Compagnie Générale des Eaux. Rapport du conseil d`administration

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Compagnie Générale des Eaux. Rapport du conseil d`administration
Flux n° 52/53 Avril - Septembre 2003
Compagnie Générale des Eaux
Rapport du conseil d’administration
lu par son président, le comte Henri Siméon,
lors de la première assemblée générale
des actionnaires de la société
tenue à Paris le 26 octobre 1853
Alain Jacquot
ar actes notariés signés en juillet 1853, la Compagnie
Générale des Eaux (1), entreprise exemplaire que nous
connaissons toujours, est enregistrée. Le vingt-six du mois d’octobre suivant, sur convocation du conseil d’administration, se
tient au 48 rue de la Victoire à Paris, salle Hertz, la première
assemblée générale des actionnaires, à midi et demi (2). Son
président, le comte Henri Siméon y présente un premier rapport. Ce discours symbolique, si on lui manifeste un intérêt passionné, peut faire l’objet d’une explication historique détaillée
sur chaque paragraphe, souvent sur chaque phrase. Mais un tel
développé serait hors de proportion dans un tel article. Les
commentaires suivants, nécessairement choisis, reprennent
donc des éléments évocateurs parmi les plus importants du
texte.
P
LES
MOTS D’INTRODUCTION
Selon le code de commerce en vigueur, mis en place au premier Empire (3), les statuts des sociétés anonymes — et c’est la
forme souhaitée par les fondateurs pour la Compagnie
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Générale des Eaux — doivent être présentés au gouvernement
pour approbation. Avant de donner son accord, ce dernier les
transmet pour avis au Conseil d’État. Cette démarche n’était
pas une simple formalité. En effet, le texte des statuts de la
C.G.E., entre son premier envoi en mai 1853 (4) et la réception
de l’accord définitif, est discuté, remanié, modifié par cette
procédure (5).
Conformément à ce qu’indique d’une manière générale
François Caron (1981, pp. 48-49) « l’administration française ne
cesse d’exercer tout au long du siècle un acte de tutelle et de
contrôle sur une partie non négligeable de l’activité économique », on voit ici la confirmation de la volonté essentielle du
gouvernement et le rôle du Conseil d’État (6), s’agissant de l’opportunité, et de la conformité comme de l’équilibre des statuts,
qui règlent le fonctionnement des grandes sociétés (anonymes).
Cette volonté s’exerce avec autant de fermeté que de discrétion.
Nous ne nous attarderons pas sur la discrétion naturelle, qui
sied lorsqu’une entreprise est en phase de négociation d’affaire.
Note de recherche
En revanche, celle, relative à la formation de la société, est intéressante. Il est exact que les fondateurs de la C.G.E. n’ont à
aucun moment cherché à former le capital de la société par
effet d’annonce ou voie de presse. Car le projet d’entreprise, tel
que représenté par le comte Siméon s’est spontanément diffusé
aux quatre cardinaux du pays (7), voire hors de France (8). Car
l’accueil favorable et la vague d’intérêt en retour sont d’une
telle ampleur qu’un projet, consistant en la constitution du
capital social avec un apport très important de fonds en provenance de la bourse de Londres, a été abandonné en chemin.
La faveur d’une telle situation est loin d’être donnée à tous
les projets d’entreprise de l’époque, et particulièrement pour
d’autres compagnies d’eau qui doivent user de tracts afin d’attirer des souscripteurs. C’est le cas de la Compagnie d’Hautpoul
qui fait circuler un tel document en novembre 1853 (9), (10).
Cette position d’indépendance vis-à-vis de la presse est profondément voulue par la C.G.E. D’autres situations viennent confirmer cette volonté. Par exemple : lorsqu’il lui est proposé, par la
voie de l’un de ses administrateurs, de prendre part dans un
journal en cours de fondation « avec le concours des hommes
qui dirigent les grandes affaires industrielles du moment », le
conseil d’administration répond « qu’il ne faut pas que la
Compagnie s’aliène tous les grands organes de publicité » (11).
Quant à la phrase « Il ne nous convenait pas de demander
à la réclame, un succès que nous n’attendions que des faits »,
outre sa sincérité, on ne peut que lui attribuer une valeur de
principe supérieur, fondateur et constant, tant elle correspond à
ce qui a prévalu à la Compagnie Générale des Eaux en matière
de communication depuis cette époque jusqu’à nos jours.
CONSIDÉRATIONS
GÉNÉRALES SUR
LA FORMATION DE LA SOCIÉTÉ (PARTIE
I)
La force principale et la perspective pour la société, telle que
présentée d’entrée par le comte Siméon, est l’eau employée aux
fins de l’irrigation et du développement de la production agricole. C’est un discours qui peut surprendre aujourd’hui en
regard de ce que sont les activités de distribution d’eau de la
C.G.E. à sa création. Toutefois, cette mention n’est pas anachronique. Elle reste adroitement intégrée à la politique de
l’époque.
À la politique électorale d’une part, car Napoléon III est
encore largement soutenu en son début de règne par les masses
rurales. À la politique administrative ensuite, puisque depuis la
fin du premier Empire, rares sont les prescriptions nouvelles en
matière de législation dans le domaine de l’eau, sauf, justement, pour ce qui concerne les irrigations et le développement
de l’agriculture.
En ce qui le concerne, le conseil d’administration de la
C.G.E. exprime l’intention de principe de réaliser ce type de travaux, mais encore les dessèchements et les relais en mer. Le
sujet est évoqué, par exemple, au cours des séances des 11 et
12 mai 1853 à propos d’un projet de canal de dérivation des
eaux du Rhône pour irriguer 100 000 hectares en Languedoc et
Provence, lors de la séance du 30 mai 1853 pour envisager la
proposition d’affermage du canal de la Durance et la distribution d’eau dans la ville de Marseille, ou lors de la séance du 20
juillet 1853 (12). Cependant, comme pour toute opération,
l’équilibre financier doit être respecté.
Et dans la pratique du moment, les projets de travaux d’irrigation sont altérés par la réglementation en vigueur. Les bases
existantes fixent que la part qui incombe aux propriétaires irrigués est constituée par un remboursement aux compagnies ou
entreprises avec une redevance annuelle et perpétuelle, qui
s’élève communément à un hectolitre de blé par hectare (13).
Cela reste insuffisant, surtout pour les grands travaux, et cette
situation ne manque pas d’être perçue défavorablement,
notamment par le saint-simonien Prosper Enfantin (14) pour qui
la législation paraît appelée à recevoir de graves modifications (15).
Ouvert au problème, le comte Siméon ne reste pas inactif et
tente de sensibiliser certains hauts fonctionnaires. Ainsi rend-il
visite sans tarder à M. Fauqueville, directeur du service des
Eaux au ministère du Commerce et des Travaux Publics, avec la
proposition d’un système de partage de la plus-value avec les
propriétaires riverains. Malheureusement, ce moyen est jugé
par son interlocuteur « de nature impraticable, les modifications
de la loi étant très difficiles à obtenir et à pratiquer » (16).
La conjoncture est posée. Elle mène à la réserve, celle là
même qui conduit le comte Siméon à mêler dans la composition de son discours des motifs d’engouement, des perspectives
favorables, et une extrême prudence (17). La Compagnie
Générale des Eaux, et le comte Siméon à sa tête, fondaient là
les premières expériences, difficiles, entre les contraintes du
marché et la politique de l’État en matière d’équipement de la
France dans le domaine de l’eau (18). Fort de cette première
présentation, Henri Siméon vient ensuite à parler des distribu-
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tions d’eau dans les villes. En vérité, la demande populaire pour
l’eau à domicile n’existe pas, et le mouvement hygiéniste n’a
d’influence que dans les académies.
lequel il a vraisemblablement pu, en son temps, échanger des
propos sur le sujet de l’alimentation en eau des villes, notamment pour la capitale, entretenant un projet cher à Napoléon I.
Mais de plus en plus de villes françaises sont confrontées au
problème de leur approvisionnement en eau, face à leur développement. L’évolution de l’occupation de l’espace urbain,
avec les activités industrielles et artisanales incommodes,
appelle à rompre avec l’attentisme de la Restauration, période
pendant laquelle les édiles considéraient souvent de loin le
sujet de l’eau potable (devant estimer par là même qu’il n’y
avait pas, dans ce domaine, de risque de provoquer une instabilité populaire, et que les finances des villes pouvaient bien
être employées à autre chose). En conséquence, le projet
« d’utilité communale » de la C.G.E. incarne aussi le dessein de
la modernisation des villes comme de l’amélioration des conditions de vie de la population urbaine, tels que les saint-simoniens l’encouragent.
L’alimentation en eau de Paris par une compagnie privée
n’est pas par elle-même une idée nouvelle. L’aventure et ses
perspectives en ont tenté plus d’un. Pour mémoire, en 1778 les
frères Périer, indiscutablement précurseurs, par la fondation de
la première entreprise privée de distribution d’eau (de Seine)
pour Paris, avec une société en commandite par actions dans
laquelle la banque Mallet avait apporté des fonds, avaient déjà
obtenu un privilège local : mais cette compagnie spéciale,
après de nombreuses difficultés, n’avait pas survécu à l’an
1788. D’autres hommes avaient tenté depuis lors d’obtenir une
concession, mais aucune tentative n’avait jamais abouti.
De son côté, Napoléon III, qui a séjourné outre-Manche, a
pu apprécier de près le « modèle anglais » de distribution
d’eau, notamment celui des compagnies privées de la ville de
Londres (19). La convergence des vues entre « le
Gouvernement et le Public » donne donc une base sérieuse aux
projets de distribution d’eau dans les villes, que le comte
Siméon a perçue. « La Compagnie Générale des Eaux ne crée
pas le marché. Elle répond à un besoin de service dans un secteur qui nécessite une grande compétence très spécialisée »
(Jacquot, 2002, p. 35), pour lequel les communes n’ont souvent
ni les ressources financières, ni les ressources humaines pour
mener à bien leurs propres projets dans ce domaine. Le
« concours à l’autorité communale » dont le but est « de travailler utilement pour le pays » constitue un schéma logique,
posé, empreint d’une forme de générosité et d’espoir.
CONSTITUTION
DE LA SOCIÉTÉ
(PARTIE II)
La création de la Compagnie Générale des Eaux est une histoire riche de détails, somme toute assez complexe. Le principal
protagoniste à l’origine de cette entreprise est, à n’en pas douter, le comte Henri Siméon (c’est de lui-même, dont il parle,
avec la formule « l’un d’entre nous » qui « a fait isolement à la
ville de Paris… »). C’est un personnage lettré, sénateur de
l’Empire, ancien conseiller d’État, ancien directeur général au
ministère des Finances. Il connaît personnellement LouisNapoléon Bonaparte, prince-président puis empereur, avec
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Sur le plan technique et de l’organisation, les savoir-faire
nécessaires pour résoudre l’affaire de Paris qualifie les protagonistes sérieux pour tout autre projet tant la dimension et la
problématique du service de l’eau dans la capitale (approvisionnement en eau et assainissement) demandent un niveau de
compétence élevé. Lancée dans une voie de telle importance,
avec les études correspondantes, à la fois techniques et statistiques des villes {en France comme à l’étranger (20)}, la C.G.E.
se donne les moyens et scelle sa réputation, celle d’une société dont le but est d’obtenir des traités de concession d’eau —
surtout avec des communes — et de les exploiter très sérieusement.
Ainsi, pour chaque affaire, les études techniques préparatoires sont demandées aux communes ou réalisées par les ingénieurs de la Compagnie. L’équilibre financier est aussi étudié
avec grand soin (21). Car les risques techniques et financiers
sont totalement supportés par la compagnie, qui garantit le service et en répond sur son capital.
Avec l’objectif d’un engagement à long terme aussi sérieux,
un élément du contrat a son importance : le respect des conditions de non concurrence. Prévus dans les clauses, afin de ne
pas fausser les conditions initiales du marché puis l’exploitation
du service, les traités prévoient en effet l’interdiction d’exercer
la même activité par une entreprise rivale, sorte de « privilège »
accordé sous condition de plein succès de l’entreprise, règle
bien compréhensible qui permet de protéger tout concessionnaire sur le territoire qu’il dessert.
Note de recherche
AFFAIRES
COMMENCÉES OU PROJETÉES
(PARTIE III)
L’histoire de l’alimentation en eau par un système généralisé
dans la ville de Lyon est effectivement un bon exemple des atermoiements des édiles de cette ville, sous la grande période de
la Restauration, durant laquelle études, projets, essais, contreprojets se sont succédés sans suite. De ce point de vue, le
second Empire y met un terme en choisissant une solution efficace.
Pour la Compagnie Générale des Eaux, trois types de
consommations sont à retenir :
- les consommations de la ville, selon l’acception originelle
de « service public » soit les usages de la cité (nettoyage des
rues et voies publiques communales, alimentation des fontaines publiques, de l’hôtel de ville et des bâtiments municipaux, arrosage des jardins de la ville, lutte contre l’incendie, etc.),
- les consommations de l’industrie, et notamment les teintureries, les tanneries …,
- les consommations de la population à domicile par abonnement.
Les bases comme les résultats détaillés des études permettant de conclure aux valeurs de consommations présentées par
la C.G.E. ne sont pas parvenus jusqu’à nous. C’est dommage,
dans la mesure où ces études semblent solides et auraient
donné des indications sur les ratios de consommation de
l’époque, selon les usages et les usagers. Il n’en demeure pas
moins vrai que l’approche considère l’abonnement à domicile
avec une certaine éventualité, confirmant l’affirmation que la
demande populaire pour l’eau à domicile n’existait pas, au
besoin satisfaite par la corporation des porteurs d’eau.
Par ailleurs, l’arrivée en scène de la Compagnie du Gaz de
Lyon peut sembler curieuse dans l’histoire. Toutefois, elle s’explique bien. En effet, la Compagnie du Gaz de Perrache (22)
arrive en 1853 à quatre ans de l’échéance du renouvellement
de sa concession. À cette occasion, elle s’est proposée à la ville
pour le service des eaux (23), conjointement à celui du gaz.
Elle n’a l’intention de le faire que dans le but d’obtenir un
renouvellement de son privilège pour l’éclairage (24).
Cependant l’offre de la C.G.E. se pose en concurrence et remet
son schéma en question. Les deux sociétés ouvrent alors des
pourparlers.
Après avoir envisagé une fusion amiable (25), la C.G.E.
décide cependant qu’elle fait seule la soumission pour la
concession d’eau, et signe avec la Compagnie du Gaz un traité
le 06 mai 1853 (26). Par ces termes, les deux compagnies décident de s’entendre pour obtenir, en un double et inséparable
résultat, la concession de la fourniture des eaux de Lyon pour la
C.G.E., et la prorogation du traité actuel de l’éclairage au gaz
en faveur de la Compagnie du Gaz. Ce que J.M. Giraud (1992,
p. 293) qualifie de « marchandage mal connu » selon un
« accord tenu secret » entre la C.G.E. et la Compagnie du Gaz,
est en fait l’adaptation des deux sociétés à une péréquation économique.
Car le préfet du département du Rhône, en poste à Lyon,
souhaite « tirer parti de l’alliance des deux compagnies pour
obtenir les meilleures conditions possibles ». Il demande dans
un premier temps une diminution du prix de l’éclairage, et
« pour sa part de sacrifice » la Compagnie du Gaz envisage de
construire pour la ville de Lyon plusieurs cités ouvrières pouvant s’élever à 600 000 Francs (27). Dans un second temps, il
demande une somme de 15 000 Francs pour les théâtres et les
hôpitaux, voire la gratuité de l’éclairage public contre une
garantie de rémunération à 3 % du capital engagé par la
Compagnie du Gaz (28). Plus à même à négocier avec recul la
situation, les membres du conseil d’administration de la C.G.E.
concluent les discussions avec le préfet. En fin de compte, les
relations d’affaire entre la C.G.E. et la Compagnie du Gaz se
règlent selon les conditions exposées par le comte Siméon dans
son discours.
Que ce soit pour l’eau ou pour le gaz (étant précisé que les
« éléments collatéraux » des négociations évoquées à Lyon pour
le gaz n’ont jamais existé pour l’eau), cet épisode montre à nouveau les difficultés des entreprises industrielles de service aux
collectivités, dans des conditions de marché entre les réalités
économiques et les pouvoirs publics. On comprend pourquoi
le comte Siméon, dans cette allocution, passe sur ces détails
peu communs pour la population, et probablement aussi pour
sa salle d’actionnaires.
Alain Jacquot
Université Paris IV - Sorbonne
Centre Roland Mousnier - U.M.R. 8596
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ALLOCUTION
DU PRÉSIDENT, LE COMTE
HENRI SIMÉON (29)
« Messieurs,
Dans nos démarches auprès du Gouvernement, pour l’homologation des statuts de notre société anonyme, quelques doutes
se sont momentanément élevés sur l’étendue de nos pouvoirs. Quoique nous fussions convaincus, ainsi que nos conseils, que
ces pouvoirs étaient suffisants, nous avons saisi avec empressement cette occasion de vous réunir, afin d’en profiter pour vous
faire connaître la situation vraie de notre compagnie, et vous donner, sur nos affaires, des explications et des renseignemens
que nous avons si souvent regretté de ne pouvoir convenablement vous soumettre.
Aujourd’hui, ces doutes n’existent plus. Nos statuts adoptés par le Ministère, vont être portés au Conseil d’État; toutefois,
nous avons maintenu cette réunion, parce que son but principal subsiste toujours, parce qu’il nous tarde de nous mettre en rapport avec vous, Messieurs, qui nous avez témoigné votre confiance, en vous associant librement à notre Entreprise.
Quelques personnes nous ont reproché la discrétion que nous avons mise à entretenir le public de nos projets et de nos
actes. Vous avez sans doute compris et approuvé notre réserve. Il ne nous convenait pas de demander à la réclame, un succès
que nous n’attendons que des faits. Nous avons vu publier, par d’autres, de pompeux prospectus, dans lesquels on prenait la
peine de critiquer nos travaux, nos études, nos premières affaires, qu’on signalait même comme mauvaises, parce qu’on ne les
connaissait pas. Nous n’avons pas même songé à réfuter ces attaques.
Nous n’avons laissé imprimer aucun article de journal, ni répandre aucuns programmes, comme nous n’avions jamais voulu
solliciter, à l’origine, de notre compagnie, la plus minime souscription d’actions. Nous pouvons le dire, Messieurs, si jamais
société a eu des actionnaires volontaires, c’est bien la nôtre, car nous n’en avons appelé aucun ; tous sont venus spontanément
à nous, et nous les remercions encore une fois de ce témoignage d’estime, en même temps que nous les félicitons de l’intelligence des grandes affaires qui les a portés à s’intéresser à une entreprise aussi pleine d’avenir.
Notre réunion n’aura donc qu’un seul but, celui d’établir entre vous et votre conseil d’administration, une première relation
intime.
Vous allez entendre notre rapport sur les actes que nous avons accomplis, et même, sur les pensées qui nous dirigent, afin
que vous puissiez apprécier comme nous même, les opérations commencées ou préparées.
I - Considérations générales sur la formation de la société
Nous avons hâte d’exposer d’abord, devant vous, les motifs qui nous ont déterminés à concevoir et réaliser l’entreprise pour
laquelle vous vous êtes associés à nous, afin de confirmer les espérances que vous mêmes avez conçues en vous y intéressant.
Messieurs, en France plus que partout ailleurs, le travail industriel a créé successivement et pendant d’assez longues
périodes, les grands instrumens de la production. Depuis 25 années, notre pays a consacré la majeure partie de ses capitaux et
de ses bras disponibles à la confection de cet admirable réseau de chemins de fer, qui modifie et accroît si puissamment la production nationale.
Durant les 25 années précédentes, la France avait préparé les instruments financiers de crédit privé et public, nécessaires
aux grandes œuvres que la paix allait enfanter. Ainsi, elle avait fondé la Banque de France, la Caisse d’amortissement, le système des emprunts, un régime monétaire parfait, une excellente comptabilité. En même temps, les routes de terre se perfectionnaient, de grands canaux de navigation étaient partout entrepris, les villes élargissaient leurs voies de communications, les
fleuves se couvraient de ponts et d’une batellerie considérable.
Eh bien, Messieurs, le but véritable, auquel étaient destinés tant et de si grandes créations, n’est pas encore atteint, mais il
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Note de recherche
est clairement compris par le Gouvernement et par tous les hommes sérieux : ce but, c’est l’accroissement de la production
agricole.
Routes, canaux, chemins de fer, navigation des fleuves et des mers, crédit public et crédit privé, sociétés mobilières ou foncières, tout ce qui rapproche le capital de son emploi utile, tous ces instruments de la production n’ont encore rempli que très
imparfaitement leur but, tant qu’on n’a pas créé d’autres instruments aussi puissants, applicables directement à l’amélioration
du sol, au progrès de l’agriculture, à l’accroissement des produits de la terre.
Or, le premier élément de fécondation du sol, c’est l’Eau.
Dans la période nouvelle qui s’ouvre devant nous, soyez en certains, Messieurs, des millions seront consacrés aux irrigations, comme dans les deux périodes précédentes, des millions ont été employés aux chemins de fer, aux routes, aux canaux
de navigation, à la marine. Des millions seront employés à la création d’un réseau, semblable à celui formé par tous ces moyens
de transport, d’un réseau de canaux, distribuant l’eau dans nos campagnes, et répandant, sur elles, ce complément indispensable de la force productive qu’elles doivent déjà à notre admirable climat.
Nous avons l’ambition d’entrer les premiers avec vous, dans cette voie nouvelle, et la certitude d’y rencontrer l’appui du
Gouvernement qui a pressenti l’avenir réservé à cet ordre de travaux. Mais, nous n’avons voulu nous y engager qu’avec prudence, en choisissant parmi les nombreuses affaires de ce genre, celles qui n’offrent que des résultats certains, et qui peuvent
se réaliser, dès aujourd’hui, avec avantage, sans attendre des modifications importantes, que nous sollicitons le Gouvernement
d’apporter aux lois qui régissent ces sortes d’affaires.
Ces modifications légales s’opéreront progressivement, comme se sont effectuées des modifications semblables dans nos
lois, pour l’établissement des chemins de fer qui ont aujourd’hui un code spécial, tout nouveau.
Jusque là, nous le répétons, nous ne toucherons qu’avec une extrême réserve aux grandes entreprises d’irrigation, mais nous
avons l’espoir de ne pas être, dans cette voie nouvelle, plus mal inspirés que ceux de nos devanciers qui sont entrés les premiers dans les entreprises de chemins de fer : En fait d’irrigation, il existe des affaires, aussi belles que celles des chemins de fer
de St Germain & d’Orléans.
Toutefois, nous avons voulu, dès l’origine, asseoir notre société sur des opérations plus simples, plus faciles à apprécier et
à réaliser; nous avons commencé par les distributions d’Eau dans les villes. Nous avons pensé que nous devions, d’abord, nous
faire connaître par ces entreprises si utiles aux grandes populations agglomérées ; il nous a paru qu’il fallait prendre immédiatement aux yeux du Gouvernement et du Public, le caractère d’une grande institution d’utilité communale, apportant son
concours à l’autorité municipale, pour une des œuvres les plus nécessaires à la salubrité publique.
Ici encore nous trouvions l’appui de l’administration, car nous apparaissions au moment même où, dans toutes les villes, la
plus vive impulsion était donnée par le Gouvernement aux travaux d’assainissement et d’embellissement. Aussi, à peine notre
société était-elle formée que nous recevions d’un grand nombre de villes importantes la demande de contracter avec elles pour
la distribution des eaux. Plusieurs d’entr’elles avaient déjà fait faire des études sérieuses et préparé le cahier des charges d’adjudication ; c’est par celles ci que nous avons commencé nos opérations, en pressant les autres de se placer dans des conditions semblables d’études et de préparation.
Sans doute, l’œuvre que nous commençons avec vous est neuve, mais nous ne nous y sommes pas aventurés à la légère;
c’est après l’avoir longuement préparée que nous l’avons tentée. C’est parce que plusieurs d’entre nous, dans les fonctions
publiques, en avaient senti pratiquement l’importance ; c’est parceque tous nous en avions fait l’objet des plus sérieuses études,
que vous avez eu, vous mêmes, confiance dans notre entreprise.
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De plus, nous nous sommes assurés dès l’origine, le concours des Ingénieurs les plus versés dans les travaux de cette nature. Ils ont éclairé notre marche avec une habileté, un zèle et un désintéressement que nous nous plaisons à vous signaler; enfin,
nous n’avons pas fait un pas sans rencontrer, de la part de l’administration publique, les meilleurs encouragements, parce que
chacun sentait que nous étions, en quelque sorte, l’expression de l’une des volontés les plus positives du gouvernement de
l’Empereur.
Marchons donc avec énergie dans cette voie, Messieurs, nous avons conscience de travailler utilement pour le pays; nous
sommes certains d’être soutenus par le Gouvernement ; ayons confiance, car nous ouvrons une mine, dont les richesses n’ont
pas encore été explorées, et dont nous pouvons choisir et exploiter les meilleurs filons, légitime privilège du premier occupant.
II - Constitution de la société
Nous venons de vous faire connaître les principes qui nous servent de guides et les conditions générales de succès attachées
à notre entreprise. Il nous reste à vous exposer les mesures que nous avons adoptées pour nous constituer conformément à ces
principes, et les actes que nous avons accomplis ou projetés dans le but de réaliser ces espérances.
Dans le courant de 1852, l’un d’entre nous avait fait isolément à la ville de Paris des propositions relatives à la Distribution
des Eaux. Ces propositions ont été l’origine de la société que nous avons fondée, vers le commencement de 1853, sous le nom
de Compagnie Générale des Eaux. La distribution d’eau dans la capitale fut donc naturellement la première opération dont nous
nous occupâmes ; elle fut pour nous l’objet des plus sérieuses études. Nous nous sommes procuré les plans les plus précieux,
les renseignemens les plus positifs et nous avons consacré plus de cent séances du conseil à étudier cette question, sous tous
ses aspects.
Tout en nous occupant plus spécialement de cette affaire, et en la considérant comme un excellent point de départ des opérations que notre société se proposait d’embrasser, nous faisions des études nombreuses sur toutes les autres questions relatives
à l’aménagement des Eaux. Nous réunissions une statistique complète des affaires existantes ou projetées dans ces divers ordres
de travaux ; nous nous mettions en rapport avec un grand nombre de villes et avec tous les hommes compétents dans ces
matières. La plupart des grands projets qui ont été étudiés en France et même dans des États voisins, nous ont été soumis et proposés. Sans exagération, nous pouvons affirmer que nous serions en mesure d’entreprendre immédiatement pour cent millions
de travaux, si, comme nous vous l’avons déjà dit, nous ne nous étions pas fait une loi absolue de marcher, avec une extrême
prudence, dans la voie nouvelle que nous ouvrons.
Dans ce but, nous nous sommes posé des règles, que sans doute vous approuverez. Nous avons d’abord décidé que nous
n’entreprendrions pas une seule affaire qui ne nous assurât, au début, un intérêt raisonnable du capital employé, quand bien
même cette affaire présenterait, à défaut de résultat immédiat, des chances avantageuses, mais lointaines.
Les affaires de distribution d’eau dans les villes, si nous en jugeons par les exemples de l’Angleterre & de l’Amérique, sont
de nature à justifier les meilleures espérances. Nous ne voulons pas appeler votre attention sur la plus belle affaire de ce genre,
celle de New-River, à Londres, dont les actions rendent aujourd’hui mille pour cent ; mais, nous voyons que ces entreprises sont
généralement bonnes, là surtout où elles ne se font pas concurrence ; or, vous savez qu’en France, ces sortes de concessions
constituent un privilège, qui ne comporte pas de concurrence.
C’est pendant que nous nous occupions de ces travaux préparatoires que sont venues nous trouver, sans aucun appel de
notre part, sur le seul bruit que nous rédigions nos statuts, des demandes pour 390,000 actions.
Ces demandes auraient pu nous décider à constituer, sur le champ, notre société, par l’appel du capital, si les incertitudes
politiques qui affectaient notre place, depuis le mois de Mars, nous avaient permis de le faire avec prudence. Nous avons atten-
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Note de recherche
du patiemment le moment qui devait mettre fin à cette crise. Ce moment vous le savez est arrivé au mois d’août, et s’il ne fut
pas de longue durée, on ne saurait nous en faire un reproche.
Quoiqu’il en soit, nous avons réalisé, à cette époque, la souscription impatiemment attendue. Diverses raisons nous ont
empêchés de lui donner alors, autant d’extension que nous nous l’étions d’abord proposé : non seulement, les circonstances
générales, politiques et financières commandaient la modération, mais des projets de fusion avec des Compagnies rivales, auxquelles une partie de notre capital social aurait du être attribué, exigeaient aussi de la réserve. Enfin, nous venions d’acquérir
la certitude, que le Gouvernement n’autoriserait pas la création immédiate d’un capital de 100 millions.
Nous nous sommes donc décidés à réduire notre capital à 20 Millions et à le réaliser par une seule émission de 80,000
actions placées en France. Cette opération fut effectuée avec une promptitude et une régularité remarquables : en quelques
jours, le versement de 125 f. par actions, fut opéré chez MM de Rothschild Fres, banquiers de la Compagnie.
Nous avons en outre demandé, dans notre projet de statuts, la faculté d’émettre des obligations, jusqu’à concurrence du
Capital versé.
Il en résulte que la totalité des nos ressources financières, s’élèvera à 40 millions, dont 20 millions en actions et 20 millions
en obligations, ce qui nous assure des moyens bien suffisants, pour entreprendre d’importantes affaires.
Le Gouvernement nous autorise, d’ailleurs, à demander l’augmentation du capital social, toutes les fois que le développement de nos affaires l’exigera, et alors, le nombre de nos obligations pourra s’accroître dans la même proportion.
Dans les circonstances générales où nous sommes, des moyens financiers semblables sont largement suffisants pour les
entreprises que nous avons en vue. La somme, déjà encaissée, nous permettra même d’accomplir de bien grands travaux, avant
d’avoir besoin de versements nouveaux sur les actions ; d’ailleurs, ces versemens seraient proportionnés aux besoins de la
Société et ne s’élèveraient pas, nécessairement, du premier coup aux 125 f. qui forment le complément de l’action. Enfin, la
création successive des obligations, permettrait de reculer ou de modérer les versemens sur les actions.
Telle est notre situation financière. Ajoutons que les fonds encaissés ont été employés de la manière la plus rassurante ; &
que les produits de ces emplois de fonds seront appliqués, conformément à l’art. 55 des statuts, au service de l’intérêt à 4 %
l’an, sur le versement effectué. Nous avons l’espoir que, dans un délai assez rapproché, les produits des affaires couvriront et
au delà cet intérêt.
III - Affaires commencées ou projetées
Il nous tarde, Messieurs, de vous dire en quoi consistent nos affaires, afin que vous jugiez des charges qu’elles nous imposent et des avantages qu’elles nous promettent.
La première, pour laquelle nous avons définitivement traité, est celle de Lyon. On s’est plu à répandre le bruit, que c’était
une médiocre entreprise ; vous allez en juger.
La distribution d’eau dans la ville de Lyon, est un projet débattu, étudié, préparé, depuis plus de vingt ans, par les autorités
municipales, par les architectes & les ingénieurs, par des compagnies industrielles nombreuses. Le cahier des charges avait été
dressé avec soin ; des expériences coûteuses, minutieuses, délicates, sur la qualité des eaux et sur le mode de clarification, ont
été faites, et ne sont plus à répéter ; des souscriptions d’abonnement ont été précédemment tentées, et ont donné d’avance la
mesure de ce qu’on pourrait en attendre aujourd’hui ; enfin, cette affaire était parvenue à un degré complet de maturité par les
soins, travaux et dépenses d’autres que nous, lorsque nous nous en sommes occupés.
Or, voici à quelles conditions nous avons traité.
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La ville de Lyon s’engage à prendre livraison d’un minimum de 9000 mètres cubes d’eau, ou d’un maximum de 10,000
mètres, à raison de 17 francs par mètre cube, pendant 20 ans, et à raison de 15 f. pendant 79 autres années. Si la ville dépasse le maximum de 10,000 mètres cubes, elle paiera les mètres excédents, à raison de 20 f.
Ceci assure à la compagnie en moyenne, pendant 20 ans, une première annuité de 161,500 f. et pendant les 79 autres
années, une annuité de 142,500 f. Ces annuités sont susceptibles, d’ailleurs, d’augmentation, par suite d’accroissement très probables dans la consommation d’eau faite par la ville.
D’un autre côté, la Compagnie du Gaz de Lyon, dont la solvabilité vous est bien connue, pour obtenir le renouvellement
de son privilège, par suite du concert autorisé entre nos deux soumissions, s’est engagée envers notre compagnie au paiement
d’une annuité de 100,000 f., pendant 10 années.
C’est donc une subvention annuelle de 261,500 f assurée, dès le début de l’entreprise, avant de compter un seul abonnement à l’industrie et aux particuliers.
Or, Messieurs, dans les documents & rapports officiels relatifs aux Eaux de Lyon, et dans l’opinion de toutes les compagnies
successivement soumissionnaires, les grandes industries Lyonnaises, et particulièrement la teinturerie, la chapellerie, et la tannerie, ont été estimées devoir produire, au moins, 120,000 f. d’abonnements.
Nous pouvons donc, avec toute assurance, estimer nos recettes brutes, en faisant abstraction complète du produit des abonnements domestiques, à un minimum de 381,500 francs.
La dépense d’établissement de tout le système de distribution, est estimée, au maximum, à six millions de francs, pour galeries de filtration, puisards, machines, bâtimens, réservoirs, conduites, et établissement de 20,000 mètres courants d’égouts.
D’après les devis de nos ingénieurs, il est certain que ce chiffre de six millions, loin d’être dépassé, ne sera pas atteint. Il comprend, en outre, l’indemnité que nous avons dû payer à une compagnie Lyonnaise, qui nous a cédé des études et des plans et
un marché qu’elle avait passé, en février dernier, pour l’achat et la pose de tuyaux en fonte. Ce marché sera très avantageux, en
ce que le prix de la fonte a considérablement augmenté depuis Février; il s’élève à 3 millions et présente, à la compagnie, un
bénéfice de plus de 400 000 f sur les prix actuels ; il a, enfin, pour effet d’alléger la société de tous soins, de toute responsabilité de pose et d’éloigner ainsi, toute incertitude dans la dépense.
Quant à nos frais matériels d’exploitation, tels que combustible, chauffeurs, mécaniciens, fontainiers, loyers & dépenses
diverses, ils ne dépasseront pas dans les premières années 80,000 f. par an. Encore, ce chiffre suppose t-il qu’outre les 10,000
mètres cubes livrés à la ville, nous élevons et pouvons vendre aux particuliers 3,500 mètres cubes qui, au prix moyen du tarif
prescrit par le cahier des charges, porteraient nos recettes, en dehors de la subvention de la ville et de celle de la Cie du Gaz,
jusqu’à la somme de 475,000 f. et par conséquent le revenu total à plus de 850,000 francs.
Mais, en faisant abstraction de cette dernière source de revenu, et en ne comptant que les 120,000 f provenant de ventes
aux grandes industries, sans un seul abonnement domestique, vous voyez, Messieurs, que notre recette assurée, déduction faite
des 80,000 f. de frais d’exploitation, s’élèveraient à 300,000 francs environ, ce qui représente 5 % du capital total engagé dans
l’entreprise.
Outre ces garanties, très réelles, d’un intérêt raisonnable, nous avons pour nous l’avenir, & cet avenir est des plus brillants,
puisque notre système entier de travaux, basé sur une distribution possible de 25,000 mètres cubes, nous donnerait le moyen
de distribuer par an, pour la consommation domestique, & en adoptant le prix minimum du tarif, pour plus de 1 million 500,000
francs d’eau, ce qui représenterait 25 p% de bénéfice net, frais et intérêts couverts. Ainsi, nous sommes assurés d’avoir dans
cette affaire 5 p%, au minimum, et nous avons la possibilité d’atteindre un jour 25 p%.
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Note de recherche
En résumé, Messieurs, cette affaire est sûre, autant que pouvait le désirer une administration prudente à l’extrême : dans
aucun cas, elle ne saurait compromettre ou seulement, entamer le capital qui y sera employé ; elle lui assure, au contraire, un
intérêt raisonnable, et elle lui ouvre des espérances, dont il est impossible de ne pas voir, prochainement, réaliser une très bonne
partie.
Nous serons heureux de pouvoir vous présenter souvent de pareilles affaires.
Nous avons préparé avec quatre autres localités des traités, qui sont au moment de se conclure, et qui emploieront trois millions de notre capital, à des conditions, que nous avons la certitude de rendre aussi bonnes que celles de Lyon.
Nous poursuivons nos études dans quatorze villes, d’accord avec l’administration municipale ou supérieure. Nous avons
aussi préparé quelques affaires d’irrigation dans les conditions de prudence que nous avons indiquées plus haut, fermement
résolus à ne rien exposer dans ces sortes d’affaires à des chances aléatoires. Qu’il nous suffise de vous dire que la première
condition de ces affaires, ce sont des abonnements préliminaires conclus par traités synallagmatiques, qui assurent, d’une
manière certaine, l’emploi très profitable des eaux dérivées par nos soins.
Vous comprenez, Messieurs, la réserve qui nous empêche dans un rapport destiné à devenir public, de citer des noms et de
désigner plus positivement des affaires qui ne sont pas définitivement conclues. Un sentiment pareil nous empêche de vous
entretenir, autant que nous le voudrions, de l’affaire des eaux de Paris.
L’administration de la ville ne s’est décidée, que depuis peu, à livrer, à l’industrie privée, la distribution de ses eaux. En ce
moment même, le cahier des charges qui doit servir de base à la concession est préparé, mais n’est pas encore définitivement
arrêté. Nous avons de longue main étudié cette affaire sous toutes ses faces ; nous savons ce qu’elle doit coûter, selon les développements qu’on voudra lui donner ; nous savons aussi ce qu’elle peut rendre. Nous nous présentons à ce concours avec
confiance ; car, à l’avantage d’une longue étude de l’affaire, d’une longue pratique de l’administration nous joignons celui d’être
la seule qui soit une société fondée, organisée, munie d’un capital suffisant et que nous pourrions d’ailleurs étendre, selon que
la concession des eaux de Paris exigerait plus de dépenses.
L’administration de la Ville et le Gouvernement ont trop le sentiment de ce qui est raisonnable et possible, pour ne pas comprendre les avantages de cette position et pour désirer, sans motifs et sans nécessité, la création de nouvelles compagnies et surtout, l’appel de nouveaux capitaux, dans un moment, où les incertitudes politiques forcent à les ménager.
Conclusion
Messieurs, les difficultés que nous avons rencontrées, dès nos premiers pas, les circonstances politiques qui sont venues les
augmenter, n’ont pas ébranlé notre foi dans le succès. La persévérance de nos efforts, nos travaux consciencieux pour doter le
pays d’une amélioration qui manque à la civilisation avancée, le soin que nous mettons à défendre vos intérêts et à préparer un
solide & avantageux placement à vos capitaux, nous donnent l’espoir que vous nous continuerez votre confiance. Nous en
sommes, d’autant plus fiers, que nous ne l’avons pas provoquée et que vous nous l’avez librement accordée.
Nous avons la conviction que notre entreprise est bonne, et nous sommes certains de sa réussite, quand nous aurons eu le
temps de la développer. »
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Flux n° 52/53 Avril - Septembre 2003
NOTES
(1) Que l’on nommera aussi, de façon plus courte, par le
terme « la Compagnie » ou par le sigle C.G.E.
(2) Archives privées de la Compagnie Générale des Eaux :
procès-verbal de l’assemblée, d’après le premier volume
manuscrit des « Rapports du Conseil d’Administration aux
actionnaires réunis en Assemblée Générale » (années 1853 à
1860).
(3) Bulletin des Lois, volume n° 164 : loi n° 2804 du 10 septembre 1807, titre III, section 1ère, alinéa 37.
(4) Archives privées de la C.G.E. : registres des procès-verbaux du conseil d’administration, P.V. du 23 mai 1853.
(5) En exemple, la phrase même du comte Siméon dans son
discours, partie II §8 : « Enfin, nous venions d’acquérir la certitude, que le Gouvernement n’autoriserait pas la création immédiate d’un capital de 100 millions ». Effectivement, la C.G.E.
sera formée avec un capital de 20 millions de Francs.
(6) Rôle souvent méconnu.
(7) On retrouvera plusieurs paragraphes à ce propos dans la
partie suivante du discours.
(8) Comme le précise lui même le comte Siméon, partie II,
§ 3.
(9) Archives privées de la C.G.E. : registre des procès-verbaux du conseil d’administration, P.V. du 18 novembre 1853.
(10) Ce sera aussi le cas en 1880 pour le placement des
actions de la Société Lyonnaise des Eaux et de l’Éclairage nouvellement créée par le Crédit Lyonnais, lorsque la banque décide de recourir aux journaux, et par exemple, en septembre
1880, avec le « Petit Provençal » dans lequel elle prévoit
d’acheter des espaces pour ses annonces légales, mais aussi des
pages de publicité, afin de s’assurer du concours de la direction
de la publication.
Source : archives du Crédit Lyonnais, cote 98 AH 27, lettre
du directeur J. Letourneur du 23 septembre 1880.
(11) Archives privées de la C.G.E. : registre des procès-verbaux du conseil d’administration, P.V. du 30 mai 1853.
(12) Archives privées de la C.G.E. : procès-verbaux des
séances correspondantes du Registre des procès-verbaux du
conseil d’administration.
(13) Soit au cours du mois de juin 1853 la somme de
37,50 F.
(14) Futur administrateur de la C.G.E.
(15) lettre de P. Enfantin envoyée et lue en séance du conseil
d’administration de la Compagnie du 07 juin 1853.
(16) Archives privées de la C.G.E. : registre des procès-verbaux du conseil d’administration, P.V. du 22 juillet 1853.
(17) Par la suite, malgré des évolutions de droit (au second
Empire, ce sera la loi du 10 juin 1854 sur le drainage, la loi de
finance du 23 juin 1857 assimilant les taxes d’arrosage aux
contributions directes, la loi du 28 mai 1858 sur les inondations, puis la loi du 01 juin 1865 sur les associations syndicales.
Il faudra néanmoins attendre la troisième République et son
ministre des Travaux Publics M. de Freycinet, pour que la situation se règle enfin avec le décret du 27 janvier 1903), les projets d’irrigation et de développement de la production agricole
n’auront pas, au XIXe siècle, les conditions nécessaires pour
prendre de l’ampleur sur le territoire national, de sorte que la
C.G.E. ne se développera pas beaucoup avec ces sortes d’affaires. Citons cependant ses deux grandes réalisations en matière de canaux d’irrigation : celui de la Vésubie dans les Alpes
Maritimes (décret d’utilité publique du 04 mai 1864), et celui
de Saint-Martory en Haute Garonne (loi de déclaration d’utilité
publique du 26 décembre 1878).
(18) « Sans doute, l’œuvre que nous commençons … est
neuve … », cf partie I, §12.
(19) D’où l’allusion à la compagnie New-River, partie suivante du discours.
(20) Parmi lesquelles l’Angleterre évidemment, mais aussi
les Pays-Bas.
(21) On peut en voir un exemple plus avant, dans le texte
de la troisième partie, avec l’exposé des bases de l’approche
financière du premier traité de la Compagnie, signé avec la ville
de Lyon le 08 août 1853.
(22) de son vrai nom : société anonyme « de l’éclairage par
le gaz hydrogène ».
(23) Archives privées de la C.G.E. : registre des procès-verbaux du conseil d’administration, P.V. du 21 avril 1853 mentionnant une lettre du préfet du département du Rhône envoyée
à la C.G.E.
(24) Archives privées de la C.G.E. : registre des procès-verbaux du conseil d’administration, P.V. du 26 avril 1853, pris à
l’occasion de la réunion entre le conseil d’administration de la
C.G.E. et le directeur de la Compagnie du Gaz.
(25) Archives privées de la C.G.E. : registre des procès-verbaux du conseil d’administration, P.V. du 26 avril 1853.
(26) Qui figure au premier Registre des Traités, archives privées de la C.G.E.
(27) Archives privées de la C.G.E. : registre des procès-verbaux du conseil d’administration, P.V. du 23 mai 1853.
(28) Archives privées de la C.G.E. : registre des procès-verbaux du conseil d’administration, P.V. du 10 juin 1853.
(29) Reproduite in extenso et fidèlement, c’est-à-dire, y
compris les gras, les soulignés et l’orthographe du manuscrit.
BIBLIOGRAPHIE
CARON F., 1981, Histoire économique de la France au XIXe
siècle, Paris, Armand Colin.
GIRAUD J-M., 1992, Gaz et électricité à Lyon 1820-1946. Des
origines à la nationalisation, thèse de doctorat, université
Lumière Lyon II.
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Dossier
JACQUOT A., 2002, « La Compagnie Générale des Eaux. 18521952 : un siècle, des débuts à la renaissance », Entreprises
et Histoire, n° 30, pp. 32-44.