentation, et de nouvelles activités sociales. Elle s'est joint à un groupe de chanteurs et
elle assiste à des concerts de jazz gratuits à chaque semaine. J'aime qu'elle initie maintenant des
projets et fasse des choix. Son règlement avec l'état est imminent, et promet de la laisser dans une
sécurité financière minimale. Avec moi, elle est maintenant respectueuse et reconnaissante;
comportement qui marque un changement radical avec ses anciens comportements imprévisibles
de colère et de sarcasme. Il semble qu'elle ait construit et qu'elle observe maintenant des frontières
prudentes avec moi, probablement en réponse à l'effondrement de notre cadre l'année dernière. En
retour, je suis soulagée que nous ayons reconstruit un cadre thérapeutique assez traditionnel.
12
Toutefois - et c'est un gros toutefois- Katherine haï être vivante. Elle considère sa vie comme
"un purgatoire", un terme ironique, note-t-elle, "...puisque je ne crois en aucun sens ou rédemption
autre que de laisser derrière moi un enfant relativement sain... Je ne veux pas être ici et je serai
sûrement soulagée quand ce sera fini."
Si Katherine est une "besogne sans foi", je me demande ce que je suis pour elle face à ses
terribles malheurs. Suis-je une amie, une consolatrice, ou une épine dans son flanc; un tortionnaire
qui lui rappelle qu'il y a des gens plus chanceux qui vivent en santé, relativement en sécurité, dans
un certain confort et dans l'optimisme? À certains moments, je me sens gênée et embarrassée de
vivre une bonne vie et d'être chanceuse. Je crois que je souffre de la culpabilité des fortunés, sachant
que, à vrai dire, Katherine doit m'en vouloir.
Qu'est-elle pour moi? Envers elle et sa situation, je ressens un fouillis de sentiments sentiments dont les couleurs se confondent souvent dans un gâchis chromatique. Lorsque j'arrive à
différencier les couleurs, elles s'étendent selon un spectre beaucoup plus large que ma gamme
thérapeutique habituelle, et certaines prennent les teintes plus sombres de la colère, de la
culpabilité, de la honte, et spécialement de l'inquiétude. Parfois je ressens de la compassion et
parfois de la pitié pour Katherine, mais surtout je suis en colère. Je suis furieuse contre ses parents
cruels et négligents. Je suis enragée contre la structure sociale indifférente qui permet qu'un adulte
responsable et travaillant disparaisse à travers les fissures de la civilisation dans une sous-classe
invisible et appauvrie. Je me sens enragée contre les gens présomptueux qui, parce qu'elle a l'air
neurologiquement atteinte, ne voient pas l'étendue de ses blessures et la soupçonne de simuler. De
telles personnes offrent des conseils utiles tels que, "Vous vous sentirez mieux quand vous serez de
retour au travail"; et, je me sens particulièrement enragée parce que je suis le seul soutien
émotionnel de Katherine.
Je suis inquiète de l'avenir de Katherine et au sujet de sa fille, et je lutte souvent avec des
impulsions de l'aider au-delà de ce qui est raisonnable ou possible étant donné nos limites
thérapeutiques et mes limites économiques personnelles; et je me débats avec mon sens particulier
de responsabilité envers elle et ma honte au sujet de mon comportement extra-thérapeutique - un
comportement qui me semble aller au-delà des bornes du cadre thérapeutique le plus élargi ou le
plus détendu. Je m'inquiète au sujet de ce que j'aurai besoin de faire pour Eliza dans l'éventualité de
la mort de Katherine. Son père biologique est une tache absente sur la carte géographique de sa vie.
Oui, je m'inquiète beaucoup d'Eliza.
Comment aider Katherine me déconcerte étant donné la nature compliquée, compromise de
notre long lien thérapeutique. Par exemple, j'haï sa vision sombre et sa négation de la vie, et je me
demande comment notre relation a pu ne pas modifier son attitude. Parfois j'ai du ressentiment que
mon dur travail a donné de tels résultats ambigus ou médiocres; et, bien sûr, mon ressentiment
soulève des questions sur les buts fondamentaux mêmes du travail de ma vie: quelle est la portée
morale de la psychanalyse? Pendant trop longtemps j'ai vu Katherine à un très bas tarif ou, à
certains moments, à aucun frais; et j'en ai aussi du ressentiment. Le pire de tout, parfois dans mon
impuissance, je souhaiterais n'avoir jamais connu Katherine ou qu'elle disparaisse magiquement. Je
me sens coupable de ces pensées; et j'ai d'autant plus honte lorsque je me demande - et je me le
demande- si j'ai vraiment fait une faveur à Katherine la veille de ce lointain Jour de l'An.
13
Mise à jour et réflexions
Le dialogue du début et cette dernière narration devrait bien encadrer l'histoire
relationnelle de Katherine avec moi. Toutefois, la vie réelle fait intrusion; et depuis 4 ans, les
contextes et les conditions de la vie de Katherine ont à nouveau radicalement changés. Il va sans
dire, notre travail ensemble est encore dans un autre cycle. Nous faisons actuellement une sérieuse
récapitulation et réflexion sur notre relation en préparation de terminer dans un avenir prévisible
mais non encore déterminé. Dans le processus, les souvenirs et les sentiments enfouis de Katherine
font irruption avec une force et une urgence linguistique qui étaient auparavant inimaginables.
Katherine a trouvé sa voix.
Il y a une nouvelle profondeur et transparence dans nos interactions qui me surprennent
dans leur authenticité et leur intensité. Je me prépare même à parler à Katherine des chatons morts
- un sujet que, à travers toutes ces années, je ne suis jamais arrivée à aborder avec elle. L'horreur de
cet événement a toujours été trop actif et vif pour moi pour pouvoir en parler ouvertement. Dans
son chapitre final, notre thérapie est finalement une psychanalyse contemporaine reconnaissable et
en pleine floraison.
En bref, la vie de Katherine a pris une forme relativement paisible et stable. Après avoir
remercié deux avocats incompétents, Katherine a trouvé un procureur du Workmen's Compensation
qui lui a obtenu un règlement lui donnant un niveau de vie raisonnable et sécurisé. Étant donné
l'inquiétude économique à vie de Katherine, ses effets bienheureux ne sauraient être trop soulignés.
Qu'elle puisse pourvoir pour elle-même et pour sa fille partie au collège - et avoir encore quelques
sous en poche pour assister à un concert ou pour s'acheter un café Starbuck à l'occasion - améliore
et régule ses humeurs et ses émotions et adoucit les lignes de son visage. Les bénéfices des
changements dans sa vie matérielle me rappellent que nous, analystes, passons parfois à côté de
l'impact important des conditions sociales, économiques et culturelles sur nos patients.
Même si elle a encore une vision sombre du monde, et l'aura probablement toujours, les
humeurs et les perspectives améliorées de Katherine coïncident avec la mi adolescence d'Eliza à
laquelle les deux, mère et fille, prennent plaisir. Eliza, indépendante, compétente, et attentionnée
par nature et par expérience - la nécessité périodique d'avoir soin d'un parent déprimé- s'est
développée en un enfant talentueux et discipliné. Non seulement a-t-elle un tempérament plus
enjoué que celui de Katherine, elle est aussi gratifiée de la belle allure de sa maman et d'une
présence charmante et drôle qui la rendent attrayante et attachante aux autres. Elle vient d'entrer
au collège avec une bourse où elle projette d'étudier en musique et en violon. En tant que grandmère substitut d'Éliza, je respire plus légèrement et en ressent un immense plaisir.
Parce qu'elle est incapable de travailler, Katherine étudie la musicologie. Elle fait aussi du
bénévolat dans l'enseignement et le coaching d'enfants défavorisés dans un programme musical
communautaire. À l'exception de quelques frictions avec des collègues -les patterns de vie ne
changent pas facilement- elle est surtout satisfaite de ses occupations, s'est fait des amis, et jouit
d'une meilleure estime d'elle-même.
Depuis deux ans, Katherine voit un nouvel homme, Monsieur W. (pour "wonderful"), qui est,
paradoxalement, semblable à et différent de "Lui". Un autre musicien de jazz perturbé avec peu de
sophistication psychologique, il a cependant un caractère plaisant et semble vraiment aimer
Katherine. Toutefois, ses propres pressions économiques, de même que ses exigences en tant que
parent, et celles reliées à son travail, l'empêchent de s'impliquer davantage avec Katherine au-delà
de la voir une couple de fois par semaine. Étant donné le tempérament fondamentalement introverti
14
de Katherine et sa peur de et difficulté avec l'intimité, c'est la formule qui fonctionne pour elle; et
même si elle désire avoir plus avec lui, elle est peu disposée à le lui demander. Le pouvoir de la
répétition est redoutable; et, bien sûr, nous explorons les patterns qui se répètent avec Mr W.
Alors que la partie thérapeutique de notre relation tire à sa fin, j'ai rédigé cet article par
appréciation de l'implication de Katherine dans notre travail et pour tout ce que celui-ci m'a appris
sur le processus analytique. Avant que je sois psychanalyste et à travers les périodes plus centrées
sur le comportement dans mon travail avec Katherine; à ces moments où j'observais strictement les
règles analytiques fondamentales et aux autres où je pliais et déformais le cadre; et à travers mes
nombreux rôles avec Katherine - thérapeute débutante et intéressée, thérapeute inquiète et
menacée, consultante parentale, grand-mère, coach de carrière, remontant, et analyste maturecertaines attitudes analytiques constantes au sujet de l'action thérapeutique ont façonnées cette
relation.
Celles-ci incluent, d'abord, la croyance que la position d'écoute empathique transcende les
choix théoriques et cliniques. Il importe d'être en compagnie d'un autre qui veut comprendre le
monde vu à travers vos yeux; c'est-à-dire, quelqu'un qui prend soin de vivre le monde à travers les
lentilles de vos perceptions, de vos expériences, de vos souvenirs, de vos émotions, et de vos
valeurs. Peu importe que l'empathie soit subjectivement qualifiée et imparfaite, une approximation
raisonnable d'empathie, systématiquement présente et appliquée à travers le temps, peut être
psychologiquement transformatrice. Deuxièmement, deux esprits qui travaillent ensemble
intersubjectivement - pour comprendre et connaître le sien et l'autre et les contextes de leurs êtres
réunis - peuvent créer une expansion et une réorganisation relationnelles subjectives impossible à
atteindre pour chaque esprit isolément. Il en résulte une habileté d'articuler et de penser la place
unique que chacun occupe dans ses mondes relationnels et sociaux, qui, à son tour, amène une
meilleure cohérence, solidité, plus de choix, et un sens d'agentivité; et, finalement, une fois
commencée, le privilège de terminer une thérapie analytique appartient au patient uniquement. Un
corollaire: Une fois impliqué, l'analyste s'engage à continuer le parcours "contre vents et marées".
Conclusion
Dans cet article, j'ai tenté non seulement de commémorer la relation de Katherine avec moi,
mais aussi d'illustrer quelques-unes des choses que notre travail m'a apprises au sujet de l'analyse.
J'ai tenté de montrer que dans un processus analytique long et complexe, ce qui semble être une
seule thérapie est, en réalité, des thérapies multiples et reliées. Notre dyade thérapeutique
changeante incarnait quantité de configurations relationnelles que chacune de nous
apportait/créait, aussi bien que d'innombrables expériences et influences contextuelles historiques
séparées et conjointes. À mesure que les contextes interagissaient et changeaient, on avait
l'impression que de nouvelles thérapies émergeaient spontanément, complètes avec de nouveaux
joueurs et de nouvelles tâches thérapeutiques. Il s'est avéré que la flexibilité dans la théorie et la
procédure clinique fut une nécessité et un défi fréquents.
De mon travail avec Katherine - et d'autres- j'en suis sortie persuadée que les théories,
plutôt que de représenter des vérités absolues au sujet de quoique ce soit, ont une utilité
instrumentale: une approche thérapeutique efficace dans un contexte peut ne pas être utile dans un
autre. Un corrolaire à cette affirmation: la thérapie doit offrir les réponses affectives nécessaires peu importe la théorie- pour promouvoir une matrice relationnelle expansive. La réponse affective
nécessaire à un moment donné est organisée relationnellement et contextuellement et, donc, dans
un état de perpétuel changement et sujette à de fréquentes modifications dramatiques. Par exemple,
tôt dans notre travail, Katherine avait simplement besoin de réponses affectives en miroir. Un peu
15
plus tard, elle avait besoin d'entendre certains aspects de mon expérience avec elle et que je prenne
aussi une position d'écoute "centrée sur l'autre" telle que l'appelle Fosshage (1997).
Si la conclusion implicite de ma pensée est un encombrant désordre de variables en jeu à
tout moment - tous ces facteurs en interaction récurrente les uns avec les autres- il s'ensuit que
chaque relation analytique représente un processus de transformation continuelle. C'est un
processus qui cherche une certaine organisation unique - ou, du moins, un assemblage souple
périodique.
Une symphonie en collaboration est la métaphore qui me vient à l'esprit. Le développement
d'une thérapie dynamique à long-terme est semblable à la construction d'une symphonie musicale
dans laquelle d'innombrables éléments et d'instruments musicaux complexes s'organisent autour
de thèmes récurrents et changeants, en mouvements parfois dramatiquement différents mais reliés,
dans un développement et un tout qui est plus grand que la somme des parties constitutives. Quels
enjeux émergent en analyse comme pertinentes, quelles configurations relationnelles deviennent
non seulement manifestes mais saillantes, comment le couple résoud les pépins individuels et
intersubjectifs, et où ces résolutions mènent la paire avec le temps, ce sont tous des phénomènes
émergents. J'ai tenté d'illustrer cette observation en décrivant Katherine et moi.
Dans notre relation, Katherine et moi avons développé un co-transfert serré et facilitateur
dans lequel, parmi mes nombreux rôles, j'ai surtout été une "mère nourricière" et une "femme sage"
pour Katherine et une "grand-mère aimante" pour Eliza. Ces configurations relationnelles
particulières -les thèmes prédominants- sont ce dont Katherine avaient manquées et qu'elle avait
besoin de vivre pour continuer son développement. Ce sont des configurations qui ont émergé dans
l'espace illusoire de notre relation. Même s'il y a eu plusieurs autres configurations cotransférentielles dans notre travail - parmi celles-ci, "mauvaise mère", "idiote incapable", et "vielle
chipie sans coeur"- Katherine m'a aidée à devenir surtout la mère nourricière, femme sage, et grandmère aimante à son très jeune soi avide et curieux, facilement heurté, et vif à se venger. Son désir
d'être un bon parent fut une motivation importante pour rester en thérapie et pour faire ce travail
avec moi. Je me sens honorée qu'elle ait développé cette grande confiance en moi, peut-être faisant
confiance à quelqu'un pour la première fois dans sa vie.
Depuis le règlement financier, notre relation a traité de deux dimensions différentes de
l'expérience. Dans l'une, nous traitons des choses pratiques (être un parent d'adolescente) et des
événements quotidiens de la même manière que nous le faisions avant son accident. Je trouve que
mon rôle ici est d'écouter et d'encourager - l'encourager surtout quand elle fait de nouveaux choix et
qu'elle exerce plus d'agentivité. Dans la deuxième dimension, parce que nous avons le luxe de
pouvoir se voir trois fois par semaine, Katherine et moi avons réouvert et fouillé profondément dans
ses traumatismes et ses chagrins: l'abus sexuel qu'elle a subi, son viol, la mort de sa plus jeune
soeur, et l'absence - jusqu'à la thérapie- d'un espace protégé et sécurisé pour les pleurer. J'ai été
surprise de l'intensité de son travail, et je crois que sa nouvelle stabilité intérieure et extérieure, de
même que l'épanouissement de son enfant, lui ont donné cet espace émotionnel pour visiter et
revivre, avec moi comme témoin, ces agonies primitives - et, je l'espère, pour les replacer dans le
passé où elles appartiennent.
En terminant, je n'ai qu'une autre observation sur mon rôle de thérapeute/analyste de
Katherine qui touche à ma vision de la dimension morale-éthique de mon travail. Dit simplement,
une fois impliquée dans une relation thérapeutique sérieuse, on a la responsabilité de tenir bon.
Après une première période d'évaluation/sortie, nous sommes accrochés pieds et mains liés à nos
patients, et devrions l'être. Plusieurs fois avec Katherine, j'ai senti que je ne pourrais plus endurer
16
une autre seconde de silence, une autre scène de drame, une autre attaque personnelle, une autre
histoire atroce de cruauté et d'abus, ou un autre moment d'être témoin de sa douleur et de sa
vulnérabilité, de sa dépression et de son chagrin. Plusieurs fois, je me suis sentie soulagée quand elle
est finalement partie; et plusieurs fois, j'ai souhaité qu'elle ne revienne jamais. Toutefois, être une
personne - et surtout une personne analyste- signifie que nous restons présent pour servir de
témoin et pour aider si possible2.
Nous restons présent spécialement quand c'est dur et quand la souffrance dont nous
sommes témoin nous assomme quand elle émerge à la lumière du jour avec une force accablante.
Parfois, même au-delà d'être témoin, nous prêtons main forte si nous le pouvons. Katherine a été
mon cas difficile parce que, dans son creuset, j'ai appris que ma charge et ma responsabilité en tant
qu'analyste est d'aider à porter le fardeau de la souffrance humaine. Quelle personne saine d'esprit
choisirait une telle chose? Malgré tout, avoir su cela et avoir choisi une autre profession, j'aurais pu
passer à côté d'un travail le plus proche du sacré que je puisse imaginer.
2
Le philosophe français, Emanuel Levinas (1969), a enseigné que la dimension éthique des relations
précédait toute connaissance et tire son origine de la rencontre face-à-face avec l'Autre. L'épiphanie du visage
de l'Autre est révélatrice et nous lie; elle nous somme, nous tire vers lui, et dans sa vulnérabilité exige notre
protection et notre responsabilité. En tant que Juif religieux, Levinas peut avoir suggérer que le choc du visage
de l'Autre est un rappel que l'Autre est comme moi, et que nous avons tous été créés à l'image divine.
Références
Bacal, H. A. & Herzog, B. (2003), Specificity theory and optimal responsiveness: An
outline. Psychoanal. Psychol., 20:635–648.
Fosshage, J. L. (1997), Listening/experiencing perspectives and the quest for a
facilitating responsiveness. Prog. in Self Psychol., 13:33–55.
Levinas, E. (1969), Totality and Infinity: An Essay on Exteriority,trans.A. Largis. Pittsburg:
Duquesne University Press.
Stolorow, R. D., Atwood, G. E. & Orange, D. M. (1999), Kohut and contextualism: Toward
a post-Cartesian psychoanalytic theory. Psychoanal. Psychol., 16:380–388.
Joye Weisel-Barth, Ph.D., Psy.D
4826 Andasol Ave.
Encino, CA 91316
818–986–4098
[email protected]
17

Documents pareils