La Femme au colt 45, de Marie Redonnet

Transcription

La Femme au colt 45, de Marie Redonnet
Chronique
La Femme au colt 45, de Marie Redonnet
Auteure rare quoique présente dans le champ littéraire français depuis 1986, date à laquelle elle publie
son premier roman aux Editions de Minuit, Marie Redonnet revient en cette rentrée de janvier avec la
Femme au colt 45, un court texte entre roman et pièce de théâtre publié au Tripode, qui se fait tour à tour
récit d'aventure, fable initiatique et récit social sans concessions.
Lora Sander, la cinquantaine, fuit son pays, l'Azirie,
pour la Santarie voisine. La situation politique n'est
plus tenable depuis que le pays est tombé sous le joug
d'une dictature. Certains restent pour résister, comme
le fils de Lora, engagé dans une guérilla incertaine ;
d'autres ont déjà été arrêtés, comme son mari Zuka,
metteur en scène de pièces jugées trop subversives.
Pour Lora, la seule solution envisageable est donc l’
exil, même si cela implique de traverser la moitié du
pays à pied puis de payer une fortune le passage de la
rivière qui sert de frontière entre les deux pays - pour
enfin se retrouver en Santarie, où, pense-t-elle, elle
pourra recouvrer sa liberté.
La Femme au colt 45 est donc le récit de cet exil, et des
tentatives de Lora de s'imaginer une nouvelle vie en
Santarie. Un récit de migration souvent rude, qui entre
fortement en résonance avec l'actualité : la liberté
rêvée, on le pressentait, n'est pas au rendez-vous, ou
alors sous une forme dégradée. Lora, qui se veut sans
attaches, est forcée de se placer sous la protection toujours menaçante - d'hommes qui marchandent sa
sécurité. De petits boulots instables en refuges
temporaires, elle vit la vie d'errance de tout réfugié qui
tente de se reconstruire.
Mais on ne saurait limiter la Femme au colt 45 à un récit de circonstance, ou à une fable politique
transparente. La lutte de Lora, c'est aussi celle de toute femme qui cherche à se détacher de l'emprise
des hommes, à prendre son indépendance totale. "Je dois apprendre toute seule à devenir Lora
Sander", dit-elle ; c'est-à-dire sans le regard de ceux qui chercheraient à la circonscrire, à l'empêcher de
se connaître.
Cette dimension est renforcée par le dispositif très particulier, entre roman et théâtre, que met en place
Marie Redonnet. La Femme au colt 45 se présente comme une succession de saynètes, dans lesquelles
un narrateur n'intervient que pour donner quelques notations sur les lieux. Le reste du récit est assumé
par Lora elle-même, qui monologue, commente les événements qui lui arrivent mais aussi ses propres
attitudes, se positionnant à la fois comme actrice et comme spectatrice de sa propre vie. Une position
instable, ambiguë, qui résume à merveille la situation de Lora, qui ambitionne de prendre sa vie en main
mais en est sans cesse empêchée.
De même le colt, symbole suprême d'une violence en attente de se produire, élément central de la
tension qui parcourt la Femme au colt 45, reste inutile dans les mains de Lora, y compris lorsqu'elle
subit elle-même la violence des hommes. On reste là encore dans un entre-deux, une zone-frontière qui
a de quoi déstabiliser. Le passage à l’acte est fantasmé mais sans cesse reporté. Marie Redonnet
semble se plaire à confronter son lecteur à des situations et des dispositifs indécis, inconfortables
même parfois, qui ne prennent tout leur sens qu’à mesure que le roman progresse vers son
dénouement.
Car comme chez Tchekhov, si un pistolet est mentionné dès le premier acte - et a fortiori s'il l'est dans le
titre -, il faudra bien qu'il serve dans la suite de l'histoire. Chez Marie Redonnet, le colt 45 est même
bien plus qu'un simple expédient narratif : présent tout au long du roman comme un personnage de
second plan, il est à la fois un élément familier du décor et une présence tantôt rassurante, tantôt
menaçante qui finira, le temps d'une scène décisive, par mener la danse, comme mû par sa volonté
propre. Le rôle du colt dans le dénouement est finalement autant une condamnation qu'une délivrance l'accomplissement et l'aboutissement d'une spirale de violence menant in fine à un possible
apaisement.
Sélection de références
Entretien avec Marie Redonnet
Marie Redonnet discute de La Femme au colt 45 avec Arno Bertina à
l'invitation de la bibliothèque de Romainville et de l' Association des
Bibliothèques en Seine Saint Denis dans le cadre des Matinées
plateaux, préparatoires au festival Hors Limites 2016.
Publié
le
03/02
/2016
LITTÉRATURE
Tags
:
Cyril Tavan
Fonction
:
roman
-
théâtre
-
condition humaine
-
femme
A propos de
l'auteur
Bibliothécaire - Littérature française contemporaine et littérature
francophone