Quand l`intimidation forge le caractère

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Quand l`intimidation forge le caractère
Quand l’intimidation forge le caractère !
Par Diane Prud’homme
Coordonnatrice des dossiers liés à la problématique de la violence,
Regroupement provincial des maisons d'hébergement et de transition pour femmes victimes de violence conjugale
Le monde de l’enfance – en particulier celui des cours d’école – est un grand terrain de
jeu qui met souvent les jeunes à rude épreuve. On le voit tous les jours : les enfants se
chamaillent, se disputent, s'affrontent. Le phénomène est si courant qu’en tant qu’adulte, on
considère souvent que ces escarmouches font partie du développement normal de l’enfant.
Certains diront que « ça forme le caractère » et que c’est « normal », tant que ça ne dégénère
pas en coups et batailles.
Mais est‐ce bien le cas ? Que penser par exemple d’un jeune garçon qui se fait traiter de
« fif » par ses camarades ? Que dire d’une jeune fille qui se fait traiter de « grosse baloune » ou
de « salope » ? S'agit‐il là d'incidents banals qui « forgent le caractère » ? D’une certaine façon,
oui… mais pas forcément de la bonne façon !
En effet, un nombre important d’étudesi démontrent que quantité de ces jeunes sont
affectés dans leur perception d’eux‐mêmes justement parce qu’ils se sont fait traiter de la sorte.
En outre, les témoignages d’adultes abondent qui révèlent à quel point ils ont été marqués par
le dénigrement, l'humiliation ou l'intimidation qu'ils ont subi en public.
On comprend aisément combien, au moment où un enfant est en train d’apprendre à
socialiser – alors qu’il « se cherche » et tente de définir qui il est par rapport aux autres –, il peut
être marquant pour lui de se faire traiter de « mauviette », de « monstre » ou de « tête de
carotte »… pour ne pas nommer des qualificatifs nettement plus dégradants.
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« Peut‐être suis‐je comme ça ?! »
Pour comprendre ce qui se passe, imaginons une scène courante : un jeune dans la cour
d’école se fait traiter de « grosse vache », de « fif » ou de « suceuse de queue » par un autre
jeune de son entourage.
En soi, l’incident pourrait être banal s’il ne survenait qu’une seule fois et en privé. Or,
c’est habituellement le contraire qui se produit : la victime se fait traiter de la sorte devant des
témoins qui, de surcroît, en rient. Pire, l’agression se répète et se répand dans tout le groupe
puis bientôt à travers l’école. Plusieurs se mettent alors à rire ou, tout au moins, à considérer la
victime comme étant bel et bien une « grosse vache », un « fif », une « pute »…
En devenant l’objet de la risée de son entourage, qu’apprend la victime sur elle‐même ?
Qu’aux yeux des autres, non seulement elle est vue comme différente, mais surtout que cette
différence est risible. Elle apprend ainsi que quelque chose chez elle peut être sujet de
moquerie et que, conséquemment, elle est perçue comme étant inférieure aux autres.
Comment peut‐elle alors se défendre ?
Sur le coup, tous les enfants ressentiront de la colère et de la honte, mais tous ne
réagiront pas de la même façon. Une première victime peut tenter de convaincre le groupe
qu’elle n’est pas ce qu'on la qualifie. Mais comment lutter contre des préjugés colportés par
l'ensemble de la société ? Si elle est grosse, par exemple, ou si son visage est ravagé par l’acné
alors qu’on valorise partout la minceur et la beauté, comment peut‐elle s’en sortir ? C’est David
contre Goliath !
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Une deuxième victime choisira de se taire, la honte étant trop envahissante pour quelle
se confie à qui que ce soit. Une troisième prendra le parti d’aller vers un adulte : elle est certes
humiliée et n’a pas forcément envie d’en parler, mais poussée à bout, pourquoi ne pas essayer ?
Elle risque cependant de se faire répondre : « Ce n’est pas si grave… Tu n’as qu’à ne pas y prêter
attention, à ne pas réagir… Tout finira par passer. » Il arrive même que l’adulte endosse la
raillerie en question. Par exemple, une victime qui attire la moquerie parce qu’elle est grosse
pourra se faire conseiller de « faire un p’tit effort » pour moins manger et être plus active. Après
tout, les camarades n’ont peut‐être pas complètement tort !
Une étude canadienneii rapporte que les filles obèses courent 90 % plus de risques d’être
agressées que celles dont le poids est normal. On les agresse en les affublant d’épithètes
désobligeantes, en adoptant une attitude hautaine à leur égard ou en lançant des rumeurs
diffamantes à leur sujet. On se permet même de les agresser physiquement. Et lorsque les
agresseurs doivent expliquer pourquoi ils s’en prennent à elles, ils se justifient en disant que ces
filles sont des paresseuses qui se laissent aller, qui manquent de volonté, qui sont gourmandes,
etc. N’est‐ce pas là des jugements qu’endossent bon nombre d’adultes ?
Au bout du compte, la victime d’une « simple moquerie » peut se retrouver avec une
bonne part de son entourage sur le dos. « Tu exagères, se fait‐elle dire. Prends ça en riant… » À
moins qu’on lui suggère... de se prendre en main !
Dès lors, non seulement subit‐elle l’agresseur et ses copains qui la traitent de ceci ou de
cela, mais aussi les témoins de l’agression qui en rient, renforçant ainsi la présumée véracité de
la raillerie. Les adultes eux‐mêmes, par leur silence ou par la banalisation qu’ils en font, laissent
croire qu’il y a du vrai dans la situation.
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Comment dans de telles circonstances ne pas finir par croire qu’on est ridicule parce
qu'on est gros, efféminé ou roux, et qu’on mérite à tout le moins la raillerie dont on est victime
puisque rien ne vient contrebalancer ce message ? Il y a là ample matière à miner la perception
qu’on a de soi à travers le regard des autres.
Les conséquences de cette violence varient. Dans les cas où les agressions se répètent, la
victime finit par absorber le message. Elle est rejetée par ses camarades, à cet âge où l'enfant
cherche justement à établir des liens avec ses pairs et à leur ressembler. Il est aussi reconnu que
la majorité de ces enfants, parvenus à l'âge adulte, ont encore de la difficulté à se faire des amis
et à développer des rapports égalitaires. Ainsi, la confiance en soi et dans les autres demeure
fragile tout au long de la vie !
Dans les cas les plus graves, certains deviendront dépressifs et anxieux. Pire, ils se
victimiseront, c’est‐à‐dire qu’ils finiront par se voir menacés dans des situations sans danger et
par se sentir impuissants comme ils l’ont été lorsqu’ils ont été intimidés. On peut facilement
comprendre que cette forme de violence laisse des marques sur l’image de soi et sur le rapport
que ces jeunes développent avec les autres. Que devons‐nous faire en tant qu’adultes quant à
ces marques ?
Que faire ?
Il faut intervenir dès qu’on est en présence d’une scène de violence, quelle que soit sa
forme – psychologique ou physique. Mais encore faut‐il savoir comment s’y prendre.
À cette fin, le Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale
propose une démarche de prévention dans les écoles primaires. Il s’agit de « Branchons‐nous
sur les rapports de forceiii » qui donne des outils concrets au personnel scolaire, aux élèves et
aux parents pour qu’ils puissent dépister la violence sous toutes ses formes et, surtout, pour
qu'ils agissent ensemble afin de la contrer.
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L’une des particularités de cette démarche réside dans l'intervention auprès des victimes
et dans l'aide à leur apporter pour qu'elles reprennent confiance et retrouvent le pouvoir que
les épisodes de violence leur ont fait perdre. Ces victimes ont été ridiculisées plus d’une fois,
rejetées, humiliées; elles ont été traitées comme des êtres de seconde classe. Le moins que l’on
puisse faire pour elles, c’est de les aider à renforcer leur image d’elles‐mêmes.
Plus précisément, il faut déterminer avec la victime les peurs qui demeurent en elle, les
messages que la violence y a laissés, qu’elle a intégrés. Par exemple : Croit‐elle ce qu’on dit à
son sujet ? Est‐elle grosse parce qu'elle est paresseuse ? A‐t‐elle mérité ou provoqué ces
insultes ? Devrait‐elle maigrir pour être aimée ?
On doit donc aider la victime à voir ces messages et ces doutes comme des
conséquences de la peur de l’agression, car c’est en les reconnaissant qu’elle pourra s’en
débarrasser. C'est ce qui l’amènera à pouvoir se centrer sur ses droits, sur sa colère et sur sa
dignité, en démêlant ce qui est de l’ordre de sa perception et ce qui est de l'ordre du réel. Elle
pourra ensuite expérimenter différentes situations de prise de pouvoir et d’affirmation pour
défier ses peurs à partir d’une évaluation réaliste du risque.
Bref, c’est en intervenant au moindre signe de violence envers un enfant qu’on pourra
éviter que sa perception de lui‐même soit trop déformée. Et si la violence a déjà fait ses ravages,
on se doit de se préoccuper de la victime pour l’aider à réparer les préjudices qui lui ont été
portés et à reprendre du pouvoir sur sa vie.
i
Prud’homme, Diane (2004). La violence à l’école n’est pas un jeu d’enfant – Pour intervenir dès le primaire, Montréal, Éditions
du remue-ménage.
ii
Janssen, Ian, Wendy M.Craig, William F. Boyce et William Pickett. « Associations Between Overweight and Obesity with
Bullying Behaviors in School-aged Children », Pediatrics, vol. 113, no 5, mai 2004, p. 1187-1194.
iii
Prud’homme, Diane (2008). Violence entre enfants – Casse-tête pour les parents, Montréal, Éditions du remue-ménage, p. 214.
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