Football Européen et Régulation Une Question de Gouvernance
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Football Européen et Régulation Une Question de Gouvernance
Football Européen et Régulation Une Question de Gouvernance des Instances Dirigeantes Gaël Raballand Bastien Drut Il suffit de lire un journal sportif au moment des transferts pour se rendre compte que le modèle économique des clubs de football européens a changé de manière radicale dans les deux dernières décennies. Les sommes en jeu sont devenues colossales puisque des joueurs professionnels peuvent aujourd’hui gagner en une semaine des années de salaires d’un employé. Les instances dirigeantes professionnelles, ligues et UEFA1, ont également bénéficié de cette récente manne financière et se trouvent dans une situation difficile. En effet, sous la pression de nombreux supporters et d’une grande partie des critiques du football, ces instances sont poussées à réguler le football afin d’éviter les dérives. Mais, dans le même temps, ces instances ont besoin de ces clubs-phares pour développer leurs compétitions et ainsi leurs profits. Les mesures introduites ou préconisées pour réguler le football actuel peuvent ainsi être perçues comme étant des leurres destinées à faire croire à des compétitions ouvertes alors que les dés sont pipés dès le début de la saison et que ces mesures ne peuvent changer drastiquement la donne car les intérêts économiques sont devenus de manière irréversible trop importants. 1. La modification du modèle économique et ses conséquences Un nouveau modèle économique Le modèle économique des clubs de football professionnel européens a radicalement changé dans les années 1980/1990, et ce, principalement pour deux raisons : la hausse des droits de retransmission télévisuelle due à la privatisation des chaînes de télévision, et la libéralisation du marché des joueurs. En conséquence, le coût de fonctionnement d’un club susceptible de jouer les premières places s’est considérablement accru et les collectivités locales n’ont pas pu suivre la tendance inflationniste. C'est d'autant plus vrai qu'après l'euphorie suivant la décentralisation de 1982, le contrôle financier des collectivités a vite mis un frein aux dépenses considérées comme somptuaires. Comme l’expliquent Andreff et Staudohar (20002), dans un environnement globalisé, les clubs sont ainsi passés d’un modèle traditionnel SSSL (Subvention-SpectateursSponsors-Local), au modèle MMMMG (Médias-Magnats-Marketing-Marché-Global). Les auteurs tiennent à remercier Thomas Junod pour les informations sur le fair-play financier. Gaël Raballand, Chercheur-associé à l’Institut Choiseul, docteur en économie de l'Université de Paris-I, économiste pour la Banque mondiale, co-auteur du livre Quel avenir pour le football? publié en 2008 ; Bastien Drut, Centre Emile Bernheim, Solvay Brussels School of Economics and Management, Université Libre de Bruxelles et EconomiX-CNRS, Université Paris Ouest Nanterre La Défense 1 Union of European Football Associations. 2 Andreff W. et P. Staudohar (2000), « The Evolving European Model of Professional Sports Finance », Journal of Sports Economics, vol. 1(3), 257-276. 1 Auparavant, les revenus des clubs s’appuyaient principalement sur les recettes au guichet, les subventions municipales3 et le sponsoring local alors qu’aujourd’hui, ils reposent principalement sur les droits de retransmission télévisée, le financement par des groupes financiers ou de médias et les produits dérivés4. C’est en grande partie la concurrence entre chaînes privatisées qui a induit une hausse exponentielle des droits de retransmission télévisuelle mis en vente de façon collective5 par les ligues professionnelles, en position de monopole. Ces droits se chiffrent en France à 688 millions d’euros pour la saison 2008-2009 alors qu’ils ne s’élevaient qu’à 0,8 million d’euros lors de la saison 1983-19846! La part des droits de retransmission télévisuelle dans la structure de revenus des clubs est donc devenue considérable, allant jusqu’à près de 60% en France et en Italie. À cette manne financière nouvelle se sont, par ailleurs, ajoutés des revenus de sponsoring et de partenariats publicitaires dont la valeur a logiquement crû avec la médiatisation du football professionnel. Cet accroissement des revenus des clubs a coïncidé avec la libéralisation des joueurs professionnels instituée par l’arrêt Bosman. Avant celui-ci, un club pouvait exiger une compensation financière à un club qui souhaitait enrôler un de ses joueurs en fin de contrat. La Cour européenne de justice a statué en 1995 que ce système était incompatible avec l’article du traité de Rome relatif à la libre circulation des travailleurs au sein de l’Union européenne. Cet arrêt a donc rendu les joueurs libres de circulation au sein de l’Union européenne. La conséquence de cette libéralisation du marché du travail a été que les meilleurs joueurs ont pu s’engager dans les clubs offrant les salaires les plus importants et une forte inflation salariale s’est alors enclenchée (Ericson, 20007). Cela a, par ailleurs, mis en lumière des problèmes de gouvernance car certains clubs ont accru leurs dépenses salariales encore plus que ce que leurs nouveaux revenus le leur permettaient (cf. la crise du football italien au début des années 2000 analysée par Baroncelli et Lago, 20068). Avec l’augmentation spectaculaire des sommes en jeu, les plus grands clubs européens se sont ainsi lancés dans une spirale budgétaire infernale9, au mépris bien souvent de toute prudence budgétaire10. L’écart entre grands clubs et clubs de petites villes européennes a ainsi cru très rapidement (voir graphique 1), ce qui explique également la création de cercles vertueux pour les plus grands clubs et vicieux pour les autres. 3 Les subventions des collectivités locales ne représentent désormais que 2% des recettes des clubs de Ligue 1 selon la DNCG. 4 Pour les clubs, ces changements majeurs d’un point de vue économique se sont bien souvent accompagnés de changements du statut juridique avec le passage à des statuts très proches de ceux des sociétés commerciales. Alors qu’en Angleterre, les clubs professionnels sont déjà des sociétés par actions depuis la fin du XIXème siècle, les championnats allemands, espagnols et français ont évolué vers cette forme juridique dans les années 1980/1990. 5 C’est le cas notamment en Angleterre, en Espagne et en France. 6 En Euros constants en 2000, les chiffres étaient respectivement de 1,54 million d'euros en 83/84 et 580 millions pour 08/09. 7 Ericson T. (2000), « The Bosman Case: Effects of the Abolition of the Transfer Case », Journal of Sports Economics, vol. 1(3), 203-218. 8 Baroncelli A. et U. Lago (2006), « Italian Football », Journal of Sports Economics, vol. 7(1), 13-29. 9 Hormis en France dans une certaine mesure grâce à l’institution d’un contrôle de gestion strict. 10 Hamil, Sean, Holt, Matthew, Michie, Jonathan, Oughton, Christine et Shailer, Lee (2004), "The corporate governance of professional football clubs", disponible sur http://www.emeraldinsight.com/Insight/viewContentItem.do?contentType=Article&contentId=873198. 2 Graphique 1: Comparaison des PIB des cinq grands pays européens et des revenus des vingt plus grands clubs européens (indexés) entre 1997 et 2009 Source: Deloitte (2010), Football Money League. Les moyens financiers expliquent les résultats sportifs Avec la concurrence des clubs pour recruter les meilleurs joueurs, il est facile de montrer que les clubs capables d’offrir les meilleurs salaires, c’est-à-dire ceux qui disposent des budgets les plus importants, sont également ceux qui obtiennent les meilleurs résultats sportifs. Hoehn et Szymanski (1999)11 établissent une relation très forte entre la masse salariale des clubs anglais et le classement en championnat au terme de la saison. Les clubs capables de dépenser le plus en termes de salaires sont ceux qui réalisent les meilleures performances sportives. Notons par ailleurs que c’est cela qui a motivé la cotation en bourse ou le recours massif de l’endettement de certains clubs pour parier sur la réussite en championnat et en coupes. Stratégie de développement fort risquée car exclusivement centrée sur la réussite sportive et qui ne comprend pas de stratégie de diversification de l’activité. Les conséquences sur l’intérêt des championnats Le fait que les clubs les mieux dotés financièrement puissent attirer les meilleurs joueurs en leur proposant de meilleurs salaires que les autres clubs est largement autoentretenu. En effet, 11 Hoehn T. et S. Szymanski (1999), « The Americanization of European Football », Economic Policy, vol. 14(28), 205-240. 3 chacune des ligues européennes redistribue les droits de retransmission télévisuelle aux clubs selon ses propres règles12 mais en favorisant toujours les clubs ayant obtenu les meilleurs résultats sportifs de la (ou des) dernière(s) saison(s). La conséquence directe est que les clubs possédant déjà les meilleurs joueurs et qui obtiennent donc les meilleurs résultats sportifs, recevront plus de droits de retransmission télévisuelle et disposeront de meilleures ressources pour enrôler les meilleurs joueurs, et ainsi de suite. Ceci explique comment perdure la domination de quelques clubs sur leur championnat. Dans le cas anglais, le « Big Four » (Arsenal, Chelsea, Liverpool et Manchester United) écrase la compétition depuis près de 20 ans : il faut remonter à la saison 1994-1995 pour trouver un club non-membre de ce groupe remporter le championnat (les Blackburn Rovers). Ce mécanisme autoentretenu est exacerbé avec les compétitions européennes et surtout la Champions League. Instituée au milieu des années 1990, la Champions League a progressivement monopolisé les enjeux sportifs et financiers sur l’échiquier européen, avec une augmentation considérable des matches, des recettes générées et une médiatisation bien supérieure à celle de toutes les autres compétitions13. Seules les premières places14 des différents championnats nationaux assurent la qualification pour cette dernière, compétition qui est très lucrative d’un point de vue financier pour les clubs car l’UEFA leur redistribue les droits de retransmission associés et qui sont très importants. Les clubs régulièrement qualifiés pour cette compétition ont donc des revenus beaucoup plus importants que les autres clubs de leurs propres championnats, ce qui leur permet de maintenir leur domination. Ainsi, Arsenal, Manchester United et le Real de Madrid, toujours qualifiés lors des dix dernières éditions de la Champions League, ont respectivement reçu en cumulé 231, 270 et 225 millions d’euros. Tout ceci a fortement réduit l’incertitude des championnats nationaux avec des clubs dont les objectifs peuvent être très différents. Au plan européen, l’instauration de la Champions League en 1993 en remplacement de la Coupe des clubs champions a, de par son mode de qualification, accru les inégalités entre championnats. Alors qu’avant celle-ci, seuls les clubs ayant remporté leur propre championnat national, les meilleurs championnats, c’est-à-dire ceux qui disposent des meilleures ressources financières, disposent de plusieurs places qualificatives. Les clubs des championnats les plus importants (par ordre d’importance : Angleterre, Espagne, Italie, Allemagne, France) reçoivent donc plus de revenus, peuvent ainsi recruter les meilleurs joueurs du monde et donc asseoir leur domination sur les autres championnats européens. Le graphique 2 qui représente le nombre de quart-de-finaliste de la Champions League par championnat illustre cette domination croissante. 12 Pour la Ligue 1, 50% des droits sont redistribués de façon égalitaire, 30% sur des critères sportifs et 20% sur des critères de notoriété. 13 Elle s’est transformée avec l’attribution de plusieurs places aux représentants les mieux classés des championnats majeurs et l’instauration de mini-championnats à un puis deux tours. Depuis lors, la Coupe des Vainqueurs de Coupes a été supprimée, et la coupe de l‘UEFA (devenue Europa League) a progressivement adopté un modèle similaire avec des tours garantissant un minimum de six matches aux participants. 14 Leur nombre dépend du classement UEFA du championnat, c’est-à-dire de la réussite passée de ces clubs en compétitions européennes. 4 Graphique 2: Nombre de clubs quart-de-finalistes de la Champions League par championnat, période 1990/1997 et 1998/2008. 40 35 1990/1997 30 1998/2008 25 20 15 10 5 0 Allemagne Angleterre Espagne France Italie Autres Une simple typologie des clubs professionnels en Europe Face au tournant qu’a connu l’économie du football professionnel dans les années 1980/1990, les clubs n’ont pas connu une réaction uniforme. En fait, il est possible de dresser une typologie des clubs professionnels en fonction de leurs propriétaires et de leurs objectifs15 : Les clubs appuyés financièrement par un milliardaire16 ou un multimillionnaire prêt à investir une partie de sa fortune, parfois à fonds perdus, pour construire une équipe de haut niveau. Exemple : Chelsea, Manchester City. Les clubs détenus par un fonds d’investissement ou impliqué dans un montage financier complexe et qui ont pour but de dégager des profits financiers. Exemple : PSG. Les clubs qui tentent de diversifier leurs activités soit par l’acquisition du stade17 dans lequel ils jouent soit en développant des activités hors du football. Exemple : Arsenal. Les clubs dont la base associative est encore très forte et dont l’objectif est quasiexclusivement centré sur les résultats sportifs. Exemple : Barcelone, Real de Madrid, clubs allemands. 15 Evidemment, le type de modèle adopté par le club de football peut varier au cours du temps à l’occasion d’un changement d’actionnariat. 16 Dherbecourt et Drut (2009), “Who will go down this year? The Determinants of Promotion and Relegation in European Soccer Leagues”, WP-CEB N°09-038, montrent, par exemple, que les clubs ayant un lien financier avec un milliardaire ont une probabilité de relégation significativement moins élevée et une probabilité de promotion significativement plus élevée. 17 Pour un club professionnel, la possession d’un stade permet de diversifier ses revenus car cela permet d’organiser des événements (concerts, spectacles, etc.) déconnectés de l’aléa sportif. Selon l’UEFA, seuls 17% des clubs de première division en Europe possèdent directement leurs stades. 5 Les clubs régionaux souvent historiquement liés à des entreprises industrielles mais aux moyens financiers limités. Exemples : RC Lens, FC Sochaux, AS Saint-Etienne. Il faut tout de même noter qu’en l’absence de mécènes dans le football, les clubs français sont appelés à être "régionaux" et plus faibles que les grands clubs européens car, toutes choses égales par ailleurs, le club d’une grande ville, avec un grand stade et un palmarès important drainent des revenus supplémentaires et sont ainsi appelés à accumuler les titres18, ce qui n’est pas le cas en France. 2. Quelle régulation possible dans ce contexte? L’UEFA a été créée en 1954 et comprenait alors une vingtaine d’associations nationales. Elle en regroupe plus de cinquante aujourd’hui. Cette organisation est une association de fédérations nationales ce qui, à ce titre, induit certaines faiblesses. Parmi ses principales missions figure l’organisation de compétitions, la promotion du football, l’aide au football dans les pays où il est moins développé et le maintien des relations étroites avec la FIFA. Dans la dernière décennie, l’UEFA a connu un succès commercial important avec la Ligue des Champions et l’explosion des droits de retransmission télévisée (voir graphique 3). L’UEFA réalise aujourd’hui des revenus/profits substantiels en conservant une partie de ces droits19, notamment grâce à la Champions League. Graphique 3: Revenus générés par la Champions League entre 1992/93-2009/10 (en millions d’Euros) 18 Dessus, Sébastien et Raballand, Gaël (2010), "Budgets optimaux et compétitivité des clubs de football français", disponible sur www.footballmoderne.com. 19 Même si la majeure partie des sommes collectées est redistribuée aux clubs, voir Ducrey, Pierre, Ferreira, Carlos Eduardo, Huerta, Gabriel, Tallec Marston, Kevin, (2003), "UEFA and football governance: a new model", mimeo. 6 Source: Deloitte (2010), Football Money League. Pour l’UEFA, l’objectif est simple pour redonner de l’attrait à la compétition et augmenter l’incertitude sur l’issue de la Champions League : limiter l’écart de budgets entre plus grands et plus petits clubs. Pourtant, en réalité, ceci est difficile à réaliser car le succès de l’UEFA dépend principalement des recettes de la Ligue des Champions qui est elle-même fonction de l’attrait des grands clubs. Aussi, il est difficile pour l’UEFA de procéder à une forte redistribution des revenus au profit des petits clubs au risque de voir les grands clubs créer leur propre compétition, ce qui a longtemps été la menace brandie au sein du G1420. Il existe ainsi un arbitrage pour les instances dirigeantes européennes entre revenus/profits et incertitude sur les résultats des compétitions : il est plus intéressant financièrement pour l’UEFA d’aboutir à une finale Barcelone-Chelsea en mai qu’une finale Borisov-Donetsk mais à terme une finale BarceloneChelsea tous les ans peut avoir un impact négatif sur la compétition (en terme d’image et sur les audiences télévisées). L’équilibre entre profits et incertitude sur l’issue de la compétition est ainsi difficile à réaliser pour l’UEFA (et toute ligue nationale qui est confrontée au même arbitrage). Quelles sont alors les solutions possibles pour les instances dirigeantes? Revenir à un modèle économique antérieur? Des observateurs du football, notamment en France, prônent un retour au modèle économique antérieur avec une forte place laissée aux collectivités locales. Mais, est-ce réaliste ? 20 Organisation de lobbying des clubs de football professionnels les plus puissants et riches d'Europe fondée en 2000 dissoute en janvier 2008 sous la pression de l'UEFA et de la FIFA. 7 Aujourd’hui, pour des recettes en moyenne de près de 50 millions d’Euros pour les clubs de Ligue 1, un peu plus d’un million d’Euros provient des collectivités locales. Est-il imaginable que les collectivités locales (et le contribuable par ricochet) multiplient par 4 ou 5 ses subventions au club de la ville ? Un contrôle de gestion européen Les instances dirigeantes françaises prêchent pour l’établissement en Europe d’une institution européenne en charge du contrôle financier « à la française » c’est-à-dire qui rétrograderait tout club en cas de déficit chronique.21. Même si elle est souhaitable d’un point de vue éthique, cette bataille semble actuellement difficile à gagner, au regard des profits générés par l’UEFA, les medias, annonceurs et grands clubs européens lors des joutes de Champions League. Quel est aujourd’hui l’intérêt pour la plupart des ligues majeures européennes d’adopter le « modèle français »? Les dirigeants britanniques ont ainsi fait savoir à de nombreuses reprises leur opposition à une telle mesure. Un pis aller: le fair-play financier de l’UEFA L’UEFA travaille désormais au développement d’une réforme de son système de licence pour les clubs jouant dans ses compétitions avec l’introduction d’un meilleur « fair-play financier »22. Cette réforme consisterait à interdire la participation aux compétitions organisées par l’UEFA aux clubs endettés. Toutefois, les règles précises visant à garantir un meilleur fairplay financier sont encore en discussion. Cette réforme n’est crédible que dans la mesure où certains clubs seraient exclus de la compétition.Mais est-ce vraiment raisonnable de penser que l’UEFA se passe de Chelsea, Manchester et le Real Madrid pendant plusieurs années ? Si la réponse est non, cette mesure peut paraître plus symbolique que véritablement efficace. Le salary cap La mesure la plus souvent préconisée est la limitation des salaires (salary cap). Partant du fait que les clubs régionaux ne peuvent rétribuer les meilleurs joueurs, au prix du marché, il est proposé de limiter les salaires ou, plus exactement, la masse salariale. Cette mesure a été adoptée dans la plupart des sports professionnels américains tels que le basket-ball (1984) et le football américain (1994) comme contrepoids à la liberté accordée aux joueurs d’être transféré sans indemnités de transfert. A partir des années 1970 et 1980, l’inflation salariale s’est accélérée et l’idée des mesures de limitation des salaires est réapparue. Or, malgré l’insistance avec laquelle elle est promue, cette mesure a de grandes chances de ne pas atteindre l’effet escompté pour deux raisons principales : - les difficultés de sa mise en œuvre car, dans la réalité, il est difficile de sanctionner tout club qui dépasserait le ratio prévu masse salariale/budget. 21 Voir le rapport d’Eric Besson (2008) qui propose l’instauration par l’UE d’un plafonnement des salaires et un contrôle de gestion européen afin d’appauvrir les grands clubs européens concurrents, dans : « Accroître la compétitivité des clubs de football professionnel français », disponible à l’adresse: http://www.premierministre.gouv.fr/IMG/pdf/RapportCompetitiviteFoot_51108.pdf 22 Voir communiqué de presse publié après la séance du Conseil stratégique du football professionnel du 28 août dernier ainsi que UEFA, “Fair-play financier », disponible à l’adresse: http://fr.uefa.com/uefa/footballfirst/protectingthegame/financialfairplay/news/newsid=1445745.html#fair+play+fina ncier 8 - les limites de l’impact d’une telle mesure sur la compétition. En effet, dans les grands championnats européens, (i) la structure budgétaire des clubs est infiniment plus hétérogène que dans les ligues américaines, et (ii) ce sont aujourd’hui les clubs au budget limité qui ont le ratio le plus élevé de leur masse salariale sur le budget du club (supérieur à 70% tandis qu’il est d’à peine 50% pour les grands clubs européens). Aussi, toute baisse de ce ratio irait à l’encontre des clubs régionaux qui devraient payer des salaires plus faibles alors que les grands clubs européens pourraient continuer à rétribuer leurs joueurs aux niveaux actuels23. D’aucuns demandent une limitation des salaires en termes absolus. Mais il est également extrêmement difficile de s’entendre sur un plafond de salaires européen et, sans harmonisation fiscale, un pays pourrait drainer une partie des joueurs au détriment d’un autre. En outre, là encore, il est facile pour un club de fournir des avantages en nature voire des émoluments sur des comptes à l’étranger qui peuvent assez facilement échapper au contrôle. Des nouvelles redistributions des droits de retransmission télévisée. L’autre mesure le plus souvent préconisée est une redistribution plus égalitaire des droits de retransmission télévisée. Là aussi, il est difficile d’obtenir un consensus de la part des grands clubs européens afin qu’ils abandonnent une partie de leurs revenus pour les clubs de bas de tableau. En outre, l’exemple français, montre que, malgré cette solidarité entre clubs (la plus forte dans les cinq championnats majeurs), cela ne permet pas véritablement à des clubs d’émerger à cause des écarts existants et, financièrement affaiblit, sans conteste, au niveau européen des clubs comme Lyon, l’OM ou le PSG24. Une autre solution qui pourrait rassembler plus facilement l’assentiment des clubs de haut de tableau est la redistribution plus égalitaire de nouveaux revenus, tels que ceux du sponsoring ou des produits dérivés des clubs mais aussi des ligues. Ainsi, dans les sports américains, c’est la NBA ou la NFL qui contrôlent une partie de la promotion et de la distribution des produits dérivés. Pour le football, l’UEFA ou une autre instance pourrait jouer ce rôle. En conclusion, les instances dirigeantes sont dans une position difficile car sous la pression pour agir mais, sans grands clubs, les compétitions perdraient considérablement de leur intérêt pour une majorité de supporters et ainsi les ligues ou l’UEFA verraient leurs revenus et profits fondre. Pourtant, l’UEFA ne peut pas totalement ignorer cette pression, notamment pour son président, qui est de facto élu par les petites fédérations européennes (du fait du système une fédération – une voix). Ainsi, tant que la redistribution des droits de retransmission télévisée reste similaire et qu’un contrôle de gestion européen n’est pas institué, les grands clubs ont peu de raisons d’entrer en conflit avec l’UEFA et toute réforme annoncée est par essence cosmétique et symbolique sans impact à attendre sur les résultats des compétitions. 23 voir Raballand, Gaël, Cianférani, Sylvain et Marteau, Jean-François (2008), Objectif 0-0, L’Harmattan: Paris et www.footballmoderne.com. 24 voir Raballand, Gaël, Cianférani, Sylvain et Marteau, Jean-François (2008), idem. 9