Éditions de Minuit

Transcription

Éditions de Minuit
Université Paris XIII – Villetaneuse
Master 1 « Commercialisation du livre »
Apprentissage
Roxane CAILLON
Socio-Économie
du livre et de l’édition française et francophone
NOTE DE LECTURE
Les Éditions de Minuit (1942-1955)
Anne Simonin
Année universitaire 2007-2008
Anne Simonin fait la lumière sur les Éditions de Minuit.
Les Éditions de Minuit jouissent aujourd’hui d’une renommée littéraire
incontestable. Si cette maison d’édition avant-gardiste est reconnue pour la
qualité des textes qu’elle publie, elle est également admirée pour son passé
résistant et pour cette indépendance qu’elle réussit à conserver à une époque où
la concentration fait rage au sein du paysage éditorial français. Pourtant
l’indépendance de la maison a-t-elle toujours été aussi évidente ? Anne Simonin
signe un intéressant historique des Éditions de Minuit et nous invite à revenir sur
le passé de la maison de Jérôme Lindon et sur les luttes menées dans l’ombre
pour ériger une ligne de conduite littéraire et politique.
SIMONIN Anne. Les Éditions de Minuit (1942-1955), Paris, IMEC, 1994.
Anne Simonin retrace dans cet ouvrage paru en 1994 le parcours initial d’une maison
d’édition qui est aujourd’hui un symbole en France. Grâce à un minutieux travail d’historien,
extrêmement documenté, nous redécouvrons l’histoire d’une entreprise clandestine née sous
l’Occupation et dont la survie, même après la Libération, fut loin d’être évidente. L’ouvrage
se divise en deux parties : la première relate la période « héroïque » de Minuit, c’est-à-dire
son histoire clandestine, tandis que la seconde s’attache à analyser la pénible et chaotique
insertion de la maison dans le paysage éditorial français.
Une indépendance contestable
Anne Simonin semble défendre la thèse selon laquelle la maison d’édition a réussi à rester
indépendante malgré les tiraillements extérieurs et à survivre malgré d’énormes difficultés
financières. Cependant l’étude approfondie du passé de la maison l’oblige à remettre en cause
cette vision idéaliste.
L’idée d’indépendance est ni plus ni moins la base de la politique éditoriale des Éditions de
Minuit ! C’est à sa création une maison d’édition clandestine qui ne se veut pas au service
d’un parti ou de la patrie, mais au service de l’art. L’idée de résistance passe ici à travers
l’autonomie de la littérature.
• Minuit et Gallimard
Pourtant on apprend à la lecture de l’ouvrage que la maison a longtemps été dans le giron de
Gallimard. Pierre de Lescure et Jean Bruller (le futur Vercors), les deux créateurs des Éditions
de Minuit, ont en effet débuté en mobilisant le réseau d’écrivains de Gallimard et de la NRF,
par le biais de Pierre de Lescure, auteur Gallimard, et de Jean Paulhan (directeur de la NRF de
1925 à 1940 puis de 1953 à 1963) qui fut l’un des principaux animateurs de Minuit pendant
l’occupation. Ainsi il nous est permis de nous demander si la maison n’est pas née avec une
« dette » envers Gallimard, une obligation de soumission, ou du moins de reconnaissance.
Après la Libération, Vercors affiche une volonté de rupture extrême avec les maisons
d’édition qui se sont compromises pendant l’occupation, telles que Gallimard ou Grasset.
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Mais, confrontée à de sérieuses difficultés financières, la maison va renouer avec Gallimard
en embauchant Georges Lambrichs, qui est en relation avec Jean Paulhan. Minuit commence
alors à publier dans son catalogue les ouvrages d’auteurs de Gallimard qui ne trouvent pas
leur place rue Sébastien-Bottin. De 1947 à 1951, la maison devient donc en quelque sorte le
« pôles des refusés Gallimard »… Jean Paulhan lui-même parle de Minuit comme d’une
« filiale de la NRF » ; il ne lui prédit pas une durée de vie très longue et pense bientôt voir son
catalogue intégré au sien… Pendant longtemps, la maison n’a donc pas eu de réelle liberté de
mouvement par rapport à Gallimard. Elle a d’ailleurs été diffusée par la Sodis jusqu’en 1981,
avant de l’être par Le Seuil / Volumen. La diffusion déléguée pose aujourd’hui également la
question de l’indépendance.
• Minuit et le communisme
« Or si [les Éditions de Minuit] sont au service de l’art, elles ne sont pas au service de
n’importe quel art. Parce qu’elles participent également d’une “politique” du Parti
communiste français » écrit Anne Simonin. Pourtant l’auteur ne soutient pas réellement ce
point de vue. Un peu plus loin, elle défend en effet l’idée selon laquelle Pierre de Lescure, en
fondant sa maison, voulait sortir des réseaux communistes. Or, il n’y a pas de doute à avoir
sur la proximité de Minuit et des communistes durant la première partie de l’histoire de la
maison. Précisons tout de même que les Éditions de Minuit n’ont jamais été soumises au parti
communiste, dans le sens où elles n’ont jamais servi à le publier. Leurs relations étaient plus
subtiles que cela…
Il faut se situer dans un contexte où les communistes tenaient une place majeure dans la
résistance française. Si bien que lorsque Minuit naît, la maison ne peut pas, idéologiquement
et stratégiquement, se couper d’eux. Pourtant la maison tient à faire la promotion d’une
génération humaniste. Elle va donc longtemps chercher un compromis entre communisme et
humanisme. Ce sera la problématique du « être avec » sans passer « sous le contrôle de »…
Un pari réussi ? Il est permis de se poser la question.
Sous l’occupation, Pierre de Lescure doit fuir et demande à Paul Éluard de le remplacer. Ce
dernier est de plus en plus influencé par Louis Aragon ; à ce moment, on sent l’emprise des
communistes croître. Anne Simonin nous fournit de nombreux exemples de l’inscription des
communistes dans le catalogue et la vie des Éditions de Minuit, qu’il serait trop long de
retranscrire ici. En 1943 et 1944 paraissent notamment les deux tomes d’un recueil de poèmes
écrits par des communistes. « L’honneur des poètes (juillet 43), c’était un peu une attestation
de bonne volonté à l’égard des communistes ; Europe (mai 1944), c’est un certificat de bonne
conduite, et d’abord pour Paul Eluard qui veille attentivement à ce que les publications
réalisées par (Honneur II) ou favorables (Decour) aux communistes soient prioritaires aux
Éditions de Minuit. »
Cette petite danse avec le parti communiste continue après la Libération avec une politique :
ne pas travailler pour lui, mais tout faire pour ne pas lui déplaire. Lorsque Jérôme Lindon
prend les rênes de la maison, il lui semble stratégique de rester proche du parti communiste :
nous sommes à une période où la maison peine à se trouver une image et Lindon ne veut pas
se couper de celle de résistance que les communistes peuvent leur permettre de garder… Cette
volonté se retrouve par fines touches dans le catalogue.
La première pierre de la rupture réelle avec le parti communiste est posée en 1952, avec la
publication de la Lettre aux directeurs de la Résistance de Jean Paulhan. C’est une attaque
directe contre les directeurs de l’épuration et donc contre les communistes…
• Minuit et ses financeurs
Qu’en est-il enfin de l’indépendance financière de la maison ? Durant l’Occupation, le prix de
vente élevé des ouvrages avait permis de dégager des bénéfices. À la Libération, Minuit tente
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dans un premier temps de rester en marge du marché éditorial et des enjeux de rentabilité et
de respectabilité, dans l’idée que cela lui permettra de prendre des risques éditoriaux. Mais
pouvait-on réellement prendre des risques au vu du marasme financier dans lequel
s’embourbaient les Éditions de Minuit après la Libération ? En réalité, Minuit a elle aussi dû
entrer dans une recherche de succès commercial, pour tenter de freiner l’augmentation
spectaculaire des dettes de la maison. Elle lance ainsi en 1952 une collection d’ouvrages à
petit prix : « Les grandes réussites françaises ».
Par ailleurs comment interpréter l’arrivée de Jérôme Lindon à la tête de la maison ? Cette
promotion n’est-elle pas due au capital important apporté par sa famille et n’a-t-elle pas causé
l’éloignement de Vercors ?
La maison d’édition de la résistance démythifiée
Anne Simonin ne se contente pas de présenter des documents et des arguments qui remettent
en cause l’indépendance littéraire et politique de Minuit, elle s’attaque à un autre symbole : la
résistance de la maison à l’occupation nazie…
Les Éditions de Minuit symbolisent dans leur essence même un choix : celui du refus
catégorique mais non-violent de l’oppression nazie. Le Silence de la mer de Vercors (premier
ouvrage des Éditions) ainsi que la polémique qui a gonflé lors de sa publication en est
l’exemple parfait. Le court récit prône le silence actif, la négation muette de l’autorité nazie,
comme arme face à l’occupant. L’ouvrage sera d’ailleurs repris en Angleterre par la France
libre pour prôner l’idée de résistance pacifique. Mais il sera aussi détourné par les
communistes qui le dénonceront comme une œuvre de collaboration…
Cependant l’existence même de cette nouvelle alors que pleuvent les interdictions émanant du
régime nazi est un acte de résistance. Nous l’avons dit plus haut, l’idée de résistance résidait
en fait dans la volonté de permettre à l’art de s’exprimer librement. Comme le formule Anne
Simonin, il s’agissait donc plus d’une lutte « clandestine » que d’une lutte « résistante ».
Des problématiques contemporaines
L’enjeu d’Anne Simonin était de taille. Retourner aux fondements d’une maison qui a une
grande renommée littéraire et politique, remettre en cause des certitudes, sortir des cadavres
des placards parfois.
Faire entendre le point de vue peu ou pas connu de Pierre de Lescure, en parallèle de celui
(déjà publié) de Vercors et donc produire une histoire différente des Éditions de Minuit.
Trouver comment cette maison a réussi, contrairement à une large majorité « d’entreprises de
Résistance », à survivre à la Libération.
Pour cela Anne Simonin s’est appuyée sur une documentation énorme. Des extraits d’archives
diverses – souvent complétées par des entretiens – viennent appuyer presque chacun de ses
dires. Cette démarche permet une confrontation des points de vue et des sources très
intéressante. On regrette cependant parfois que l’auteur ne prenne pas réellement position à
partir de cette masse d’informations. Ses conclusions restent prudentes, modérées et par
conséquent parfois un peu contradictoires. En revanche cette multitude de témoignages
fournit au lecteur toutes les connaissances nécessaires pour se former sa propre opinion.
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Nous soulignerons pour conclure l’aspect parfaitement contemporain de certaines analyses de
l’ouvrage. En effet, dans le contexte actuel de concentration éditoriale, la question de la petite
édition, de la lutte pour la conservation de l’indépendance est récurrente. L’auteur ne
remettrait-elle pas en quelque sorte en cause, à travers l’histoire des éditons de Minuit, la
réelle possibilité d’indépendance totale d’une maison d’édition ?
R.C.
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