Comptes d`un tennisman ordinaire

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Comptes d`un tennisman ordinaire
Comptes d'un tennisman ordinaire
Naviguant autour de la 200e place mondiale, Pierre-Hugues
Herbert, vingt-deux ans, dévoile l'envers financier du décor, où
chaque euro est pesé.
STÉPHANE KOHLER L'Équipe
Open d'Australie 01/2013 : Pierre-Hugues Herbert au 2e tour des qualifications
LA SEMAINE dernière au Moselle Open de Metz, une grande première est passée plutôt inaperçue, sauf des inconditionnels de
tennis les plus attentifs. Après dix-huit tentatives infructueuses en qualifications, Pierre-Hugues Herbert, vingt-deux ans, s'est enfin
hissé dans le tableau final d'un tournoi du circuit principal ATP, Battu dès le premier tour par l'Allemand Florian Mayer en deux sets
(6-2,7-5), il est reparti de Lorraine avec un chèque de 4 200 euros (avant impôts) : pas de quoi faire les gros titres ni de folies avec
une somme digne d'un pourboire par rapport aux fortunes engrangées par les meilleurs tennismen. Mais pour cet Alsacien brun et
longiligne (1,88 m ; 74 kg) et son père Jean-Roch, cinquante-six ans, ancien professeur de tennis qui l'entraîne depuis 2004, c'est
sans doute une étape notable, même modeste, vers leur double objectif. Grimper dans la hiérarchie mondiale, où « P2H » navigue
pour l'instant aux alentours de la deux centième place (il est 199e cette semaine), et aussi générer davantage de gains en tournoi, le
fameux prize money qui permettra peut-être, un jour, à la famille Herbert de pouvoir souffler financièrement.
Quelques jours avant le Moselle Open, Jean-Roch et Pierre-Hugues nous avaient expliqué tout cela autour d'une table du dub-house
du TC Strasbourg, leur base. P2H partage son temps entre les Futures, les Challengers et les qualifications des tournois du circuit
principal, dont ceux du Grand Chelem. Les Futures sont les moins rémunérateurs en termes de prize money comme de points ATP et
les frais d'hébergement y sont très rarement pris en charge, Les Challengers offrent de meilleurs gains potentiels et, le plus souvent,
l'hôtel est payé par l'organisation, ainsi que parfois la nourriture. Ces deux catégories de tournois n'ont rien à voir avec le luxe du
grand circuit où tout, ou presque, est mis à disposition gratuitement de l'élite du tennis mondial.
Pour Herbert comme pour de très nombreux joueurs, jeunes et prometteurs ou bien en revanche plus âgés, sur le déclin et peinant
à vivre correctement de leur sport, le tennis professionnel rapporte bien moins qu'un contrat d'honnête footballeur de Ligue 2, par
exemple. « On ne va pas se plaindre de notre sort, évidemment, surtout par rapport à des sports olympiques comme l'aviron, mais
je pense que les gens ont une fausse idée des sommes qui circulentpour des joueurs de mon niveau », souligne Pierre-Hugues
Herbert, tout en avalant un solide combo blanquette de veau-pizza en une petite demi-heure avant un rendez-vous chez son kiné.
Durant cette rare semaine sans tournoi, il ira aussi travailler avec son préparateur physique, Grégory Rousseaux, dont les vacations
sont payées à l'heure.
UNE AVENTURE COMMENCÉE EN 2004
Avec un rare et louable souci de transparence, les Herbert père et fils ont accepté de dévoiler leurs comptes depuis le début de
l'aventure lancée en 2004. Un investissement total de près de 400 000 euros, structuré autour d'une association déclarée d'intérêt
général, Futur Tennis Alsace, ce qui permet d'accueillir les différents financements, dont les dons de mécènes qui peuvent les
déduire fiscalement à hauteur de 66 %, « Un jour, on réussira à équilibrer notre budget grâce aux gains en tournoi, assure Jean-Roch
à la fois père, coach, comptable et organisateur de déplacements, salarié à hauteur d'un SMIC mensuel (*). PH est un joueur pro, il
doit vivre de son métier, dégager des "bénéfices " et il a peu de temps pour le faire. Hors du top 100, on ne vit pas correctement du
tennis, » À l'été 2004, Pierre-Hugues Herbert a treize ans quand son père décide de se lancer avec lui dans l'aventure. Sa sœur
Marjolaine, née en 1983, avait évolué à un bon niveau chez les jeunes, donnant quelques indices sur la marche à suivre. « PH était
dans les meilleurs Français dès huit, neuf ans, se souvient le paternel. Au lancement du projet, il était n° 2 dans sa catégorie. »
L'association Futur Tennis Alsace est donc créée, en marge du système classique.
« On n'a pas été tributaires de la Fédération au départ. Ça a été diversement perçu, sans doute, mais elle nous a aussi soutenu de
manière déterminante entre 2009 et 2011, on ne l'oublie pas même si on revendique le côté "poil à gratter" de notre projet. »
Financièrement, les Herbert ne pouvaient cependant pas la jouer en solo. «Le défi était d'abord économique. On n'a pas de fortune
familiale ou d'ascendants proches qui en aient une. Au départ, nos principales aides sont venues de véritables mécènes, de
particuliers. Cela représentait près de 70 % de l'investissement. Une dizaine de personnes nous ont aidés, versant de 500 à 10 000
euros environ. La Ligue de tennis d'Alsace, le conseil régional, le conseil général du Bas-Rhin, le TC Strasbourg et la Fédération ont
également apporté leur contribution au fil des années. » En 2013, la FFT a versé 8 000 euros et la ligue d'Alsace 2 000 euros.
Pierre-Hugues Herbert n'a jamais été véritablement lié aux structures fédérales comme les pôles Espoirs, l'INSEP ouïe Centre
national d'entraînement situé à Roland-Garros, « C'est une de nos grandes fiertés, explique son père. On a de bons rapports avec la
FFT, on échange sans problème, mais PH a suivi une bonne partie de sa scolarité en Allemagne où il pouvait s'entraîner
régulièrement l'après-midi, II est titulaire d'un Abibac (double diplôme : le baccalauréat français et l'Abitur, son équivalent
allemand) et il est totalement bilingue, C'était important pour son équilibre personnel. » Neuvième mondial chez les juniors en
2009, plutôt à l'aise en double où il joue souvent avec son ami Albano Olivetti, autre espoir du tennis né en 1991, Herbert s'engage
dans une trentaine de tournois par an. Doté d'un jeu offensif mais assez risqué et pas encore totalement maîtrisé, il est certes
encore très loin du plus haut niveau mondial mais n'a pas renoncé à ses rêves. «Je ne pense pas à l'argent que peut me rapporter un
match quand je suis sur le court.
Je pense d'abord à progresser au classement. J'ai la chance d'être très rarement blessé, les gains commencent à tomber. Entrer dans
le tableau final d'un tournoi du Grand Chelem, ça ne m'est encore jamais arrivé mais ce serait une belle étape, sportive et
financière. Il y a neuf ans, quand on s'est lancé avec mon père qui a tout arrêté pour me suivre, c'était un peu dingue, il fallait avoir
les couilles pour y aller. Mais ce sont des risques qui peuvent payer, Aujourd'hui, on est fiers de cette aventure. Si un jour, je sens
que je ne progresse plus, je commencerai à réfléchir à l'après-tennis, mais en ce moment, je n'y pense pas du tout. Et pour l'instant,
je n'ai d'ailleurs aucune idée de ce que je ferai si ça ne marche pas. »
(") Le poste de coach-gérant-animateur a Été créé au sein de Futur Tennis Alsace en janvier 2006, sous forme d'un C.A.E. (Contrat
d'accompagnement dans f emploi). Le poste a été pérennisé en 2008 sous forme d'un temps plein en CDI.
61 027 € C'est la somme dépensée par Pierre-Hugues Herbert depuis le début de l'année 2013 jusqu'à la fin du mois d'août. Ce
chiffre se répartit entre les frais de compétition à hauteur de 42 445 € et les frais d'encadrement (son entraîneur et son préparateur
physique) qui se montent à 18 582 €.
44 499 € Le total des gains acquis en compétition par le jeune tennisman depuis le début de l'année jusqu'au Moselle Open à la miseptembre ne couvrent pas l'ensemble de ses frais cumulés sur cette période : 61 027 €. Ses gains se répartissent entre les tournois
de simple (37 228 €) et les tournois en double (1 1851 €). Des sommes auxquelles il faut retrancher des taxes (4 580 €).
Sa fiche ATP : http://www.atpworldtour.com/Tennis/Players/He/P/Pierre-Hugues-Herbert.aspx?t=pa
Roland Garros mai 2013 Pierre-Hugues Herbert au 2e tour des qualifications

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