Matières premières et politiques énergétiques en Asie

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Matières premières et politiques énergétiques en Asie
Asia Centre Conference series
étude
Matières premières
et politiques
énergétiques en
Asie du Sud-est :
entre sécurité
humaine, sécurité
énergétique, et
sécurité militaire
David Jonathan Gonzalez-Villascan et Sophie Boisseau du Rocher
Pour Asia Centre à Sciences Po
Mai 2010
Introduction générale
Ces 30 dernières années la communauté internationale
s’est fortement mobilisée pour renforcer la capacité des
États à subvenir aux besoins de populations de plus en
plus importantes (projets de recherche, conférences
internationales, traités bi-et multi-latéraux, ou encore
création d’organismes spécialisés). La conservation des
ressources naturelles et son impact sur la qualité de vie de
l’Homme est un des sujets au centre des débats.
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Selon le Programme des Nations Unies pour le
Développement (PNUD), l’augmentation des prix des
ressources naturelles (eau, gaz, pétrole, charbon) et
de leurs produits dérivés, couplée à la dépendance
énergétique des économies en voie de développement,
transforme les questions de sécurité énergétique en
défis de sécurité humaine (UNDP, 2007). Le PNUD
identifie trois conséquences principales sur la capacité
des Etats à effectivement remplir leurs engagements en
termes d’amélioration des Objectifs du Millénaire pour
le Développement1 (Millennium Development Goals,
MDGs) :
(i) la difficulté de plus en plus répandue parmi les
populations les plus défavorisées d’accéder aux
ressources énergétiques ;
1
http://www.un.org/millenniumgoals/.
(ii) l’absence de répartition équitable des richesses
produites par l’exploitation massive des ressources
naturelles d’un territoire ;
(iii) la difficulté pour les gouvernements de concilier
leurs modèles de croissance économique
et d’industrialisation avec des politiques
environnementales contraignantes mais durables.
Dans bien des pays d’Asie du Sud-est, ces trois aspects
vont forcément de paire : le rythme de croissance
démographique et la cadence du développement
économique ont créé autant de besoins spécifiques que
de défis urgents.
Trois facteurs principaux semblent donc prédominer
dans la façon dont un pays saura tirer tout le potentiel
économique d’une ressource naturelle donnée : la nature de
la ressource elle-même, la capacité matérielle et financière
à l’exploiter, et sa valeur marchande sur le marché mondial
(brute ou modifiée). Certains produits comme le pétrole
et le gaz naturel sont faciles à écouler mais vulnérables
aux fluctuations ou aux pénuries soudaines (sans parler
des complications liées aux changements de contexte
géopolitique). Des produits de base comme le riz, en
revanche, sont soumis aux variations climatiques, aux
changements de politiques agricoles, ou à d’implacables
contraintes tarifaires.
1. Panorama des matières premières en Asie du
Sud-est : le triple défi de l’autosuffisance, de l’accès
équitable et de la croissance « verte »
Une région riche en ressources naturelles…
Des onze pays composant l’Asie du Sud-est, seule la
cité-État de Singapour ne compte aucune ressource
naturelle. Sa taille (690 km²) a logiquement poussé le
pays à très tôt tirer les avantages de sa localisation (lieu
de passage obligatoire des marchandises) et à miser sur
les services bancaires et financiers. Les autres pays de la
région disposent en revanche de richesses naturelles aussi
abondantes que diversifiées ayant largement contribué à
définir leurs modèles de développement économique et
leurs stratégies d’industrialisation.
Ces différentes approches découlent directement de la
variété des utilisations du sol et des mises en valeur du
territoire ; la part de l’agriculture dans le PIB de la Malaisie,
par exemple, n’était que de 10 % en 2007, contre plus
de 40 % au Laos et au Myanmar pour la même année.
Pareillement, en 2007, près de la moitié du PIB du Brunei
provenait de la production du pétrole et du gaz, tandis
qu’au Viet Nâm, cette part n’était que de 5,3 % pour la
même année (OECD / Korea Policy Centre, 2009 et ADB,
2009).
La diversité de la faune et de la flore en Asie est elle
aussi étroitement liée à la variété des sols et des climats.
Plus précisément en Asie du Sud-est2, la forêt tropicale
humide prédomine dans les régions à très basse latitude,
entraînant de fortes précipitations pendant une grande
partie de l’année. On y trouve principalement une forêt
luxuriante composée de nombreuses espèces d’arbres (le
teck, le jaquier, l’eucalyptus, le chêne, diverses espèces de
bambous et de palmiers). Au Nord de l’équateur s’étend
une forêt tropicale plus ouverte, souvent appelée « forêt de
mousson ».
Pratiquement, l’ensemble de la région possède
d’importantes ressources minières, notamment aux
Philippines, au Cambodge, au VietNâm, et au Myanmar.
Ces ressources en minerai de fer et en lignite (roche
fossilifère combustible) viennent s’ajouter aux pierres
précieuses trouvées en Thaïlande, au Myanmar, et au
Cambodge, ainsi qu’aux métaux précieux trouvés aux
Philippines et en Indonésie (mines d’or et d’argent). Les
autres métaux présents dans la région sont l’étain, le
tungstène, le cuivre, et le manganèse, tandis que le gypse
est présent en Thaïlande et au Myanmar et le phosphate
au Viet Nâm et au Cambodge.
2 La définition exacte d’une zone géographique et la sélection
des pays à inclure ou exclure de cette zone varient bien entendu
selon les critères géographiques, topographiques, climatiques,
linguistiques, culturels, religieux, politiques, économiques, diplomatiques, et idéologiques que l’on choisit de retenir. Par souci de
cohérence et de simplicité il a été délibérément choisi de suivre
la classification standard utilisée par les Nations Unies dans sa
Composition des régions macrogéographiques, des sous-régions
géographiques, et des groupements économiques: Brunei Darussalam, le Cambodge, l’Indonésie, le Laos, la Malaisie, le Myanmar,
les Philippines, Singapour, la Thaïlande, le Timor-Leste, et le Viet
Nâm
(http://unstats.un.org/unsd/methods/m49/m49regnf.htm).
Eau
La relation entre l’eau, la pauvreté, et l’environnement est
complexe en Asie du Sud-est. Alors que l’eau a été un
facteur crucial dans le développement de la région, sa
gestion a toujours posé problème. Diverses techniques
de régulation de l’eau sont pratiquées de très longue date
dans les vallons et les bas-pays de montagne. Mais dans
les grandes plaines et les deltas, les agriculteurs ont dû se
contenter de l’inondation naturelle par les crues, soit en
plantant du riz flottant, soit en mettant en culture les terres
exondées et les bords des zones de crue (Spencer J. E.,
1974). Environ 40 % des terres cultivables de la région
sont irriguées, ce qui permet d’y produire près de 70 % de
la nourriture (ADB, June 2003).
Vers la fin du XIXème siècle, des ingénieurs occidentaux
ont introduit des systèmes permettant de maîtriser l’eau
dans les grandes plaines et les deltas. Ces innovations
ont certes assuré le contrôle de l’eau des basses-terres,
mais l’ampleur et le coût des conséquences écologiques
commencent à peine à se révéler. Entre 1950 et 1995, la
disponibilité des ressources en eau par habitant a chuté
de près de 55% en Asie du Sud-est (contre près de 70%
en Asie Centrale et du Sud et 60% en Asie du Nord). En
2025, la disponibilité en eau par habitant dans la région se
situera entre 35 et 15% de moins que le niveau en 1950
(ADB, June 2003).
L’équilibre écologique de l’Asie du Sud-est est largement
dépendant de l’eau, elle-même essentielle à la survie
des habitants des zones majoritairement agricoles. Mais
l’eau est également un enjeu central pour les populations
urbaines de la région : le traitement des eaux usées, l’accès
à l’eau potable, et l’approvisionnement de populations en
plein essor constituent quelques uns des défis lancés par
les limites de la quantité d’eau douce sur le continent. Le
fait que ces zones irriguées continuent à utiliser l’eau de
façon inefficace rend encore plus difficile la gestion de la
demande exponentielle. Les institutions régionales et les
mécanismes nationaux ne sont que très lentement mis en
place pour évaluer et gérer la demande, pour réglementer
l’attribution de l’eau entre les divers utilisateurs, ou encore
pour optimiser son utilisation.
L’industrialisation mêlée au développement de mégalopoles
et de zones péri-urbaines sans cesse étendues est
également responsable de la hausse de la consommation
d’eau, entraînant des quantités de déchets toujours plus
élevées. La demande en eau à usage industriel connaît
une forte croissance, tandis que l’eau à usage domestique
est encore insuffisante malgré de gros investissements
dans les systèmes d’approvisionnement depuis les années
1980. L’Indonésie, la Malaisie, les Philippines, et le Viet Nâm
sont typiques des pays dont les besoins de consommation
d’eau augmentent à mesure qu’ils grimpent l’échelle de
l’industrialisation. Pendant ce temps, la demande d’eau
continue d’augmenter dans l’agriculture, et ce malgré
les changements dans la répartition des cultures et
l’introduction de nouvelles variétés de semences moins
exigeantes en eau.
La pollution massive de l’eau augmente l’incidence des
maladies aussi bien dans les zones rurales qu’en milieu
urbain. L’eau potable et assainie n’est pas toujours
disponible, ce qui a un impact direct sur la mortalité des
2
citadins pauvres, contraints de consacrer une importante
part de leurs revenus disponibles aux fournisseurs privés.
S’approvisionner en eau à boire et à cuisiner reste une
tâche ardue dans la plupart des zones rurales, où de
nombreux villageois - principalement des femmes et des
enfants - sont contraints de marcher plusieurs kilomètres
pour trouver de l’eau. L’emploi et la scolarisation pâtissent
donc de cette situation, particulièrement en milieu rural et
pauvre, où le cycle de la pauvreté entraîne d’inextricables
problèmes économiques et sociaux.
La sur-exploitation des eaux souterraines est aussi
devenue une préoccupation majeure. Une fois polluées,
les eaux souterraines sont extrêmement difficiles à purifier
à cause de leur inaccessibilité, des énormes volumes à
traiter, et de la lenteur des débits. La pollution des eaux
souterraines est causée par l’agriculture, l’urbanisation
et l’activité industrielle. A Jakarta, Bangkok, et Manille,
ce sont surtout les déversements sauvages d’effluents
liquides et des déchets solides qui ont conduit à des
épidémies de choléra, de typhoïde, et d’autres maladies
d’origine hydrique.
Dès la fin des années 1970, des normes ont été établies
et divers efforts internationaux ont été organisés afin de
répondre aux problèmatiques de l’eau. Mais cela n’a pas
suffi à rendre la question prioritaire dans une région où la
croissance « à tout prix » constitue encore une priorité.
Le principe de « sécurisation » de l’eau ne désigne donc pas
seulement le besoin de faire face à la diminution physique
des réserves en eau. Une définition plus large comprend
également les questions d’accès à une ressource
fondamentale. L’accès à l’eau soulève la question de la
responsabilité des États et du rôle des marchés dans
l’allocation de l’eau (construction d’infrastructures
adéquates, fixation des prix, réglementation, etc.).
Gaz
Selon l’Agence Internationale pour l’Energie (IEA), la
dépendance des pays d’Asie sur les importations en pétrole
ne cesse d’augmenter, ce qui met en péril la stabilité de son
approvisionnement en sources d’énergie. L’exploitation
et l’utilisation du gaz naturel constituent une alternative
permettant à la fois d’améliorer la sécurité énergétique des
pays d’Asie du Sud-est tout en diminuant leur dépendance
aux fluctuations des prix du pétrole (OECD / IEA, 1996).
Développer et renforcer cette alternative est également
perçu comme une façon de protéger l’environnement
car il réduit les besoins en pétrole et en charbon. C’est
donc sans surprise que l’on constate dans la région une
multiplication des accords et des projets de réseaux de
gazoducs reliant les pays de l’ASEAN.
L’Indonésie, la Malaisie, et le Brunei Darussalam détiennent
d’importantes parts de gaz naturel liquéfié (GNL), ce qui
a rendu possible d’en exporter au Japon, à la Corée,
et à Taiwan au cours des 30 dernières années tout en
étant en mesure de satisfaire la demande nationale
(OECD / IEA, 1999). Le commerce international par
gazoduc n’est pas très développé (la région ne compte
que quelques pipelines internationaux, y compris
ceux sur le point d’être construits), mais certains pays
comme les Philippines, le Viet Nâm, et le Myanmar font
la promotion de la production et de l’utilisation du gaz.
Aux Philippines, par exemple, 504 km de pipelines
transportent du gaz du gisement offshore Malampaya
à l’île de Luzon. En 2002 le gaz alimentait des centrales
électriques d’une capacité totale de 2 700 mégwatts
(mw), couvrant près de 30% des besoins en électricité
du pays pour une vingtaine d’années. Au Viet Nâm,
plusieurs champs de gaz onshore et offshore continuent
d’être exploités, notamment le Tien Hai C (près d’Hanoi)
et les champs de gaz à Bach Ho. Le projet Nâm Con
Son, qui a lui seul constitute plus d’un tiers des réserves
totales de gaz du pays, est essentiel au développement du
secteur du gaz au VietNâm. En avril 1999, des protocoles
d’entente (Memorandum of Understanding) ont été signés
entre l’Etat vietNâmien et des partenaires publics et privés
afin de déterminer le prix du gaz, les modes de transport,
et le rôle des organismes gouvernementaux.
Au Myanmar, le projet Yadana visant l’exportation de gaz
offshore vers la Thaïlande par oléoduc s’est achevé en
1998, même si l’approvisionnement en gaz a été retardé
de nombreuses fois pour cause d’abscence de turbines
adaptées en Thaïlande. Ce retard était dû en partie à la
crise économique qui a affecté la région à cette période,
ce qui a eu pour effet de ralentir la hausse de la demande
d’électricité prévue par la Petroleum Authority of Thailand
(PTT). Les projets Yadana et Yetagun (achevé en 2000)
fournissent à eux deux environ 35 % de l’approvisionnement
en gaz de la Thaïlande.
L’Indonésie, quant à elle, a produit 67 942 kilo tonnes
équivalent pétrole (ktep) de gaz naturel en 2006. La
production de gaz naturel a diminué de 1,0 5% par rapport
à 2005, et de 2,51 % par rapport à 2004 (APEC / Asia
Pacific Energy Research Centre, March 2009). Près de
54,6 % de la production de gaz naturel en Indonésie a été
convertie en GNL en vue d’être exportée vers le Japon
(62,9 % des exportations), la Corée du Sud (22,7 %), et
Taiwan (14,4 %). De plus, en 2006 l’Indonésie a exporté
3716 ktep - ou 5,47 % de sa production totale de gaz
naturel - vers Singapour et la Malaisie. Globalement, 60 %
de la production de gaz naturel de l’Indonésie est dédiée à
l’exportation, la partie restante étant mise à disposition des
besoins nationaux.
Les grandes réserves indonésiennes de gaz naturel se
trouvent à proximité d’Arun dans la province d’Aceh,
autour de Badak dans le Kalimantan de l’Est, dans les
champs de gaz en Papouasie, et offshore dans les ïles
Natuna, et au Nord et à l’Est de Java. Le projet GNL le
plus récent se situe à Tangguh, en Papouasie, et son
exploitation commerciale a été lancée en 2009.
Le commerce du gaz naturel liquéfié (GNL) devrait
augmenter dans les prochaines années, ce qui aura comme
effet de pousser les économies asiatiques à développer
les installations et les infrastructures nécessaires à son
exploitation (vraquiers, terminaux de GNL, etc.). Les
perspectives du marché du gaz sont également favorables
parce que le gaz naturel comprimé pourrait être amené, à
terme, à remplacer l’essence des véhicules à moteur ou
être utilisé pour le chauffage. Bien entendu, d’importants
financements seront nécessaires pour développer les
réseaux d’extraction, de transformation, de stockage, et
de transport du GNL.
3
Pétrole
Selon l’IEA, les niveaux de consommation de pétrole
tendent à être correlées aux variations de croissance du
PIB d’une économie. C’est pourquoi cette même agence
projette une augmentation de la demande mondiale de
pétrole de 85 millions de barils par jour (mb/j) en 2007 à 106
mb/j en 2030, soit une augmentation annuelle moyenne de
1% (ADB, June 2009). Par ailleurs, la demande de pétrole
va croître plus rapidement dans les pays non-membres de
l’OCDE avec une augmentation annuelle moyenne de 2,2
%. A elle seule, la consommation de pétrole de la Chine
devrait augmenter de 3,5% par an entre 2007 et 2030.
Globalement, c’est le secteur des transports qui représente
plus de la moitié de la consommation primaire de pétrole,
principalement en raison d’une demande accrue pour les
carburants des transports routiers.
Ainsi, le but commun de se défaire progressivement de
l’emprise pétrolière des pays du Moyen Orient a mené à ce
que des projets de prospection de gisements de pétrole
se soient multipliés dans la région, le plus souvent à travers
des accords bilatéraux ou grâce à des partenariats privépublic (PPP). Cette démarche porte ses fruits notamment
grâce à l’assistance technique et institutionnelle en matière
de gestion des ressources pétrolières, de développement
des champs pétroliers, de raffinage, de transport, de
distribution, et d’élaboration de la politique tarifaire (APEC
/ Asia Pacific Energy Research Centre, March 2009).
Le soutien actif des entités régionales et multilatérales
est également nécessaire pour le soutien du commerce
régional.
Bien entendu, certaines économies sont mieux placées
que d’autres pour impulser de telles initiatives. Le Brunei
Darussalam, par exemple, est le quatrième plus grand
producteur de pétrole en Asie du Sud-est, et représente le
dixième plus gros producteur de gaz naturel liquéfié dans le
monde. En 2006, l’offre totale d’énergie primaire du Brunei
Darussalam atteignait les 4 243 kilo tonnes équivalent
pétrole (ktep). La production de gaz et de pétrole a été de
24 179 ktep pour la même année, soit une augmentation
de 11,8 % par rapport aux niveaux de production de 2005,
dont 83 % ont été exportés vers l’Australie, le Japon, la
Corée, la Thaïlande, l’Indonésie, et l’Inde3. Le gaz naturel
représente 82 % de l’approvisionnement énergétique total
du pays, tandis que le pétrole représente 18 %.
Le total des réserves de pétrole brut du Brunei est
de 191 millions de mètres cubes (mcm), tandis qu’il
dispose de 340 milliards de mètres cubes de réserves
en gaz naturel. Les perspectives sur le long-terme sont
donc jugées excellentes, même si le pays reste encore
vulnérable à la volatilité des cours mondiaux ; c’est
justement pour pallier ces fluctuations que le 9ème National
Development Plan (NDP 2007-20124) et que le plan
de développement « Brunei’s Vision 2035 » (Wawasan
Brunei 2035 5) prévoient de diversifier l’économie en
mettant l’accent sur d’autres atouts majeurs du pays
(industrie pétrochimique, raffinerie et stockage de pétrole,
la métalurigie, les énergies renouvelables, le tourisme
vert, l’aquaculture, la gestion des déchets, la finance
3
Ce n’est qu’en 2002 que du GNL du Myanmar a été
exporté vers l’Europe et les Etats-Unis.
4 http://www.bedb.com.bn/why_ndp.htm
5 http://www.bedb.com.bn/why_nationalvision.htm
Islamique, et les technologies de communication).
L’Indonésie a produit 42 956 ktep de pétrole brut en 2006,
dont 15 428 ktep ont été exportés. Ces exportations ont
baissé de 4,96 % par rapport à 2005 et de 22,21 % par
rapport à 2004. Pour satisfaire les besoins en pétrole du
pays, l’Indonésie a du importer en 2006 15 768 ktep
de pétrole brut et 17 462 ktep de produits pétroliers. La
grande partie du pétrole indonésien est produite le long
des deux plus grands gisements de pétrole de l’archipel,
les champs pétrolifères de Minas et de Duri dans la
province de Riau, sur la côte Est de Sumatra (APEC / Asia
Pacific Energy Research Centre, March 2009). Les autres
régions productrices de pétrole sont: le Sud de Sumatra,
on et offshore du Kalimantan de l’Est, au large des côtes
Nord-Est de Java, Jambi sur la côte Est de Sumatra, et
la mer de Natuna. Malgré ces richesses, la production
pétrolière de l’Indonésie a diminué de façon significative
ces dix dernières années.
La découverte de pétrole au Cambodge (au large de
Sihanoukville) en 2005 par le géant américain Chevron est
depuis plusieurs années présentée comme un possible
nouvel eldorado énergétique permettant de couvrir, ne
serait-ce que partiellement, les besoins énergétiques de
certains pays d’Asie du Sud-est. Dès 2005, Chevron se
montrait très réservé à propos de ses opérations dans la
zone, affirmant simplement que des tests d’exploration
avaient révélé la présence « dispersée » de pétrole et de
gaz, et non une concentration dans un champ principal.
Cette discrétion, que nombreux ont interprété comme une
stratégie commerciale de minimisation visant à ne pas trop
attirer l’attention des concurrents sur le potentiel des sites
cambodgiens, s’est mutée en véritable fierté nationale
pour certains dirigeants du pays qui voyaient dans cette
annonce une possible source de - grands - revenus. En
2008 le Cambodge déclarait publiquement espérer être en
mesure de produire du pétrole autour de 2011. Le directeur
général de la Cambodian National Petroleum Authority
(CNPA), Te Duong Dara, se montrait alors très sûr de la
capacité du pays à produire du pétrole à partir de 2011,
sans pour autant préciser combien d’entreprises étaient
actuellement engagées dans des opérations d’exploration
au large des côtes méridionales du Cambodge.
Charbon
Selon la BAD, le charbon représentera près de 29 % des
sources d’énergie mondiale en 2030, dont 80 % seront
destinés à assouvir les besoins en électricité (ADB, June
2009). La demande en charbon ne cesse d’augmenter
(notamment en Chine et en Inde, deux pays dotés de
réserves abondantes). Contrairement au pétrole et au gaz,
le charbon est largement disponible, son acheminement
est relativement simple, et les stocks ne sont pas affectés
par les variations climatiques. Mais si le charbon semble
répondre parfaitement à de nombreuses exigences de
sécurité énergétique, il reste un des combustibles les plus
polluants en termes de taux d’émission de CO2.
Les
questions
environnementales
concernent principalement la qualité du charbon luimême, les émissions de gaz à effet de serre, et les
modes de combustion du charbon. L’extraction du
4
charbon est, quant à elle, associée à de nombreux
impacts négatifs tels que la pollution par la poussière, la
déforestation, et la dégradation des terres. S’ajoutent à
cela les répercussions sociales sur les populations locales,
notamment en termes d’expulsions arbitraires et abusives,
d’élimination inappropriée ou incomplète des déchets
produits, ou encore d’exploitation de la main d’œuvre.
La réduction des gaz à effet de serre est une clause
fondatrice du mécanisme de développement propre
(Clean Development Mechanism) du Protocole de Kyôto6.
Conformément au protocole, les économies développées
s’engagent collectivement à réduire leurs émissions
globales de gaz à effet de serre d’au moins 5 % par
rapport aux niveaux de 1990 entre 2008 et 2012. Certaines
économies émergentes refusent que ces mécanismes
constituent un frein à leur développement économique.
Pour des pays comme l’Indonésie, dont les ressources
actuelles sont de 50,66 milliards de tonnes de charbon
et dont les réserves s’élèvent à 7,08 milliards de tonnes,
les effets pourraient être très néfastes. Hausse des
coûts d’extraction, diminution des prix du charbon, et
ralentissement de l’industrie entière du charbon seraient
quelques uns des effets sur le moyen- et long-terme.
L’Indonésie a en effet produit environ 92,5 millions de
tonnes de charbon en 2001 et plus de 100 millions de
tonnes l’année d’après. Environ 70 % du charbon produit
par le pays est exporté, et l’électricité, l’industrie, et les
ménages sont les trois plus gros utilisateurs de charbon
dans le marché intérieur. A elle seule, l’industrie représente
environ 70 % de la consommation totale de charbon.
Selon l’ASEAN Centre for Energy, l’Indonésie continuera,
dans les années à venir, à tirer profit de ses richesses en
charbon, même si celui-ci est principalement du charbon
dit « de bas rang »7 (low-rank coal). Environ 70 % du
charbon indonésien est considéré comme de « bas rang »,
ce qui le rend peu vendable. Ce charbon comporte en effet
un faible pouvoir calorifique, des taux élevés d’humidité,
et une faible teneur en soufre, des caractéristiques qui
le rendent difficilement inflammable. Notons toutefois
que le marché du charbon de « bas rang » se développe
progressivement, au fur et à mesure que se généralisent
les technologies permettant soit de transformer le charbon
en réduisant son humidité, soit de s’en servir tel quel en
utilisant des techniques spécifiques.
Il s’agira pour les décideurs indonésiens de stimuler
l’exportation du charbon tout en augmentant son utilisation
nationale, surtout que le charbon est progressivement
devenu un substitut rentable au pétrole, comme l’illustrent
les hauts niveaux d’utilisation du charbon dans les
centrales électriques, les usines de ciment, ou l’industrie
pétrochimique (ASEAN Centre for Energy, 2004). Le
secteur pétrolier reste néanmoins le principal secteur
énergétique soutenant le développement économique de
l’Indonésie, et le pays ne cesse d’augmenter la taille et la
cadence des activités d’exploitation des champs pétroliers.
Et ce en dépit du fait que ses ressources en pétrole sont
assez limitées. Afin de sécuriser son secteur énergétique,
l’Indonésie devra modifier sa stratégie globale d’utilisation
d’énergie et recentrer ses efforts vers l’optimisation du
secteur du charbon.
6
7
http://unfccc.int/kyoto_protocol/mechanisms/items/1673.php.
http://www.uky.edu/KGS/coal/coalkinds.htm.
Or, pour que le pays puisse continuer à développer ce
secteur énergétique, il devra financer et développer des
projets de recherche et de développement (R&D) sur le
secteur encore naissant des technologies de charbon
propre (Clean Coal Technology). Ces technologies ont
bien évidemment un coût (recherche, projets pilotes,
modernisation des installations, cadre institutionnel et
normatif, etc.) qui pourrait ralentir leur mise en place.
Toujours est-il que la politique énergétique de l’Indonésie
- du charbon comme des autres ressources naturelles
- doit rester cohérente et ne peut, à ce jour, éviter le
mouvement de diversification de ses sources d’énergie.
Selon la BAD, c’est justement parce que le secteur du
charbon est en pleine expansion en Asie du Sud-est qu’il
faut saisir l’opportunité et faire en sorte que cela se fasse
avec un système rigoureux de normes, des engagements
de bonnes pratiques, des moyens institutionnels de
surveillance, et des technologies propres.
…trop inégalement réparties (situations
géographiques, particularités topographiques,
climatiques)…
Pauvreté et exclusion (pas d’accès à l’eau, à l’électricité,
aux richesses créées par les industries étrangères
exploitant les ressources)
La privation d’énergie est une caractéristique inhérente
de la pauvreté et un obstacle redoutable à sa résolution.
Selon les Nations Unies, la région Asie-Pacifique abrite
plus de la moitié de la population mondiale et près des
deux tiers de ses pauvres. Alors que la proportion de
personnes survivant avec moins d’un dollar par jour est
tombée de 31 % à 20 % entre 1990 et 2001, le nombre
absolu de la population pauvre est resté élevé (679 millions
de personnes). La majorité de ces personnes vivent
dans des zones rurales qui n’ont pas - ou peu - accès à
l’électricité et ne peuvent intégrer à leur budget quotidien
les dépenses en combustibles.
Pendant ce temps, l’urbanisation fulgurante de la région se
poursuit et transfère la pauvreté des communautés rurales
vers les agglomérations urbaines. Bien que les pauvres
en milieu urbain puissent a priori avoir un meilleur accès
aux réseaux électriques, beaucoup continuent de ne
pas avoir un accès continu aux autres sources d’énergie
permettant de se chauffer, de s’alimenter, de se déplacer,
de s’éduquer, ou encore de travailler. Le rapport (du PNUD,
2007) sur l’impact de la hausse des prix du pétrole sur
la sécurité énergétique des pauvres en Chine, Indonésie
et Laos est particulièrement intéressant. Il en ressort que
des millions d’individus se voient exclus de l’accès aux
sources d’énergie permettant de remplir les besoins de
base non pas par manque de ressources naturelles mais
par la façon inégale dont les ressources elles-mêmes et
les richesses que leur exploitation induit sont distribuées
(UNDP, 2007). Les coupures de courant aux Philippines en
sont une illustration quotidienne.
L’échantillon étudié confirme avoir ressenti d’importantes
hausses dans le prix des produits pétroliers. Jusqu’en
2003, ces populations étaient protégées par des mesures
gouvernementales de compensation. Plus après. Entre
5
2002 et 2005, par exemple, les carburants de cuisine
ont augmenté de 171 %, les frais de transport de 120 %,
l’électricité de 67 %. Dans l’ensemble, cette hausse des
prix pousse les ménages à réduire leur consommation
en produits pétroliers et à couper d’autres domaines de
dépenses dans leurs budgets quotidiens (alimentation,
soins médicaux, etc.). Les ménages ruraux ne peuvent
s’éclairer de façon régulière, et la hausse des coûts de
transport les isolent des services essentiels dont ils ne
disposent pas dans leurs villages. Au fur et à mesure des
augmentations, la plupart des gouvernements de la région
ont dû choisir entre prudence fiscale et équité sociale.
Le rapport entre pauvreté et utilisation/distribution
des ressources naturelles est donc fondamental pour
comprendre les échecs et les réussites de développement
dans la région, d’autant plus qu’il est doublement
paradoxal. Premier paradoxe, les populations les plus
pauvres de la région sont prises dans un cercle vicieux
où l’état même de pauvreté les prive de l’énergie dont
ils ont besoin pour se sortir de la pauvreté. Deuxième
paradoxe, les populations privées d’énergies de base
vivent très souvent dans des pays riches en ressources
énergétiques et dépensiers en termes de construction
d’infrastructures énergétiques (centrales, rafineries, puits
d’extraction, gazéoducs, etc.). Si le coût des ressources
énergétiques continue d’augmenter (comme c’est le cas
depuis plusieurs années), non seulement le cercle vicieux
se perpétuera, mais il détériorera les conditions de vie des
gens ayant résussi à sortir de l’extrême pauvreté (petits
commerçants, enseignants, employés, paysans, etc.).
Après la crise asiatique de 1997, le gouvernement
indonésien a accordé d’importantes subventions pour
le marché intérieur des combustibles au détail (qui
représentait en 2000, 5,5 % du PIB). En 2002, cependant,
l’Etat a introduit un système d’ajustement automatique
des prix, ce qui permet à Pertamina, principale entreprise
pétrolière d’Etat, de réinitialiser tous les mois les prix des
produits pétroliers domestiques (sauf le kérosène). Pour
protéger les plus pauvres de ces hausses, le gouvernement
utilise une partie des économies résultant de la réduction
des subventions pour mettre en place des pogrammes
d’éradication de la pauvreté, de développement rural,
d’éducation, et de santé. L’Indonésie vise à étendre
l’accès à l’électricité à 90% de la population d’ici 2020 à
travers des programmes d’initiative locale et des nouveaux
modes de financement.
Au Laos, les prix au détail des produits pétroliers reflètent
généralement l’évolution des prix à l’importation. Mais un
certain contrôle des prix existe grâce au système fiscal,
aux droits de douane, et à l’ajustement des prix pour
chaque province selon les coûts spécifiques des transports
publics. Les prix de l’essence et du diesel au détail y ont
pratiquement doublé entre 2003 et 2006, ce qui a poussé
l’Etat à maintenir les prix du diesel environ 15 % inférieurs
aux prix de l’essence, à réglementer les prix de l’électricité,
et à réduire les coûts de transports. Globalement, les
grandes différences entre les augmentations officielles des
prix de carburant et les prix effectivement payés par les
populations les plus pauvres en Indonésie, aux Philippines,
au Cambodge ou au Laos indiquent l’existence d’un
marché noir de l’énergie. Plus particulèrement dans les
zones rurales isolées où les intermédiaires ressentent moins
la supervision des autorités et où l’approvisionnement
n’est jamais fiable.
La plupart des spécialistes et des organismes internationaux
s’accordent à dire que l’’accès à des services énergétiques
modernes et fiables va de paire avec les efforts de
développement humain, lui-même un élément essentiel de
la croissance économique. Or, l’accès à l’énergie n’a pas
été identifié comme un des Objectifs de Développement
du Millénaire des Nations Unies, alors que l’on s’aperçoit
qu’une grande part de ces objectifs ne peut être satisfaite
sans garantie de la part du secteur énergétique. La hausse
des prix des carburants et des produits pétroliers tels que
les engrais peut aggraver les mécanismes d’inflation,
renforcer des contextes de récession, ou faire augmenter
le chômage (ADB, June 2009). Les réductions drastiques
ou les suppressions complètes de subventions sur le
carburant se traduisent par des prix de plus en plus élevés
pour les « input » agricoles, les transports vers les lieux de
travail et les marchés, des revenus revus à la baisse, et
l’élimination de l’épargne.
…et difficilement renouvelables (de plus en plus
de demande, épuisement des gisements/forêts,
transferts de nouvelles technologies vertes, etc.).
Une consommation effrénée aux conséquences
multiples et durables (déforestation, pollution)
Selon l’IEA, la demande totale mondiale d’énergie sera de
17,0 milliards de tonnes équivalent pétrole (tep) en 2030,
tendance d’autant plus préoccupante si l’on considère
qu’en cette même année 87 % de la consommation
d’énergie mondiale viendra des pays en dehors de la zone
OCDE.
Pour l’instant, la consommation d’énergie par habitant
en Asie du Sud-est est faible par rapport à d’autres
parties du monde. Mais au fur et à mesure que la région
dispose des moyens techniques et financiers d’étendre
l’approvisionnement énergétique à ses 560 millions
d’habitants, le défi énergétique deviendra inéluctable. Au
cours des 30 dernières années, en effet, la consommation
d’énergie en Asie du Sud-est a considérablement
augmenté, une tendance qui devrait se poursuivre au fur et
à mesure de la croissance démographique, économique,
et industrielle des pays de la région.
Selon la BAD (June 2009), la demande énergétique
asiatique devrait doubler entre 2006 et 2030, un rythme
que l’approvisionnement énergétique de la région,
essentiellement basé sur les combustibles fossiles, ne
sera pas en mesure de suivre. Une grande partie de
l’augmentation de la consommation d’énergie par le
secteur des transports par exemple vient de la région AsiePacifique, dont le modèle de développement économique
dépend du transport des marchandises.
6
Habitants de la région : les premières victimes des
conséquences des changements climatiques
Les émissions de gaz à effet de serre augmentent
proportionnellement à l’intensification de la demande
énergétique asiatique. Comme pour le reste de la planète,
l’augmentation de la température atmosphérique et
d’autres dérèglements climatiques affectent l’Asie du Sudest, mais les conséquences les plus graves sont sans aucun
doute ressenties par les pays les plus pauvres de la région.
C’est justement cette vulnérabilité inégalement répartie qui
transforme les questions de sécurité énergétique (jusqu’ici
considérées comme une extension des stratégies de
croissance économique), en défis de sécurité climatique,
eux-mêmes liés à la sécurité humaine.
Le Protocole de Kyoto, effectivement appliqué en février
2005, a clairement défini le cadre de mécanismes
coopératifs permettant de remplir les engagements pris
presque dix ans plus tôt. En juillet 2005 le sommet G8+5
(Gleneagles Summit8) a impulsé le mouvement en poussant
les institutions financières internationales à développer
un plan de financement permettant de concilier énergies
propres et croissance économique. Plus récemment, en
janvier 2006, l’Australie, l’Inde, le Japon, la Chine, la Corée
du Sud, et les Etats-Unis ont formé le Partenariat AsiePacifique sur le Développement Propre et le Climat (AsiaPacific Partnership on Clean Development and Climate9)
visant à utiliser les partenariats publi-privé (PPP) pour
développer des technologies énergétiques plus propres et
plus puissantes.
Bien entendu, l’incommensurable quantité de mesures
nationales, de programmes bilatéraux, de comités
régionaux, et de traités multilatéraux montre que les
gouvernements d’Asie du Sud-est comme ailleurs prenent
la menace climatique très au sérieux. Selon la BAD (2008),
les niveaux de concentration atmosphérique en CO2 sont
en constante augmentation.
Plus concrètement et plus spécifiquement en Asie du
Sud-est, les dérèglements climatiques seront multiples
et profonds. Depuis les hauts plateaux de l’Himalaya
jusqu’aux riches forêts tropicales, de nombreux
écosystèmes sont vulnérables et certains seront affectés
de manière irréversible. Quelques uns de ces effets sont :
l’intensification des tempêtes tropicales, le prolongement
des vagues de températures extrêmes, les sécheresses,
l’élévation du niveau de la mer et la montée des eaux, les
inondations et les incendies de fôret plus fréquentes, la
baisse des rendements des cultures, la dégénération de la
biodiversité, la dégradation des habitats, les catastrophes
naturelles, sans parler des réactions en chaîne que tous ces
phénomènes peuvent entraîner lorsque combinés les uns
avec les autres. La seule possibilité que ces manifestations
puissent se multiplier et le simple fait qu’elles soient le
produit des activités humaines devraient renforcer la
détermination des gouvernements à revoir les systèmes
d’exploitation des ressources naturelles et à repenser les
modèles de croissance économique (ADB, June 2009).
8 http://web.worldbank.org/WBSITE/EXTERNAL/NEWS/0,,co
ntentMDK:20567463~pagePK:64257043~piPK:437376~theSiteP
K:4607,00.html.
9 http://www.asiapacificpartnership.org.
Diversification des sources d’énergie et utilisation
d’énergies propres : une nécessité environnementale et
un enjeu socio- économique
Alors que les sources d’énergie renouvelables comme le
vent, l’eau, et la lumière du soleil sont abondantes, des
contraintes techniques et économiques entravent encore
leur utilisation dans les pays en voie de développement.
Les énergies renouvelables nécessitent un investissement
dans des infrastructures adéquates et ne sont pas toujours
adaptées aux zones qui ne disposent pas des équipements
de stockage d’énergie nécessaires. L’énergie solaire, qui
par définition dépend des conditions météorologiques et
s’interrompt la nuit, a un potentiel de production électrique
limité et les cellules solaires photovoltaïques de stockage
sont encore chères à construire, à installer, et à entretenir.
Les turbinnes éoliennes, quant à elles, sont limitées par
une fourchette spécifique de puissance et de vitesse du
vent.
Il existe de en plus de technologies permettant un
développement écologiquement viable en passant par
des énergies plus propres et renouvelables. Or aujourd’hui
le problème n’est plus tant quelle technologie utiliser, mais
plutôt comment la financer afin de la rendre accessible
et abordable au plus grand nombre (Asian Development
Bank / Foundation for Development Cooperation, April
2008). De nombreux projets aussi variés qu’innovants sont
bel et bien mis en place un peu partout en Asie, mais les
connaissances acquises sont soit trop précises (un village,
une zone particulière), soit peu ou pas consolidées (les
réussites en restent au stade d’étude de cas ou de projet
pilote).
En Indonésie, par exemple, l’ASEAN Centre for Energy
dénombrait en 2004 très peu d’études se penchant
sur le potentiel économique et énergétique du méthane
produit à partir du charbon, Coal Bed Methane (CBM, ou
grisou) alors qu’il constitue une alternative extrêmement
viable tant en termes d’approvisionnement (plus de 337
trillion cubic feet dans les bassins de charbon à Java et à
Sulawesi) qu’en termes de distribution et de polyvalence
énergétique. Les zones riches en charbon sont déjà
surexploitées, et d’autres, comme les zones au Sud de
Sumatra et au Sud-Ouest de Kalimantan, ne disposent pas
des infrastructures nécessaires à l’extraction du CBM. Des
entités gouvernementales de l’énergie ont certes menés
des études et des projets pilotes (Lemigas, Balitbang
ESDM, Directorate General of Oil and Gas, Directorate
General of Geology and Mineral Resources, Agency for the
Assessment and Application of Technology), mais les limites
en termes de budget et de technologie ne permettent pas
d’envisager une extraction à grande échelle.
En Thaïlande, c’est surtout la voie de l’inter-connection
avec les ressources étrangères qui est privilégiée (APEC
/ Asia Pacific Energy Research Centre, March 2009).
Depuis 2005, les investissements prennent la forme de
réseaux d’acheminement du pétrole brut et du gaz naturel
à partir de sources voisines. La signature en janvier 2010
du Natural Gas Sale Agreement (GSA10), par exemple,
fournira la Thaïlande directement à partir du champ de gaz
M9 au Myanmar.
10 http://www.sourcejuice.com/1293147/2010/01/07/MyanmarThailand-signed-multi-billion-dollar-natural-gas-sale.
7
Au Viet Nâm, les réponses aux questions de sécurité
énergétique et de développement d’énergies alternatives
se focalisent plutôt sur la capacité de trouver et d’exploiter
des sources de pétrole et de gaz naturel à l’intérieur
des frontières du pays. En avril 2006, le National Energy
Efficiency Programme est approuvé pour la période
2006-2015. Les objectifs globaux du programme sont de
renforcer les capacités d’efficience énergétique de l’Etat,
de développer un véritable plan national d’économies
d’énergies, et de généraliser le besoin de protéger
l’environnement. A terme, l’utilisation d’énergies propres
et renouvelables devrait devenir systématique dans les
secteurs de l’indutrie, du BTP, et des transports, ce qui
devrait permettre au pays d’économiser de 3 à 5% de la
consommation totale d’énergie entre 2006 et 2010 et de 5
à 8 % entre 2011 et 2015.
Les biocarburants suscitent un intérêt croissant en
Asie du Sud-est. Ils peuvent en effet servir à stimuler le
développement rural, créer des emplois et réduire la
facture énergétique. Mais la faible demande ne suffit pas
encore à inciter les agriculteurs à en produire plutôt que
des aliments, un mouvement qui pourrait créer de graves
pénuries alimentaires s’il venait à être suivi massivement et
soudainement. En outre, la production de biocarburants
à partir de matières premières consomme énormément
d’énergie (pour l’agriculture, les transports, la conversion
au produit final, la production d’engrais, de pesticides, et
d’herbicides), ce qui rend le solde énergétique net quelque
peu déficitaire.
Les énergies renouvelables offrent un grand potentiel pour
les populations rurales et pauvres d’Asie, en particulier à
celles qui ne sont pas reliées aux réseaux électriques. Elles
permettraient à ces populations d’améliorer leurs conditions
de vie tout en générant de nouvelles sources de revenus
(nouveaux emplois, nouveaux secteurs économiques,
petites et moyennes entreprises, reconversion de parcelles
agricoles, manufacture de technologies du secteur
renouvelable, etc.). Mais pour l’instant leur introduction ne
peut être que progressive et ciblée, ne serait-ce que parce
que les coûts initiaux sont encore très élevés, nécessitent
des méthodes de financement novatrices, et requièrent un
soutien volontariste de la part des gouvernements.
2. Enjeux sécuritaires et territoriaux des politiques
énergétiques d’Asie du Sud-est : des conflits locaux
à l’entente (coopération, compromis ?) régionale
forcée (no choice but to work together)
Les climatologues soulignent qu’il est possible d’établir
une distinction préliminaire entre les catastrophes à «
impact soudain » telles que les tsuNâmis, les tremblements
de terre, et les catastrophes à « impact durable » telles
que les famines, les sécheresses, ou le processus de
changement climatique actuel. Tous les désastres ont des
conséquences à la fois politiques et économiques. Qu’il
s’agisse des politiques de distribution et d’exploitation des
ressources naturelles, des droits des minorités, du mode
de répartition des richesses, du degré de proximité des
élites dirigeantes avec la population, des rouages financiers
et commerciaux, des procédés électoraux, tous ces
éléments jouent un rôle direct ou indirect sur la façon dont
une population sera plus ou moins vulnérable (la sécurité
des biens et des personnes, la protection contre toute
menace extérieure, la continuité dans l’approvisionnement
alimentaire, l’accès garanti au logement et au revenu, le
flux continu de l’information, et le soutien nécessaire pour
subsister ou survivre de façon non-interrompue). En ce
sens, les désastres, qu’ils soient « naturels » ou partiellement
causés par l’homme, créent des « situations de stress
collectif » (collective stress situations) et constituent des
menaces à la sécurité humaine (Barton, 1969).
Le changement climatique entraînera des événements
météorologiques extrêmes et augmentera le nombre
de « réfugiés climatiques » à tel point que la capacité de
gouvernance de nombreux pays risque d’être dépassée.
Ainsi l’un des enjeux du changement climatique est
l’aggravation d’anciennes tensions ou le déclenchement
de nouveaux conflits.
Quatre points climatiques sont identifiées comme sources
potentielles de conflit : (i) la dégradation des eaux douces, (ii)
le déclin de la production alimentaire, (iii) l’augmentation des
tempêtes et des inondations (iv) et les migrations causées
par les catastrophes et pressions environnementales. Les
États et les sociétés les plus vulnérables à ces évènements
sont ceux en transition politique, aux économies fragiles
ou instables, et à fortes densités démographiques. Les
pays qui se trouvent déjà en conflit violent ou ceux qui ont
connu des conflits violents dans le passé récent seront
également vulnérables à de nouveaux conflits directement
liés aux défis climatiques.
En Asie du Sud-est, où nous avons vu l’importance
des matières premières et de leur utilisation, les risques
et les enjeux sécuritaires pourraient être amenés à
se multiplier. Les rancoeurs régionales mêlées à des
revendications identitaires et/ou économiques pourraient
basculer au mieux en alliances stratégiques et compromis
diplomatiques précaires, au pire en insurrections et luttes
armées ou en conflits territoriaux. Et la région n’est pas
protégée de ce type de tensions. Nous examinerons ici
trois exemples où l’accès aux matières premières ou
l’utilisation des ressources naturelles ont mené à des
conflits diplomatiques et sécuritaires aux niveaux régional
et international. Il s’agit de trois études de cas illustrant trois
niveaux différents de la façon dont la sécurité énergétique
peut faire basculer le secteur énergétique dans le champ
de la défense nationale.
8
D’abord l’exemple de l’exploitation du pétrole dans la
province d’Aceh qui a mené l’Etat indonésien à privilégier
la voie armée afin de consolider les revenus et les
investissements émanant de la zone.
Dans un tout autre registre, le cas des tensions bilatérales
entre Singapour et la Malaisie qui émanent principalement
de la question de l’approvisionnement et de la gestion de
l’eau. Ces tensions (surtout politiques, économiques, et
diplomatiques), ne sont évidemment pas exclusives à ces
deux pays, mais elles illustrent parfaitement la façon dont
le contrôle d’une source aussi vitale que l’eau peut mener
à des tensions frontalières suivies d’âpres négociations ;
l’existence même du risque s’alimente de la possibilité
que la Malaisie puisse décider de priver Singapour de son
approvisionnement en eau.
Enfin, le cas du conflit territorial et multilatéral autour des
îles Spratley et Paracel, vaste territoire à énorme potentiel
énergétique en mer de Chine. Ce conflit historique implique
6 Etats différents et illustre parfaitement la façon dont les
questions d’accès aux ressources naturelles (estimées
ou avérées) poussent les Etats à invoquer tour à tour la
présence historique, la souveraineté territoriale, le droit
maritime, et les prérogatives économiques. Le fait que les
revendications se chevauchent et s’enchevêtrent depuis
très longtemps, couplé au fait que les pays concernés
préfèrent négocier l’un avec l’autre plutôt que de façon
concertée, ne laisse pas présager d’une résolution dans
un avenir proche.
Matières premières et territorialité : conflits locaux,
hydro-diplomatie, et sécurité maritime
Le pétrole à Aceh : des revendications économiques au
conflit civil
Avant de se pencher sur la façon dont la région d’Aceh a
basculé d’une revendication purement économique à un
conflit armé confus et sanglant, il convient de brièvement
présenter le contexte de la région. Bien souvent l’intérêt
qu’on porte à cette zone au Nord de l’ïle indonésienne de
Sumatra semble commencer par l’idée que l’on se fait de
sa singulière grandeur passée et de la spécificité que l’on
prête à l’identité du peuple Acehnais. Or l’histoire d’Aceh
est faite de bouleversements émanant de conflits liés aux
luttes de suprématie entre grandes puissances portuaires,
des divergences et des convergences d’intérêts entre
les nombreux acteurs du commerce maritime, des
résistances face aux envahisseurs étrangers, des
revirements des rapports et des équilibres de force, et
des phases successives dans la construction d’un Etat
post-colonial et « moderne ». C’est cette dimension de
mémoire collective menant à des images de soi et à des
attitudes bien précises, produisant une identité construite
puis revendiquée, qui permettra de mieux comprendre les
enjeux derrière les revendications économiques liées à
l’exploitation du pétrole dans la zone (Gonzalez-Villascan,
2007).
Aceh, communément décrit comme le berceau du
premier Sultanat de l’archipel indonésien (le Sultanat de
Pasai), s’imposa dès la fin du XIIIème siècle (1282) sur une
zone jusque là à prédominance Hindouiste et Animiste.
L’expansion de l’Islam en Asie du Sud-est est sans
aucun doute intimement liée aux activités commerciales
entre marchands étrangers et sultanats dirigés par des
gouvernants habiles en affaires princières, militaires, et
commerciales (contrôler Aceh, c’est contrôler un lieu de
passage obligatoire entre la Chine, l’Inde, et l’Europe). Les
nombreuses luttes pour la maîtrise du commerce fluvial
entre les Cités-Etats du Nord de Sumatra permettront à
Aceh d’établir sa suprématie sur la région à partir de 1520,
et son expansion sera alors fulgurante : en moins de vingt
ans, Aceh dominera les côtes Nord, Est, et Ouest de
Sumatra, monopolisant le négoce du camphre, de l’or de
Barus, et du poivre de TikuIl.
Au début du XIXème siècle, se dessine ce qui sera une
longue dispute entre compagnies commerciales anglaises
et hollandaises pour déterminer qui détiendra l’autorité sur
les ports stratégiques du Nord de Sumatra. En 1871, est
signé un accord entre les deux parties où les Hollandais
gardent leur prise sur Aceh, tandis que les Anglais prennent
Malacca. Comme toute entreprise coloniale de l’époque, la
tactique est de s’emparer des principales villes portuaires
et de s’assurer la confiance et les faveurs de la noblesse
indigène en redistribuant les terres, les capitaux, et les
privilèges.Toutefois, les étrangers (commerçants chinois,
coolies indiens, et patrons hollandais) monopolisent
progressivement les différentes étapes de l’exportation
d’épices et d’autres produits locaux. C’est un système de
distribution commerciale qui reste très enrichissant, mais
de moins en moins pour les nobles locaux.
La fin de la présence hollandaise à Batavia ne marquera
pas directement la fin des politiques hollandaises. En
1942, arrivent les Japonais qui conserveront cette façon
de diriger en cooptant les seigneurs provinciaux. Aceh
soutiendra la guerre d’indépendance dans l’optique
que la région disposera en échange d’un haut degré
d’autonomie lorsque sera mise en place une structure
fédérale peu contraignante et plus flexible. Or, en 1949,
lors de l’indépendance, Aceh est unilatéralement
rattachée à la province administrative de Nord Sumatra,
décision marquée l’arrivée massive de nouveaux cadres et
administrateurs Javanais.
Même si en 1949 l’Indonésie prend initialement la voie du
modèle fédéraliste, dès 1950 le pays est restructuré en 10
provinces avec Aceh absorbé dans la province de Sumatra
du Nord (Sumatera Utara). Cette décision arbitraire mènera
le gouverneur d’Aceh, Teungku Daud Beureueh, à rejoindre
en septembre 1953 la rébellion Darul Islam (Terre d’Islam)
et à déclarer l’indépendance de l’Etat Fédéré d’Aceh
(Negara Bahagian Aceh). Cette rébellion durera près de
dix ans à Aceh, mais le mouvement s’essoufflera au début
des années 1960 car en 1959 l’Etat indonésien accorde à
Aceh le statut administratif « spécial », lui offrant autonomie
en matières religieuses, éducatives, et culturelles.
Ce bref aperçu de l’histoire politique et économique de
la région fait apparaître combien la résistance d’Aceh
face aux puissances externes a toujours découlé,
d’une façon ou d’une autre, des questions de contrôle
et de distribution des ressources naturelles. En somme,
le contrôle des voix de commerce et d’échange aurait
toujours été à l’origine des luttes acehnaises.
C’est ainsi qu’en 1971, lorsque s’implantent de nouvelles
industries pétrolières et gazifières au Nord de Sumatra
et qu’il devient de plus en plus clair qu’aucun Acehnais
9
ne profitera des richesses produites par ces activités,
que né le Gerakan Aceh Merdeka (GAM, ou Mouvement
pour un Aceh Libre). Et si la lutte s’est intensifiée et
étendue grâce au rassemblement de la population
autour du GAM, c’est surtout à cause de la façon dont
l’exploitation massive des ressources naturelles d’Aceh a
été menée (gestion strictement centralisée et intervention
d’agents exclusivement étrangers). Entre 1975 et les
années 1980, Aceh passe du statut de région à l’apport
économique limité à celle ayant le plus de potentiel pour
le développement du pays. Le « Boom LNG » vient de
la découverte et de l’exploitation de Gaz Naturel Liquide
(Liquid Natural Gas) ainsi que de pétrole dans la proximité
des villes de Lhokseumawe et Lhoksukon. Aceh devient
l’une des principales sources de revenu pour l’Etat central,
et l’un des plus grands centres d’exportation du pays. Or,
les bénéfices du Boom n’ont profité qu’à une poignée
d’acteurs (l’Etat central ou les entreprises étrangères
installées à Aceh) et les capitaux des entreprises présentes
à Aceh ne font que transiter par la province. Selon la loi
sur l’équilibre financier entre le centre et les régions (UU
n° 25 1999, Perimbangan Keuangan Pusat dan Daerah11),
70 % des dividendes provenant de l’exploitation de gaz
sont perçus par le gouvernement et 30 % sont reversés
à la région productrice : l’extrême pauvreté des habitants
d’Aceh montre que ce n’est pas le cas.
L’impressionnant développement économique que
connaît l’ensemble de l’Indonésie dans les années 1980
est accueilli avec ambivalence à Aceh, où ne cesse
de croître le sentiment d’injustice et d’inéquité. Non
seulement les Acehnais sont complètement exclus des
richesses provenant de leur propre territoire, mais en
plus le chômage dans la zone n’a pas diminué malgré le
potentiel de création d’emplois ; tout le travail a été attribué
soit à des Indonésiens venus d’autres régions (notamment
Java), soit à des étrangers. De plus, les petits fermiers ont
été expropriés sans compensation, et très vite se fait sentir
un manque d’infrastructures pour accueillir les Acehnais
déplacés et la main d’oeuvre étrangère récemment
arrivée.
Ce sentiment constant de domination et de prédation
économique entretient chez les Acehnais l’idée de
reprendre la lutte pour l’indépendance : tous ces éléments
légitiment et crédibilisent le GAM dans ses revendications.
Il faut ajouter comme facteur de ralliement derrière le GAM
la revendication et la défense de la vision proprement
acehnaise de l’Islam et les exactions barbares de l’armée
indonésienne contre la population civile d’Aceh.
A Aceh, l’armée indonésienne est très visible. Officiellement,
l’armée indonésienne était chargée de minimiser toute
menace à la stabilité de la région afin de ne pas faire fuir
les investissements étrangers. Mais il s’agissait surtout de
protéger coûte que coûte les installations de production et
d’exploitation pétrolière et leur personnel. D’où la mise en
place de milliers de troupes à Aceh alors qu’à l’époque le
GAM n’est constitué que d’une poignée de rebelles. Il en
ressort que dans leur tentative de sécuriser et de stabiliser
la zone pour assurer la croissance économique, l’armée
indonésienne, par ses pratiques, est arrivée à y réaliser
exactement l’inverse. Les assassinats, les enlèvements, les
tortures, les viols, les déplacements forcés de population,
les marchés noirs, et les disparitions deviennent des
pratiques courantes pendant les opérations militaires
11 http://www.bappenas.go.id/get-file-server/node/2848.
de grande envergure : l’Opération Filet Rouge (Operasi
Jaringan Merah), par exemple, transforme Aceh en une
Zone d’Opération Militaire (Daerah Operasi Militer, ou
DOM) et laisse des traces indélébiles au sein de la société
acehnaise.
1995 est le moment où l’on passe d’une méthode de
réconciliation basée sur un rapprochement plus ou moins
négocié à une approche purement militaire ; au nom de
la sécurité nationale, on accorde à l’armée indonésienne
la possibilité d’utiliser tout moyen pour se débarrasser
du GAM. Très vite, l’armée ne reculera devant rien et se
mettra à brûler les maisons, à procéder à des descentes
nocturnes, à fouiller et piller les villages, à des arrestations
arbitraires, et aux exécutions sommaires et publiques.
L’étude du cas d’Aceh illustre bien la façon dont un
système de politiques énergétiques, économiques,
et industrielles peut facilement dévier vers un enjeu
sécuritaire et militaire. Bien entendu, une relation
causale directe et à sens unique ne peut être établie entre
la création d’un mouvement séparatiste armé et l’ambition
des politiques économiques d’une région. Mais un
contexte de richesse et d’abondance mal ou pas du tout
réparties peut accentuer les rancoeurs et les sentiments
d’injustice, au point d’accélérer l’adhésion de ceux qui se
sentent exclus de toute forme d’expression institutionnelle
à une forme de revendication commune. Dans le cas
précis d’Aceh, c’est le nouveau statut de la zone comme
potentiel financier et économique qui en a fait un lieu de
confrontation économique et politique, puis, au fur et à
mesure que la violence a escaladé, militaire..
Il a fallu attendre une médiation étrangère pleine de
rebondissements12 et le tsuNâmi du 26 décembre 2004
(attention médiatique, déploiement d’ONGs étrangères, et
arrivée de quantités massives de dons) pour qu’un processus
de paix puisse mettre fin au conflit. La reconstruction de
la région ne pouvait avoir lieu sans la démilitarisation de
la zone, et cette concession a progressivement mené à
l’autonomie politique des Acehnais. L’International Crisis
Group (March 2009) souligne que même si le GAM a rendu
les armes pour se dédier à gérer la vie politique et civile de
la province, tout n’est pas parfait dans la zone (élections
peu transparentes, tensions religieuses, méfiance envers
les administrations et les institutions)13.
L’eau entre Singapour et la Malaisie : le fragile équilibre
de l’hydro-diplomatie
Les problèmes d’accès à l’eau peuvent aussi déclencher
des conflits entre pays. De nombreux conflits ont déjà
montré qu’il était possible d’assoiffer un pays voisin en
le privant de son approvisionnement en eau. Le risque
de conflit étant plus fort si la nation la plus vulnérable
au niveau hydrique (pays en aval) est également la plus
puissante au niveau militaire et est régulièrement paniquée
à l’idée que son approvisionnement en eau puisse un jour
être menacé: c’est le cas de Singapour.
Nous l’avons vu plus haut, Singapour est une petite CitéEtat de 690 km² complétement dépourvue de ressources
naturelles. Puissance économique et industrielle de la
12 http://www.c-r.org/our-work/accord/aceh/ahtisaari.php.
13 http://www.crisisgroup.org/home/index.cfm?id=6014&l=2.
10
région, le pays consommait en 2006 environ 1,36 milliards
de litres d’eau par jour. Or, une grande partie de cette eau
est importée de Malaisie (Etat de Johor). La question de
l’approvisionnement en eau de Singapour a constitué,
pendant longtemps, un sujet de discorde récurrent dans
les relations politiques et diplomatiques entre la Malaisie
et Singapour. A chaque fois que les relations bilatérales se
sont tendues, la menace de couper l’approvisionnement
en eau planait ; lorsque par exemple Singapour est
accusé de ne pas être sensible aux équilibres ethniques
et religieux de Malaisie, lorsque la Malaisie poite du doigt
l’imparable concurrence économique de Singapour, ou
encore lorsque font surface les discordes d’utilisation de
l’espace aérien.
instance de négociation bilatérale, souvent en faveur de
la Malaisie. En septembre 2001, par exemple, les deux
Premiers ministres ont tenté de régler plusieurs points de
discorde avec une série d’accords transversaux. Si les
points sur l’utilisation de l’espace aérien de la Malaisie par
Singapour, la localisation des structures de douanes et de
quarantaine le long de la frontière, ou la construction d’un
pont pour remplacer le Causeway ont été vite resolus,
la question d’une renégociation des prix de l’eau a été
beaucoup moins consensuelle. La Malaisie a proposé une
augmentation à 0.60 cents de Ringgit par 1 000 gallons,
tandis que Singapour était prêt à aller jusqu’à 0.45 cents
de Ringgit par 1 000 gallons au vu des concessions qui
avaient déjà été faites sur les autres points de l’accord.
Ce contexte fait que Singapour a toujours fait de cette
dépendance (réelle ou perçue) l’une des priorités
de ses programmes de défense militaire. Les forces
armées de la Cité-Etat sont prêtes à intervenir de l’autre
côté du Causeway en cas d’une interruption soudaine
de l’approvisionnement en eau, même si l’on s’aperçoit
aujourd’hui que la menace réelle est largement exagérée.
En effet, le gouvernement malaisien n’a jamais été en
mesure de totalement couper l’approvisionnement en eau
à Singapour, et la Malaisie a depuis toujours eu la ferme
intention d’observer les accords de 1961 et de 1962 (Lee
Poh Onn, 2003).
La discorde provient essentiellement de la façon de
déterminer l’augmentation du prix de l’eau, et non pas sur
le fait que le prix puisse ou ne puisse pas augmenter. Ce qui
a commencé comme un exercice en négociation de prix
s’est progressivement muté en affrontement diplomatique.
En 2001 la Malaisie a declaré vouloir augmenter les prix
de l’eau pour 2002, et que cette augmentation pourrait
être rétroactive (jusqu’en 1986). Singapour, entre temps,
cherche surtout à ce que son approvisionnement soit
assuré jusqu’en 2061, voire au-delà, le temps que sa
technologie NEWater et ses reserves lui permettent d’être
complètement autonome.
Deux accords signés en 1961 (Tebrau and Scudai Water
Agreement) et 1962 (Johor River Water Agreement),
lorsque Singapour était encore une colonie autonome
britannique, définissent le mode et le prix de transfert
permanent d’eau de Johor à Singapour jusqu’en 2011 et
2061. L’accord de 1961 permet à Singapour de recevoir
86 millions de gallons d’eau par jour (mgd) des réservoirs
Pontien et Gunung Pulai et des rivières Tebrau et Skudai,
tandis que l’accord de 1962 permet jusqu’à 250 mgd
d’eau de la rivière Johore. Au total, ces accords permettent
à Singapour d’extraire 250,4 mgd, soit 1,55 millions de
m³ par jour à travers trois grands pipelines traversant le
« causeway » de 2 km qui relie les deux pays.
Depuis les tous premiers essais de traitement et de
réutilisation de l’eau en 1974, jusqu’à l’ouverture
de centrales de traitement en 2002, Singapour
devient moins dépendant de la Malaisie et arrive à
« démilitariser » cette question. Après plusieurs années
d’impasses, Singapour a mis au point un nouveau plan
pour accroître sa sécurité et son autosuffisance en eau.
De lourds investissements ont permis l’application des
technologies de pointe en termes d’urbanisme et de
traitement afin d’arriver à une gestion toujours plus efficace
de l’eau, notamment en matière de dessalement et de
réutilisation des eaux usées et dans la gestion des bassins
versants.
En août 1965, lors de l’indépendance de Singapour, la
Loi de séparation (Separation Act) stipule à propos de
l’eau que le nouveau gouvernement de Singapour ne
pourra remettre en cause les termes et les conditions des
accords sur l’eau, selon lesquels Singapour reverse à la
Malaisie (le gouvernement de l’Etat de Johor) 3 cents (0,03
Ringgits) pour chaque 1 000 gallons tirés des sources.
En retour, le gouvernement de Johor paie à Singapour 50
cents (0,50 Ringgits) par 1000 litres d’eau traitée. Chacun
des deux accords contient également une disposition qui
permet un ré-examen des prix de l’eau dans les 25 ans à
venir, en fonction de l’évolution des pouvoirs d’achat, des
dévaluations de la monnaie, des variations des coûts de
main d’œuvre, de l’énergie, et des matériaux utilisés. Ainsi,
toute augmentation pour une des parties se répercute par
une augmentation similaire pour l’autre partie. En juin 1988,
un mémorandum d’entente sur l’eau et de gaz a été signé
entre les Premiers ministres Lee Kuan Yew et Mahathir
Mohamad afin que Singapour puisse construire d’autres
réservoirs et qu’il puisse en extraire plus que ce qui avait
été préalablement fixé sur les 100 prochaines années.
Singapour a très rapidement été en mesure de négocier
avec la Malaisie en lui montrant que sa gestion des eaux
usées et des eaux de pluie, couplée à un encadrement
institutionnel rigoureux, créent des alternatives viables à
l’eau malaisienne (Torjada, June 2006). La désalinisation
de l’eau joue un rôle essentiel dans le processus de
sécurisation des sources d’eau. À la fin de 2005, l’usine
de dessalement Tuas a été ouverte pour un coût de 119
millions de dollars. Conçue et construite par la société
locale Hyflux, l’usine utilise le procédé d’osmose inverse
pour extraire l’eau douce de l’eau saumâtre ou salée. Le
coût de l’eau dessalée au cours de sa première année
d’exploitation est de 0.78 dollar singapourien par mètre
cube.
L’approvisionnement durable et continu en eau a donc
été un principe fondateur du jeune Etat. Depuis, l’eau
est plutôt utilisée comme facteur déterminant dans toute
L’offre est également accrue grâce à la collecte, le traitement,
et la réutilisation des eaux usées. Avec un territoire couvert à
100% par le réseau d’égouts, toutes les eaux usées du pays
sont collectées et traitées. Singapour est probablement l’un
des rares pays où l’eau est réutilisée après un traitement
ultra-sophistiqué utilisant des membranes de filtrage et
des rayons ultraviolets de désinfection. La « NEWater »
ainsi produite est ensuite principalement fournie aux clients
industriels et commerciaux qui l’utilisent dans leurs usines.
11
La « NEWater » est totalement potable et dépasse
même les critères de potabilité définis par l’Organisation
Mondiale de la Santé (WHO). Mais elle n’est pas encore
commercialisée comme eau potable principalement à
cause de la barrière psychologique des consommateurs
à boire de l’eau d’égout traitée. A ce jour, quatre usines
produisent la NEWater (Bedok, Kranji, Ulu Pandan, et
Seletar). Le prix de la NEWater pour sa première année
de distribution a été de 0.30 dollar singapourien par m3,
nettement moins que le coût de l’eau dessalée.
Sur le plan institutionnel, le Public Utilities Board (PUB) gère
actuellement tout le cycle de l’eau de Singapour, et non
seulement la gestion de l’eau potable, de l’électricité, et
du gaz comme c’était le cas avant 2001. En avril 2001,
les missions d’assainissement et de drainage ont été
transférées au PUB, ce qui a permis de développer et
de mettre en œuvre une politique globale de protection
et d’expansion des sources d’eau, de gestion des eaux
pluviales, de dessalement, de gestion de la demande, de
gestion des bassins hydrographiques, de l’externalisation
du secteur privé, ou encore des programmes de
sensibilisation du public. Le pays est aujourd’hui plein de
systèmes d’égouts spécifiques à la collecte des eaux usées
ainsi que de de canaux spécifiques à la collecte des eaux
de pluie afin de faciliter les processus d’acheminement et
de traitement des eaux à grande échelle.
Selon des spécialistes comme Long (October 2001),
la question de la sécurité en eau ne se pose plus à
Singapour. Si une coupure brusque et unilatérale venait
à être executée d’ici la fin 2010, les réserves en eau et les
centrales de traitement des eaux permettraient à Singapour
de ne pas avoir à négocier avec la Malaisie, et encore
moins d’avoir besoin de recourir à la force. Si l’on ajoute à
cela la possibilité de se référer à d’autres Etats pour l’achat
d’eau brute et le rationnement par industrie ou par habitant
qui pourrait être mis en place, Singapour pourrait déjà être
complètement débarassé de cette menace permanente
de la part de son voisin.
L’étude de cas de Singapour est importante pour l’avenir
de la gestion des eaux urbaines en Asie. Au cours des
10 dernières années, l’un des points les plus controversés
à propos de l’eau a été le rôle du secteur privé dans la
gestion de l’eau. Les débats et les sessions de discussion
ayant eu lieu aux derniers World Water Forum14 ont montré
que les avis sur cette question sont très divergents.
Indépendamment des mérites ou des inconvénients de
toute implication du secteur privé dans la gestion des
resources naturelles, il convient de noter que le secteur privé
approvisionne actuellement entre 4 et 7% (les estimations
varient beaucoup) des consommateurs urbains dans
les pays en développement. Ainsi, une question à la fois
fondamentale et urgente est de savoir comment rendre
les sociétés publiques ou para-publiques efficaces afin
qu’elles puissent apporter un service abordable, équitable,
et continu. En ce sens, le cas de Singapour est très
intéressant.
14 http://www.worldwaterforum5.org.
Spratley et Paracel, les îles et les gisements de la
discorde en mer de Chine
Les îles Spratley et Paracel sont constituées d’au moins
30 000 petites îles coralliennes inhabitées d’une superficie
totale d’environ 5 km². Elles se situent approximativement
aux deux tiers de la distance séparant le Viet Nâm des
Philippines, séparées du plateau continental de la Chine
et de Taïwan par une tranchée de 3 000 mètres vers le
Nord. Aucune terre n’y est cultivable, et aucune n’abrite
d’habitants indigènes. Et pourtant la Chine, Taïwan, et le
Viet Nâm revendiquent la zone toute entière, tandis que
les Philippines, la Malaisie, et le Brunei Darussalam en
réclament quelques parties. Tous ces pays à part le Brunei
occupent quelques uns des îlots afin d’appuyer leur droit
de souveraineté sur le territoire (Cossa, March 1998).
Le Brunei réclame le territoire car il constituerait une
extension de son littoral tout le long de son plateau
continental. La Chine affirme que le territoire était déjà
utilisé par les pêcheurs chinois pendant le règne de la
dynastie Han (206 avant JC à 220 après J.-C.) et que le
traité de 1887 avec la France divisant le Golfe de Tonkin
lui accorde toutes les îles se trouvant en mer de Chine
méridionale (South China Sea). La revendication de la
Malaisie se base sur l’étendue de son plateau continental
qui incluerait toutess les îles et tous les atolls au Sud et
à l’Est des îles Spratley. Pour les Philippines, la proximité
des îles Kalayaan à ses frontières et le fait qu’elles aient
été longtemps considérées res nullius (sans propriétaire)
légitime l’appropriation du territoire. Selon Taïwan,
l’ensemble des îles lui revient de droit naturel du fait de la
proximité historique et physique. Le Viet Nâm, quant à lui,
soutient que toutes les îles lui ont été léguées par la France
au moment de l’indépendance.
L’enjeu fondamental derrière ces contradictions semble
donc être lié à une question de souveraineté. Pour
les Philippines, cet enjeu de souveraineté prend une
dimension sécuritaire, car les îles seraient nécessaires
à la protection de ses frontières. Les tensions liées à
l’obtention de la garde de ces îles, finalement peu
utiles en soi, comportent donc d’autres motivations.
Il s’agit pour les pays d’utiliser le territoire pour
étendre leurs zones économiques exclusives (EEZ),
ce qui, en droit maritime, accorde la souveraineté en
matière d’exploration, d’exploitation, de conservation,
et de gestion des ressources naturelles, des eaux
surjacentes, des fonds marins et de leur sous-sol.
Cela revient surtout à pouvoir mener d’autres activités
tendant à l’exploitation de la zone à des fins économiques
(production d’énergie à partir de l’eau, des courants, des
vents, et de toute autre forme de matière première).
Cet espace représente un énorme potentiel en matière de
gisements de pétrole, de gaz, et de ressources minérales.
Surtout dans le cas du pétrole, les multiples revendications
sont davantage basées sur les futures découvertes plutôt
que sur les réserves réelles ou connues. Les premiers
sondages montrant que la zone pourrait être riche en
pétrole remontent à 1968, quand les autorités chinoises
estimaient leur potentiel à 17,7 milliards de tonnes de brut.
En mars 1976, la première compagnie pétrolière philippine
découvrit un gisement pétrolier au large de l’île de
Palawan (île de mer de Chine méridionale appartenant aux
Philippines), dont les champs pétrolifères fournissent 15%
12
de la consommation annuelle de pétrole aux Philippines.
Stratégiquement parlant, les îles Spratley sont également
très proches des voies maritimes les plus fréquentées au
monde. En effet, dans les années 1980 au moins 270
navires de commerce empruntaient chaque jour les mers
du Sud de la Chine. Aujourd’hui, c’est plus de la moitié
du tonnage de pétrole transporté par mer qui y transite,
chiffre en augmentation constante avec la croissance de la
consommation chinoise de pétrole. Ce trafic est ainsi trois
fois plus important que celui passant par le canal de Suez
et cinq fois plus que celui du canal de PaNâma (Cossa,
March 1998). Qui plus est, les Spratley forment une
excellente base d’observation des manœuvres de la flotte
américaine. Autrement dit, c’est pratiquement toute la
croissance économique ainsi qu’une part essentielle
de la sécurité militaire de la région qui se retrouverait
entre les mains de celle ou celui qui arrivera à mettre
les mains sur le territoire. Mais comment se saisir de ce
espace stratégique ? Et si s’en saisir est trop compliqué,
comment empêcher les autres de le faire ?
Des accrochages opposant les flottes militaires des
différents pays revendiquant les îles Spratley ont
régulièrment lieu. En 1974, une courte bataille navale
opposa la Chine au Viet Nâm du Sud, qui y perdit le
contrôle des Paracel. Cet affrontement fut motivé par
l’attribution par Saïgon d’autorisations de prospection à
des compagnies pétrolières occidentales. En 1977, les
Philippines tentèrent de s’emparer du point le plus élevé
de l’archipel des Spratley, l’île d’Itu Aba, et des groupes
d’îles tenus par Taïwan. Repoussées d’Itu Aba, les forces
armées des Philippines obtinrent néanmoins les îles aux
alentours. En 1978, la Chine reprit la plupart de ces îles
et annexa en plus six îlots dans la région contrôlée par le
Viet Nâm. En 1984, le Brunei établit une zone de pêche
exclusive incluant les récifs Louisa (occupés par la Chine),
mais ne les a jamais officiellement revendiqués. En 1988, la
Chine et le Viet Nâm s’affrontèrent pour la possession des
récifs Johnson. La marine chinoise coula les navires venus
soutenir une opération vieNâmienne de débarquement.
En 1991, la Chine et le Viet Nâm autorisent les forages
d’exploration pétrolière. Un des contrats est signé en mai
entre Crestone Energy (compagnie pétrolière américaine)
et la China National Offshore Oil Corporation (CNOOC).
Cette autorisation concernait une zone de 25,15 km²
autour des Spratley et est prolongée en 1999. Or
l’extension concernait des zones revendiquées par le Viet
Nâm et dans lesquelles PetroViet Nâm et ConocoPhilipps
Viet Nâm Exploration & Production avaient été autorisées
à prospecter en 1992. Ceci poussa à une nouvelle
confrontation diplomatique, chacune des parties exigeant
à l’autre d’annuler ses contrats. Une autre escalade est
survenue début 1995 quand les Philippines découvrent
des constructions militaires chinoises sur les récifs Mischief,
à 240 km de l’île de Palawan. Le gouvernement philippin
protesta officiellement, et la marine philippine arrêta 62
pêcheurs chinois sur le banc de Lawak. Une semaine
plus tard, le président philippin Fidel Ramos obtint, de la
part de renseignements militaires, la confirmation que les
structures chinoises étaient bien militaires, et ne servaient
pas à pêcher.
En 1996 l’ASEAN fut mandatée comme intermédiaire
entre la Chine et les pays d’Asie du Sud-est revendiquant
le territoire, ce qui aboutit à l’engagement de s’informer
mutuellement de tout mouvement militaire dans les zones
disputées et à ne pas édifier de nouvelles constructions
sur les archipels. Cet accord fut rapidement violé par la
Chine et la Malaisie : sept navires chinois jetèrent l’ancre
dans les récifs de Panganiban en invocant des réparations
à effectuer après une forte tempête, tandis que la
Malaisie dressa une structure sur Investigator Shoal et
sur le récif Rizal (située dans la EEZ des Philippine). Les
Philippines protestèrent, demandèrent le démantèlement
des structures, et augmentèrent les patrouilles navales à
Kalayaan.
Au vu du nombre des Etats concernés, de la taille des
enjeux énergétiques et financiers, et de l’asymétrie du
rapport de forces (principalement la capacité militaire de la
Chine par rapport aux autres pays), il n’est pas étonnant
que certains perçoivent les îles Spratley et Paracel comme
une zone susceptible de provoquer une guerre. La
politique chinoise des « petits pas » (annexion progressive
et discrète de petites îles), par exemple, a été interprétée
comme une provocation par la plupart des pays d’Asie
du Sud-est. Au tournant de 2000 la Chine a accéléré sa
stratégie « d’émergence pacifique » (peaceful rise15) et
se montre beaucoup moins agressive au sujet des îles
Spratley et Paracel. En 2002 elle a même été jusqu’à
conclure un accord empêchant tout différend sur ces
territoires d’être résolu par la force. La Declaration on the
Conduct of Parties in the South China Sea16, bien qu’elle
n’établisse pas de code formel de conduite, sert à encadrer
les différends en rappellant que les lois internationales en
vigueur et la coopération économique doivent orienter les
rapports des pays de la région (Swanström, 2006).
Pour qu’un mécanisme d’entente puisse réellement
émerger encore faudrait-il que l’ASEAN puisse s’exprimer
d’une seule voix. Car en plus du fait que 4 pays membres
d’ASEAN revendiquent le même territoire, l’organisme
connaît de plus en plus de divergences parmi ses
membres. Selon Swanström (2006), la période 1999-2000
marque le début d’une scission à l’intérieur de l’ASEAN.
Les condamnations d’Anwar Ibrahim en Malaisie pour
abus de pouvoir et homosexualité ont suscité des réactions
mixtes parmi les pays de la région17. La Thaïlande et les
Philippines, par exemple, ont désaprouvé les manœuvres
politiques derrière ces inculpations, ce qui est à l’encontre
de l’approche discrétionnaire et non-interventionniste
prônée par la charte ASEAN. L’Association est en effet
basée sur la reconnaissance d’intérêts économiques
communs et ne voit pas d’un bon œil l’intrusion d’un
Etat membre dans les « affaires intérieures » d’un autre.
C’est d’ailleurs cette formule qui a permis au Myanmar
de rejoindre l’organisation en 1997 sans que le régime
en place ne soit inquiété par la façon dont il gouverne.
Mais ce mode de fonctionnement constitue de plus
en plus l’une des grandes faiblesses de l’institution ; en
préférant le règlement de conflits par la voie informelle
et bilatérale, certains s’interrogent sur l’utilité réelle de
l’institution. Le manque d’engagement et de direction
15 http://www.cfr.org/publication/10446.
16 http://www.aseansec.org/13163.htm.
17
http://www.amnesty.org/en/library/asset/ASA28/015/2003/
en/4794163a-fad8-11dd-b531-99d31a1e99e4/asa280152003en.
pdf.
13
d’ASEAN mène donc certains dirigeants (Thaïlande,
Philippines) à souhaiter une ouverture progressive vers le
traitement formalisé des conflits et des différends, voire
de certaines affaires intérieures ; d’autres membres,
Singapour, Malaisie, ou Indonésie, voient de tels
changements comme une menace à l’existence même
de l’Association. Dans ce contexte de méfiance et
d’opinions divergeantes, comment s’attendre à ce que
l’ASEAN puisse servir de médiateur ou d’interlocuteur ?
La Chine, quant à elle, refuse de céder sur sa stratégie
du « triple non »: Non à l’internationalisation du conflit,
non aux négociations multilatérales, et non à la division
de ses revendications territoriales. Cette stratégie donne
à la Chine un avantage dans les négociations, car il est
très difficile de contourner ses exigences. En avril 1997
l’ASEAN et la Chine se sont pourtant rencontrés à Anhui
(Chine) pour discuter de la dispute, mais tout ce qui en est
ressorti est que la Chine a refusé un quelconque ordre du
jour officiel à part les discussions portant sur « la paix et la
stabilité régionale ». Le choix de la Chine de mener toute
discussion de façon informelle lui permet ainsi de ne pas
s’exposer à perdre la main dans un dossier sensible dont
l’issue pourrait lui coûter en termes d’influence régionale.
là un nouveau terrain de rivalité. Selon Françoise Mengin,
la présence et la convoitise de la Chine dans cette zone
délicate ne fait que compliquer les choses18. Selon elle, la
fin de la guerre froide n’a pas fondamentalement modifié
l’intérêt que le Cambodge représente pour la Chine, même
si aujourd’hui l’enjeu est différent. Au-delà des contentieux
frontaliers historiques, il s’agit bien entendu d’intérêts
économiques à défendre, mais également de limiter
l’influence américaine dans la région en s’appuyant sur des
accords privilégiés avec l’ASEAN. Pour tenter de déplacer
le centre de gravité de la région ASEAN vers ses propres
frontières méridionales, la Chine privilégie le programme
de développement de la sous-région du Grand Mékong
(GMS) dont sa province du Yunnan est partie prenante19.
Au-delà des considérations d’ordre stratégique, c’est le
territoire cambodgien lui-même qui intéresse Pékin. Le
Cambodge offre à la Chine un débouché sur le golfe de
Siam, ce qui facilite son accès aux ressources pétrolières
du Moyen-Orient et celles à venir du Cambodge. Le
Cambodge est également synonyme de forêts pour une
Chine devenue le deuxième importateur mondial de bois
derrière les Etats-Unis et qui a interdit toute exploitation
sylvicole sur son propre territoire en 1998.
C’est cette intransigeance qui a mené certains membres
de l’ASEAN, notamment les Philippines, à activement
essayer d’engager les Etats-Unis et le Japon comme
médiateurs. Mais la Chine a toujours refusé cette
possibilité, et même les pays membres de l’ASEAN sont
divisés sur la nécessité d’internationaliser la question.
De même, le recours aux Nations Unies ou à l’AsiaPacific Economic Cooperation (APEC) a été discrètement
envisagé, mais plusieurs facteurs en font une option peu
envisageable. Le droit de veto de la Chine au Conseil
de Sécurité de l’ONU l’empêche de s’immiscer dans
le conflit, et l’APEC n’a aucun pouvoir de sanction.
Les différends frontaliers entre le Cambodge et le Viet Nâm
et la Thaïlande sont d’autant plus compliqués et que les
gisements de pétrole et de gaz se trouvent dans ces zones
historiquement disputées. Avec la Thaïlande, l’origine du
conflit se situe dans le traité passé entre la France et le
Royaume de Siam (actuelle Thaïlande) en 190720. Située
dans le prolongement du bassin de Pattani en Thailande
(très productif), cette zone pourrait contenir d’importantes
réserves (11 Trillion Cubic Feet prouvés à ce jour). Le 18 juin
2001, un protocole d’accord est signé entre le Cambodge
et la Thaïlande sur la résolution du conflit et les modalités
d’exploitation d’une Zone de Développement Commun.
Même si la question des îles Spratley et Paracel semble
sans issue, une confrontation militaire régionale reste
peu probable. Bien entendu, la possibilité du recours à
la force existe, mais cela ne serait envisageable que si
une importante découverte de pétrole venait à être faite
dans la zone, ou si une pénurie extrême de ressources
énergétiques affectait l’un des pays concernés. Depuis
2008 très peu de sessions de négociation ont eu lieu sur
le sujet entre les Etats concernés, mais chacun a procédé
à formaliser ses revendications de façon plus ou moins
unilatérale ; en 2008 le Président de Taïwan a été le premier
chef d’Etat d’un des pays concernés a se rendre sur les îles
Spratley, en 2009 les Philippines ont instauré la Philippine
Baselines Law qui inclue les îles Kalayaan et Scarborough
Shoal dans le redécoupage de son territoire, et la même
année la Malaisie et le Viet Nâm ont déposé des recours
auprès de l’Assemblée Générale de la Division for Ocean
Affairs and the Law of the Sea des Nations Unies.
Depuis 2009 il semblait qu’un compromis ait été plus ou
moins trouvé, mais récemment les hostilités ont repris. En
juillet 2009 le Bangkok Post se faisait l’écho des nouvelles
dispositions de la marine thaïlandaise dans le secteur
disputé, signalant notamment l’ouverture d’une nouvelle
base d’information navale à Koh Kut. Deux annonces du
Cambodge sont venues envenimer la situation : en avril
2010, le Cambodge renforçait son armée grâce à des
fonds privés (firmes de télécommunications, fabricants
de produits pétrochimiques, des banques et même
une chaîne de télévision)21et en mai 2010 des accords
Le potentiel pétrolier dans cette zone, et son exploitation,
pose également des problèmes entre la Chine et les EtatsUnis. La récente découverte, dans les eaux cambodgiennes
du golfe de Thaïlande, de champs pétrolifères dont les
réserves sont estimées à 500 millions de barils de brut et de
gisements de gaz naturel qui pourraient se monter à cent
milliards de mètres cubes, pourrait générer un profit annuel
de deux milliards de dollars à partir de 2011. Une chance
pour le Cambodge ? La course à l’énergie dans laquelle
sont engagés les États-Unis et la Chine pourrait trouver
18 http://www.ceri-sciencespo.com/publica/etude/etude133.pdf.
19 Lancé en 1992 par la Banque Asiatique de Développement, ce
projet vise à accroître les échanges et les investissements dans les
secteurs des transports et de l’énergie entre les riverains du fleuve
(Myanmar, Thaïlande, Laos, Cambodge, VietNâm et la province
chinoise du Yunnan).
20 Entre 1893 et 1941 plusieurs incidents opposent le Royaume
de Siam et la France : une série de conflits, de défaites militaires et
de traités avec la France ont fixé la frontière actuelle de l’Est de la
Thaïlande avec le Laos et le Cambodge, alors que le Siam déclarait
contrôler ces deux territoires. Pendant la Seconde Guerre Mondiale
la France règne encore sur un vaste empire colonial, qui jouxte la
Thailande le long de sa frontière, puisque l’Indochine française
comprend le Laos, le Cambodge et le VietNâm. En 1940 la Thaïlande, soutenue par le Japon, considère que le déclenchement de la
guerre en Europe crée des conditions favorables pour récupérer
certaines provinces du Cambodge qu’elle avait perdue entre 1900
et 1907 au profit de la France.
21 http://www.bangkokpost.com/news/investigation/35589/cambodia-s-military-fired-up-by-corporate-sponsorship-deals.
14
d’exploration/exploitation pétrolières auraient été signés
entre le Cambodge et des firmes vietNâmiennes, japonaise
et françaises (PetroVietNâm, JOGMEC et Total)22, signifiant
ainsi que le Cambodge est souverain sur ces territoires et
qu’il dispose des moyens pour le défendre
Coopération énergétique régionale : projets, attentes,
et déceptions
Créée pour « accélérer la croissance économique et
promouvoir la paix et la stabilité », l’ASEAN est devenue
une composante indispensable dans la régulation des
relations entre les pays d’Asie du Sud-est. Malgré les
difficultés institutionnelles dans le domaine de la promotion
de la paix (voir ci-dessus), l’ASEAN joue son rôle d’espace
privilégié de dialogue entre partenaires économiques et
commerciaux. La zone constitue aujourd’hui un vaste
marché de plus de 560 millions de personnes possédant
un produit intérieur brut (PIB) cumulé d’environ 610 milliards
de dollars, et un total d’échanges commerciaux s’élèvant
à plus de 700 milliards de dollars. Cette réussite au niveau
économique est en partie due aux actions collectives
fondées sur le principe de consensus, principe essentiel
à la mise en œuvre des programmes de coopération
régionale. L’énergie joue depuis le début un rôle primordial
dans l’intégration économique des pays membres.
Concernant le secteur énergétique, c’est la Senior Officials
on Energy Meeting (SOME) qui est responsable de la
supervision, de la coordination, et de la mise en œuvre
des programmes de coopération d’ASEAN, tandis que la
ASEAN Ministers on Energy Meeting (AMEM) fournit le cadre
propice à l’expression de questions et de préoccupations
d’intérêt commun en matière de coopération énergétique.
La coopération pour la pleine utilisation du potentiel
énergétique de la région est illustrée par l’adoption, en
1997, du programme Vision 202023. Le programme
préconise, entre autres mesures macro-économiques,
d’établir et de développer l’interconnectibilité énergétique
dans les domaines de l’électricité, du gaz naturel, et de
l’eau à travers un ASEAN Power Grid, une Trans-ASEAN
Gas Pipeline, et une Trans-ASEAN Water Pipeline. Le
Hanoi Plan of Action24 (1998-2004) et le Vientianne Action
Programme25 (2004-2010) définissent les étapes à franchir
afin que le cadre politique et les modalités techniques
de mise en œuvre des infrastructures régionales soient
complétés.
Trans-ASEAN Pipeline Project et autres projets
régionaux
Entre 1999 et 2004 de nombreux avancements concrets
ont été faits dans les projets régionaux stipulés dans la
Vision 2020 : achèvement du masterplan sur la TransASEAN Gas Pipeline lors du ASEAN Council on Petroleum
22 http://sg.news.yahoo.com/afp/20100505/tbs-cambodia-japaneconomy-oil-e5c2383.html.
23 http://www.aseansec.org/1814.htm.
24 http://www.aseansec.org/8754.htm.
25 http://www.aseansec.org/VAP-10th%20ASEAN%20Summit.
pdf.
(ASCOPE26) d’octobre 2000. Le masterplan indiquait que
les réserves en gaz naturel des sept pays de l’ASCOPE
étaient de 175 trillion standard cubic feet (tscf) pour
les sources prouvées et de 94 tscf pour les réserves
probables. A elle seule, l’Indonésie comptait des réserves
de 90 tscf (prouvées) et de 42 tscf (probables) ; création
du Comité de Coordination pour la Trans-Borneo Power
Grid Interconnection afin d’étudier la faisabilité d’un tel
projet27 ; adoption en juillet 2002 (20ème AMEM à Bali) du
cadre politique global pour la mise en œuvre du réseau
électrique ASEAN et du gazéoduc Trans-ASEAN ; mise en
place du cadre administratif nécessaire au développement
des ASCOPE Model Gas Sales and Purchase (GSPA)
et Gas Transportation Agreement (GTA) ; élaboration de
propositions sur l’utilisation et le transfert des technologies
du charbon propre (Clean Coal Technologies) pour que
celui-ci soit utilisé à l’électrification de zones rurales et à
l’écologisation des centrales électriques au charbon ;
promotion des énergies renouvelables à travers plusieurs
projets transversaux (Joint ASEAN Minihydro Program
(JAMP), COGEN 3, Information Networking for Promotion
of Renewable Energy Sources in Southeast Asia
(PRESSEA), ASEM Green Independent Power Producers
Network (GR-IPP-Net), et ASEAN Small-Scale Renewable
Energy Program (ASREP)) ; création de partenariats de
coopération énergétique avec les principaux interlocuteurs
de l’ASEAN, à savoir l’Australie, l’Union Européenne, et le
Japon.
En 2001, la mise à jour du masterplan ASCOPE-TAGP
prévoyait la construction de 4 500 kilomètres de pipelines
principalement sous-marins, d’une valeur de 7 milliards de
dollars. Le plan comprenait sept projets d’interconnexion
de gaz: 1) Malaisie péninsulaire - Singapour, achevé
en 1991, 2) Yadana et Yetagun (Myanmar) - Ratchaburi
(Thaïlande), achevés en 1998 et 2000, 3) CamagoMalampaya (offshore au Nord-Est de Palawan) - Batangas
(Philippines), achevé en octobre 2001, 4) Natuna Ouest
(Indonésie) - Singapour, achevé en janvier 2001, 5) Natuna
Ouest (Indonésie) - Dugong (péninsule de Malaisie, achevé
en octobre 2002, 6) Sud de Sumatra - Singapour, achevé
en 2003, et 7) Malaisie-Thaïlande (Malaysia-Thailand Joint
Development Area), achevé en 2005 (ASEAN Centre for
Energy, 2003).
Plus concrètement, le plan d’action prévoit que la réalisation
du TAGP se fasse selon les étapes définies par le protocole
d’entente (Memorandum Of Understanding, MoU) signé
par les Ministres de l’Énergie des pays membres d’ASEAN
au cours de la 20ème AMEM (Bali) en juillet 2002. Le MoU sur
le TAGP soulève notamment la question des partenariats
public-privé (PPP), considérés comme essentiels au bon
déroulement du projet. Le MoU stipule également que les
pays membres peuvent lancer des études (individuelles
et / ou communes) afin de soutenir et d’encourager la
production, l’utilisation, la distribution, et les ventes de
gaz naturel entre les pays d’ASEAN. Sont également
traitées les questions relatives aux frontières et aux cadres
juridiques nationaux permettant d’optimiser la construction
et la maintenance des infrastructures nécessaires au projet
(ASEAN, June 2004).
26 http://www.ied-asean.com/upload/WO127.pdf.
27 http://www.aseanenergy.org/download/eaef/13-2002%20Summary_Reports_Web.pdf.
15
Le MoU précise en outre la marche à suivre pour réaliser
le pipeline régional:
• Examen des modes de financement disponibles
ou des arrangements relatifs au financement de
la construction, de l’exploitation, et de l’entretien
des pipelines, ainsi que la fourniture, le transport et
la distribution de gaz naturel aux pays membres.
Cela tient compte du rôle important du secteur
privé, notamment dans la fourniture de capitaux
d’investissements nécessaires.
• Détermination des spécifications techniques
appropriées telles que les normes de conception,
de construction, et d’exploitation, les consignes
d’entretien et de sécurité, et les normes répondant
aux exigences internationales de protection de
l’environnement.
• Définition des arrangements contractuels pour
le transport et la distribution de gaz naturel, y
compris l’adhésion au principe de libre accès et
l’acceptation des conduites en conformité avec les
normes internationalement adoptées par l’industrie
pétrolière et gazière.
• Sélection des mesures appropriées pour assurer la
sécurité des pipelines afin que le flux de gaz naturel
soit ininterrompu. Prévision également de cadres
de coopération en cas de graves perturbations de
l’offre, sous réserve de consultations mutuelles.
• Mise en place d’un cadre de coopération
pour atténuer les risques et les impacts
environnementaux
que
la
construction,
l’exploitation, et l’entretien des pipelines pourraient
engendrer sur les communautés concernées,
tout en reconnaissant les droits de chaque pays
membre à traiter la question conformément à ses
propres lois nationales (mesures d’indémnisation
des populations ou processus de nomination
d’inspecteurs, par exemple)
• Adoption d’un cadre administratif commun
permettant d’aboutir à des mesures facilitant la
délivrance de permis, licences, consentements, et
autres autorisations pour optimiser le transport de
gaz entre les pays.
• Mise en œuvre d’accords sur la fiscalité et les
tarifs douaniers à appliquer lors de l’importation
et l’exportation du gaz (droits de transit, taxes, ou
autres redevances imposées sur la construction,
l’entretien, et le fonctionnement des pipelines).
Étant donné l’ampleur du projet, certains acteurs se disent
prêts à poursuivre d’éventuels prolongements au-delà de
la zone ASEAN. Un pipeline reliant le Myanmar, le Laos,
ou le Viet Nâm aux provinces chinoises du Sud (Yunnan
ou Guangxi) fait par exemple déjà partie du plan d’aide
au développement du Grand Mékong (Greater Mekong
Sub Region Program28). La Thaïlande, quant à elle, a déjà
signé un accord préliminaire pour importer de l’électricité
du Yunnan, et cette coopération sous-régionale pourrait
s’étendre au gaz si le marché approprié peut être crée. Sont
également possibles des connexions avec l’Asie centrale
ou encore entre la Russie (Sibérie de l’Est et Sakhalin)
28 http://www.adb.org/GMS/.
et la Chine, la Corée du Sud, et le Japon. L’Asie du Sud
constitue également un marché particulièrement attirant,
et la possibilité d’y étendre le TAGP a déjà été soulevée au
cours du India-ASEAN Business Summit d’octobre 2002.
Or, à ce jour, de nombreux délais techniques et
diplomatiques ont empêché le projet de réellement
dépasser le stade de la planification et des accords. En
2003, les principales réalisations du programme TransASEAN Gas Pipeline étaient : l’achèvement de l’oléoduc
de 470 km de gaz reliant Grissik (Sud de Sumatra) à
Singapour ; la création du ASEAN Gas Consultative Council,
la signature des accords entre les membres du ASCOPE
pour que PETRONAS finance et gère les ASCOPE Gas
Centers ; et la préparation d’études préliminaires visant
à déterminer la viabilité financière et énergétique d’une
joint venture créée expressément pour gérer le projet et
répartir la production régionale de gaz (vente et transport).
De nouvelles connexions régionales ont également été
ajoutées au masterplan : d’Indonésie (Arun, Natuna Est
et Ouest) à la Malaisie (Kerteh) et à Singapour en 2010,
d’Indonésie (Natuna Est) à la Thaïlande (JDA-Erawan) pour
2012 et à la Malaisie (Sabah) et aux Philippines (PalawanLuzon) pour 2015, et de Malaisie-Thaïlande (JDA) au
VietNâm (Block B) pour 2016.
Le Joint ASEAN Mini-Hydro Programme (JAMP) devrait,
quant à lui, passer d’un projet bilatéral entre l’Allemagne
et l’Indonésie à un programme multilatéral qui incluerait
l’ASEAN Center for Energy (ACE) ainsi que le reste des pays
membres de l’ASEAN29. La nouvelle stratégie permettra
aux Etats participants de mettre en place le cadre de
commercialisation des technologies « mini hydropower »,
très efficaces en matière d’électrification de zones rurales
difficiles d’accès. Le gouvernement allemand s’était
engagé en 2003 à financer une partie des technologies
nécessaires et à mettre en place un cahier des charges
avant 2004. Dès décembre 2003 a été inaugurée une petite
centrale d’énergie renouvelable à Seloliman (Est de Java),
suivie d’une deuxième mini-installation à Trenggalek.
Lancé en janvier 2002, l’ASEM Green Independent Power
Producers Network30 (ASEM Gr-IPP Net) a crée sur Internet
un site Web pour les producteurs indépendants d’électricité
produite principalement à partir d’énergies renouvelables
(IPP). Il établit un lien entre les principaux acteurs du secteur
(chercheurs, industriels, décideurs, ONG) de l’Union
Européenne et d’Asie du Sud-est afin qu’ils puissent
échanger connaissances, technologies, découvertes,
et personnel qualifié. Financé par le programme INCODEV31 de la Commission Européenne, le programme
était initialement exécuté par six partenaires: L’Université
de Karlsruhe (Allemagne), la Foundation for International
Human Resources Development (Thaïlande), la Energy
Research Foundation (Pays-Bas), le ASEAN Centre for
Energy, le Risoe National Laboratory (Danemark), et le
Laboratoire d’énergie solaire de l’Université des Philippines.
En 2003 l’initiative a organisé la 3ème Workshop ASEANUE des IPP (Danemark), ce qui a permis à la seconde
phase du projet de se mettre en place en 2004. Grâce aux
nouveaux fonds de la EC-ASEAN Energy Facility (EAEF), le
réseau d’experts s’étend et le développement d’énergies
durables dans la région est de plus en plus concret.
29 http://www.aseanenergy.org/projects/agmhp/.
30 http://www.ec-asean-greenippnetwork.net.
31 http://cordis.europa.eu/inco.
16
Autre projet régional, l’Energy Supply Security Planning in
ASEAN32 (ESSPA) réunit le International Energy Economics
of Japan (IEEJ) et l’ASEAN Centre for Energy (ACE) afin
de renforcer la capacité des pays membres d’ASEAN à
sécuriser leur approvisionnement énergétique. En 2003, le
Groupe de travail ESSPA s’est réuni à Manille pour discuter
des quantités de pétrole dans la région et pour dessiner
un programme détaillé pour 2003-2006. Le programme
couvre : l’actualisation et la maintenance d’une base de
données énergétique de l’ASEAN, la publication de ces
données à intervalles réguliers, l’évaluation des chiffres
déclarés par les pays membres en termes de réserves
énergétiques (ainsi que normalisation des méthodes
d’évaluation), et la finalisation du Energy Database System
Enhancement qui permet aux spécialistes du domaine
d’accéder aux statistiques sur le secteur de l’énergie. Des
améliorations du système ont régulièrement lieu grâce
aux multiples workshops organisés par ACE (Cambodge,
Laos, Myanmar, et Viet Nâm en 2003).
Toutes ces initiatives régionales montrent comment les
Etats membres de l’ASEAN entendent répondre aux défis
énergétiques plus pressants. Renforcer les modes de
coopération inter- et extra-régionale, développer des cadres
institutionnels / juridiques / scientifiques spécifiquement
dédiés au secteur des énergies renouvelables, assurer
un approvisionnement sûr et fiable d’énergie à travers
des partenariats ciblés, et planifier l’avenir énergétique de
la région sur un pied d’égalité font partie des méthodes
visant à garantir l’avenir énergétique de la région afin
que celui-ci soit en mesure de soutenir sa croissance
économique. Mais des projets d’une telle ambition et
d’une telle ampleur semblent bien souvent en rester au
stade de projet, ralentis par d’interminables sessions de
négociation et par la création de multiples comissions,
comités, organismes, sous-secrétariats, bref, bien des
instances représentatives et diplomatiques qui drainent du
temps, des fonds, et des ressources humaines. Et si le
processus de sécurisation des ressources énergétiques
est si complexe parmi un groupement d’Etats aux intérêts
et aux méthodes a priori convergentes, que peut-il en
être lorsque ce même groupement tente d’intégrer la
participation d’interlocuteurs régionaux aussi importants
qu’incontournables (Chine, Inde, Japon) ?
La nécessaire cooptation / coopération des poids lourds
(Chine et Inde)
L’interdépendance énergétique entre la Chine et l’Asie du
Sud-est représente un enjeu plus large qu’une simple relation
commerciale. L’aspect énergétique est, selon Zhang (Spring
2007), fondamental pour la structure sécuritaire de la région
sur le long-terme. L’évolution de la Chine comme un acteur
de plus en plus incontournable face à l’ASEAN et l’importance
économique croissante d’ASEAN pour la Chine mènent les
deux parties à maintenir des relations suffisamment cordiales
pour assurer leur prospérité économique, tout en restant
fermes lorsque l’équilibre menace de se rompre. Intervient à
ce moment-là le jeu de la balance des pouvoirs, où l’Inde, le
Japon, et les Etats-Unis font savoir à la Chine qu’elle n’est
pas la seule super-puissance dans la région et que les enjeux
énergétiques ne doivent pas remettre en cause l’équilibre
stratégique qui régit les rapports économiques de la région.
32 http://www.aseanenergy.org/some-meti/index.htm.
Nous l’avons vu plus haut, l’Asie du Sud-est comprend
toutes les routes maritimes par lesquelles transitent
forcément les importations énergétiques de la Chine, du
Japon, et de la Corée du Sud, qu’elles proviennent du
Moyen-Orient, d’Afrique, ou d’Amérique latine. Au moins
une douzaine de passages stratégiques (détroits de Sunda,
de Gaspar, de Lombok, de Makassar, et de Maluku) se
trouvent dans la région, dont le détroit de Malacca et le
South China Sea sont les plus importants.
La forte concurrence entre les grandes puissances
régionales s’exprime par une course à la signature
d’accords et de traités stratégiques. La Container Security
Initiative33 (CSI) de 2002 et la Proliferation Security Initiative34
(PSI) de 2003 ont, par exemple, lancé un processus de
sécurisation du détroit de Malacca en matière de transport
d’armes de destruction massive et en termes de fixation de
régles pour des eaux considérées comme internationales.
En 2004, les Etats-Unis ont poursuivi le mouvement en
proposant la Regional Maritime Security Initiative35 (RMSI),
destinée à ce que Singapour, la Malaisie et l’Indonésie
accordent aux Marines américains le droit de patrouiller
les zones susceptibles d’être affectées par la piraterie
et le terrorisme. Fait éloquent en soi, la RMSI n’a jamais
vraiment été présentée comme un mécanisme ouvert à
la Chine ou au Japon, aggravant les tensions relatives aux
intentions américaines dans la zone.
Le Japon et l’Inde ont pris des mesures similaires afin
d’accroître leur contrôle sur le détroit de Malacca. En
2004, le Japon a présenté un mécanisme de sécurité pour
lutter contre le piratage maritime, le Regional Cooperation
Agreement on Combating Piracy and Armed Robbery
against Ships in Asia (ReCAAP36), proposition initialement
refusée par les pays d’Asie du Sud-est à cause du manque
de clareté sur les implications concrètes de l’accord sur la
présence navale japonaise dans la région. Ce n’est qu’en
2006, lorsque l’initiative fut revue sous forme de centre
de recherche et d’analyses sur les modes de sécurisation
de la région, que 15 Etats ont accepté d’y participer. La
marine indienne, quant à elle, a mis en place des bases
militaires sur les archipels d’Andaman et de Nicobar dès le
début des années 1990 et ne cesse de les renforcer37.
La Chine possède elle aussi sa stratégie de rapprochement
avec ASEAN: en 2003 le Peace, Wealth and Stability Pact
a été signé avec les Etats membres d’ASEAN pour réitérer
le fait que le développement économique de la Chine ne
constitue pas une menace pour l’Asie du Sud-est, mais
bien une opportunité. La rhétorique du « peaceful rise »
est renforcée de plusieurs initiatives économiques telles
que le China-ASEAN Free Trade Agreement38 (FTA), qui
a crée la troisième plus grande zone de libre échange
dans le monde (après NAFTA en Amérique du Nord et
l’Union Européenne). Du côté de l’énergie, la Chine investit
activement dans de nombreux projets dans les zones les
plus rurales et pauvres d’Asie du Sud-est, surtout au Nord
de la Birmanie, du Laos, et du Viet Nâm (à la frontière de
la province chinoise du Yunnan, très riche en zinc, plomb,
étain, cadmium, indium, thallium, crocidolite, fer, charbon,
cuivre, or, mercure, argent, et soufre).
33 http://www.cbp.gov/xp/cgov/trade/cargo_security/csi.
34 http://www.state.gov/t/isn/c10390.htm.
35 http://www.globalsecurity.org/military/ops/rmsi.htm.
36 http://www.recaap.org.
37 http://www.dnaindia.com/india/report_andaman-and-nicobarto-become-a-major-amphibious-warfare-base_1345123.
38 http://www.aseansec.org/16646.htm.
17
Inversement, les pays d’ASEAN reconnaissent l’importance
des grandes puissances dans le processus de croissance
économique et de sécurité énergétique. Le cadre de
travail du ASEAN+3, par exemple, a permis d’élargir les
négociations énergétiques à la Chine, au Japon, et à la
Corée du Sud. Lors du 20ème ASEAN Ministers on Energy
Meeting (AMEM) de 2002, le premier SOME+3 (Senior
Officials on Energy Meeting) a eu lieu, permettant ainsi des
déclarations conjointes sur la façon de gérer les ressources
énergétiques de la région (modes de stockage, facilitations
commerciales, réseaux de transport de gaz et de pétrole,
développement des énergies renouvelables, et politiques
d’utilisation efficace des énergies)39.
Plus particulièrement avec le Japon, déjà très présent
dans la région à travers la Japan International Cooperation
Agency (JICA), les sessions de consultation SOMEMETI40 (Ministry of Economy, Trade and Industry) ont été
formalisées afin de renforcer la coopération entre ASEAN
et Japon dans les domaines de l’énergie, de la sécurité,
de l’infrastructure de réseaux électriques, du gaz naturel,
de la conservation de ressources énergétiques, et des
énergies renouvelables. Les deux interlocuteurs ont
également développé les programmes Energy Supply
Security Planning in the ASEAN (ESSPA) et Promotion of
Energy Efficiency and Conservation41 (PROMEEC) pour
les industries. En 2002 ont eu lieu à Tokyo le Seminar
on Energy Security in Asia et le ASEAN+3 / International
Energy Agency (IEA) Joint Workshop, deux initiatives du
Ministry of Foreign Affairs du Japon. Toutes ces preuves
de rapprochement économique et énergétique furent
confirmées en décembre 2003 lorsque les chefs d’Etat
d’Asie du Sud-est et du Japon ont signé la Tokyo Declaration
for the DyNâmic and Enduring ASEAN-Japan Partnership
for the New Millennium42 qui réitérait les engagements
respectifs en matière de développement d’infrastructures
énergétiques, de centrales électriques, de réseaux de
pipelines de gaz et de pétrole, et d’investissements/
financements croisés.
and Development Centre, le ASEAN-EC Management
Centre, le European Community Investment Partner
Scheme (ECIP), et le EC-ASEAN COGEN Programme
Phase 3 (COGEN 3).
Il apparaît donc que la présence de grandes
puissances est loin d’être nouvelle dans la région.
Ce qui change, c’est l’urgence avec laquelle les
Etats cherchent à sécuriser leur approvisionnement
énergétique afin de pouvoir répondre à la demande,
et ce dans un contexte d’épuisement des ressources
énergétiques « traditionnelles ». L’accès non-restreint
aux ressources naturelles (et donc aux ressources
énergétiques) constitue un enjeu beaucoup trop
important pour que la méfiance et les divergences
d’intérêts n’entrent pas en jeu dans les rapports
qu’entretiennent les principaux acteurs économiques
de la région. Bien entendu, tous les pays de la région sont,
d’une façon ou d’une autre, liés par la culture, l’économie,
ou la sécurité, et sont donc obligés de passer par des
compromis qui permettent de trouver des solutions à la
fois pratiques et mutuellement favorables. Ainsi, le risque
d’un conflit explicite (armé) est écarté, mais rien n’empêche
les Etats de signer des accords bilatéraux et de former
des alliances stratégiques afin d’améliorer leurs chances
d’appropriation d’emplacements riches en gaz ou en
pétrole. Or, ce qu’une partie obtient, une autre le perd,
situation qui à terme aggravera les tensions et montrera les
limites du soft power, du consensus, ou des déclarations.
L’Australie manifeste elle aussi son intérêt dans la sécurité
énergétique de la région. De fait, l’ASEAN Australia
Economic Cooperation Programme (AAECP) existe depuis
1974 et lie les deux interlocuteurs en matière d’assistance
technique dans le domaine énergétique. L’un des projets
financés par AAECP, le Energy Policy and System Analysis
Project (EPSAP), permet aux décideurs d’acquérir
les connaissances techniques des diverses énergies
alternatives et l’impact de leurs politiques énergétiques.
Au niveau institutionnel, l’Australie participe à une série de
réunions consultatives : l’ASEAN Regional Forum (ARF),
l’ASEAN-Australia Forum, les Post Ministerial Conferences
(PMC) 9+1 et 9+10, la Joint Planning Committee (JPC)
Meeting, et l’ASEAN-Australia Business Council (AABC).
L’Union Européenne (UE) est une autre source importante
de financements en matière de projets énergétiques en
Asie du Sud-est43. Dès les années 1980, des programmes
tels que le ASEAN-EU Energy Management Training and
Research Center (AEEMTRC), le EC-ASEAN Energy Facility
(EAEF), le ASEAN Customs Institute For Training and
Research (ACITAR), le ASEAN Timber Industry Research
39 http://www.aseansec.org/23746.htm.
40http://www.meti.go.jp/policy/trade_policy/asean/html/aem_
meti_0409e.html.
41 http://www.aseanenergy.org/projects/promeec.
42 http://www.aseansec.org/15500.htm.
43 http://www.aseansec.org/5612.htm.
18
Conclusion générale : La délicate question du
nucléaire en Asie du Sud-est
Dès sa fondation, les pays membres de l’ASEAN se méfient
de la double nature de la technologie nucléaire. Ong Keng
Yong, Secrétaire général de l’ASEAN entre 2003 et 2007,
déclarait à ce titre: « It would be good for ASEAN members
to discuss the moves towards nuclear energy collectively
as there is a lot of uneasiness concerning its use ». Ces
inquiétudes collectives sur la prolifération militaire, sur les
mesures de sûreté des centrales, et sur le traitement des
déchets radioactifs ont été rassemblées en 1997 sous le
Traité de Bangkok déclarant l’Asie du Sud-est comme
une Nuclear Weapons-Free Zone (NWFZ). Ainsi ce n’est
pas tant la nature sensible des technologies nucléaires qui
préoccupe les Etats d’Asie du Sud-est, mais les dérives
que celle-ci peut engendrer dans une zone aux équilibres
géopolitiques fragiles.
Plusieurs projets et discours récents laissent présager du
rôle central que l’énergie nucléaire sera amenée à jouer
en Asie dans les années à venir44, alors que la tendance
mondiale est de diminuer le recours à ce type d’énergie.
Les grands pays de la région comme la Chine45 et l’Inde46
sont déjà en phase avancée du développement de l’énergie
nucléaire, particulièrement adaptée à la production massive
d’électricité, tandis que la Thaïlande, l’Indonésie, la Malaisie,
Singapour, et le Viet Nâm cherchent activement à se doter
d’experts et de techniciens pour évaluer la faisabilité de
centrales nucléaires sur leur territoire. Le contexte actuel fait
que certains pays sont plus agressifs que d’autres dans la
façon de se lancer sur cette voie, une variation directement
liée à la capacité (réelle ou perçue) de ces pays à faire
face à une éventuelle pénurie énergétique. En effet, à une
époque où le marché du pétrole est hautement instable,
où la sécurisation de l’approvisionnement énergétique
devient central à la croissance économique, et où l’accent
est mis sur la réduction des gaz à effet de serre, la voie du
nucléaire est de plus en plus répandue, même parmi les
pays qui autrefois balayaient d’emblée cette option (ADB,
June 2009).
Selon un rapport de mars 2009 de l’APEC et de l’Asia
Pacific Energy Research Centre, l’Indonésie prépare la
mise en place de sa première centrale nucléaire de 4 000
mw, la première de quatre centrales qui devront être prêtes
d’ici 2025. La péninsule de Muria sur la côte Nord de JavaCentre représente pour l’instant le site le plus à même de
recevoir un tel projet (à ce jour reporté par le Parlement
indonésien). Les études de site ont été réalisées depuis
le début des années 1980 et en 2007 le gouvernement
a créé le Nuclear Power Development Preparatory Team,
chargé de mettre en œuvre les mesures préparatoires
nécessaires. L’Indonésie a mis au point sa propre chaîne
de combustible nucléaire (indigenous nuclear fuel cycle),
même si certaines étapes en sont encore à leur phase
expérimentale en laboratoire.
4 4 h t t p : / / w w w. d e v e l o p p e m e n t - d u r a b l e . g o u v. f r / s p i p .
php?page=article&id_article=12108.
45
http://www.la-chronique-agora.com/articles/20071012-331.
html.
46
http://blog.mondediplo.net/2008-09-11-L-Inde-le-nucleaireet-les-principes-a-geometrie
L’agence nucléaire nationale, la Badan Tenaga Atom
Nasional (BATAN47) exploite actuellement quatre réacteurs
nucléaires de recherche sur quatre sites servant de nuclear
complex : Serpong, Bandung, Yogyakarta, et Pasar
Jum’at. Le pays compte en outre deux mines d’uranium
à l’Ouest du Kalimantan, le Edo-Remaja (contienant entre
5 000 et 10 000 tonnes d’uranium de à teneur 0.10-0.30),
et la Riang Tanah Merah (moins de 5 000 tonnes d’uranium
à teneur 0.30-1.00). Selon des estimations de l’ Agence
Internationale de l’Energie Atomique (AEIA), l’Indonésie
pourrait produire environ 770 tonnes d’uranium par an.
Aux Philippines, la centrale nucléaire de Bataan fut construite
en 1976 sur une faille géologique qui l’a empêchée de
servir à la production d’électricité. La construction, parmi
l’un des projets les moins réfléchis de Ferdinand Marcos, a
généré une dette colossale puisque le coût de construction
est estimé entre 1,9 et 2,3 milliards de dollars. En janvier
2008, une équipe d’experts de l’AEIA a été dépechée à
Bataan afin d’évaluer les perspectives de réhabilitation de
la centrale. Deux recommandations principales ressortent
du rapport : premièrement, avant toute prospection
économique, l’état de la centrale doit être soigneusement
évalué par des inspections techniques plus poussées et
menées par un groupe expérimenté d’experts nucléaires.
Deuxièmement, le pays devra se doter d’infrastructures
adéquates, de normes de sécurités appropriées, et de
main d’œuvre extrêmement qualifiée avant d’envisager
une reprise de son programme nucléaire.
Le rapport de l’AEIA ne précise pas si la centrale est utilisable
ou pas, ni combien coûterait sa réhabilitation totale. Mais
le fait que les Philippines importe toutes ses ressources
énergétiques suffit pour qu’un programme de recherche
conjoint entre le Department of Science and Technology
(DOST) et le Department of Energy (DOE) relance le projet
nucléaire du pays en mettant l’accent sur les initiatives de
capacity-building et de développement d’une expertise
nucléaire locale. La formation de jeunes scientifiques et
d’experts techniques requiert des programmes d’échanges
et de bourses avec les pays déjà expérimentés dans ce
domaine, ce qui induit pour les années à venir de lourds
investissements dans l’enseignement supérieur et les
cadres institutionnels48.
La Thaïlande, quant à elle, prépare le développement
de centrales nucléaires de 4 000 mw (2 000 mw en
2020 et 2 000 mw de plus en 2021) afin de réduire sa
dépendance énergétique ; environ 70% de l’électricité
thaïlandaise provient du gaz naturel, principalement
importé de Birmanie. Le plan d’action est divisé en deux
phases distinctes: la première phase, de 2007 à 2014, est
une étape préparatoire consistant à mener des études de
faisabilité, à investir dans une main d’oeuvre qualifiée, à
sélectionner les sites potentiellement appropriés, à acquérir
les technologies nécessaires, à mettre en place le cadre
juridique et normatif, et à informer le public.
La seconde phase, de 2015 à 2020, serait dédiée à
construire les centrales. A partir de 2021, les réseaux
électriques du pays pourraient commencer à être
alimentés par l’énergie nucléaire et permettraient, selon
une déclaration récente de Piyasvasti Amaranand (Ministre
de l’Energie), de répondre à une hausse des besoins en
électricité de 1,14% par an tout en préservant le climat
d’une aggravation du réchauffement. Une étude de
47 http://www.batan.go.id.
48 http://www.pnri.dost.gov.ph.
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faisabilité de l’Electricity Generating Authority of Thailand
(EGAT) a retenu cinq sites susceptibles d’accueillir le projet
de centrale : deux dans la province de Surat Thani et les
autres à Nakhon Si Thammarat, Trat, et Nakhon Sawan. qui doit être maintenu entre des pays inégalement dotés
en ressources naturelles, en superficie, en autonomie
énergétique, en capacités économiques et/ou industrielles,
et en force militaire.
Au Viet Nâm, le Premier Ministre a signé en janvier 2006 la
décision N°01/2006/QD-TTg49 relative au développement
et à l’utilisation pacifique de l’énergie nucléaire d’ici
2020. Le plan vise l’approbation en 2010 d’un plan de
financement pour la construction d’une première centrale,
plan qui devra également tenir compte de l’impact socioéconomique et des investissements en infrastructures
fonctionnelles. Le Ministry of Industry and Trade (MOIT) a
d’ores et déjà soumis une étude de pré-faisabilité d’une
centrale de 2 000 mw à Ninh Phuoc ou à Ninh Hai (deux
districts de la province de Ninh Thuan, au centre du pays),
opérationnelle courant 2020.
La Malaisie, qui dépend du gaz naturel pour générer 60%
de son électricité, se lance elle aussi dans la course à la
diversification de ses ressources énergétiques et prépare
son propre programme nucléaire civil. Selon le dirigeant
de Tenaga Nasional Bhd (TNB), le nucléaire permettra
de stabiliser le prix de l’électricité dans un contexte de
raréfaction des ressources en gaz et d’instabilité du prix
du charbon. Le gouvernement et la société nationale
d’électricité TNB visent 2025 pour la mise en service de
la première centrale nucléaire malaisienne, qui bénéficiera
du savoir-faire technique de la France et de la Corée du
Sud. Bien que plus de deux fois plus chère qu’une centrale
électrique au charbon (entre 1 et 3 milliards de dollars, une
centrale nucléaire de 1 000 mw permettrait au pays de
sécuriser ses besoins en électricité et deviendrait rentable
sur le long-terme.
Quelques éléments viennent néanmoins troubler ces
perspectives prometteuses: la méfiance du public face à la
sécurité de l’énergie nucléaire, le manque de spécialistes
abilités à utiliser les technologies de pointes spécifiques
au secteur, et le fait que, selon certains économistes, les
finances du pays ne sont pas capables de faire face aux
coûts de maintenance des centrales à court- ou à longterme. La Malaisie va prochainement prendre contact avec
l’ONU et l’AIEA pour établir un calendrier précis.
Pour des Etats ayant peu ou pas d’expérience dans
le domaine, comme c’est le cas de la plupart des pays
d’Asie du Sud-est, les nombreuses avancées en terme
de technologies de fission nucléaire et de cadre juridique
international rendent l’énergie nucléaire viable: la réduction
des coûts, l’amélioration des dispositifs de sécurité, de
meilleurs moyens de traiter les déchets toxiques, et les
engagements de non-prolifération. Mais ces arguments
ne suffisent pas à rassurer le public, et sont même réutilisés pour protester contre l’adoption de tels modèles
énergétiques; la prolifération nucléaire peut être restreinte
mais pas complètement empêchée, la gestion des
déchets est souvent opaque et polluante, les normes
de sécurité sont contournables et ne garantissent pas le
« risque zéro », et les investissements initiaux restent élevés
pour des pays où une grande partie de la population ne
possède même pas de quoi se loger décemment.
Ces contre-arguments, pas complètement faux,
compliquent et ralentissent le processus de nucléarisation
des pays d’Asie, sans parler du fragile équilibre diplomatique
49
http://www.vaec.gov.vn/Userfiles/VietNâm-Strategy-AtomicEnergyforPeace.pdf.
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