Emancipée
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14 mémoire LE PATRIOTE RÉSISTANT N° 909 - juin 2016 Emancipée E n 1947, elle se voit promue au grade de capitaine comme agent régulier et clandestin du réseau Gilbert et des Forces françaises combattantes pour sa mission auprès de Jean Moulin et pour son action d’enquêtrice pour les services de renseignement après la Libération. En septembre 1945, de Gaulle lui remet le diplôme de chargée de mission 1re classe ; la médaille de la Résistance avec rosette lui est attribuée par décret. Elle sera élevée au grade de Grand officier de la Légion d ’honneur par François Mitterrand en 1982. Elle s’est appelée tour à tour Antoinette Kohn, Sachs ou Sasse. Mondaine, elle l’était par avidité de connaître le monde. Elégante, par volonté de séduire et d’aimer. Libre, excentrique et rebelle, simplement parce qu’elle s’affirmait femme. Adepte du ski comme des jeux de plage, elle fut sportive toujours, parce qu’émancipée et sensuelle. Elle rencontra Jean Moulin en 1936 en présence du ministre Pierre Cot, lors d’un dîner donné par Marie-Rose Wibault, épouse d’un puissant fabricant d’avions dont elle avait fait le portrait. Sa sœur Suzanne n’étaitelle pas aviatrice, la p remière à effectuer le raid féminin France-Madagascar en 1939 ? Antoinette Sasse est le nom qu’elle s’est choisi. Née Kohn en 1897 d’une famille juive hongroise, son père, fondateur et administrateur de la sucrerie d’Epernay, compte bien des relations dans le monde des arts et lettres. Elle divorcera en 1933 de Raymond, fils de Léo Sachs, célèbre compositeur d’opéra lyrique, président de la Société des Amis de la Musique, chevalier de la Légion d’honneur. A moins de 18 ans, cette garçonne, photographiée par les plus grands avec ses boucles courtes et son teint pain d’épice, participe à l’emprunt pour la Défense nationale. En 1916, la voilà premier prix d’un concours de piano. Mais c’est la peinture, qui l’attire. Elève d’Othon Friesz, qui enseigne avec Fernand Léger, amie de Van Dongen, elle rencontre Elie Faure, Chaïm Soutine et bien d’autres. Dès 1922, elle expose dans les Salons. Vite remarquée par la Revue Moderne des Arts, elle est abonnée à l’Argus de la presse et soigne son image. Habillée par les plus grands couturiers, invitée par Jean Zay, ministre de l’Education nationale et des Beaux-arts en 1938, elle reçoit des courriers de Teilhard de Chardin, fréquente Jean Giono, Lucien Jacques, poète, éditeur, danseur, ancien secrétaire d ’Isadora Duncan… Alger-Beauvallon Réfugiée chez son compagnon, le poète et écrivain Paul Géraldy en 1940 à Beauvallon près de Saint-Tropez, Antoinette détient une carte de circulation temporaire. Elle obtient l’autorisation d’embarquer sous son vrai nom avec sa sœur sur le Massilia, initialement affrété sur l’initiative d’Albert Lebrun, président de la République de 1932 à 1940, pour garantir au pays la liberté de négocier avant l’arrivée des troupes allemandes. Albert Lebrun est contre l’armistice ; partisan du repli vers l’Afrique du Nord. Mais c’est lui, qui a appelé le maréchal Pétain à la présidence du Conseil. Puisqu’il refuse de démissionner, Pétain s’est fait voter les pleins pouvoirs le 10 juin 1940… Obéissant au maréchal, Darlan signera l’ordre de départ du Massilia le 21 juin 1940 avec 27 parlementaires, dont Jean Zay et Georges Mandel désireux de poursuivre le combat. « Légaliste », le général Noguès, commandant en chef des forces d’Afrique du Nord a refusé de suivre de Gaulle. Il fait assigner Jean Zay et Georges Mandel à résidence à Casablanca. Antoinette et sa sœur, prises en charge à Alger, réussissent, elles, à forcer sa porte pour regagner Marseille. Début juillet, la voilà de retour chez son compagnonpoète à Beauvallon… Sur ses faux papiers, elle est tour à tour artiste peintre et secrétaire. Relevé de ses fonctions de préfet par Vichy en novembre 1940, Jean Moulin, futur fondateur du Conseil national de la Résistance grâce à l’union des forces clandestines qu’il avait su si soigneusement inventorier, trouvera l’aide précieuse d ’Antoinette lorsqu’il s’installera dans les Alpilles, à SaintAndiol. Avec elle, Jean Moulin p assera sa dernière nuit, avant de gagner l’Angleterre en o ctobre 1941. Devenu délégué du général de Gaulle, Jean Moulin saura demander à Antoinette de décoder des télégrammes, chose exceptionnelle pour une femme, et la charger de négocier les toiles pour la galerie Romanin, ouverte à Nice pour couvrir son action clandestine. En novembre 1941, Antoinette avait pu obtenir un certificat de non appartenance à la race juive. Fragile protection. Une des lettres de Jean Moulin fait part à son adjoint Henri Manhès, de nouvelles d’Antoinette Sachs. En mai 1943, se sentant menacé, il cherche à la joindre. Mais elle s’est elle-même cachée dans le Limousin avant de gagner Genève en septembre 1943. Dans une des v itrines de l’exposition, un carnet de croquis, réalisés entre 1940 et 1943 : « ma vie avec Jean Moulin ». On voudrait bien Antoinette en train de peindre, Beauvallon, fin des années 1930. l’ouvrir ! Dès septembre 1944, Antoinette rentre la trahison. Elle fera partie de ceux qui de Genève et se rend directement à Lyon obtinrent le procès contre Hardy. Mais pour enquêter avec Laure, sœur de Jean malgré les preuves, Hardy, acquitté une Moulin. Toute sa vie, elle s’acharnera à première fois en janvier 1947, obtiendra faire la lumière sur ce qui valut à son ami, la minorité de faveur devant le Tribunal compagnon et complice l’arrestation, la militaire de la Seine en 1950. torture et la mort. L’occupation de l’apparProchaine rencontre prévue au Musée tement parisien d’Antoinette dès 1943 par autour de l’exposition « Antoinette Sasse, Pedro Urraca, espion de Franco mais aussi rebelle, résistante et mécène (1897-1986) » : le de Klaus Barbie, semble une des clés de 16 juin à 14 h 30 avec Pierre Péan, co-auteur l’énigme qui passe par un certain Hardy et avec Laurent Ducastel de Jean Moulin, quelques autres. Après avoir échappé à un l’ultime mystère, retraçant la période tragique mandat d’arrêt international, Urraca conti- de l’occupation, vue par Antoinette Sasse. nuera de servir Franco, avant de m ourir *Musée Jean Moulin, 24 allée de la 2e DB (Jardin en paix en 1989. Dès 1945, grâce à des résistants tels Henri Atlantique) 75015 Paris. Renseignements : Manhès, elle rencontre tous les témoins 01. 40. 64. 39. 44. possibles et acquiert la conviction de Hélène Amblard Exposition à Paris © robert capa / magnum photos les « plus belles photographies » du Front populaire L’anniversaire de l’arrivée au pouvoir du Front populaire en France il y a 80 ans suscite un vif intérêt, comme le démontrent les nombreuses manifestations et publications qui, depuis quelques semaines, s’attachent à remettre en lumière cet événement déterminant de notre histoire. Nous l’évoquerons plus largement dans le prochain numéro du PR mais nous voulions dès à présent signaler, parmi d’autres initiatives, l’excellente exposition « 1936, le Front populaire en photographie », présentée à l’hôtel de ville de Paris jusqu’au 23 juillet. Elle fait revivre l’histoire politique, sociale et culturelle de 1936 au travers des clichés de jeunes photographes qui adhéraient à l’élan du Front populaire, et dont la renommée ne fera que grandir : Robert Capa, Henri Cartier-Bresson, Chim, Robert Doisneau, André Kertész, Willy Ronis… dont certains avaient fui leur pays pour raisons politiques. Ils surent traduire l’effervescence et l’espérance de ces quelques mois, couvrant tous les grands événements, l’allégresse des premiers congés payés tout comme la détermination joyeuse des grévistes ou le plaisir nouveau des sorties au cinéma… Ils sauront aussi saisir l’atmosphère plus sombre qui bientôt imprégnera l’Europe, avec la guerre d’Espagne, la terreur nazie et la menace du conflit mondial. Au total, plus de 400 œuvres – photos d’artistes, d’agences ou de presse, mais aussi documents, affiches, journaux, extraits sonores et de films d’époque – font revivre la richesse d’une époque dont les conquêtes sociales seront consolidées après la guerre dans le programme du Conseil national de la Résistance. n J usqu’au 23 juillet 2016, salle Saint-Jean (entrée 5 rue Lobau). Entrée gratuite. Des activités également gratuites (colloque, conférences, films et cours de cinéma) sont organisées durant tout le mois de juin par la Mairie de Paris autour de la commémoration du Front populaire. © Fonds A. Sasse, Musée du général Leclerc et de la Libération de Paris – Musée Jean Moulin (Paris Musées) Antoinette Sasse a légué avec toute sa fortune, ses archives et collections à la Ville de Paris pour réaliser un Musée Jean Moulin. Jusqu’au 29 janvier 2017, ce Musée lui consacre une riche exposition accompagnée d’audiovisuels et de rencontres*.