Joséphine de Beauharnais à la Renommière

Transcription

Joséphine de Beauharnais à la Renommière
Joséphine de Beauharnais à la Renommière
Dans le parc romantique au fond duquel j'écris ces lignes, j'écoute les accents d'un passé qui
chante, mélancolique, en ma mémoire. Assis sur le banc de pierre où, en 1788, venait se reposer Jo séphine de Beauharnais, j'évoque une figure qui, pour des raisons très personnelles, me fut particulièrement chère celle de la baronne Hüe, née de Mazenod, laquelle mourut fort âgée en 1893.
N'était-ce pas hier ? J'entends encore si bien sa voix quand, au cours de ma prime jeunesse, elle, me
contait de très vieilles histoires que déjà je notais avec ferveur.
– Lorsque Mme de Beauharnais, disait-elle, vint habiter Fontainebleau, après avoir été séparée
de son premier mari, elle fut très accueillie dans le monde de la capitainerie des chasses du Roi. Elle
se lia d'amitié avec mon beau-père François Hüe, greffier de cette capitainerie, devenu plus tard le
fidèle serviteur de Louis XVI au Temple. Son fils mon mari qui fut officier à quinze ans en émigration, était né en 1785. Coïncidence curieuse compagnon de jeux du pauvre « Louis XVII », son
contemporain, il fut aussi celui d'Hortense de Beauharnais, de deux ans moins âgée que lui. Ces enfants se tutoyaient et, plus tard, la comtesse de Saint-Leu rappelait volontiers les visites avec le petit
André Hüe faites sous l'aile de sa mère à mon grand-père le colonel de La Renommière, lieutenant
de la capitainerie des chasses.
Le parc de la Renommière, dessiné par Lenôtre (j'entends bien qu'on met à l'actif du malheureux
Lenôtre tous les beaux parcs à la française, mais, en l'occurrence, la baronne Hüe ne se trompait
point). le parc de la Renommière est situé à quatre lieues de Fontainebleau, en tirant sur Milly. Dans
la résidence de mon grand-père, ajoutait la baronne Hüe, Joséphine pouvait rencontrer toute la société royaliste de la région M. de Montmorin, qui fut massacré plus tard, les d'Argouges, le président de Nicolay, les du Lau, M. de Malesherbes. (Il me souvient du ton attristé sur lequel la, baronne Hüe ajoutait, tout comme si elle eût parlé d'un contemporain; M. de Malesherbes, disait ma
mère, était un fort digne ami, mais un peu philosophe.)
Les mauvais jours arrivèrent. Mes grands-parents La Renommière, ma mère alors jeune fille,
l'abbé Hüe, plus tard chapelain du Roi, qui devint mon oncle, furent incarcérés à Fontainebleau. Tu
ne saurais croire, disait-elle encore, combien Joséphine fut bonne Elle les fit tirer de leurs cachots.
Elle fit mieux encore lorsque mon beau-père eut quitté le Temple, il fut traîné de prisons en prisons.
Il disait toujours « Si j'ai échappé dix-neuf fois à la mort, ce fut bien souvent par la mystérieuse influence de Joséphine et de Tallien. » Enfin, avec ma belle-mère, lectrice de Madame, il suivit « le
Roi » (le comte de Provence) sur toutes les routes de l'exil et continua de correspondre avec Madame Bonaparte. Comme on en prenait ombrage dans la petite cour de Milau, il fut trouver Sa Majesté et lui montra cette correspondance. Le Roi parut enchanté. « Lorsqu'on reçoit des lettres
comme celles-ci, dit-il, on les conserve. et on leur répond. »
Voici ce que lui avait transmis la tradition verbale. Plus tard, les documents d'archives y ajoutèrent de savoureux détails :
En 1799, de comte de Provence s'ouvrit à Mme François Hüe au sujet de négociations possibles
avec Bonaparte, auquel on espérait faire jouer le rôle de Monk. «Il est fier, ombrageux, répondit,
Mme Hüe. Mais sur l'oreiller il consent parfois à laisser sa femme lui parler d'affaires. J'essayerai de
son pouvoir. »
Ici entre en scène un nouveau personnage. C'est M. Brion, un vieux et fin parlementaire, oncle de
Mme François Hüe. (Pourquoi faut-il qu'il me semble avoir connu M. Brion, né en 1735 ? C'est
parce qu'il ne mourut qu'en 1835 et que la baronne Hüe l'évoquait en termes si vifs que je la sens
derrière moi dictant ces lignes.) M. Brion, dis-je, était un aimable célibataire. A Fontainebleau il
avait pris en pitié la jeune créole délaissée et il lui adressait des vers lorsque héraldiste fervent il ne
lui contait pas sur les origines des Tascher de belles histoires que sans doute Joséphine n'écoutait
point. Mme Hüe écrivait secrètement de Mitau à son oncle le 19 juillet 1799 « Veuillez faire passer
cette lettre à notre belle et bonne amie. Il ne s'agit pas, cette fois, de lui faire des chansons ou des
bouts rimés mais de la bonne prose, de celle qui pourra surtout la convaincre de la vérité. » Et dans
la lettre pour Madame Bonaparte chargée de baisers « pour Eugène et de vœux « pour son cher
mari » elle ajoutait discrètement « Celui qui vous remettra cette lettre a le secret de mon cœur. Vous
pouvez par lui seul alimenter ou détruire mon espoir » Suivait un Mémoire dicté par le comte de
Provence, assurant à Bonaparte, en termes nobles et dignes, que la lieutenance générale du
Royaume serait en tous points son affaire.
C'était bien là le rêve de Joséphine mais la conjuration du 3 nivôse ayant ruiné le crédit des royalistes et diminué le sien propre, cette négociation en resta là. et puis sonna l'heure de Brumaire.
Les familles dont je parle ici n'ont jamais oublié ces jolies pages de fidélité dans le souvenir qui
font honneur à Joséphine. Et ces jolies pages je les relis en ce moment à la Renommière. Il a bien
changé le vieux parc, la majesté française y a fait place à la grâce anglaise mais certains vestiges demeurent là pour rappeler l'image de Joséphine. Ici c'est dans le silence des bois, le grand canal aux
eaux mortes aux bords duquel elle cheminait là c'est le cadran solaire qu'elle consultait avant que M.
de la Renommière la reconduisit à Fontainebleau dans « son carrosse à quatre chevaux blancs ». Et
là encore je perçois l'écho des jeunes rires d'Honoré Hüe et d'Hortense de Beauharnais lorsqu'ils
jouaient à cache-cache, comme l'assure la tradition, entre les buis et ces grès sur lesquels descend
aujourd'hui l'ombre du soir.
André de Maricourt