le selectionneur français

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le selectionneur français
ISSN 0374-1621
N° 55
NOVEMBRE 2005
LE SELECTIONNEUR
FRANÇAIS
BULLETIN DE L'ASSOCIATION
DES SÉLECTIONNEURS FRANÇAIS
7, rue Coq-Héron - 75030 PARIS Cedex 01
"Le Sélectionneur Français" 2005 (55)
AMELIORATION DES PLANTES ET DIVERSITE GENETIQUE
IMPACT DE L’AMELIORATION DES PLANTES SUR LA DIVERSITE GENETIQUE
Ressources génétiques, diversité et amélioration du melon.
par Michel PITRAT …………………........................................................................................... 3
Domestication et amélioration pour un élargissement de la gamme des espèces ligneuses
d'ornement.
par Alain CADIC ………............................................................................................................. 13
Impact de la sélection sur la diversité des blés tendres français et conséquences sur la
gestion des collections.
par François BALFOURIER …….................................................................................................. 23
La diversité génétique des bananiers cultivés : situation actuelle et perspectives.
par Frédéric BAKRY ……........................................................................................................... 33
"Le Sélectionneur Français" 2005 (55), 3-12
RESSOURCES GENETIQUES, DIVERSITE ET
AMELIORATION DU MELON
Michel PITRAT
INRA, Unité de Génétique et Amélioration des Fruits et Légumes
BP 94, 84143 Montfavet cedex
Le melon (Cucumis melo L.), comme la trentaine d’autres espèces du genre Cucumis
ayant n=12 chromosomes, est originaire de l’Afrique, sauf toutefois C. hystrix, possédant lui
aussi n=12 chromosomes, qui est originaire du Sud de la Chine (KIRKBRIDE, 1993). La
domestication du melon est ancienne et remonterait vers 2500 à 3000 av. J.C. en Egypte, en
Mésopotamie et en Chine. Sa zone de diversification est l’Asie depuis la Méditerranée jusqu’à
l’Extrême-Orient. Aucun croisement interspécifique n’a pu être exploité jusqu’à maintenant,
bien que des caractères intéressants, en particulier des résistances aux maladies, aient été
identifiés dans des espèces voisines : C. metuliferus et C. anguria pour la résistance aux
nématodes à galles Meloidogyne sp., par exemple. Seul le pool génique primaire, formes
sauvages et cultivées de l’espèce, est donc utilisable. Le melon sauvage, C. melo agrestis, est
monoïque et la pollinisation est entomophile. On pourrait donc penser que l’allogamie est la
règle. Cependant, il y a très peu de baisse de vigueur liée à l’état homozygote et il est
parfaitement possible de cultiver des lignées pures. En prenant un minimum de précautions, il
est relativement facile de maintenir des variétés homogènes.
Le melon est un fruit qui présente un certain « contenu culturel ». Alors que l’on peut
manger à peu près les mêmes tomates en Afrique du Nord, en Espagne, en Italie, en France ou
aux Pays-Bas, les types variétaux et les cultigroupes de melon varient considérablement d’un
pays à l’autre. Les « Piel de sapo », « Tendral » ou « Amarillo » espagnols n’ont rien à voir
avec les « Souhela » ou « Maazoul » marocains, les « Beji » tunisiens ou les « Charentais »
français. Cela complique évidemment la tache du sélectionneur qui travaille pour un marché
étroit mais rend passionnante l’étude de la diversité de cette espèce.
1 – DIVERSITE DE L’ESPECE
Le melon sauvage que l’on rencontre encore assez couramment en Afrique tropicale
sub-sahélienne est caractérisé par des petits fruits de 20 à 50 g, de couleur vert clair strié ou
marbré de vert foncé, avec une chair blanc-verdâtre extrêmement mince et de nombreuses
petites graines. On pense que c’est pour l’utilisation des graines, riches en protéines et en
lipides que le melon a d’abord été cueilli puis domestiqué. Cette utilisation persiste avec
l’utilisation des seinat au Soudan (MOHAMED et PITRAT, 1999).
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Les premiers melons domestiqués devaient probablement être non sucrés et
correspondent à une utilisation comme « légume » soit cru, comme du concombre, soit cuit.
Ils peuvent être également confits au sel et au vinaigre comme des cornichons. Ils sont
généralement récoltés immatures. Les premières descriptions entretiennent une assez grande
incertitude entre le « melon-légume » et le concombre. Cependant il est à peu près certain
maintenant que les Egyptiens anciens ne connaissaient pas le concombre. Ainsi les Hébreux
pendant l’Exode errent dans le désert du Sinaï en regrettant l’abondance en Egypte : « Qui
nous donnera de la viande à manger ? Ah ! quel souvenir ! le poisson que nous mangions
pour rien en Egypte, les concombres, les melons, les laitues, les oignons et l’ail ! Maintenant
nous dépérissons, privés de tout... » (Nombres 11 :5). Les « concombres » en question sont
plus probablement des melons et les « melons » des pastèques…
De nombreux auteurs ont tenté des classifications au sein de l’espèce, en particulier
Ch. NAUDIN (NAUDIN, 1859). Les ressources génétiques de l’espèce peuvent être structurées
en une vingtaine de variétés botaniques (PITRAT et al., 2000). Comme dans toute taxinomie
infra-spécifique, il existe des types intermédiaires qui sont difficiles à classer. A l’intérieur
des variétés botaniques, des cultigroupes sont utilisés pour regrouper les variétés très
proches : par exemple, le cultigroupe « Charentais », dans la variété botanique cantalupensis,
regroupe les variétés ou cultivars proches entre eux mais différant cependant par leur
précocité, leurs résistances à diverses maladies, leur biologie florale…
Actuellement plusieurs variétés botaniques de Cucumis melo sont cultivées comme
« légumes » : On peut citer les suivantes :
- tibish, ressemblant à un type sauvage mais plus gros. Il est consommé cru et est
cultivé au Soudan exclusivement ;
- chate, de forme ronde à ovale, côtelé. Le cultigroupe Carosello est encore cultivé
dans le Sud de l’Italie ;
- flexuosus, de forme allongée à très allongée, souvent appelé melon-serpent ou
concombre-serpent. Il est cultivé de la Méditerranée (alficoz en Espagne, fakous ou fegous au
Maghreb, adjour au Soudan, acur en Turquie) jusqu’en Inde (kakri) (Fig. 1) ;
- momordica, dont les fruits ont un épiderme très fin et éclatent à maturité, cultivé en
Inde ;
- acidulus, avec une chair blanche très ferme et légèrement acidulée, également
cultivé en Inde ;
- conomon, est utilisé comme du concombre en Chine et au Japon (Fig 1).
D’autres variétés botaniques ont des fruits sucrés qui sont consommés à maturité. Ils
correspondent davantage à une utilisation comme « fruits ». On peut citer :
- cantalupensis, à fruits ronds ou ovales, en général à chair orange. Le cultigroupe
« Charentais », le plus cultivé en France actuellement, en fait partie ;
- reticulatus, caractérisé par la présence de « broderies » sur l’écorce, est parfois
rattaché au groupe précédent. Le cultigroupe des « Cantaloupes » nord-américains est très
représentatif ;
- ameri, très cultivé en Asie centrale. Ce sont des gros fruits ovales, assez tardifs, à
chair blanche très sucrée et juteuse, d’excellente qualité ;
- inodorus, très cultivé en Espagne ou en Turquie par exemple. Les fruits sont ovales
à chair blanche, l’écorce peut être jaune, vert foncé ou tachetée. La chair est sucrée, juteuse,
non aromatique. Beaucoup de variétés ont une très longue durée de conservation après
récolte ;
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- makuwa, cultivé en Extrême-Orient. Les fruits sont petits, précoces, moyennement
sucrés et parfumés ;
- chinensis, également cultivé en Extrême-Orient. Les fruits sont pyriformes et la
chair est de médiocre qualité.
Enfin une dernière variété botanique est représentée par dudaim dont le fruit de la
taille d’une orange n’est pas consommé (Fig. 2). Il est utilisé de la Turquie à l’Afghanistan
pour parfumer une pièce, en mettant les fruits mûrs dans une coupe.
2 – DIVERSITE EN FRANCE
Le melon, décrit de façon certaine par PLINE L’ANCIEN, est nommé dans le
capitulaire De Villis de CHARLEMAGNE. Il a probablement continué à être cultivé dans le sud
(Comtat, Provence…), mais il ne devient vraiment important qu’à la Renaissance. Il est alors
représenté par de nombreux botanistes. En 1752, DE COMBLES cite une dizaine de variétés et
l’édition de 1792 du Bon Jardinier décrit une quinzaine de variétés tout en insistant sur les six
meilleures. JACQUIN en 1832 décrit plus de 80 variétés (JACQUIN, 1832). La plupart porte
des noms de lieux, souvent étrangers (melon de Séville, de Madère, de Candie…). Ces
variétés étaient-elles réellement cultivées en France ou bien, ressources génétiques avant
l’heure, étaient-elles seulement présentes chez des « collectionneurs » ? La même question
peut se poser pour les descriptions de Ch. NAUDIN au Muséum (NAUDIN, 1859) ou de
VILMORIN (VILMORIN-ANDRIEUX & CIE, 1925).
Différents recoupements permettent de penser qu’environ une trentaine de variétés
principales étaient cultivées de façon significative en France, avec pour certaines d’entre elles
des cultivars proches et de très nombreuses synonymies. Par exemple :
- le « Melon maraîcher » ou « Melon français » ou « Melon commun » ou « Gros
morin » ou « Tête de Maure » ;
- le « Melon des Carmes » dont on peut distinguer le long, le rond, celui à écorce
blanche et celui à graine blanche ;
- le « Cantaloup petit Prescott fond noir », le « Cantaloup gros Prescott fond noir »,
le « Cantaloup Prescott fond blanc », le « Cantaloup Prescott à ombilic saillant » ou « Prescott
cul de singe », le « Cantaloup gros Prescott fond blanc » (Fig. 3).
Ces cultivars appartenaient à plusieurs variétés botaniques : cantalupensis,
reticulatus et inodorus. La plupart était destinée à des marchés locaux, en particulier à cause
de la faible durée de conservation après récolte des types cantalupensis et reticulatus. Le type
inodorus plus tardif était cultivé essentiellement dans le Sud de la France : « Olive d’hiver »,
« Melon de Pourrières », « Cavaillon espagnol », « Melon blanc d’Antibes d’hiver » en sont
des représentants (Fig. 3).
Une réduction drastique de la diversité s’est faite dans la seconde moitié du XXe
siècle et aujourd’hui seul le cultigroupe « Charentais » est présent de manière significative sur
les marchés. Par ailleurs, ce type n’est consommé qu’en France. Le « Charentais » est très
probablement le descendant du « Cantaloup hâtif de vingt-huit jours » déjà connu au début du
XIXe siècle. On reconnaissait à cette époque sa bonne qualité gustative, mais il était surtout
apprécié pour sa précocité : une trentaine de jours entre la floraison et la maturité alors qu’il
faut le double pour les types tardifs. Globalement, la qualité de la chair orange, fondante,
sucrée et surtout très aromatique a imposé ce type. Demande des producteurs de melon ou
demande des consommateurs ? Il est difficile de le dire, mais toujours est-il que les
sélectionneurs ont travaillé presque exclusivement ce type pour le marché français. Il n’y a
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pas eu d’essais d’homogénéisation ni d’amélioration des « Sucrin de Tours » (Fig. 3),
« Prescott », « Petit gris de Rennes », « Noir des Carmes » ou « Maraîcher d’Avignon ».
3 – AMELIORATION DU CULTIGROUPE « CHARENTAIS »
Malgré l’étroitesse du marché, le « Charentais » est cependant l’un des cultigroupes
où des efforts importants de sélection utilisant une partie de la variabilité de l’espèce ont été
réalisés. Quelques exemples permettent de l’illustrer.
3.1 – Biologie florale
Les melons sauvages de l’espèce C. melo, comme la plupart des cucurbitacées, sont
monoïques, c’est-à-dire que des fleurs mâles et des fleurs femelles sont présentes sur la même
plante (Fig. 4). Cependant de nombreux cultigroupes sont andromonoïques avec des fleurs
mâles et des fleurs hermaphrodites sur la même plante. Ce caractère
(monoïque/andromonoïque) est sous contrôle monogénique, l’allèle andromonoecious
(symbole a) étant récessif. Les « Charentais » traditionnels sont andromonoïques. La
production de semences hybrides F1 avec une lignée andromonoïque servant de parent
femelle, nécessite une castration manuelle des fleurs hermaphrodites. L’opération est
relativement rentable puisqu’une pollinisation réussie permet la production de 300 à 500
graines. Cependant, d’autres systèmes ont été développés comme la stérilité mâle nucléaire
(cinq gènes récessifs sont disponibles), par exemple par la société CLAUSE (LECOUVIOUR et
al., 1990). Le sélectionneur de melon de la société TEZIER, Raymond MORLE, a choisi
d’utiliser la monoécie pour faciliter la production de semences hybrides F1 sans castration du
parent femelle. L’introduction « brutale », c’est-à-dire par rétrocroisements successifs en
sélectionnant uniquement sur la biologie florale, de l’allèle a+ contrôlant la monoécie dans
une lignée de « Charentais » aboutit à un fruit de gros calibre et ovale. Un gène Oval fruit
shape, lié à a, a été décrit (WALL, 1967). Cette observation de sélectionneur a été analysée
plus finement, soit avec des lignées quasi-isogéniques (PÉRIN et al., 2002), soit en traitant
des boutures de plantes monoïques avec du nitrate d’argent (RISSER, 1984). Cet inhibiteur de
la synthèse de l’éthylène induit la formation d’étamines dans les fleurs femelles, transformant
temporairement une plante monoïque en plante andromonoïque. Dans les deux cas (lignées
quasi-isogéniques ou traitement avec AgNO3), l’absence d’étamines dans les fleurs femelles
se traduit par des fruits plus allongés. Or un « Charentais » doit être rond. En fait, il ne s’agit
pas d’une liaison génétique mais d’un effet épistatique du gène a suivant le fond génétique. R.
MORLE, en partant de « Cantaloup d’Alger » variété monoïque à fruit aplati, a dû faire une
sélection sévère pour ne conserver que des petits fruits ronds sur des plantes monoïques. Les
premières variétés hybrides F1 monoïques, « Roméo » puis « Alpha », ont été inscrites au
catalogue officiel en 1979 et 1981 respectivement. Actuellement la majorité des cultivars de
« Charentais » est monoïque.
3.2 – Conservation du fruit après récolte
Le melon est l’une des rares espèces chez laquelle existent les deux grands types de
maturation du fruit. Le premier dit climactérique est caractérisé par la synthèse
autocatalytique d’éthylène, le changement de couleur de l’écorce et la déhiscence du
pédoncule du fruit, le développement d’arôme typique, le rapide ramollissement du fruit après
la maturité. Chez le second type, sans crise climactérique, le stade de maturité du fruit est
difficile à reconnaître et les fruits peuvent être de très longue durée de conservation allant
jusqu’à plusieurs mois à température ambiante.
L’un des inconvénients du type « Charentais », ainsi que de nombreux autres types
climactériques, est la faible durée de conservation du fruit après maturité. La maturité du fruit
7
est repérée par le changement de couleur de l’écorce et la déhiscence du pédoncule. La récolte
de fruits immatures se traduit par une faible teneur en sucre et un manque d’arôme. Jean-Paul
GINOUX, de la société AMELIORATION DES SEMENCES LEGUMIERES, a introduit dans le type
« Charentais » le caractère de longue durée de conservation après maturité à partir d’un
géniteur présentant ce phénotype. Les premières obtentions, dont la variété « Dalton »
(inscrite en 1991) est aujourd’hui encore très cultivée, ont abouti à des variétés ressemblant à
des « Charentais » par leur fruit sphérique, leur chair orange et leur teneur en sucre, mais avec
une écorce du fruit restant verte à maturité et de longue durée de conservation. Cependant, ces
variétés sont peu aromatiques et un compromis entre la durée de conservation et la qualité
aromatique a été trouvé avec les variétés dites de conservation intermédiaire dont « Lunastar »
est un exemple. On distingue donc actuellement les types dont l’écorce reste verte à maturité
et dont la durée de conservation est de l’ordre d’une quinzaine de jours, des types à écorce
jaunissante. Ces derniers sont eux-mêmes subdivisés en « Charentais classique » et
« Charentais intermédiaire » dont la durée de conservation est de l’ordre de 8 jours. Ils
représentent actuellement la majorité des melons commercialisés en France.
3.3 – Résistances aux bioagresseurs
Le melon est sensible à de nombreux agents pathogènes. Le gène Fom-1 de
résistance aux races 0 et 2 de Fusarium oxysporum melonis, agent du flétrissement du melon,
a été mis en évidence dans certaines populations traditionnelles de « Charentais ». Mais tous
les autres gènes de résistance ont été introduits à partir de géniteurs plus ou moins éloignés
(Tableau 1). Des évaluations ont été conduites pour trouver des sources de résistance aux
bioagresseurs (PITRAT et al., 1996). Ainsi, la résistance à la race 1 de F. oxysporum melonis
est relativement fréquente dans des accessions originaires d’Asie centrale et d’ExtrêmeOrient, alors que la résistance à la race 1-2 n’a été mise en évidence que dans quelques
accessions d’Extrême-Orient. La résistance au virus de la mosaïque du concombre (CMV) n’a
été trouvée que dans des accessions d’Extrême-Orient, au virus de la mosaïque jaune de la
courgette (ZYMV) dans une accession indienne, au virus des taches annulaires du papayer
(PRSV) également dans des accessions indiennes. La résistance à la colonisation par le
puceron Aphis gossypii et à la transmission des virus par ce puceron a été mise en évidence
dans des accessions indiennes et d’Extrême-Orient. Les résistances aux différentes races
d’oïdium (Sphaerotheca fuliginea) ainsi qu’au mildiou (Pseudoperonospora cubensis) ne se
trouvent que dans des accessions indiennes.
Deux conclusions peuvent être retirées de ces évaluations :
- l’Inde et l’Extrême-Orient sont les origines géographiques de la plupart des
résistances aux maladies ;
- quelques accessions cumulent de nombreuses résistances : par exemple MR-1, de
type momordica originaire de l’Inde, est résistant à l’oïdium, au mildiou, au Fusarium races 0,
1 et 2 ainsi qu’à Alternaria cucumerina ; PI 414723, également de type momordica originaire
de l’Inde, est résistant au puceron Aphis gossypii, au virus de la jaunisse des cucurbitacées
transmise par pucerons (CABYV), au ZYMV, au PRSV ainsi qu’au Fusarium et à l’oïdium ;
PI 161375, de type chinensis originaire de Corée, est résistant au puceron A. gossypii, au virus
de la criblure du melon (MNSV), au CMV et au Fusarium races 0 et 1.
L’introduction de résistances aux maladies venant de ces types « exotiques » dans le
cultigroupe « Charentais » nécessite un important travail de sélection. On peut citer les
travaux de Georgette RISSER (INRA) d’introduction dans le type « Charentais » des
résistances aux différentes races de F. oxysporum melonis. Parfois, des travaux d’amélioration
ont déjà été réalisés dans des types variétaux assez proches du groupe « Charentais » ; c’est le
cas en particulier pour certaines résistances à l’oïdium qui ont été introduites dans le type
« cantaloup américain » depuis les années 1930-1940 (JAGGER et SCOTT, 1937 ; PRYOR et
8
al., 1946). Les hauts niveaux de résistance à l’oïdium sont souvent liés à des nécroses du
feuillage qui apparaissent dans certaines conditions (jour court, faible ensoleillement, forte
charge en fruit, déséquilibre de la fertilisation…). La résistance à l’oïdium est nettement
dominante alors que la nécrose est récessive, justifiant l’intérêt des hybrides F1. En utilisant
ces géniteurs américains, Louis HEDDE de la société Caillard a créé en 1973 « Pharo »,
premier hybride F1 commercial de type « Charentais » et de plus résistant à l’oïdium.
4 – RESSOURCES GENETIQUES
Il existe bien entendu des grandes collections de melon au niveau mondial. La plus
importante est probablement la banque nord-américaine (National Plant Germplasm System)
avec environ 3000 accessions. Il est difficile de connaître l’état exact de la collection de
l’Institut Vavilov en Russie.
La collection française comporte environ 2000 accessions. Les ressources génétiques
sont maintenues depuis 1996 par un réseau associant l’INRA et neuf sélectionneurs privés. La
plus grande partie des accessions a été apportée par l’INRA qui avait constitué, par échange
avec différents laboratoires ou chercheurs, une collection depuis les années 1950. Plusieurs
centaines d’accessions ont été également apportées par la société SEMINIS en 2001. Les
accessions sont décrites progressivement en utilisant environ 25 descripteurs dont la plupart
concerne le fruit. De nombreuses évaluations pour les résistances aux maladies ont également
été réalisées. L’ensemble des informations sur les données passeport classiques, les
descriptions, les résistances aux maladies et des photos est regroupé dans une base de
données.
Les semences de la totalité de la collection sont accessibles à toute personne ou
laboratoire qui en fait la demande. La collection nationale regroupe la plupart des anciennes
variétés françaises ainsi que quelques lignées de sélection, soit au total un peu moins de 100
accessions. La base de données est consultable sur le site internet
http://www.avignon.inra.fr/rg_melon/public. Les informations sur le reste de la collection sont
réservées aux membres du réseau. La disponibilité de semences identifiées et de bonne qualité
germinative est évidemment un minimum pour une collection de ressources génétiques. Mais,
la qualité des informations sur les accessions et l’accès à ces informations sont également très
importants.
5 – CONCLUSIONS
Du point de vue du consommateur français, la perte de variabilité au cours du XXe
siècle est indéniable. L’offre de la production française s’est concentrée sur le cultigroupe
« Charentais ». On peut parfois trouver sur les marchés des melons du type « Petit gris de
Rennes » ou « Canari », mais leur importance économique est marginale. Cependant, cette
variabilité n’est pas perdue ; elle est maintenue dans la collection nationale.
Les ressources génétiques, c’est-à-dire le pool génique primaire avec les formes
sauvages et cultivées de l’espèce, ont été utilisées pour « enrichir » le cultigroupe
« Charentais » ainsi que d’autres types variétaux. Les exemples présentés sur la biologie
florale, la qualité du fruit et les résistances aux bioagresseurs en sont une illustration.
BIBLIOGRAPHIE
JACQUIN, P.J. 1832. Monographie complète du melon, contenant la culture, la description et le
classement de toutes les variétés de cette espèce, suivies de celles de la pastèque à chair fondante avec
9
la figure de chacune dessinée et colorée d'après nature. Rousselon, Paris (FRA). 199 pp et XXXIII
planches.
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KIRKBRIDE, J.H. 1993. Biosystematic Monograph of the Genus Cucumis (Cucurbitaceae). Parkway
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Acta Horticulturae (ISHS), 510, 29-36
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199-208.
Journée de l’ASF du 5 février 2004
10
Fig 1. Deux types de melon
non sucrés consommés
immatures :
conomon (à gauche) et
flexuosus (à droite).
Fig 2. C. melo dudaim, melon non consommé mais
utilisé pour parfumer une pièce.
Fig 3. Trois anciennes variétés françaises : Prescott à fond blanc de Paris (en haut à gauche),
Sucrin de Tours (en haut à droite) et melon de Pourrières (en bas).
Fig 4. Fleurs femelle, hermaphrodite et mâle
(de gauche à droite) de melon.
Les accessions sont soit monoïques
(fleurs femelles et mâles sur la même plante),
soit andromonoïques (fleurs hermaphrodites
et mâles sur la même plante).
LJ 525, PI 79376
MR-1, PI 124112…
PI 161375
PI 414723
PI 161375
PMR 5
PI 161375
Freeman’s cucumber
PI 414723
PI 180280
PI 180283
PI 124112, PI 414723
PI 255478
Monogénique (nombreux gènes)
Vat
Prv1
Prv2
2 gènes récessifs
Aphis gossypii
Virus de la mosaïque du concombre
(CMV)
Virus de la mosaïque jaune de la
courgette (ZYMV)
Virus des taches annulaires du papayer
(PRSV)
Virus de la jaunisse des cucurbitacées
transmise par pucerons (CABYV)
Zym
polygénique récessif
Virus de la criblure du melon (MNSV) nsv
Doublon
CM 17187
Ogon 9
MR-1
Lignée
Fom-1
Fom-2
polygénique récessif
polygénique
Contrôle génétique
Fusarium oxysporum melonis
races 0 et 2
races 0 et 1
race 1-2
Mildiou (Pseudoperonospora cubensis)
Oïdium (Sphaerotheca fuliginea)
nombreuses races
Agent pathogène
Inde
Inde
Inde
Corée
Inde
Inde
Corée
Inde
Corée
USA
Corée
Chine
Inde
France
Extrême-Orient
Japon
Inde
Origine
géographique
agrestis
momordica
makuwa
chinensis
momordica
chinensis
reticulatus
chinensis
conomon
momordica
divers
cantalupensis
makuwa
makuwa
momordica
Variété
botanique
Tableau 1. Quelques exemples de résistances aux maladies introduites ou en cours d’introduction dans le cultigroupe « Charentais ».
"Le Sélectionneur Français" 2005 (55), 13-22
DOMESTICATION ET AMELIORATION POUR UN ELARGISSEMENT DE LA
GAMME DES ESPECES LIGNEUSES D’ORNEMENT
Alain CADIC
INRA, CR ANGERS, UMR Génétique et Horticulture INRA/INH/UA (GenHort)
42 Rue Georges Morel, BP 60057, 49071 Beaucouzé cedex 1
Les espèces d’ornement présentent un ensemble de caractéristiques spécifiques qui
les distinguent notablement des autres espèces cultivées horticoles et agricoles et qui
expliquent les particularités de leur sélection, de leur conservation au titre de ressources
génétiques et de leur diffusion. L’analyse de l’impact de l’amélioration génétique sur la
diversité génétique de ces espèces doit prendre en compte ces particularités.
Il s’agit en effet de productions non alimentaires employées à l’amélioration du cadre
de vie. Ce statut les rend marginales au regard des enjeux mondiaux d’alimentation et de santé
humaine et ne permet donc pas d’attirer les capitaux structurants par le biais de projets
internationaux. L’essentiel de l’activité de sélection et de recherche-expérimentation est
conduit par des entreprises privées, voire par des amateurs organisés ou non au sein de
sociétés nationales ou internationales (Rose, Camélia, Rhododendron, Hémérocalles, Lis, ....).
La demande de la société est très forte, en particulier, dans les pays à fort niveau de
vie et dans tous ceux qui accordent aux fleurs une importance religieuse ou sociologique. En
France, la balance commerciale des échanges est déficitaire tous les ans depuis plus de 35
ans ; le déficit entre les importations et les exportations avoisine 800 millions d’euros en 2003
et la croissance de la consommation reste soutenue même si elle fluctue avec l’évolution du
pouvoir d’achat. L’engouement pour le végétal d’ornement répond à des besoins profonds
dans toutes les sociétés humaines (besoins de nature pour les sociétés urbaines, rites sociaux
et religieux pour beaucoup, ....). En France, le concours des villes et villages fleuris, le
développement de manifestations horticoles de toutes natures ne sont que l’expression la plus
évidente de ce besoin.
Pour répondre aux attentes du consommateur français, le secteur de production,
constitué, souvent mais pas exclusivement, d’entreprises familiales, est dynamique même s’il
est très mal organisé. Il s’agit d’un secteur de production à caractère plus industriel
qu’agricole même s’il est rattaché administrativement à ce domaine. La concurrence
internationale s’y exerce de longue date, dominée actuellement par les Pays-Bas ; depuis
14
quelques années, on peut même assister à une délocalisation des productions (fleurs coupées
vers l’Amérique du Sud ou l’Afrique, boutures racinées vers l’Asie, ...). La production n’est
pas soumise à la PAC et les producteurs ne reçoivent que très peu d’aides de l’état.
La production est organisée en cinq filières (bulbes, plantes à massif, fleurs coupées,
plantes en pot, pépinière [plantes vivaces et ligneuses]). La production des essences ligneuses
destinées principalement à l’ornementation des surfaces extérieures (jardins, balcons,
terrasses, patios, ...), dont il sera plus spécialement question dans la suite, ne représente donc
qu’une partie de l’ensemble des espèces cultivées.
Bien que la diversité des genres, espèces et variétés cultivées soit déjà immense, le
besoin d’une diversification encore plus importante est sensible et la demande de nouvelles
variétés constante. Depuis la fin des années 1980, plusieurs congrès internationaux ont été
organisés sous l’égide de l’ISHS1 pour traiter de nouvelles productions ornementales. Il s’agit
là d’un domaine d’activité spécifique à l’ornement et sans doute aux espèces à vocation
pharmaceutique et médicinale et, dans une bien moindre mesure, aux autres espèces horticoles
(maraîchères et fruitières). L’importance de la création variétale, bien que difficile à apprécier
en l’absence de données, est réelle. Depuis 1995, dans le cadre de la protection européenne
administré par l’OCVV2, 57% des 12.000 titres de protection ont été accordés (60% des
18.000 demandes) à des variétés d’espèces d’ornement. Pour les espèces à multiplication
végétative surtout, la protection est assurée de plus en plus fréquemment à la fois par un
Certificat d’Obtention Végétale (COV) et par une Marque Commerciale distinguée par le
symbole .
Contrairement aux autres espèces agricoles et horticoles, il n’existe pas de catalogue
géré par le CTPS3 pour les variétés d’ornement (à l’exception notable des gazons). Cette
situation explique, sans doute, la faiblesse relative du réseau d’expérimentation qui
n’entreprend que de manière très occasionnelle des essais comparatifs entre variétés. La
filière, des obtenteurs de variétés aux premiers utilisateurs que sont les producteurs, ne
revendique aucun changement de cette situation. Il en découle tout de même qu’en matière de
variétés, le mieux côtoie souvent le pire et que le consommateur final n’a que peu d’éléments
de choix.
La plus grande partie des genres et espèces botaniques d'ornement qui font partie de
la gamme cultivée sont exotiques. Elles ont été introduites en Europe progressivement au fur
et à mesure de la découverte puis de l’exploration des continents. La figure 1 illustre ce fait de
manière très sommaire. Le très (trop ?) populaire Thuja est nord-américain, le mimosa de la
Côte d’Azur n’a pu y acquérir sa célébrité que depuis 1820, lorsqu’il a été introduit
d’Australie. Le Robinia pseudo-acacia, devenu acacia commun dans le langage courant n’a
acquis cette qualité que depuis le milieu du 17ième siècle lorsqu’il a été introduit du Canada.
Les exemples sont trop nombreux pour être tous cités.
Il en résulte que la variabilité présente dans les collections est relativement faible, les
introductions de quelques plantes, au mieux de quelques graines, ne sont pas représentatives
de la variabilité naturelle. Selon les espèces végétales concernées, cette variabilité est ellemême plus ou moins importante. Dans la figure 2, cette situation contrastée est illustrée par
quelques exemples tels le chèvrefeuille (Lonicera) présent dans l’ensemble de l’hémisphère
Nord ou le berbéris (Berberis) présent à la fois dans le même hémisphère et dans la cordillère
des Andes du Nord au Sud. Les platanes (Platanus) occupent deux aires disjointes de faibles
dimensions à l’est (bassin méditerranéen) et à l’ouest (du Tennessee à la Californie), l’une des
espèces de bruyère (Erica) occupe également deux aires disjointes l’une au nord, en Europe,
l’autre au sud (Rép. Sud-africaine). Enfin, le genre Pachystegia occupe une aire limitée au sud
1
ISHS : International Society for Horticultural Science
OCVV : Office Communautaire des Variétés Végétales
3
CTPS Comité Technique Permanent de la Sélection
2
15
de la Nouvelle Zélande et le genre Kolkwitzia, originaire de Chine, n’est connu que par une
seule espèce botanique K. amabilis et seulement deux variétés, dont une seule est fréquente
dans les jardins d’Europe et d’Amérique.
Hibiscus syriacus
Hortensia
(Hydrangea)
Thuja
Magnolia
Pivoine (Paeonia)
Gingko, Camellia,
Magnolia
Fuchsia
Passiflora
Araucaria
Mimosa (Acacia)
Eucalyptus
Protea
Figure 1 – Origine de quelques espèces ligneuses d’ornement (à titre d’exemple)
Lonicera,
Berberis
Lonicera et Berberis
Erica
Platanus
Platanus
Kolkwitzia
Berberis
Erica
Pachystegia
Figure 2 – La variabilité génétique dépend des genres botaniques
Ces introductions ont parfois des conséquences fâcheuses. Certaines espèces peuvent trouver
dans leur nouvel habitat des conditions pédo-climatiques et biologiques qui favorisent leur
expansion au détriment de la flore indigène, elles sont alors qualifiées d’invasives. Les cas de
plantes d’ornement introduites et devenues invasives sont connus : le chèvrefeuille du Japon
(Lonicera japonica) aux Etats-Unis, l’ajonc (Ulex europaeus) en Nouvelle Zélande, le
buddleia ou arbre aux papillons (Buddleja sp.) qui, sans causer de réels dommages, tend à
devenir une plante rudérale. En mars 2002, S. Muller (Université de Metz) a établi une liste de
plantes considérées comme invasives sur le territoire français métropolitain. Sur les 42 genres
ou espèces répertoriées, un peu plus d’une demi-douzaine ont un intérêt ornemental ou ont pu
être introduites dans la perspective d’une utilisation décorative. On peut citer le mimosa
(Acacia dealbata), le buddleia déjà mentionné (Buddleja davidii), le faux vernis du japon ou
ailante (Ailanthus altissima), certains érables dont le negundo (Acer negundo), le séneçon en
arbre (Baccharis halimifolia), le cerisier tardif (Prunus serotina), le rhododendron pontique
16
(Rhododendron ponticum), le robinier faux-acacia (Robinia pseudoacacia) et pour les non
ligneux, des asters (Aster novi-belgii), l’herbe de la Pampa (Cortaderia selloana) ou la verge
d’or du Canada (Solidago canadensis). Même si l’on peut considérer ce nombre comme élevé,
il reste faible eu égard à la quantité des espèces introduites par l’homme en Europe au cours
des cinq derniers siècles et plus particulièrement du 18ième au milieu du 20ième.
Un grand nombre de plantes ligneuses d’ornement sont multipliées par voie
végétative et principalement par bouturage horticole classique. Pour ces espèces, les étapes de
création de variabilité génétique et de sélection sont quasi concomitantes et il n’y a pas
d’étape de fixation. Le but est d’obtenir le plus rapidement possible la meilleure combinaison
génétique. Celle-ci peut, sans problème, être associée, par exemple, à la stérilité (sauf s’il est
nécessaire d’envisager un second cycle de sélection) ou à d’autres caractères impossibles à
fixer par reproduction sexuée (panachure du feuillage, par exemple). Ces espèces se prêtent
donc assez bien à l’emploi de la mutagenèse ou de l’hybridation interspécifique pour accroître
la variabilité génétique. L’une des difficultés rencontrées porte sur le choix du pool génétique
de départ qui peut être trop restreint ou mal connu au plan génétique, la situation la plus
fréquente.
Les ressources génétiques sont conservées dans des arboretums tels l’Arboretum
National des Barres dans le Loiret, l’Arboretum de Chèvreloup dans les Yvelines ou au Jardin
de la Villa Thuret, à proximité d’Antibes (Alpes Maritimes) et géré par l’INRA, pour ne citer
que quelques exemples français. L’accès aux ressources détenues par les grands arboretums
européens ou américains est assez facile et offre des ressources très nombreuses. Les
producteurs pépiniéristes détiennent également des collections assez riches dans les carrés de
pieds-mères maintenus pour la multiplication ; certains, telles les Pépinières Minier, près
d’Angers (Maine-et-Loire), ont même mis en place un véritable arboretum de collection.
Enfin, et ceci constitue sans doute aussi une originalité du domaine ornemental, des amateurs
ou des institutions telles que les villes entreprennent la mise en place de collections
spécifiques ou thématiques (Angers-Hydrangea, Nantes-Magnolia, Rouen-Fuchsia, BourgesPelargonium, Toulon-Palmiers, ...). Tous ces efforts de conservation sont plus ou moins
fédérés. Au plan international, il existe un réseau des jardins botaniques auquel les arboretums
français d’importance adhèrent ; des sociétés internationales, le plus souvent anglo-saxonnes,
regroupent les collectionneurs de genres botaniques (Camellia, Rhododendron, ...). En France,
le Conservatoire des Collections Végétales Spécialisées (CCVS) a mis en place un réseau des
collectionneurs de plantes d’ornement à multiplication végétative qui, au début 2002
comprenait 236 collections spécialisées spécifiques (Acer, Ligustrum, Lonicera, ...) ou
thématiques (conifères nains, fougères tropicales, ...). Actuellement, le Bureau des Ressources
Génétiques (BRG) n’est impliqué que dans le fonctionnement de trois réseaux (Hydrangea,
Pelargonium, Rosa) et il semble difficile de faire plus.
La gestion des collections ex situ soulève un certain nombre de difficultés qui
peuvent affecter le maintien de la diversité génétique exploitable. Il est hors de propos de
développer ce point, on se contentera donc de mentionner quelques-unes d’entre elles. Le
financement n’est sans doute pas le moindre et, depuis longtemps, le financement privé a pris
une part importante qui pose la question de l’accessibilité des ressources génétiques et de leur
pérennité. Chez les plantes pérennes, l’état sanitaire peut être compromis par l’accumulation
de viroses. Enfin, la question de l’identification précise des plantes conservées reste en
suspens, en particulier, lorsque les espèces ont été introduites à partir de graines, soit
directement des zones de diversification, soit, pire encore, lorsqu’elles résultent d’échanges.
In situ, les espèces à vocation ornementale sont soumises aux pressions qui affectent
de manière plus générale la biodiversité (déforestation, mise en culture, construction, ...).
Beaucoup d’espèces sont encore exploitées directement par cueillette, c’est le cas de celles
qui sont employées pour la production de fleurs séchées en Inde et en Afrique du Sud, par
17
exemple, ou pour la production du feuillage coupé frais utilisé pour la confection des
bouquets. Comme pour les autres espèces cultivées, la phase de domestication peut être suivie
d’une phase de mise en culture qui nécessite le développement d’études de phytotechnie, une
phase encore très active actuellement dans le cas des protéacées. Celles qui ont passé ces
différentes étapes peuvent alors être soumises à un processus de sélection génétique afin d’en
améliorer les caractéristiques selon les nécessités. Cantonnée, dans un premier temps à des
stratégies de sélection massale ou d’exploitation de mutants spontanés, l’amélioration
génétique peut conduire à l’exploitation d’hybrides F1 (de plus en plus fréquent chez les
espèces annuelles), voire même de variétés transgéniques à l’exemple des œillets de la série
MOON proposés par Suntory (Japon) et Florigene (Australie).
Dans le domaine de la pépinière ligneuse d’ornement, l’INRA, aidé par la profession
regroupée en GIE4, a mis en oeuvre depuis le début des années 1970 des programmes de
diversification et de création variétale. Ces espèces présentent, elles-mêmes, quelques
spécificités qui permettent d’expliciter les choix faits aux diverses étapes de la stratégie
d’amélioration.
Il s’agit d’espèces pérennes à cycle moyennement long (variable selon les espèces de
1-2 à 7-8 ans pour les arbustes) pour lesquelles le renouvellement variétal est plutôt lent, les
très bonnes variétés pouvant durer plusieurs décennies. Nombre de ces espèces n’ont pas subi
une très forte pression de sélection si bien que le progrès génétique peut être important dans
un délai de temps court. Les programmes ont été établis pour des durées ne dépassant pas
deux cycles, le plus souvent un seul ; de plus, lorsque les sorties de variétés sont jugées
suffisantes, les programmes sont arrêtés. Ceci génère le nécessaire renouvellement des
espèces au cours du temps. Ce choix a pour conséquence l’impossibilité d’approfondir les
connaissances biologiques et génétiques relatives à chacune d’elle ; on peut d’ailleurs noter
que même sur des espèces aussi populaires que le rosier, l’information génétique disponible
est peu abondante.
Les programmes développés à Angers ont reçu dès l’origine (1972) le soutien de la
profession, que ce soit pour assurer la diffusion des variétés nouvelles (SAPHO5, SNP6) ou
pour participer financièrement à leur bon déroulement (GIE-SAPHYR, GIE-SAPHINOV).
Deux formes d’actions ont été conduites : l’introduction de genres et d’espèces et la
sélection et création variétale conventionnelle.
L’introduction à partir de zones naturelles de diversification répondait à deux
objectifs, l’un, introduire des espèces nouvelles pour répondre au besoin de diversification,
l’autre, augmenter de manière plus conséquente la variabilité génétique pour quelques genres
appartenant à la famille des rosacées.
Des prospections ont été entreprises en Nouvelle-Zélande, en Tasmanie, au Népal et
en Chine et des provenances de graines introduites à Angers à partir de 1987. La sélection a
porté essentiellement sur la rusticité et la valeur ornementale. Ainsi, des clones de Coprosma,
Corokia, Eucalyptus, Hymenanthera, Leptospermum et Plagianthus résistants à des
températures de –12 à –18°C en conditions naturelles ont été sélectionnés. Leur diffusion se
heurte au scepticisme des producteurs qui considèrent que les plantes de Nouvelle-Zélande
sont sensibles au froid ou qui, devant la nouveauté, hésitent à se lancer parce qu’ils ne savent
pas quel sera le marché pour ces végétaux.
Les rosacées, et plus particulièrement les genres appartenant à la tribu des maloïdées
(Malus, Pyrus, Cotoneaster, Pyracantha, Sorbus, Cydonia, Mespilus, Crataegus, ...) sont des
4
5
6
GIE : Groupement d’Intérêt Economique
SAPHO : Syndicat d’amélioration des espèces horticoles d’ornement (www.sapho.fr)
SNP : Selection New Plants (www.selectionnewplants.com)
18
hôtes de la bactérie Erwinia amylovora, l’agent responsable de la maladie de quarantaine
dénommée ‘feu bactérien’. Des provenances asiatiques de Cotoneaster, Photinia, Pyracantha
et Sorbus ont été introduites et testées vis-à-vis de cette bactérie par infection provoquée. Des
descendances peu sensibles ont été détectées chez le Photinia et le Sorbus, mais aucune
source de résistance n’a été détectée chez les deux autres.
Pour le moment, ces actions ont débouché sur la sélection et la mise au commerce
(en cours) d’une variété de Pachystegia (Figure 3).
Figure 3 : ‘Hardec’, une nouvelle variété de Pachystegia insignis
Les programmes de sélection conduits sur des genres déjà connus et produits par les
pépiniéristes ont permis de sélectionner et de mettre au commerce une trentaine de variétés
dans des genres très divers (Tableau 1). Des présélections sont en cours d’expérimentation
chez les pépiniéristes partenaires du GIE-SAPHINOV.
Les objectifs de sélection varient selon les genres botaniques, des résistances au feu
bactérien ont été sélectionnées dans les genres Cotoneaster, Malus et Pyracantha, des
résistances à la tavelure dans les genres Malus et Pyracantha. Des modifications de port (plus
nain, plus dense) ont été recherchées et obtenues dans les genres Clematis, Forsythia et
Weigela ; ces modifications peuvent également correspondre à une extension des possibilités
d’emplois, ainsi, le Forsythia ‘Courtasol’ MAREE D’OR ® est plus utilisé comme couvre sol
en espace vert que comme plante isolée de jardin, l’usage banal du forsythia. Une gamme de
Weigela a même été développée pour un usage massif en espace vert. Il fallait, pour cela,
introduire une forte stérilité qui empêche la production de fruits facilitant ainsi un
développement plus harmonieux des rameaux et limitant les interventions de taille très
coûteuses en main-d’œuvre ; des clones tétraploïdes ont été produits en faisant agir de la
colchicine sur des micro-boutures cultivées in vitro puis utilisés dans un programme de
croisements destinés à produire des triploïdes qui ont été sélectionnés sur leur valeur
ornementale. Les variétés 'Courtalor' CARNAVAL ®, 'Courtamon' FELINE ®, 'Courtanin'
NAIN ROUGE ®, et 'Courtared' LUCIFER ® sont issues de ce programme.
La gamme de techniques de création de variabilité génétique qui peuvent être
employées est assez large, incluant par exemple la variation somaclonale, la fusion de
19
protoplastes et la transformation génétique. Une variété de lavatère plus compacte, aux fleurs
d’un coloris plus intense et plus grandes a été obtenue par régénération sur cals repiqués
plusieurs fois. Dans l’UMR GenHort7 nouvellement constituée, N.Dorion (INH8) a obtenu des
hybrides somatiques entre Pelargonium x hortorum et P. domesticum pour tenter d’introduire
la résistance au Xanthomonas campestris du second dans le premier. Enfin, des Forsythia
génétiquement modifiées ayant intégré deux gènes de la partie terminale de la chaîne de
biosynthèse des anthocyanes ont été obtenues : la synthèse réelle mais peu abondante de
dérivés de la cyanidine dans l’épiderme des pétales ne parvient pas à masquer complètement
la synthèse des caroténoïdes jaunes dans les tissus sous-jacents ; la modification de couleur
qui en résulte n’est pas suffisamment satisfaisante pour imaginer une exploitation
commerciale dans les pays qui acceptent de produire des plantes transgéniques.
Tableau 1 : Liste des variétés obtenues à Angers (INRA). Techniques de création de variabilité génétique mise en oeuvre et
Objectifs de sélection. (1 :résistance aux agents pathogènes, 2 :Port, 3 :Couleur, 4 :diversification d’usage
Genre
Variété
Marque
Technique
Objectifs
tion
Buddleia 'Courtabud' OPERETTE ®
Polyp in-vitro
2
Caryopteris 'Inoveris'
GRAND BLEU ®
Mutaèse et Hybtion
2,3
Clematis 'Cleminov 51' SAPHYRA ® Indigo
Hybtion interspéc. 2,3,4
Cotoneaster 'Belka'
SAPHYR ® Green
Hybtion
1,2
'Courtacour' BOUCLE D'OR ®
Mutaèse et Hybtion
2,4
èse
'Courtadic'
MELISA ®
Muta
2
èse
'Courtalyn' WEEK-END ®
Muta
2
Forsythia
'Courtaneur' MELEE D'OR ®
Mutaèse et Hybtion
2,4
'Courtasol'
MAREE D'OR ®
Mutaèse et Hybtion
2,4
èse
tion
'Courdijau' GOLDEN PEEP ®
Muta et Hyb
2,4
Lavatera
'Inovera'
CHAMALLOW ®
Vartion somaclale
2,3
'Courtabri'
POMZAÏ ®
Hybtion
1,2
tion
Malus
'Courtarou' COCCINELLA ®
Hyb
1,3
'Evereste'
PERPETU ®
Hybtion
1
tion
Pachystegia 'Hardec'
(à déposer)
Hyb naturelle
4
'Cadange'
SAPHYR ® Orange
Hybtion
1
Pyracantha 'Cadaune'
SAPHYR ® Jaune
Hybtion
1
tion
'Cadrou'
SAPHYR ® Rouge
Hyb
1
'Courtapli'
VERIGOLD ®
Hybtion
3
Thuja
tion
'Courtatu'
VERIVER ®
Hyb
3,4
èse
'Courtadur
GRENADINE ®
Muta
2,4
'Courtalor'
CARNAVAL ®
Polyption et hybtion
3,4
tion
tion
'Courtamon' FELINE ®
Polyp et hyb
4
èse
Weigela
'Courtanin' NAIN ROUGE ®
Muta
2,4
'Courtared' LUCIFER ®
Polyption et hybtion
3,4
èse
'Courtatom' COULEUR D'AUTOMNE ® Muta
3
'Courtavif'
RUBIVIF ®
Mutaèse
3
Concernant les espèces à vocation ornementale, on retiendra qu’en dépit de la
diversité existante, les demandes d’accroissement de cette diversité et de renouvellement
7
8
UMR GenHort : Unité Mixte de Recherche Génétique et Horticulture (INRA, INH, Univ. Angers)
INH Institut National d’Horticulture
20
variétal sont très fortes. L’absence presque totale de réglementation (sauf protection
intellectuelle sur les variétés et contrôle sanitaire à l’égard des parasites de quarantaine)
favorise l’internationalisation du marché et ouvre la compétition entre sélectionneurs. Ceux-ci
sont encore très fréquemment des amateurs ou des petites sociétés qui, à côté de leur activité
de production, développent pour leur compte ou pour d’autres leur propre gamme variétale.
Au foisonnement des espèces se superpose celui de variétés dont la valeur réelle n’est pas
toujours correctement appréciée.
D’origine exotique pour la plupart, les espèces ornementales occupent des aires de
diversification qui sont parfois gravement menacées. L’introduction en Europe et la mise en
place de collections assurent, avec les inconvénients inhérents, la conservation de la diversité
variétale et d’une faible part de la diversité spécifique. Un mouvement privé et institutionnel
s’emploie tant bien que mal à maintenir ces collections de ressources génétiques.
La sélection entreprise dans les pays industrialisés est a priori sans effet sur la flore
locale ou même sur l’évolution des espèces voisines dans les aires de diversification. Le
caractère potentiellement invasif de ces introductions commence à être pris en compte.
Pour les espèces ligneuses de la pépinière ornementale, le renouvellement variétal est
en général assez lent, les rosiers, rhododendrons et d’autres faisant exception ; les variétés
réellement marquantes sont peu nombreuses et ne concurrencent pas totalement les variétés
plus anciennes ou moins bonnes. La substitution n’est jamais totale et l’absence de catalogue
contribue à maintenir cette situation. Beaucoup de variétés sélectionnées résultent
d’hybridations souvent complexes incluant l’hybridation interspécifique quand ce n’est pas
inter-subgénérique ; la multiplication végétative favorise le maintien d’une très forte
hétérozygotie, source d’une diversité potentiellement exploitable.
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Journée de l’ASF du 5 février 2004 – Versailles.
Impact de l'Amélioration des Plantes sur la diversité génétique
"Le Sélectionneur Français" 2005 (55), 23-32
IMPACT DE LA SELECTION SUR LA DIVERSITE DES BLES TENDRES
FRANÇAIS ET CONSEQUENCES SUR LA GESTION DES COLLECTIONS
François BALFOURIER et Valérie ROUSSEL
INRA
UMR 1095 Amélioration et Santé des Plantes
234 av. du Brézet
63039 CLERMONT-FERRAND Cedex
1- INTRODUCTION
Les populations de pays ou landraces de blé tendre ont été cultivées en France
jusque vers le milieu du XIXe siècle, puis peu à peu remplacées par des lignées issues de
sélection (BUSTARRET, 1944). L’un des premiers programmes de sélection fut en effet
développé par Vilmorin durant la seconde partie du XIXe siècle. C’est ainsi que les premières
variétés, pour certaines illustres comme Dattel, Massy, Trésor, Hâtif inversable, Alliés ou
Paix furent inscrites au début du XXe siècle; puis de nombreux autres établissements de
sélection virent le jour et développèrent de nouveaux cultivars, essentiellement en croisant au
début des géniteurs issus des établissements Vilmorin. Finalement, après la seconde guerre
mondiale, l’intégration conjointe de matériel exotique et de gènes particuliers (comme les
gènes de nanisme) dans les programmes de sélection a conduit au développement puis
l’inscription dans les dernières décennies des lignées élites les meilleures.
La pratique de la sélection par l’Homme conduit-elle automatiquement à une
diminution de la diversité, comme le soutient une idée fréquemment répandue ? Telle est la
question que nous nous sommes posés. Pour tenter de répondre à cette question, nous avons
étudié la diversité génétique au sein d’un échantillon de 559 blés français, donc de même
origine géographique, cultivés entre les années 1800 et 2000, et ce, pour deux types de
marqueurs : d’une part des caractères agro-morphologiques, soumis par essence à sélection,
d’autre part pour des marqueurs microsatellites considérés comme neutres vis-à-vis de la
sélection. L’objet de cette étude a été de comparer le niveau et la distribution de la variabilité
génétique entre accessions regroupées selon leur année d’inscription au catalogue d’une part,
et leur établissement ou programme de sélection d’origine d’autre part. Puis, en second lieu
nous avons tenté d’analyser les effets et conséquences de la sélection et des pratiques
modernes de l’agriculture sur la diversité du blé tendre.
24
2- MATERIEL ET METHODES
Au total, 559 accessions françaises de blé tendre (Triticum aestivum) ont été
échantillonnées dans la collection de blés conservés au sein du Centre de Ressources
Biologiques (CRB) des céréales à paille de Clermont-Ferrand. Ces génotypes sont, d’une part
de vieilles populations de pays du XIXe siècle, d’autre part des variétés sélectionnées puis
inscrites entre les années 1840 et 2000. De façon à suivre le processus d’évolution dans notre
échantillon, ces accessions ont été regroupées suivant un groupe de populations de pays ou
landraces, et sept groupes de variétés selon leur période d’inscription (tableau 1).
Tableau 1 : Statut ou période d’inscription et nombre d’accessions correspondantes
Statut ou période
d’inscription
Landraces
1840-1929
1930-1944
1945-1959
1960-1969
1970-1979
1980-1989
1990-2000
Nombre d’accessions
62
60
62
50
55
62
109
99
Les accessions étudiées ont été ensuite considérées relativement à leur établissement
d’origine. Au total, 64 établissements de sélection différents ont contribué à l’inscription des
559 accessions françaises. De façon à comparer des groupes avec un nombre suffisamment
grand d’accessions inscrites durant une période de temps à peu près similaire, nous avons
choisi de ne considérer que les six établissements ayant produit plus de 18 accessions
présentes dans notre échantillon et inscrites durant les huit dernières décennies du XXe siècle
(tableau 2).
Tableau 2 : Nombre d’accessions par établissement de sélection pour une période
d’inscription considérée.
Ets. de sélection
Benoist
Blondeau
Desprez
INRA
Tourneur
Verneuil-Vilmorin
Nombre d’accessions
38
23
53
25
19
35
Période d’inscription
1936-1998
1936-1995
1932-1998
1935-1998
1924-1986
1923-1997
L’évaluation agro-morphologique de l’ensemble du matériel a été réalisée au champ
sur parcelles de trois lignes de 1.5 m par accession à Clermont et sur poquets pour les
sensibilités aux maladies à Rennes. Cette évaluation a été conduite dans le cadre d’une étude
exhaustive de l’ensemble des 10.000 accessions de la collection du CRB. A côté des données
de passeport traditionnelles ayant servi à échantillonner nos accessions, une dizaine de
caractères agro-morphologiques ont été ainsi évalués: la précocité d’épiaison, noté par le
numéro du jour à partir du 1er janvier, la hauteur moyenne des plantes mesurée en cm sur la
parcelle; la résistance au froid, le poids de 1000 grains estimé après récolte, la longueur des
barbes sur épis, et enfin les sensibilités à la rouille jaune, la rouille brune, la septoriose et
25
l’oïdium. La valeur de ces caractères agro-morphologiques selon la période d’inscription a été
testée par analyse de variance.
Dans le but d’analyser le polymorphisme neutre, un échantillon de 41 marqueurs
microsatellites, donnant 42 loci polymorphes a été choisi en fonction de la localisation des
marqueurs sur le génome, leur facilité d’utilisation, leur reproductibilité, leur motif et leur
taux de mutation. Autant que possible, chacun des 42 loci est localisé sur un bras de
chromosome différent, de façon à couvrir l’ensemble du génome du blé tendre.
Pour chaque locus microsatellite, l’indice de diversité H de NEI (1977), le nombre total
d’allèles ainsi que le nombre d’allèles rares (allèles dont la fréquence est inférieure à 5%) ont
été calculés pour l’ensemble des accessions.
Puis, pour caractériser la diversité génétique des huit groupes d’accessions et
analyser l’évolution quantitative de cette diversité en fonction du temps, le nombre total
d’allèles et le nombre d’allèles rares ont été estimés pour des échantillons de taille identique
selon la méthode de raréfaction des allèles décrite par PETIT et al (1998). Les valeurs de Fst
(SLATKIN, 1995) ont été calculées, en utilisant l’information sur l’ensemble des loci, pour
chaque paire possible de groupe, de façon à préciser la structuration de la diversité entre
groupes; puis une classification ascendante hiérarchique a été réalisée à partir de la matrice de
distance Fst.
Enfin, de façon à regarder cette fois les variations qualitatives de la diversité
allélique, nos avons choisi de considérer uniquement les allèles rares, car ce sont les seuls
susceptibles de varier d’un groupe à l’autre.
3 –RESULTATS ET DISCUSSION
3.1- Caractères agro-morphologiques
Le tableau 3 d’analyse de variance représente l’effet de la période d’inscription sur
les caractères agro morphologiques : il est toujours très significatif (P<0.001), excepté pour la
résistance au froid et la rouille jaune. Les effets les plus marqués sont observables sur la
hauteur des plantes, la précocité, et enfin la résistance à la septoriose et à la rouille brune.
Tableau 3 : Analyse de la variation des caractères agro-morphologiques selon la période
d’inscription (ANOVA)
Caractère agro-morphologique
Résistance au froid
Précocité d’épiaison
Présence de barbes sur épis
Hauteur de la plante
Sensibilité à l’oïdium
Sensibilité à la rouille jaune
Sensibilité à la rouille brune
Sensibilité à la septoriose
Poids de 1000 grains
carré moyen
0.71
1296.65
15.59
33180.32
1.94
1.81
46.23
35.53
199.48
F
1.94
62.17***
9.13***
309.01***
3.45**
1.20
10.07***
29.42***
6.43***
p
0.061
<0.001
<0.001
<0.001
0.001
0.301
<0.001
<0.001
<0.001
A titre d’illustration, la figure 1 nous montre l’évolution de la hauteur moyenne des
plantes dans le groupe des landraces puis dans les sept groupes temporels successifs, de 1840
à 2000: on peut observer qu’en l’espace de deux siècles, la hauteur des plantes a décru en
26
moyenne de 60 cm. Ceci est le reflet de la sélection intensive pour ce caractère renforcée par
l’introduction des gènes de nanisme.
Hauteur (cm)
60 cm
Landraces 1840-30 30-45 45-60 60-70 70-80 80-90 90-00
Groupes
Figure 1 : Evolution de la hauteur des plantes en fonction de la période d’inscription
De même, l’analyse de l’évolution de la précocité entre les landraces puis les huit groupes de
variétés (figure 2) nous indique que les variétés sélectionnées sont de plus en plus précoces et
qu’en moyenne les variétés les plus récentes tendent à être plus précoces d’environ deux
semaines, que les variétés du XIXe siècle.
Figure 2 : Evolution de la précocité selon la période d’inscription
27
En ce qui concerne la sensibilité à la rouille brune (figure 3), en moyenne deux à trois points
de résistance ont été gagnés en l’espace de deux siècles de sélection.
- 3 points
Landraces 1840-30 30-45
45-60 60-70 70-80 80-90 90-00
Groupes
Figure 3 : Evolution de la sensibilité à la rouille brune selon la période d’inscription
Enfin la sensibilité à la septoriose (figure 4) semble avoir légèrement augmenté dans les
dernières décennies. Ceci est sans doute lié au fait que les variétés récentes sont en moyenne
plus précoces.
Landraces 1840-30 30-45
45-60 60-70 70-80 80-90 90-00
Groupes
Figure 4 : Variation de la sensibilité à la septoriose selon la période d’inscription
28
3.2- Polymorphisme neutre
3.2.1-Variation quantitative
L’analyse de la richesse allélique globale (ROUSSEL et al, 2004) nous indique que
les accessions françaises sont très polymorphes: un total de 609 allèles a été détecté sur
l’ensemble des 42 loci polymorphes. Le nombre d’allèles total est en moyenne de 14.5 allèles
par locus et varie de 3 à 28 selon les loci. Le nombre d’allèles rares varie également de 2 à 23.
En moyenne, 72% des allèles peuvent être considérés comme rares. Les marqueurs utilisés
présentent par ailleurs des niveaux de variabilité différents: l’indice de diversité de Nei varie
de 0.12 à 0.87 avec une moyenne de 0.66. La moyenne la plus forte apparaît sur le génome B
avec 0.69, mais la différence avec les génomes A et D n’est pas significative
400
350
300
250
200
150
100
50
1990-2000
1980-1990
Groupes
1970-1980
1960-1970
1945-1960
1930-1945
Nombre total
d'allèles
0
1840-1930
Nombre
d'allèles rares
Landraces
Nombre corrigé d'allèles
La figure 5 montre l’évolution de la richesse allélique entre groupes : la diminution
de richesse allélique entre les landraces et les autres groupes temporels est toujours
significative. Le nombre d’allèle décroît régulièrement depuis le début de la période de
sélection (1840) jusqu’à la fin des années 60, à l’exception d’une courte période avant guerre;
puis, après les années 60 et jusqu’à la fin du XXe siècle, on observe une seconde phase
pendant laquelle la richesse allélique est restaurée à un niveau correspondant à 75% de la
diversité initialement présente dans les variétés de pays du XIXe siècle.
Figure 5 : Evolution quantitative de la richesse allélique en fonction du temps
3.2.2-Structuration entre groupes
Le dendrogramme (figure 6), issu de la classification hiérarchique à partir de la
matrice de distance de Fst, indique que les landraces sont à part, tandis que les groupes de
variétés se divisent très clairement en deux sous-groupes distincts selon une échelle de temps :
avant et après 1970. Notre hypothèse est que ce palier de 1970 doit être très probablement
relié au phénomène de la révolution verte en Europe: après la seconde guerre mondiale, les
pays européens ont eu pour politique de développer l’agriculture pour augmenter la
production de nourriture. Les programmes de sélection sur céréales ont alors eu pour objectif
de créer de nouveaux cultivars plus productifs et capables de valoriser de hauts niveaux
d’intrants.
29
Landraces
1840-1930
1930-1945
1945-1960
1960-1970
1970-1980
1980-1990
1990-2000
Figure 6 : Structuration des groupes de cultivars par classification sur la matrice de distance
Fst
Ces variétés intensives ont été probablement sélectionnées durant les années 60 en
utilisant un nombre réduit de géniteurs parmi les variétés préalablement inscrites, puis
inscrites dans les années 70. Ceci a du provoquer un effet de « bottleneck » ou réduction de
diversité dû à l’utilisation intensive de quelques géniteurs peu nombreux apportant de
nouvelles caractéristiques (par exemple les gènes de demi-nanisme Rht conférant une taille
courte qui permet de hauts niveaux de fertilisation azotée).
Ce pourrait être une raison pour laquelle, nous observons durant les années 60-70
une réduction importante de la richesse allélique (figure 5). Finalement, à la fin du XXe siècle,
la richesse allélique remonte doucement, comparée aux années 60. Cela peut être expliqué
par l’utilisation de nouveaux géniteurs étrangers et le développement d’échanges entre un
nombre croissant de sélectionneurs à travers le monde durant cette période de temps. Il n’en
reste pas moins que l’évolution quantitative de la richesse allélique due à la pression de
sélection durant deux siècles se caractérise par une diminution d’environ 25% de diversité
dans les variétés actuelles comparées aux populations de pays du XIXe siècle.
3.2.3- Variation qualitative
La figure 7 montre les variations des allèles rares observées entre les landraces et
tous les autres groupes temporels de variétés successivement dans le temps : la courbe la plus
basse représente le pourcentage d’allèle rares qui disparaissent entre les landraces et le groupe
considéré, tandis que la courbe du milieu représente le pourcentage d’allèles rares qui
apparaissent entre les landraces et le même groupe. On peut voir que ces deux courbes sont
symétriques dans le temps : quand le nombre d’allèles apparaissant croît, celui des allèles
disparaissant décroît, et inversement. Cependant, lorsque l’on additionne les deux catégories
d’allèles (courbe supérieure), on constate que la pente est positive et qu’il y a donc un
accroissement régulier de différenciation avec le temps dans la composition qualitative des
variétés comparées aux landraces. En d’autres termes, plus les variétés sont récentes, plus
elles sont différentes des populations de pays dans leur composition allélique.
30
Pourcentage d'alleles rares
60
50
40
b = alleles
disparaissant
c = alleles
apparaissant
30
b+c
20
10
1990/2000Landraces
1980/1990Landraces
1970/1980Landraces
1960/1970Landraces
1945/1960Landraces
1930/1945Landraces
1840/1930Landraces
0
Paires de groupes comparés
Figure 7 : Evolution qualitative de la richesse allélique
On observe, figure 8, des résultats similaires de variation pour le pourcentage
d’allèle rares entre groupes temporels au cours du temps. Les courbes des allèles rares
disparaissant (courbe du bas) et apparaissant (courbe intermédiaire) sont symétriques.
45
Pourcentage d'alleles rares
40
35
30
b = alleles
disparaissant
25
c = alleles
apparaissant
20
b+c
15
10
5
1990/20001980/1990
1980/19901970/1980
1970/19801960/1970
1960/19701945/1960
1945/19601930/1945
1930/19451840/1930
1840/1930Landraces
0
Paires de groupes comparés
Figure 8 : Evolution de la composition en allèles rares en fonction du temps
Quand les deux catégories d’allèles sont additionnées (courbe supérieure) on obtient une
courbe à pente négative cette fois, indiquant que la différenciation est plus faible dans les
périodes récentes. En d’autres termes, plus les variétés sont récentes, plus elles se ressemblent
pour leur composition en allèles rares (toutefois, un léger changement de pente, à confirmer,
semble s’amorcer à la fin de XXe siècle).
3.2.4-Variation entre établissements de sélection
Une étude du nombre d’allèles rares et communs a été entreprise pour six
établissements de sélection présentant un nombre d’accessions supérieur à 18 (193
accessions). Ici encore, la méthode de raréfaction des allèles a été utilisée de façon à obtenir
31
des groupes d’effectif comparable: le nombre total d’allèles varie de 175 chez les
Etablissements Blondeau à 225 pour l’INRA. Lorsque l’on distingue les allèles rares et les
communs, le groupe d’accessions qui présente le plus haut niveau de diversité est celui de
l’INRA. La figure 9 représente le plan 1-2 issu d’une analyse multifactorielle (KRUSKAL et al.,
1978) des 193 accessions regroupées selon les six établissements de sélection.
Blondeau
Desprez
Inra
Figure 9 : Diversité allèlique présente dans chacun des groupes de matériel végétal issus de
six établissements de sélection (BE = Benoist, BL= Blondeau, DE = Desprez, IN = Inra, TO =
Tourneur, VV = Vilmorin-Verneuil)
Ce plan nous donne une représentation visuelle de la diversité présente dans chacun des six
groupes d’origine du matériel. Une ligne convexe relie les accessions extrêmes de même
origine. Par soucis de clarté, seuls les convexes des établissements Blondeau, Desprez et
INRA ont été représentés. La surface de ces convexes étant proportionnelle au niveau de
diversité du groupe, on constate que le groupe d’accessions originaires de chez Desprez
englobe la plus large diversité présente aussi dans les autres groupes. Par contre, on retrouve
ici illustré la moindre différenciation intra du matériel Blondeau qui se différencie nettement
du matériel INRA. En fait, tout ceci n’est sans doute que le reflet de politiques et d’objectifs
de sélection différents selon les différents établissements. Mais d’une façon générale, on ne
peut pas conclure à une forte structuration de la diversité par établissement d’origine, les
matériels étant sans doute assez apparentés.
4- CONCLUSION
Cette étude met en évidence une évolution notable de la diversité des blés français
en fonction du temps, qui peut s’expliquer essentiellement par l’effet de la sélection et des
pratiques agricoles modernes; cette évolution est particulièrement notable pour certains
32
caractères agro-morphologiques objets de la sélection. En ce qui concerne le polymorphisme
neutre, on note globalement une diminution de 25% de la diversité entre les populations de
pays cultivées au XIXe siècle et les variétés les plus modernes. Par contre, lorsque l’on
compare des groupes de variétés se succédant dans le temps, l’évolution apparaît plus
qualitative que quantitative, excepté à la fin des années 60 où un effet de « bottleneck » s’est
sans doute produit. De fait, la différence entre populations de pays est de plus en plus
prononcée au cours du temps; et les variétés les plus modernes apparaissent de plus en plus
similaires pour leur composition allélique. Enfin, il n’apparaît pas de structuration forte interétablissements de sélection; ceci étant dû sans doute encore au fort apparentement du matériel
génétique entre établissements.
Ces résultats nous amènent à certaines suggestions qui concernent à la fois
l’exploration de la diversité génétique par les acteurs de la sélection variétale et la gestion
pour le maintien des ressources génétiques. L’exploration de la diversité génétique par les
établissements de sélection bénéficierait probablement d’un élargissement des échanges de
matériel avec l’extérieur ainsi que de l’introduction de matériel exotique, sans quoi
l’évolution actuelle attestée par notre étude pourrait être préjudiciable au maintien à long
terme d’une diversité dans les blés français, avec toutes les conséquences que cela
impliquerait pour la gestion de la diversité (gestion des sources de résistance aux bioagresseurs, diminution de l’éventail des qualités du grain, etc.); en particulier dans le cas de la
constitution de core-collections de blé tendre qui visent à rassembler un optimum de diversité,
on voit bien ici toute l’importance qu’il y aurait à prendre en compte, en plus de l’origine
géographique du matériel, l’échelle de temps comme paramètre structurant la diversité d’une
espèce cultivée.
« Journée de l’A.S.F. du 5 février 2004 »
BIBLIOGRAPHIE
BUSTARRET, J.-1944- Variétés et variations. Ann. Agr. XIV, 336-362
KRUSKAL, J.B., WISH, M.-1978- Multidimensional scaling. Sage, Beverley Hills, California
NEI, M.-1977- F-statistics and analysis of gene diversity in subdivised populations. Ann. Hum. Genet.
41, 225-233.
PETIT, R.J., EL MOUSADIK, A., PONS, O.-1998- Identifying populations for conservation on the
basis of genetic markers. Cons. Biol. 12, 844-885.
ROUSSEL, V., KOENIG, J., BECKERT, M., BALFOURIER, F. -2004- Molecular diversity in
French bread wheat accessions related to temporal trends and breeding programmes. Theor. Appl.
Genet. 108, 920-930.
SLATKIN, M.-1995- A mesure of population subdivision based on microsatellites allele frequencies.
Genetics 139,457-462
"Le Sélectionneur Français" 2005 (55), 33-41
La diversité génétique des bananiers cultivés :
situation actuelle et perspectives
Auteurs : Frédéric BAKRY, Françoise CARREEL, Jean-Pierre HORRY,
Christophe JENNY & Kodjo TOMEKPE.
CIRAD-FLHOR, TA 50/PS4, Boulevard de la Lironde.
34398 Montpellier CEDEX 5, France
Introduction
La banane est un fruit de base dans la consommation des pays en développement des zones
tropicales et intertropicales, également très apprécié par les consommateurs des pays
développés. Les bananiers sont cultivés essentiellement pour la consommation de leurs fruits
mais d’autres parties de la plante donnent lieu aussi à des utilisations très diverses.
La banane est en tonnage la 4ème production la plus importante pour l'alimentation humaine
dans le monde après le riz, le blé et le maïs. La production mondiale annuelle de banane
atteignait 100 millions de tonnes en 2002 (FAO, 2002) dont près de 87 millions pour
alimenter les marchés intérieurs. Les principaux pays producteurs sont l’Inde, l’Ouganda et le
Brésil. La banane y présente une certaine diversité génétique et y est consommée sous forme
de fruit frais, de légume cuit ou utilisée pour la fabrication de produits transformés (chips,
farine,…) et de boissons alcoolisées (bière en Afrique de l'Est). Les 13 millions de tonnes
restants sont produits pour les trois principaux marchés d’exportation que sont l’Amérique du
Nord, l’Europe et le Japon. Les grands pays exportateurs sont l’Equateur, la Colombie, le
Costa-Rica et les Philippines. La base génétique y est très étroite puisqu’elle se résume à un
petit nombre de variétés du sous groupe Cavendish dérivées les unes des autres par mutation.
En France, le marché de consommation est aujourd’hui de 470 400 tonnes approvisionné à
42 % par les Antilles françaises, 51 % par la Côte d’Ivoire et le Cameroun et le reste par
l’Amérique Latine. La production bananière est, avec la canne à sucre, à la base de l'économie
rurale de la Guadeloupe (80 000 tonnes/an) et de la Martinique (270 000 tonnes/an).
L’absence de diversité génétique des productions destinées aux exportations explique, pour
partie, la forte protection phytosanitaire de cette culture en conditions intensives et aussi sa
grande fragilité potentielle vis à vis des maladies émergentes.
De ce fait, la création variétale s’impose aujourd’hui comme une véritable nécessité pour
contribuer à la pérennisation de productions plus respectueuses de l’environnement, mais
aussi pour soutenir à l’export une politique commerciale de segmentation des marchés dans
un contexte de plus en plus tendu de concurrence internationale.
34
1. Etat de la diversité génétique chez les bananiers
Le Sud-Est asiatique, centre d’origine des bananiers.
Les bananiers sont des monocotylédones zingibérales de la famille des musacées appartenant
au genre Musa dont le centre d’origine est situé en Asie, sur un large croissant s’étalant de
l’Inde à l’ouest jusqu’à la Papouasie Nouvelle Guinée et les Iles du Pacifique à l’est. Les
bananes comestibles sont issues, pour l’essentiel, de deux espèces sauvages diploïdes, Musa
acuminata COLLA (génome A) et Musa balbisiana COLLA (génome B) (Simmonds ,1962 ;
Jenny et al., 2002). Ces dernières se rencontrent en bordure de forêts et dans les clairières
humides des forêts de faible et moyenne altitude des zones intertropicales d’Asie et du
Pacifique ouest. Très fertiles, ces plantes se reproduisent aussi bien par voie sexuée (graines)
que par les rejets végétatifs portés par les bulbes ou cormes (figure 1).
Figure 1. Représentation d’un bananier à la fructification avec
ses rejets, et coupe longitudinale de la tige, d’après Champion (1963).
Domestication des bananiers et structuration génétique des variétés.
Les variétés actuellement consommées (tableau 1) sont, pour la plupart, des clones triploïdes
stériles, aspermes, issues tantôt de la seule espèce M. acuminata COLLA (groupe AAA),
tantôt de croisements interspécifiques entre les espèces M. acuminata COLLA et
M. balbisiana COLLA (groupes AAB et ABB - Simmonds & Shepherd, 1955). Il existe
également des variétés diploïdes (AA et AB) et plus rarement des clones tétraploïdes
d’origine interspécifique.
La domestication qui a conduit à la sélection de variétés stériles, se serait déroulée en cinq
étapes (Simmonds & Shepherd, 1955) :
35
1. La sélection par l’homme de types sauvages présentant des caractères de parthénocarpie et
de fertilité femelle réduite ;
2. La circulation de ces plantes, par rejet, au sein du bassin de diversification a favorisé les
hybridations inter- ou intraspécifiques (au sein de M. acuminata) pour aboutir à la
formation de nouveaux clones diploïdes présentant un fort niveau d’hétérozygotie,
notamment d’hétérozygotie structurale (translocations, inversions chromosomiques) avec
pour conséquence un renforcement de la stérilité gamétique de ces clones ;
3. L’acquisition de la triploïdie résultant de la formation de diplogamètes chez les parents
diploïdes ;
4. L’apparition ultérieure de clones tétraploïdes selon le même processus que pour la
formation des triploïdes ;
5. L’élargissement de la variabilité par les mutations naturelles donnant prise à la sélection
clonale.
Les quatre premières étapes mettent en jeu la reproduction sexuée ; elles ont conduit à une
structuration des formes cultivées en groupes et sous groupes. L’utilisation par l’homme de la
multiplication végétative de clones stériles a conduit dans une dernière étape à la sélection de
nombreux mutants (de taille, de couleur, de conformation des régimes, …) contribuant ainsi à
l’élargissement de la variabilité phénotypique des bananiers.
La taille, la forme, la couleur des plantes, des régimes et des fruits, ainsi que les caractères de
la pulpe sont autant de critères qui permettent de différencier les variétés entre elles. Ainsi,
parmi les bananes à cuire, les plantains (AAB) possèdent une pulpe orange très ferme que l’on
ne retrouve pas chez les autres bananiers « à cuire » (Laknao-AAB, Popoulou-AAB, BluggoeABB et Monthan-ABB). Les bananes d’Afrique de l’Est (AAA) sont très spécifiques et
utilisées, selon les clones, pour la cuisson ou la fabrication de bière. Les parfums des bananes
« dessert » sont variés ainsi que leurs goûts : très sucré chez certaines variétés diploïdes
(Figue Sucrée –AA), doux-acidulé chez les Figue-Pomme (AAB), neutre et universellement
apprécié chez les bananes Cavendish (AAA) destinées à l’exportation.
En dehors du centre d’origine, on constate une pauvreté spectaculaire de la diversité génétique
des bananiers :
- pas ou peu d’espèces sauvages (à l’état naturel) sur les continents africain et américain ;
- une très faible diversité génétique des variétés cultivées et aucun flux de gènes. Au regard
des quantités produites, la situation en Australie, Afrique, dans le bassin méditerranéen et
aux Amériques et Caraïbes est aujourd’hui assez singulière.
La production de ces régions ou continents, repose pour l’essentiel, sur 5 à 6 combinaisons
génétiques indépendantes, triploïdes, associées aux sous-groupes Cavendish, Gros Michel,
Plantains, Figue-Pomme, Pomé, Bluggoe (tableau 1). Il n’existe qu’une seule variété diploïde
(Figue Sucrée) qui soit présente partout dans le monde, plus probablement en raison de ses
qualités gustatives exceptionnelles que de ses performances agronomiques souvent jugées très
médiocres.
36
Groupe Sous groupe
Cultivars
Type de fruit
AA
Pisang Mas/Frayssinette/Figue
Sucrée
Pisang Lilin
Pisang Berangan/Lakatan
Dessert-sucré tous continents
Dessert
Dessert
Indonésie/Malaisie
Indonésie/Malaisie/Philippines
Dessert
tous continents, pays exportateurs
Gros-Michel
Figue-Rose
Lujugira
Ibota
Lacatan/Poyo/Williams/Grande
Naine/Petite Naine
Gros-Michel/Highgate/Cocos
Figue-Rose rose/Figue-Rose verte
Intuntu/Mujuba
Yangambi km5
Dessert
Dessert
à bière/à cuire
Dessert
tous continents
tous continents
Afrique de l’est et centrale, Colombie
Indonésie/Afrique
AB
Ney Poovan
Safet Velchi/Sukari
Dessert-acidulé Inde/Afrique de l'Est
AAB
Figue-Pomme
Pome
Mysore
Pisang Kelat
Pisang Rajah
Plantain
Popoulou
Laknao
Pisang Nangka
Maçà/Silk
Prata
Pisang Ceylan
Pisang Kelat
Pisang Rajah Bulu
French/Corne/Faux Corne
Popoulou
Laknao
Pisang Nangka
Dessert-acidulé tous continents
Dessert-acidulé Inde/Malaisie/Australie/Afrique de l'Ouest/Brésil
Dessert-acidulé Inde
Dessert
Inde/Malaisie
à cuire
Malaisie/Indonésie
à cuire
Afrique Centrale et de l'Ouest/Amérique Latine/Caraïbes
à cuire
Pacifique
à cuire
Philippines
à cuire
Malaisie
ABB
Bluggoe
Pelipita
Pisang Awak
Bluggoe/Matavia/Poteau/Cacambou à cuire
Pelipita
à cuire
Fougamou
Dessert
Peyan
Saba
Saba
AAA
Sucrier
Cavendish
à cuire
à cuire
Distribution
tous continents
Philippines/Amérique Latine
Inde/Thaïlande/Philippines/Afrique de l'Est
Philippines/Thaïlande
Philippines/Indonésie/Malaisie
Tableau 1. Classification et répartition géographique des principales variétés.
La forte variabilité phénotypique observée au sein des sous-groupes, identifiée et sélectionnée
par les agriculteurs en raison de leur intérêt agronomique ne résulte que de la multiplication
végétative. D’un point de vue génétique, cette variabilité est très réduite : il n’est pas encore
possible de distinguer par les méthodes les plus fines de la biologie moléculaire des bananiers
phénotypiquement différents au sein d’un même sous-groupe, alors que cette distinction est
aisée d’un sous-groupe à l’autre (Carreel, 1994; Carreel et al., 2001). Vis à vis des principales
maladies, les variétés d’un même sous-groupe manifestent souvent un comportement
identique vis à vis du complexe parasitaire. Il en est ainsi du sous-groupe Cavendish qui
représente près de 44 % de la production mondiale et la quasi-totalité des bananes
d’exportation.
2. Pourquoi améliorer les bananiers ?
Cette situation particulière témoigne d’une très bonne adaptation d’un petit nombre de
combinaisons génétiques (triploïdes en particulier) à des situations pédo-climatiques très
diverses, dans des contextes d’exploitation et commercialisation très variés. In fine, elles
satisfont bien aux besoins, tant dans le cadre d’une économie de subsistance que dans une
économie de marché. Cependant, il n’en demeure pas moins vrai que ces grandes quantités
produites reposent sur une base génétique très étroite ce qui confère à cette culture une très
grande fragilité, notamment à l’égard du complexe parasitaire (Ganry, 2001). En conditions
semi intensives ou intensives, la production bananière est une culture “assistée” qui nécessite
l’application de fortes quantités de pesticides (lutte contre les cercosporioses des feuilles,
contre les nématodes racinaires et le charançon du bananier principalement) pour exprimer
pleinement son potentiel de production.
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Dans les pays en développement, les sociétés, encore très rurales, sont attachées à des fruits
dont les qualités sont reconnues et appréciées ; au delà de la consommation en frais, la
diversité des préparations culinaires des bananes douces comme des bananes à cuire (qui
doivent répondre à des critères précis de saveur, texture, …) sont là pour en témoigner. Dans
les zones les plus défavorisées, ces productions inscrites dans une logique de culture sur
brûlis, ne reçoivent aucun intrant (engrais ou pesticides). La forte sensibilité des variétés
locales (Plantains notamment) aux bio-agresseurs entraîne des baisses spectaculaires de
rendement qui ne sont qu’imparfaitement contrôlées par des pratiques culturales. D’autre part,
les productions locales s’inscrivant dans des processus d’intensification progressifs font
souvent l’objet d’applications mal contrôlées de pesticides avec des répercussions négatives
sur l’environnement et une suspicion de présence de résidus dans les fruits alors que la
banane véhicule une image de produit sain et naturel. En conséquence, les marchés locaux et
régionaux des pays en développement demandent des variétés qui soient résistantes aux
maladies et suffisamment diverses pour s’adapter aux différents modes de production et de
consommation traditionnels.
La demande pour les marchés d’exportation est différente. Alors que l’offre variétale s’élargit
pour un grand nombre de fruits et légumes (pomme de terre, tomate, pomme,…), il n’existe
pratiquement qu’une seule banane sur les marchés d’Amérique du Nord, d’Europe ou au
Japon. Quelques variétés peu productives et nécessitant des itinéraires techniques adaptés (cas
de la Figue Sucrée appelée aussi Frayssinette) viennent concurrencer cette hégémonie sur des
marchés niches, à très forte valeur ajoutée, mais incompatibles avec un marché de grande
consommation.
Cette grande uniformité de l’offre est à replacer dans le contexte du marché de la banane. Les
productions européennes (Martinique, Guadeloupe, Canaries, Madère et Crête) et les autres
origines rivalisent âprement entre elles (notamment sur les coûts de production et les prix de
vente). A l’image de l’évolution des autres filières « fruits et légumes », la filière « banane »
doit pouvoir bénéficier d’une revalorisation de son positionnement sur les marchés dès lors
que de nouvelles variétés seront disponibles pour appuyer une nouvelle politique commerciale
(Loeillet, 2001). Ces nouvelles variétés, résistantes pour certaines maladies, pourront être
produites avec moins de pesticides que les variétés traditionnelles. Elles pourront bénéficier
d’une plus forte valeur ajoutée sur les marchés comme “nouveau produit mieux produit”.
3. Comment améliorer les bananiers par croisement ? : l’obtention de nouvelles variétés
hybrides triploïdes.
La stérilité des bananiers cultivés est un handicap pour le sélectionneur. Cependant cette
stérilité n’est pas totale, notamment parmi les diploïdes parthénocarpiques. Certains clones
peuvent produire des graines lorsqu’ils sont pollinisés manuellement et la mise en culture in
vitro des embryons permet d’augmenter considérablement les taux de germination par rapport
aux semis directs. Malgré ces difficultés liées à la reproduction, la création de variabilité peut
donc s’effectuer par voie sexuée.
Il est nécessaire de mentionner ici que si la domestication des bananiers a abouti à une
structuration très rigide de ce complexe d’espèces polyploïde et que l’absence de flux de
gènes a été un frein à l’accroissement naturel de la diversité génétique dans le monde, cette
situation, pour l’améliorateur, est un atout. En effet, des relations phylogéniques très fortes
ont pu être explicitées par marquage moléculaire entre les sous-espèces ou variétés ancestrales
diploïdes et les variétés triploïdes actuelles (Carreel et al., 2001). Cette connaissance du
complexe d’espèce est grandement utilisée aujourd’hui pour piloter la création des variétés
triploïdes.
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Depuis une quinzaine d’années, le CIRAD a développé une stratégie originale d'amélioration
(figure 2) basée, non pas sur des croisements avec les variétés actuelles qui sont, de surcroît,
parfois complètement stériles (cas des Cavendish) mais sur la création de nouvelles variétés
triploïdes directement à partir du matériel végétal diploïde naturel ou amélioré (Bakry et al.,
1990 ; Bakry, 2001).
1. Obtention de diploïdes-doublés (auto- ou allotétraploïdes)
AAs x AAcv
AAcv*
AAAAcv
AAcv x AAcv
Traitement à la colchicine
AAcv x BBs
ABcv*
AABBcv
*des diploïdes naturels sont également utilisés à ce stade
2. Synthèse de triploïdes
AAcv x AAAAcv
AAAcv
AAs x AAAAcv
AAAcv
BBs x AAAAcv
BAAcv
AAcv x AABBcv
AABcv
AAs x AABBcv
AABcv
Figure 2. Schéma de synthèse des variétés triploïdes à partir des géniteurs diploïdes.
s : sauvage, cv :cultivé.
Cette stratégie est basée sur une recherche d’aptitude à la combinaison entre géniteurs
diploïdes dont l’un sera le parent donneur du diplogamète. Faute de connaissances précises
sur le mode de transmission des caractères chez le bananier, la création variétale repose sur la
recherche de caractères complémentaires favorables apportés par les parents dans des
constitutions génomiques différentes : qualité des fruits et du régime, comportement
agronomique, résistances aux maladies,… Elle favorise l’hétérozygotie dans les descendances
triploïdes et permet de mieux comprendre les contributions respectives des génomes A et B
dans l’expression des caractères des hybrides interspécifiques. Elle repose aussi sur une bonne
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connaissance des relations phylogéniques au sein du complexe d’espèces diploïdes / triploïdes
afin de mieux piloter le choix des géniteurs à croiser (Bakry et al., 2001).
Actuellement, ce travail repose sur la sélection de clones parthénocarpiques diploïdes naturels
effectuée sur de nombreux critères, aussi divers que le type de bananier à créer ("à cuire" ou
de type "dessert"), les caractéristiques agronomiques, le comportement vis à vis des maladies
et, aussi, leur fertilité gamétophytique. Nous détenons à l’heure actuelle près de 90 clones
diploïdes en collection dont les relations phylogéniques avec les variétés triploïdes actuelles
ont pu être précisées. Un certain nombre d’entre eux ont été doublés par un traitement in vitro
de colchicine pour induire la formation d'auto ou d'allotétraploïdes. Nous disposons à l’heure
actuelle au champ d’une vingtaine d’autotétraploïdes acuminata de types « dessert » ou « à
cuire » et de deux allotétraploïdes de type « dessert ». Le croisement de ces bananiers
tétraploïdes avec des clones diploïdes apportant des caractères complémentaires a débouché
sur la création de nombreux hybrides triploïdes (intra- et interspécifiques) et fortement
stériles.
Les variétés hybrides triploïdes AAA et AAB obtenues se caractérisent en général par une
plus grande vigueur, une grosseur et un poids moyen des régimes plus élevés que ceux des
diploïdes. Il a aussi pu être constaté que la variabilité inter familles est forte et, dans tous les
cas, bien supérieure à la variabilité intra famille.
Cette approche présente à notre avis quatre avantages principaux :
1) les structures génétiques sélectionnées au niveau diploïde sont conservées tout ou partie
dans les triploïdes finaux ;
2) la nature triploïde des hybrides leur confère la stérilité souhaitée ;
3) l'utilisation de parents sauvages diploïdes très fertiles permet de produire, dans certains
cas, de larges descendances triploïdes dans lesquelles il est aisé de sélectionner ;
4) enfin, cette stratégie de création permet d'utiliser la grande diversité du matériel végétal
diploïde. De nouveaux critères de sélection peuvent être intégrés à tout moment pour
répondre rapidement à l'apparition de nouveaux pathogènes ou à de nouveaux objectifs de
sélection par l'emploi de nouveaux parents. Elle repose aujourd’hui sur une exploitation
des ressources naturelles diploïdes mais il est d’ores et déjà acquis qu’il faudra très
prochainement favoriser les recombinaisons au niveau diploïde, y compris avec les
espèces sauvages afin de diversifier les sources de résistance aux maladies et d’augmenter
la valeur des hybrides triploïdes finaux.
4. Les nouvelles variétés
Dès 1993, de nombreux hybrides triploïdes de nature intra- (AAA) et interspécifique (BAA)
ont été obtenus à partir de croisements entre des géniteurs acuminata ou balbisiana diploïdes
(parent maternel) et des diploïdes doublés acuminata (parent paternel). Les premiers résultats
obtenus ont permis de valider les nouvelles voies de création variétale proposées par le
CIRAD pour le bananier et de mieux comprendre les contributions respectives des clones
parentaux dans l’expression phénotypique des caractères des descendants ; il a ainsi pu être
vérifié que le caractère « à cuire » ou « dessert » des bananiers était lié à la nature des parents
acuminata utilisés, que les parents balbisiana conféraient une forte vigueur végétative aux
hybrides et, enfin, que la résistance à la Maladie des Raies Noires (MRN) pouvait être
apportée par les deux parents.
Cependant, suite à l’apparition de plantes infectées par un badnavirus (Banana Streak Virus BSV) dans les descendances (Lheureux, 2003), les hybridations interspécifiques ont dû être
arrêtées. Ces infections sont apparues d’abord en ségrégation à l’issue des croisements et par
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la suite, sur des plantes saines ayant subi des stress de culture ou des passages par la culture in
vitro. De nombreuses recherches ont été engagées pour comprendre l’origine de ces
infections. Aujourd’hui, l’hypothèse retenue est que ces infections des hybrides
proviendraient de l’activation de séquences virales intégrées dans le génome des clones de
M. balbisiana COLLA (Iskra-Caruana et al. 2003).
Un moratoire a donc du être mis sur la création de ces hybrides interspécifiques. Dans
l’attente de nouvelles solutions (recherche de clones de M. balbisiana COLLA exempts de
séquences virales intégrées), tous les efforts actuels portent sur la création d’hybrides
monospécifiques triploïdes acuminata, que ce soit pour des types « dessert » ou des types « à
cuire ».
Depuis 1996 de nouvelles variétés autotétraploïdes acuminata (AAAA) sont régulièrement
sélectionnées pour être validées en partenariat avec les producteurs et les autres acteurs des
filières bananes et plantains. En fonction des croisements, ces nouvelles variétés présentent
des comportements agronomiques très différents (précocité, rendement, …) et pour certaines
d’entre elles, une résistance totale à la Maladie de Sigatoka (cercosporiose jaune) et une
résistance partielle efficace à la MRN (cercosporiose noire). Les fruits de ces nouvelles
variétés (photos) sont très variables en taille, en couleur et sont souvent de goûts très
différents (plus acidulés, plus sucrés, etc...). Ils font l’objet actuellement d’une caractérisation
physiologique et physico-chimique qui permettra de mieux définir leur valeur nutritive, leur
potentiel de conservation et de transformation pour l’approvisionnement des marchés
nationaux et internationaux.
Photos : deux exemples d’hybrides triploïdes de type « dessert » à gauche et de type « à cuire » à
droite, résistants à la Maladie des Raies Noires et à la Maladie de Sigatoka.
Cependant, tous ces hybrides sont d’une taille très supérieure au standard qu’est le cultivar
« Grande Naine » (Cavendish), ce qui rend difficile les soins à apporter aux régimes et
fragilise les plantes vis-à-vis des coups de vent. Faute de germoplasme diploïde adéquat (le
nanisme n’existe pas chez les variétés diploïdes connues), il est envisagé d’abaisser la taille
des clones sélectionnés par mutagenèse naturelle ou induite.
Conclusion
Des recherches ont été engagées depuis de nombreuses années sur la création de nouveaux
hybrides de bananiers à partir de variétés diploïdes puisées dans le germoplasme naturel.
Cette exploration est encore loin d’être achevée. Il est cependant nécessaire de réfléchir d’ores
et déjà, à une stratégie d’amélioration de ces bananiers diploïdes pour préparer l’augmentation
de la valeur des hybrides triploïdes de demain.
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La preuve est faite que cette stratégie est porteuse de succès et qu’on est loin d’avoir déjà
exploré toutes ses possibilités.. Si notre schéma de création de bananiers triploïdes est validé
il n’en demeure pas moins qu’il subsiste de nombreuses inconnues, notamment sur l’hérédité
des caractères, qui devront être élucidées.
Enfin, il convient maintenant de concevoir la création de variabilité chez le bananier en deux
étapes complémentaires d’un même processus global de sélection, une première étape par
croisement suivie d’une seconde par multiplication végétative.
Journée de l'A.S.F. du 5 février 2004
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