L`épanchement d`Écho - compagnie de l`Entre-Deux
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L`épanchement d`Écho - compagnie de l`Entre-Deux
L’épanchement d’Écho La Terrase – février 2007 L’Épanchement d’Écho : les corps, la musique et la danse à l’écoute l’un de l’autre Propos recueillis par Nathalie Yokel Quelques jours après ses premières répétitions, Daniel Dobbels nous reçoit dans son studio et nous dévoile ses pistes de travailpour cette nouvelle création en quatre parties (Prélude, Rescousse, L’Estran, Mes Béatitudes). Une commande de la Biennale de Danse du Val-de-Marne, une rencontre avec la musique de Gérard Pesson jouée par l’ensemble 2e2m. Comment avez-vous abordé le travail chorégraphique avec la partition de Gérard Pesson ? Daniel Dobbels : Par la thématique générale de la figure d’Écho, dans la légende d’Ovide : Echo, parce qu’elle est négligée par Narcisse, perd son corps, et ne devient qu’un corps sonore. Mais elle ne peut le faire vivre qu’au passage d’autres sons, en répétant tous les derniers bruits qu’elle entend. Cela pourrait être une métaphore sur ce qu’il en est de la danse dans la manière dont elle entend la musique : elle n’entendrait peut-être que les dernières notes, et ne pourrait que les répéter, mais sans la densité, ni la construction sonore qui pourtant vient l’effleurer. Toute la danse naît d’un certain silence. Là, on a beaucoup travaillé, à la différence de L’Insensible Déchirure1, par l’improvisation. Je me suis plus appuyé, pour certains passages, sur des états d’improvisation proposés par les danseurs eux-mêmes, sur des thématiques que je leur donne. Quelles étaient ces thématiques ? D. D. : J’ai proposé par exemple de travailler sur le sommeil, ou comment un corps ensommeillé peut être inconsciemment à l’écoute de bruits qui peuvent soit être un rêve, soit venir de l’extérieur. Est-ce un repli hors du monde, ou une autre façon d’être au monde ? On a aussi travaillé sur le son des os, ou sur l’écho de la fin d’une phrase chorégraphique d’un corps à l’autre. J’amène également un arrière-fond pictural que j’ai trouvé dans l’oeuvre de Watteau et de Nicolas Poussin. À quelques jours des premières répétitions, la structure de votre pièce semble déjà très élaborée... D. D. : La pièce commence par un temps de silence propre à la danse, traversé par une première oeuvre musicale, Rescousse. Puis vient un deuxième temps de silence, suivi des Béatitudes, dont j’espère qu’elle devrait donner lieu à une danse très jubilante, avec une accentuation du rythme, une partie très chorégraphiée pour arriver à une fête étrange. Vous parlez à ce propos d’un corps semisourd... D. D. : Un corps qui ne serait probablement pas sourd à ce qui lui arrive, mais qui, dans son écoute, entend les bruits extérieurs comme ceux de la route ou d’une composition musicale. Celle de Pesson est très élaborée et très diversifiée : ce n’est pas une mélodie qui arrive au corps, ce sont des fragments, des sonorités, des intensités, des points de rapports entre des sons, des syncopes, des silences propres à la musique. La danse entend aussi ces silences là, mais elle vient se construire sur une autre plage, comme si musique et danse étaient sur deux rives séparées. Par moment ces rives se rapprochent mais de façon plus qu’aléatoire, en tout cas éphémère. D’où le titre de la deuxième partie, qui évoque ces plages entre deux marées. D. D. : Oui, c’est « l’estran ». Il y aura donc un Prélude avec des entrées successives qui vont ouvrir l’espace à l’entrée des musiciens eux-mêmes, qui d’une certaine manière seront les échos de ce premier silence. L’Épanchement d’Écho est un projet qui évolue sur un principe : entendre la partition et voir la chorégraphie, ou entendre la musicalité du corps, et voir la gestuelle des musiciens, sans confusion. Ce n’est pas une théorie, ce n’est pas un concept, mais ce sera de l’ordre de l’intuition. On sent très bien quand tout à coup la partition chorégraphique n’est que redondance par rapport à la complexité de la partition musicale. Il faut céder l’écoute comme on cède le pas. Vous laissez une grande place aux musiciens, en tant que corps. D. D. : Bien sûr, et c’est une musique qui a déjà une gestuelle écrite par Pesson lui-même. La question est de savoir si la musique en général et celle de Pesson en particulier tolère ou ne tolère pas la présence d’une chorégraphie dans son voisinage. Ce n’est pas joué d’avance. Et notamment pour Rescousse, la deuxième … … partie : la danse, dans le prélude silencieux, appelle à la rescousse. Après, dans le travail de mitoyenneté qui va s’opérer, il est possible que l’on découvre dans la musique de Pesson un appel à un autre son que la musique est incapable de produire, qui serait un son « dansé ». Il y a un jeu de transaction, d’aller-retour, d’écho différé, qui fait que tel moment laissé en suspens dans la musique trouve une sorte de ricochet dans un travail de corps qui l’aurait entendu mais qui s’en ferait l’écho un peu après. Ce sera un travail d’écriture assez subtil, et j’ai envie que le public appréhende cela comme une sorte d’évidence. Non pas qu’il cherche comment la musique « colle » à la partition chorégraphique et réciproquement, mais plutôt cette mise en rapport de la danse avec la musique crée une sorte de 3e événement. Là où la danse ne sait plus, un son vient tout d’un coup l’aider à frayer un autre sentier qu’elle ne pouvait pas d’elle-même ouvrir. Et inversement. Ce qui relègue la danse comme la musique à deux arts qui ne peuvent pas tout, qui ne sont pas toutpuissants. D. D. : C’est le point d’accord entre mon travail et celui de Pesson, qui sont tout sauf un art de saturation. C’est un art qui sait qu’il faut produire des gestes ou des signes, et que ces signes existent momentané- ment, mais aussi pour s’effacer. Ce sont les diverses trajectoires qui vont amener à une substance. A un moment donné, elle s’évanouira d’elle-même et laissera le champ à d’autres possibilités. Michel Caserta vous qualifie de chorégraphe « de l’économie ». Est-ce que cela a à voir avec ça ? D. D. : Oui, mais comme toute économie, elle est douteuse, parce qu’il y a en apparence la lenteur du geste, mais en fait beaucoup plus de rapidité qu’on ne croit. Il y a notamment une attention particulière aux détails, comme se toucher, ou placer précisément ses membres dans l’espace, de façon très pointilleuse. D. D. : Absolument, très minutieuse, dans la mesure où je crois que la substance est faite aussi bien de petits scintillements, de légère vibrations, de gestes infimes, qui ont toujours la possibilité d’être vus de telle sorte qu’ils forment une trame beaucoup plus large où chacun peut venir déposer son propre geste, son propre regard. 1. L’Insensible Déchirure, du 2 au 6 avril au Théâtre de la Cité Internationale. Le Monde – 11 mars 2007 La danse résistante de Daniel Dobbels par Rosita Boisseau La Biennale de la danse du Val-de-Marne enclenche sa 14e édition en mode « recherche ». Une option téméraire dans un contexte plus porté aux effets mastoc qu’aux paysages sobrement dessinés. Mardi 6 mars, salle Jacques Brel, à Fontenay-sous-Bois, le chorégraphe et écrivain Daniel Dobbels a planté les balises d’un concert de danse austère et voluptueux, énigme visuelle sans cesse reconduite au gré de la partition imprévisible de Gérard Pesson. L’ensemble 2e2m et ses douze musiciens sous la direction de Philippe Legris épaule ce récit chorégraphique intitulé L’Epanchement d’Echo. L’introduction en silence et dans la pénombre de cette pièce pour sept danseurs donne un indice sur son tempérament. Trois interprètes pénètrent à pas lents puis reculent comme s’ils rembobinaient leur entrée ou butaient contre le seuil d’un espace presque intouchable. Ce battement laisse le champ libre à un geste qui n’illustre jamais platement la musique mais en offre une traduction souplement décalée. L’écriture de Dobbels se distingue par un relief net que les vêtements beige et noir des danseurs, les lumières laquées, presque dorées par instant, de Françoise Michel, soulignent. Le trait est ferme, la ligne droite, avec des accents classiques dans le vocabulaire. Une architecture comme prise d’assaut par de petits gestes parasites, mains qui grattent le visage, pieds qui se tordent. Ce frisson irrépressible rappelle que le corps existe, que parfois il démange, parfois il se tétanise. OÙ NAIT LE GESTE ? Cette danse résistante possède un charme majeur : elle s’interprète souvent les yeux fermés. Pour mieux écouter les dissociations rythmiques de la musique mais aussi percevoir le cheminement du mouvement à l’intérieur de soi jusqu’à sa libération. Où naît le geste ? Comment vient la danse et par quel biais se construitelle ? L’Epanchement d’Echo, pièce grave qui s’inspire du destin tragique de la nymphe Echo amoureuse sans espoir de Narcisse jusqu’à en mourir de chagrin, rend ces questions palpables. Parallèlement, à l’espace culturel André-Malraux du Kremlin-Bicêtre, aussi en collaboration avec l’ensemble 2e2m, la chorégraphe Mié Coquempot, tête chercheuse toujours sur le qui-vive, s’est cognée à des partitions non moins complexes pour Aléa. Dans cette série de trois pièces, la danse et la musique se toisent et s’empoignent pour un trépidant corps-à-corps. Désir d’en découdre, de crever l’abcès des habitudes pour rabouter de nouveaux circuits nerveux, la danse se gagne ici de haute lutte. Sèche comme un électrochoc, fragile mais déterminée. Danser – avril 2007 Par Ph. Verrièle Libération – vendredi 16 mars 2007 «L’Épanchement d’Echo», sur le son et le silence, est un modèle de raffinement. On ne peut rester sourd à Dobbels par Marie-Christine VERNAY La nymphe Echo ne s’entend ni avec les autres, ni avec elle-même. L’affaire de cette sourde légendaire, condamnée, après quelques malencontreuses tractations avec Zeus, à répéter les dernières syllabes d’autrui, ne pouvait qu’interpeller le chorégraphe et critique d’art Daniel Dobbels. En juin 2006, en préparant le spectacle l’Epanchement d’Echo , il notait : «Echo s’épand d’un côté, mais s’épanche, silencieusement, de l’autre, vers ce point où, comme l’écrivait Rilke, danser est peutêtre taire l’essence du cri. Elle retourne son corps absent vers ce corps que la danse sait autre depuis des temps immémoriaux et qui ne peut violer aucun secret d’existence.» Coquille ouverte. C’est exactement ce qui se passe sur scène dans la nouvelle pièce de la compagnie de l’Entre-Deux, commandée par la Biennale du Val-de-Marne et qui parle de la surdité, de la réflexion du son et du silence. L’orchestre, déjà disposé sur le plateau, forme une coquille ouverte. Les danseurs, eux aussi déjà là, se présentent sans crier gare, à trois, puis à sept. Tout bougera tout au long du spectacle. Il y aura l’une, presque soliste, et puis les autres, deux presque en duo, et puis les autres, sans que jamais le groupe ne forme la moindre entité unie, repérable et pérenne. L’Ensemble 2e2m, lui-même, ne tient pas en place. Le nombre d’interprètes varie d’une pièce à l’autre, de Rescousses à Mes béatitudes, du compositeur Gérard Pesson. La danse n’a rien à voir avec la musique, les deux étant de natures différentes ; mais ce qui les relie, c’est le partage de l’espace et le temps commun, celui du spectacle, à mesurer ou démesurer chacun à sa façon. Le tout soutenu par les lumières neutres et pourtant très éclairantes de Françoise Michel qui définissent le plateau. Parfois, la main d’un danseur paraît gratter une corde, parfois un pied de musicien émet des pas. Mais chacun reste à sa place mouvante. C’est un vrai bonheur, pour une fois que l’on ne nous simplifie pas la vie ; du moins qu’un chorégraphe de 60 ans nous la restitue dans sa naturelle complexité et dans sa part de mystère qui préserve le secret de chaque individu. Quant à la danse, elle est à la fois si douce, raffinée et déterminée, si peu conforme aux attitudes «héroïques» et conquérantes d’aujourd’hui, que le public en reste déconcerté, pour son plus grand plaisir. C’est d’autant mieux que les mouvements et les gestes intriguent. Ils sont joliment fanés, passés, ne tiennent plus. Des appuis ripent et tout s’écroule, sans drame. Il faut reprendre, se faire l’écho de ce qu’il advint. Point de vue. La compagnie de l’Entre-Deux, créée en 2000, porte bien son nom. Ce qui s’exprime entre les danseurs, entre les deux valves de l’orchestre, entre danseurs et musiciens, est plus important que fixer une forme. On respire. En invitant Daniel Dobbels pour cette commande en ouverture de la 14e Biennale du Val-deMarne, Michel Caserta, son directeur, affirme un point de vue loin des prétendues modernités et des têtes d’affiche. Il porte une attention au projet plus qu’au produit ; et tout le festival, assez éclectique, qui se déroule jusqu’au 6 avril dans une vingtaine de théâtres et structures du département, en est la confirmation. Cette édition est aussi la préfiguration du futur Centre de développement chorégraphique qui investira en 2008 la Briqueterie de Gournay à Vitry-sur-Seine, un nouvel outil de 3 000 m2 avec quatre studios, dont un studio scène. Repères, novembre 2007 Anatomie de l’envers, pour Daniel Dobbels par Gérard PESSON (...) Ce que le travail de Daniel Dobbels met en jeu est cela, au premier chef : écouter, et plus encore, faire écouter. Voir ce qui respire dans le geste arrêté par le temps échantillonné du son. (...) C’est l’infrangible étrangeté que touche de si près, et qu’atteint le plus souvent la recherche de Daniel Dobbels. (...) Dobbels travaille sur le fil. Ce fil-de-férisme est la pratique d’un danger et tout à la fois l’expression d’une grâce. Se dégage dans cette tentative le fait presque nouveau pour nous que l’écoute est aussi une attente, voire une appréhension.