1. LA PREMIERE SECTION DE GALATES Avant d`entrer dans le vif

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1. LA PREMIERE SECTION DE GALATES Avant d`entrer dans le vif
1. LA PREMIERE SECTION DE GALATES
Avant d’entrer dans le vif du sujet, quelques mots sur les Galates, auxquels Paul
écrit. La Galatie se trouve au centre de la Turquie actuelle, grosso modo la région
d’Ankara, la capitale actuelle. La population du nord de cette région était d’origine
celte, immigrés à la fin du IIIe siècle avant J.-C. « Galates » provient de la même
racine que « Gaulois ». Quand Paul les apostrophe au début de la partie centrale de sa
lettre en disant : « Galates insensés », on pourrait traduire : « Ils sont fous ces
Galates ! » En quoi sont-ils fous ? Quel est le problème qui se posait et qui a fait réagir
Paul, de manière si vigoureuse ? En lisant la lettre, nous le découvrirons peu à peu.
Suspens...
Quand la lettre a-t-elle été écrite ? Avant ou après le Concile de Jérusalem rapporté
en Actes 15 ? Les spécialistes ne sont pas d’accord. La seule chose sûre est que
Galates a été écrite avant la grande Lettre aux Romains, qui reprend et développe les
thèmes de la précédente. Romains aurait été écrite de Corinthe durant l’hiver 55/56,
Galates peu de temps auparavant. Mais ces questions ne sont pas essentielles pour
notre lecture de la Lettre.
Troisième question préliminaire : pourquoi lire Galates plutôt qu’une autre épître de
Paul ? Tout simplement, parce que c’est celle que je connais un peu : je viens de
terminer, vingt ans après avoir commencé, un commentaire de cette épître. Et puis, elle
est très importante par son contenu. Luther l’aimait beaucoup, à tel point qu’il
l’appelait « sa petite fiancée ».
Comme tous les auteurs du Nouveau Testament, et déjà ceux des derniers livres de
l’Ancien Testament, Paul écrit en grec. Il est donc tentant de recourir aux catégories de
la littérature grecque de son époque pour analyser ses écrits. Il était né à Tarse, ville
importante d’Asie mineure où fleurissaient les écoles de rhétorique, ce qui induit
plusieurs à penser qu’il les avait probablement fréquentées et était donc rompu aux
règles de la rhétorique classique gréco-romaine. Même si les études sur l’épître aux
Galates menées en fonction des règles de cette rhétorique se sont multipliées et
diversifiées depuis trente cinq ans, elles ne sont pas les premières, tant s’en faut. Au
moment de la Réforme, Melanchton faisait de même, sans parler de saint Jean
Chrysostome au IVe siècle.
En 1975 Hans Dieter Betz a été l’initiateur des études modernes sur l’épître aux
Galates selon les catégories de la rhétorique classique. Dans son commentaire de
1979 il se réfère constamment à Cicéron et Quintilien. À leur suite, il entend
déterminer à quel genre appartient la Lettre aux Galates. Les trois genres littéraires de
la rhétorique antique sont :
1. le genre judiciaire qui est prononcé devant le juge lequel doit statuer sur ce qui s’est
passé ;
2. le genre délibératif, qui regarde le politique, prépare la décision pour le futur ;
3. enfin le genre démonstratif (ou épidictique), dont la fonction est, dans le présent
essentiellement, de blâmer, de louer ou de conseiller. Betz est d’avis que Galates
relève du genre judiciaire.
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On n’a pas manqué d’opposer à Betz certaines objections. La plus importante sans
doute est que Paul ne s’adresse pas à un juge auquel il exposerait sa défense ; il
s’adresse directement à ceux avec lesquels il est en conflit. Et c’est ainsi que d’autres
(comme Georges Kennedy en 1984) pensent que la lettre ressortit au genre délibératif,
à cause des exhortations que Paul développe dans la dernière partie de la lettre. Enfin il
ne manque pas d’auteurs (comme Antonio Pitta en 1992 et1995) pour soutenir que
l’écrit de Paul relève du genre démonstratif.
D’autres enfin se référent à l’épistolographie de l’époque, laquelle obéit à des règles
qui ne sont pas celles des discours, qu’ils soient judiciaires, délibératifs ou démonstratifs. Mais là encore, c’est toujours à des catégories grecques que l’on a recours.
Tous les auteurs dont il a été question jusqu’ici se situent, sans même le discuter, dans
une perspective purement occidentale, gréco-romaine.
Or il est possible, et même souhaitable de remettre en cause les fondements mêmes
d’une telle position. Paul était-il vraiment un rhéteur grec ou n’était-il pas plutôt un
rabbin juif ? Lui-même dit qu’il a étudié à Jérusalem aux pieds de Gamaliel. On peut
penser qu’il ne le dirait pas s’il avait suivi une session intensive de quelques jours
seulement. S’il tient à le dire, c’est que Gamaliel fut son maître, son rabbi. S’il lui
arrive une fois de citer un vers d’un poète grec, à Athènes, les nombreuses citations de
ses lettres sont tirées de la Bible : il est nourri essentiellement de Bible, sa culture est
biblique avant tout. Or la littérature biblique, surtout la Bible hébraïque qui en constitue la quasi-totalité, appartient au monde sémitique et non pas au monde occidental.
La rhétorique classique, gréco-latine, n’est pas la seule au monde. Il existe une
rhétorique sémitique dont les lois diffèrent notablement des règles de la rhétorique
grecque. Même si la Lettre aux Galates fut rédigée directement en grec, on est donc en
droit de se demander si elle n’obéit pas plutôt à la rhétorique de la Bible hébraïque
dont Saul était imprégné jusqu’aux moelles. Si un modèle de composition doit être
cherché ailleurs que dans le texte de l’épître lui-même, ne serait-ce pas dans les écrits
de l’Ancien Testament qu’il faudrait le chercher ? Si l’on tient à parler de genre
littéraire, ce n’est pas à Athènes ou à Tarse qu’on le trouvera mais à Jérusalem.
Il ne saurait être question de nier la double culture de Saul-Paul ; il s’agit seulement
de reprendre à nouveaux frais l’étude de son épître pour vérifier si elle ne serait pas,
elle aussi, comme les évangiles, comme les prophètes, composée selon les lois de la
rhétorique biblique, et plus largement sémitique. Le jeu en vaut la chandelle, dans la
mesure où la mise en évidence de la composition permet d’arriver à une meilleure
compréhension du texte.
Mais trêve de généralités ! Lisons la Lettre de Paul. Et commençons par le
commencement. La grande majorité des commentateurs reconnaissent que la Lettre
comprend trois sections, une section dite narrative (les deux premiers chapitres), une
section dite doctrinale (les chapitres 3 et 4, à un verset près), une section parénétique
ou morale (les chapitres 5 et 6). Il est vrai que dans la plus grande partie de la première
section, Paul raconte. Le problème n’est pas tant d’inventorier le contenu de son récit
que de déterminer sa fonction.
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LISONS LA PREMIERE SEQUENCE (1,6-10) :
1,6 Je m’étonne qu’aussi rapidement vous désertiez Celui qui vous a appelés dans la grâce
du Christ vers un Évangile différent. 7 Non qu’il y en ait un autre, mais il en est certains qui
vous troublent et qui veulent dévier l’Évangile du Christ. 8 Même si nous-mêmes ou un
ange du ciel vous annonçait un évangile opposé à ce que nous vous avons annoncé, qu’il
soit anathème ! 9 Comme nous vous l’avons déjà-dit, à présent encore je le redis : si
quelqu’un vous annonce un évangile opposé à ce que vous avez reçu, qu’il soit anathème !
10
À présent donc ce sont des hommes que je veux persuader, ou bien serait-ce Dieu ? Ou
alors je cherche à plaire à des hommes ? Si c’était encore à des hommes que je voulais
plaire, du Christ je ne serais plus le serviteur.
Au début de la Lettre, juste après l’adresse, on apprend seulement qu’il y a des
personnes qui sont intervenues auprès des Galates pour « dévier l’Évangile du
Christ », mais on ne sait pas du tout en quoi. On sait seulement que la question est très
grave, car il ne s’agit de rien moins que de la nature de l’Évangile, à tel point qu’il
semble qu’il y ait deux évangiles différents, et même opposés ; la question est
tellement grave que les Galates sont accusés de « déserter » Dieu lui-même.
LISONS MAINTENANT LA SEQUENCE SUIVANTE (1,11-17) :
11
Je vous fais-savoir, frères, que l’Évangile qui a été annoncé par moi n’est pas selon un
homme ; 12 d’ailleurs, moi, ce n’est pas d’un homme que je l’ai reçu ou que j’en ai été
instruit, mais par une révélation de Jésus Christ. 13 En effet, vous avez entendu parler de
ma conduite jadis dans le judaïsme : à outrance je persécutais l’Église de Dieu et je
cherchais à la ruiner. 14 Et je progressais dans le judaïsme plus que beaucoup des
contemporains de ma race, étant beaucoup plus zélé pour les traditions de mes pères.
15
Mais quand il plut à Celui qui m’avait mis à part dès le sein de ma mère et qui m’a
appelé par sa grâce 16 de révéler son Fils en moi, afin que je l’annonce chez les Nations,
aussitôt, je ne consultai pas la chair et le sang 17 et je ne montai pas à Jérusalem vers ceux
qui furent apôtres avant moi, mais je partis en Arabie et de nouveau je retournai à Damas.
Dans cette deuxième séquence on n’en apprend pas davantage sur la nature de
l’Évangile prêché par Paul, ni sur le contenu de ce qu’annoncent ses adversaires. En
revanche, Paul affirme avec la plus grande force l’origine divine de son Évangile : il
ne doit absolument rien aux hommes, même pas aux apôtres de Jérusalem. Soit dit en
passant, contrairement au lecteur d’aujourd’hui, les destinataires de Paul ne devaient
pas avoir besoin d’être informés sur la différence entre l’Évangile de Paul et celui de
ses adversaires...
PASSONS A LA SEQUENCE CENTRALE DE LA SECTION (1,18-24) :
18
Ensuite, après trois ans, je montai à Jérusalem pour faire connaissance avec Képhas et je
restai près de lui quinze jours ; 19 je ne vis aucun autre des apôtres mais seulement Jacques
le frère du Seigneur. 20 Ce que je vous écris, voici devant Dieu que je ne mens pas.
21
Ensuite, j’allai dans les régions de la Syrie et de la Cilicie. 22 J’étais du reste inconnu de
visage des églises de Judée qui sont dans le Christ ; 23 elles avaient seulement entendu dire
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que « Celui qui nous persécutait jadis, maintenant annonce la foi que jadis il cherchait à
ruiner » 24 et à mon sujet elles glorifiaient Dieu.
Le lecteur apprend que Paul a attendu trois ans, c’est-à-dire trois ans après sa conversion, trois années entières passées à annoncer l’Évangile reçu directement d’une
révélation divine, avant de monter à Jérusalem pour y passer seulement quinze jours
auprès de Képhas, le premier des apôtres. Non pas que Paul ait voulu consulter Pierre
ou être instruit par lui ; il entendait seulement « faire sa connaissance ». Il n’avait pas
davantage visité les Églises de Judée, bien qu’elles glorifiaient Dieu à son sujet. En
somme, c’est une autre manière de dire qu’il ne tient pas son Évangile d’un homme,
fût-ce de Pierre, mais uniquement d’une révélation divine.
ET VOICI LA SEQUENCE SUIVANTE :
2,1 Ensuite, après quatorze ans, de nouveau je montai à Jérusalem avec Barnabé,
accompagné aussi de Tite ; 2 je montai à la suite d’une révélation. Je leur exposai
l’Évangile que je proclame chez les Nations mais en privé aux notables pour éviter de
courir ou d’avoir couru en vain. 3 Or pas même Tite mon compagnon, qui était Grec, ne fut
contraint de se faire circoncire. 4 C’était à cause des faux frères infiltrés qui s’étaient
introduits, pour espionner notre liberté que nous avons dans le Christ Jésus afin de nous
réduire en esclavage, 5 auxquels pas même une heure nous acceptâmes de nous soumettre,
afin que la vérité de l’Évangile demeure pour vous.
6
Mais de la part de ceux qui étaient considérés être les notables – ce qu’alors ils
pouvaient être peu m’importe, Dieu ne regarde pas à l’apparence de l’homme –, à moi les
notables n’imposèrent rien. 7 Mais voyant au contraire que m’avait été confié l’Évangile du
Prépuce comme à Pierre de la Circoncision – 8 car Celui qui œuvra en faveur de Pierre
pour l’apostolat de la Circoncision a œuvré en ma faveur aussi pour les Nations – 9 et
connaissant la grâce qui m’avait été donnée, Jacques, Képhas et Jean, les notables qui sont
les colonnes, me donnèrent la droite ainsi qu’à Barnabé en signe de communion : nous
devions être nous pour les Nations, eux pour la Circoncision. 10 Nous devions seulement
nous souvenir des pauvres. Et cela j’ai eu à cœur de le faire.
C’est seulement dans le second versant de la section que le lecteur commence à être
informé sur le contenu du litige entre Paul et ses opposants. Il s’agit de la circoncision.
Pour sa seconde visite auprès des apôtres, quatorze ans après la première, donc après
dix-sept ans de prédication de l’Évangile, Paul est accompagné non seulement par le
juif Barnabé mais aussi par le Grec Tite. Ceux que Paul qualifie de « faux frères »
insistaient pour que Tite soit circoncis, Paul au contraire était d’avis qu’il n’était pas
nécessaire de devenir juif pour être sauvé par le Christ. Ces faux-frères sont donc de la
même école que ceux qui troublent les Galates dont parlait la première séquence.
L’issue de la rencontre de Jérusalem est que l’Évangile que Paul a exposé aux apôtres
est accepté par eux. Paul est donc invité à poursuivre son annonce de l’Évangile auprès
des païens, tandis que Pierre continuera avec les autres apôtres à évangéliser les juifs,
ceux de la circoncision. Pas plus que la circoncision, aucun autre précepte de la Loi
n’est imposé aux païens. La seule chose qui leur est demandée, c’est de « se souvenir
des pauvres ».
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On pourra se demander pourquoi la dispute se focalise sur la circoncision ? Il y a
plusieurs raisons à cela. D’abord, c’était le problème pratique qui se posait à cette
occasion, à cause de Tite. Plus profondément, la circoncision est emblématique de
toute la Loi. En hébreu le rite de la circoncision se dit « l’alliance de la circoncision » ;
en effet, c’est en étant circoncis que l’on entre dans l’alliance d’Abraham. Dans les
évangiles il n’en est pas question, tout simplement parce que dans un milieu
exclusivement juif, le problème ne se posait pas. Ce n’est pas pour cela que le conflit
entre Jésus et les responsables du peuple juif n’existait pas ; il se cristallisait non pas
sur la circoncision, mais sur le sabbat.
À ce propos, il faut chercher quel est le point commun entre le sabbat et la
circoncision. Cela est très important. Dans les deux cas, l’homme renonce à la totalité.
Par la circoncision, qui marque le corps de l’individu, l’homme reconnaît qu’il ne se
suffit pas à lui-même, il renonce à une partie de son corps pour signifier son ouverture
à l’autre, en ce cas à l’autre sexe. Mais pas seulement. Chez tant et tant de peuples la
circoncision intervient au moment de la puberté et fait partie des rites de passage de
l’enfance à l’état adulte et donc au mariage. En Israël au contraire, la circoncision est
pratiquée le huitième jour après la naissance ; elle est donc largement déconnectée de
l’aspect sexuel. Reliée à l’alliance d’Abraham, elle signifie donc l’ouverture à l’Autre
avec la majuscule, puisque, par cette opération rituelle, le petit enfant juif entre dans
l’alliance avec Dieu. Si la circoncision marque le corps de l’individu, c’est le corps
social que marque le sabbat. Lui aussi consiste à renoncer, devant le Seigneur, à la
totalité. En se reposant le septième jour, l’homme consacre une partie de son temps
pour le Seigneur, reconnaissant par là qu’il n’est pas le tout, qu’il n’est pas sa propre
origine, qu’il se rapporte à un autre.
Que signifie le seul commandement imposé à Paul, et à travers lui, aux païens
devenus disciples de Jésus, à savoir « se souvenir des pauvres » ? Là aussi se retrouve
la même logique : il s’agit de renoncer à la totalité de ses possessions, pour en sacrifier
une partie pour les pauvres. Autrement dit, les chrétiens d’origine païenne sont ainsi
soumis à la même loi fondamentale que les disciples juifs.
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VENONS-EN A LA DERNIERE SEQUENCE DE LA SECTION (2,11-21) :
11
Quand Képhas vint à Antioche, je lui résistai en face car il était blâmable : 12 Car avant
que certains ne viennent d’auprès de Jacques il mangeait avec les nations ; mais quand ils
vinrent, il se déroba et se tint à l’écart, craignant ceux de la Circoncision. 13 Et le suivirent
dans l’hypocrisie le reste des juifs, de sorte que même Barnabé fut entraîné par leur
hypocrisie.14 Mais quand je vis qu’il ne marchait pas droit selon la vérité de l’Évangile, je
dis à Képhas devant tous : « Si toi qui es juif, tu vis comme les Nations et non comme les
juifs, comment veux-tu contraindre les Nations à judaïser ?
15
Nous, nous sommes juifs de naissance et non pas de ces pécheurs des Nations. Mais
sachant que 16 n’est justifié aucun homme par les œuvres de la Loi sinon par la Foi en Jésus
Christ, nous aussi dans le Christ Jésus nous avons cru afin d’être justifiés par la Foi en
Christ et non par les œuvres de la Loi, car par les œuvres de la Loi « n’est justifiée aucune
chair ». 17 Mais si, cherchant à être justifiés dans le Christ, nous aussi sommes trouvés
pécheurs, alors le Christ est serviteur du péché. Certes pas ! 18 Car si je rebâtis ce que j’ai
abattu, je me démontre moi-même transgresseur. 19 Moi en effet, par la Loi, à la Loi j’ai été
mis à mort ; afin de vivre pour Dieu, avec le Christ je suis crucifié. 20 Je vis non plus moi,
mais vit en moi le Christ. Ce que maintenant je vis dans la chair, je le vis dans la foi au Fils
de Dieu qui m’a aimé et s’est livré lui-même pour moi. 21 Je ne rejette pas la grâce de
Dieu ; car si c’était par la Loi que venait la justification, alors le Christ serait mort pour
rien.
Au début de la section Paul avait blâmé la conduite des Galates ; à la fin de la
section il raconte comment à Antioche il avait autrefois blâmé le comportement de
Képhas. Comme pour faire comprendre aux Galates, que, s’il n’avait pas hésité à
contrer Pierre lui-même, le premier de ceux qu’il avait appelé « les colonnes », il
n’était sûrement pas prêt à céder aux judaïsants de Galatie. À Jérusalem, le problème
était celui de la circoncision, et à propos de cet unique commandement, c’était en
réalité celui de toute la Loi de Moïse. À Antioche, le problème est toujours le même,
même si l’occasion est différente. Képhas mangeait avec les chrétiens d’origine
païenne, mais craignant les judaïsants descendus de Jérusalem, il avait renoncé à
partager la table des disciples ethnico-chrétiens. Paul l’accuse donc de « contraindre
les nations à judaïser ». En effet, les juifs ne mangent pas avec les païens, non
seulement parce qu’ils ne sont pas circoncis, mais aussi parce qu’ils ne mangent pas
casher, ne respectant pas les interdits alimentaires des juifs. Pour que les ethnicochrétiens puissent manger avec les judéo-chrétiens, ils doivent donc se soumettre aux
prescriptions alimentaires de la Loi juive. En somme, ils devraient devenir juifs.
Dans la séquence précédente, Paul avait défendu « la vérité de l’Évangile », mais il
n’avait pas argumenté. Cette fois-ci, dans le long discours qu’il adresse à Képhas – et à
travers lui, bien sûr, à ses destinataires aussi –, il va s’expliquer en donnant les raisons
de sa position. Imposer aux disciples venus du paganisme la circoncision ou les
interdits alimentaires, c’est leur imposer en réalité tous les autres commandements de
la Loi, car tout se tient. C’est donc penser que le salut vient de l’observation de la Loi,
des « œuvres de la Loi ». Ce serait alors réduire à néant la Foi en Jésus Christ. En
revenant à la pratique de la Loi, Pierre avait implicitement reconnu qu’il l’avait
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d’abord transgressée ; ce qui signifie en réalité que la foi au Christ l’avait conduit à
pécher. Ce qui serait un comble ! Or ce qui me fait vivre, ce ne sont pas les œuvres de
la Loi que je pratiquerais ; ce qui me fait vivre, ce qui m’apporte le salut, c’est l’œuvre
du Christ, lui « qui m’a aimé et s’est livré pour moi ». « La grâce de Dieu » – « le
salut » ou « la vie » – m’est donnée gratuitement par la Croix du Christ, que j’accepte
moi aussi de porter à sa suite. On verra plus avant quel est le statut et la fonction de la
Croix pour Paul, par rapport à la circoncision, aux interdits alimentaires et à toute la
Loi.
Pour terminer cette lecture de la première section de l’Épître aux Galates, revenons
sur la question de son genre littéraire. Il n’est pas à chercher dans le monde grec, mais
dans celui de la Bible. La situation dans laquelle se trouve Paul et sa façon
d’argumenter sont celles de la « controverse bilatérale », en hébreu : le rîb. Un conflit,
un désaccord éclate entre deux contendants : ils l’affrontent face à face. L’un accuse,
l’autre se disculpe ou reconnaît sa faute ; le but visé par ce genre de procédure n’est
pas de condamner l’autre, mais de rétablir la vérité et, en définitive, de restaurer la
communion. Un des cas emblématiques de controverse est le rîb prophétique. Quand
le prophète est remis en question, quand ses avis sont repoussés, il rappelle sa
vocation, affirmant que sa parole n’est pas une parole humaine, que c’est la parole de
Dieu. Ainsi parlait Amos (Am 7,10-17). Il va jusqu’à dire qu’il a été choisi par Dieu
dès avant sa naissance pour la mission qui lui a été confiée. Ainsi parlait Jérémie (Jr
1,5 ; voir aussi Is 49,1.5). C’est que, en face du prophète, s’étaient levés des faux
prophètes, des « faux frères » dira saint Paul, que le véritable prophète est bien obligé
de contrer pour défendre la vérité de son message qui vient de Dieu.
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