Jeux de constructions narratifs dans Die Architekten de Stefan Heym
Transcription
Jeux de constructions narratifs dans Die Architekten de Stefan Heym
Contextes, concepts, discours : le cas de la RDA Journée d’études du 11 mai 2007 à l’Université de Bourgogne - Dijon Jeux de constructions narratifs dans Die Architekten de Stefan Heym Stéphanie Benoist, Marie-Geneviève Gerrer & Laurent Gautier Université de Bourgogne – Dijon Conçu dès l’été 1963, terminé à la fin de l’année 1966 mais sans cesse remanié jusqu’à la disparition de son auteur, le roman de Stefan Heym Die Architekten qui devait initialement être publié en anglais sous le titre The Architects ne le fut finalement qu’en 2000, soit dix ans après la réunification, après que l’auteur l’eut traduit en allemand. Mettant en scène le ‘petit monde’ de l’architecture dans le Berlin-Est des années 1950, l’œuvre repose elle-même sur un subtil échafaudage narratif que la présente communication, en mêlant approches littéraire et linguistique, se propose de mettre à plat, en s’intéressant d’une part aux différentes strates de la diégèse – auxquelles correspondent autant de niveaux de lecture – et d’autre part aux matériaux langagiers mis en œuvre : différences de langage entre deux des personnages principaux, Sundstrom et Tieck, et réseaux métaphoriques. L’analyse narrative permet en effet de dégager au moins trois niveaux successifs. Il s’agit au premier degré d’histoires d’amour entre architectes : la jeune architecte Julia quitte son mari architecte en chef pour une aventure sans lendemain avec un des architectes du bureau venu de l’Ouest, pour finalement trouver le bonheur avec un troisième architecte. Mais, comme dans la plupart des romans de RDA, il s’agit d’un roman codé où la sphère privée est étroitement liée à la sphère publique : au-delà de cette histoire d’amour banale, le roman se révèle être le symbole de la construction de la RDA. Au fil du récit se dessine toute l’histoire du pays, de ses balbutiements à la réunification. A ces deux étages, pour filer la métaphore, s’ajoute une dimension allégorique : tel Pygmalion avec sa Galatée, Sundstrom façonne sa femme – image du socialisme – qui échoue dans sa tentative de construire un avenir avec Hiller – allégorie de la RFA. Lorsque le projet du couple Julia-Tieck (allégoriquement : l’élaboration d’un nouvel Etat socialiste après 89) est abandonné au bénéfice de celui du tandem Sundstrom-Hiller (la nouvelle Allemagne réunifiée) lors du concours d’architecture (les discussions autour des différentes voies politiques possibles en 89-90), le couple Julia-Tieck, représentant le socialisme idéal à visage humain, se retire dans l’attente de jours meilleurs. Heym nous livre donc un véritable roman à strates qui lui permettent de transmettre de manière chiffrée son testament politique, testament non pas dans le sens d’un bilan tourné vers le passé, mais ouvert vers des lendemains qui chantent où l’humanité sera devenue meilleure. Cette imbrication des strates diégétiques s’exprime également au niveau énonciatif, notamment dans les prises de parole de Sundstrom et de Tieck. Ces deux personnages, adversaires en amour, en architecture et en politique, constituent les deux pôles opposés vers lesquels oscille alternativement le centre de la narration. La langue affective, sincère, pragmatique et objective de Tieck s’oppose à la langue rationnelle, endoctrinée, didactique, figée, voire creuse de Sundstrom. L’opposition de ces deux langages est une des pierres de la construction narrative du roman, dans la mesure où elle obéit au même mouvement dialectique que le plan idéologique : en effet, la rhétorique et la force de persuasion de Sundstrom, si convaincantes au chapitre 2, déclinent au point d’être anéanties au chapitre 8 (victoire de la sincérité et de l’affect), et finissent par triompher (en apparence du moins) à la fin du livre, tandis que le discours de Tieck gagne en assurance et en logique au fil du roman. Sur cette base, une troisième partie sera consacrée à l’analyse du réseau que constituent tout au long du récit les nombreuses métaphores de la construction – échos, au niveau microstructurel, du thème et de la macrostructure du roman. Une analyse de fréquence montre en effet que le vocabulaire de l’architecture est employé non seulement dans des contextes professionnels où il joue alors le Contextes, concepts, discours : le cas de la RDA Journée d’études du 11 mai 2007 à l’Université de Bourgogne - Dijon rôle dévolu à toute terminologie, mais aussi dans des situations d’énonciation non spécialisées. L’étude se focalisera ainsi sur trois domaines cibles autour des deux pôles que sont le privé et le public (cf. supra) : L’AMOUR EST UNE CONSTRUCTION (das Gerüst ihrer Grundsätze brach um sie herum zusammen, Zweifel spalteten den Boden, auf dem sie gestanden hatte), L’AVENIR EST UNE CONSTRUCTION (eine ungeheure Ebene, auf der sich die Formen und Dimensionen der Zukunft errichten ließen), L’IDEOLOGIE EST UNE CONSTRUCTION (Soll der Weg zum Sozialismus stets nur geradeaus führen und gut gepflastert sein?). S’inscrivant dans le sillage d’une approche cognitiviste du fait métaphorique et reposant sur l’analyse serrée des structures prédicats-arguments rencontrées, la démonstration posera la question de savoir dans quelle mesure ce procédé, à travers son rôle au niveau de la conceptualisation, permet aux locuteurs, en particulier Sundstrom, de gommer les différences, précisément entre sphères privée et publique. En rapprochant ce réseau métaphorique de celui, certes moins productif, des phénomènes météorologiques et géologiques, on conclura sur la façon dont le discours littéraire de Heym illustre l’influence des contextes (extralinguistique, idéologique) sur la formation des concepts.