Westgate Shopping Mall à Nairobi, Kenya : une

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Westgate Shopping Mall à Nairobi, Kenya : une
attaque contre un lieu emblématique d’une
Afrique mondialisée
dimanche 6 octobre 2013, par Catherine FOURNET-GUERIN
L'auteur :
Maître de conférences en géographie, habilitée à diriger des recherches,
Université de Reims Champagne-Ardenne. Docteur et agrégée de géographie,
ancienne élève de l’Ecole normale supérieure de la rue d’Ulm.
Retrouvez l'article à cette adresse :
http://www.diploweb.com/Westgate-Shopping-Mall-a-Nairobi.html
Géopolitique de l’Afrique mondialisée. L’attaque du 21 au 24 septembre
2013 n’est pas seulement à interpréter à l’échelle régionale, comme la
seule conséquence d’un conflit armé proche. Elle souligne aussi la place
de Nairobi dans la mondialisation et la possibilité de la considérer comme
une ville mondiale.
L’ATTAQUE meurtrière suivie d’une longue prise d’otages par un commando
somalien dans le centre commercial de Westgate (Westgate Shopping Mall) à
Nairobi, la capitale du Kenya, du 21 au 24 septembre 2013 (plusieurs dizaines de
morts par arme à feu, plusieurs centaines de blessés), a suscité nombre
d’analyses consacrées à la dimension géopolitique de l’événement : inscription
dans le cadre d’actes relevant de réseaux terroristes internationaux, en
l’occurrence les Chabab, groupe armé somalien qui a revendiqué l’attaque,
impact du conflit somalien sur le voisin kenyan, partie prenante sur le terrain en
raison de sa participation militaire à la force d’intervention de l’Union africaine,
migrations forcées de population. Les analystes ont également rappelé les
événements antérieurs, dont l’attentat contre l’ambassade américaine au Kenya
en 1998, qui apparut après le 11 septembre 2001 comme un acte annonciateur du
développement du terrorisme islamiste international, ou, plus récemment, les
nombreux attentats ciblés perpétrés à Nairobi (dans les transports en commun,
en boîtes de nuit).
En revanche, beaucoup plus rares ont été les analyses ciblées sur le lieu en
lui-même, le centre commercial. Or, ce lieu, comme sa clientèle, est
révélateur de tendances caractéristiques de l’Afrique urbaine
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contemporaine. Westgate constitue en effet l’emblème parfait de
l’insertion de l’Afrique dans la mondialisation, de l’émergence d’une
Afrique mondialisée.
Le centre commercial, un haut lieu de la sociabilité et de la
modernité urbaines
Le centre commercial, le mall en anglais, c’est tout d’abord un vrai lieu de
sociabilité dans une grande ville comme Nairobi qui compte quelque trois millions
d’habitants. On y vient pour flâner, pour y faire des courses, pour se promener en
famille ou entre amis, pour y fixer un rendez-vous d’affaires dans l’un des cafés ou
restaurants. Ceux-ci proposent des mets reflétant des cuisines du monde
entier, qu’il s’agisse de chaînes internationales ou d’établissements locaux.
Récent et de grande taille (plusieurs étages), le mall de Westgate comportait en
outre des cinémas et un hypermarché kenyan (Nakumatt). Ainsi, les malls
d’Afrique, tout particulièrement des pays les plus développés d’Afrique, comme le
Kenya, ressemblent en tous points à ceux d’Europe ou d’Amérique du Nord. Et
comme partout dans le monde, on s’y presse le samedi.
Récents dans les métropoles africaines, ils constituent pour les citadins africains
un symbole de l’accession à la société de consommation et incarnent leur
désir de participer à la vie du monde. Ceux-ci, loin d’en être à la marge
comme on le lit trop souvent, sont en réalité des consommateurs avides de
nouveautés, très au courant des modes internationales. C’est pourquoi, partout en
Afrique, ces lieux, que l’on peut qualifier de « génériques », dans la mesure où
ils sont identiques de par le monde, où que l’on se trouve, sont en fait pleinement
intégrés à la vie quotidienne des habitants. On peut citer celui de Port Louis à
Maurice, le Caudan Waterfront, le Victoria and Alfred Waterfront au Cap en
Afrique du Sud ou encore l’Afra Mall à Khartoum au Soudan. Créés pour la
plupart dans les années 2000 (2007 pour Westgate), ces centres
commerciaux font désormais partie de la sociabilité locale, « pour tous »
[ 1 ]. En effet, si la presse internationale a souvent repris l’idée d’un centre
fréquenté par les élites locales et par les expatriés, sa clientèle est plus large
socialement. Ces lieux attirent non seulement les citadins les plus aisés, mais
aussi des gens des classes moyennes, voire, fréquemment, des voisins modestes
qui n’y effectuent pas d’achat mais qui s’y promènent. L’existence et le succès de
lieux tels le Westgate shopping mall traduisent l’émergence des classes
moyennes dans toute l’Afrique. Même s’il est difficile des les mesurer, il est
possible de considérer que quelque deux cents millions d’Africains (sur un
milliard) en font désormais partie, ce qui est considérable [2]. Il demeure
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que les images reprises par les télévisions et les médias en ligne du monde entier
renvoient l’image d’un lieu huppé, très moderne et standardisé.
Lieux génériques, certes, mais néanmoins lieux sécurisés. Comme ailleurs dans
les pays en développement caractérisés par une criminalité élevée (Amérique du
Sud, Afrique du Sud par exemple), elle-même corrélée à un niveau élevé des
inégalités sociales, Westgate est d’accès filtré et contrôlé : ouverture des
coffres des véhicules, détecteurs à l’entrée du centre, présence de gardiens
visuellement appuyée, etc.
Le marqueur d’une Afrique urbaine cosmopolite
A travers les victimes évoquées dans les médias, on peut également analyser la
diversité de la population qui fréquente les centres commerciaux. L’attaque de
Westgate a révélé aux yeux du monde à quel point l’Afrique des villes était
cosmopolite, ouverte sur la circulation internationale d’individus et inscrite
dans la mondialisation migratoire.
A l’échelle locale tout d’abord, nombre de citadins présents ce samedi étaient des
Indiens du Kenya [3], nombreux dans ce quartier périphérique de Westlands,
situé au nord-ouest de l’agglomération. Il s’agit d’une population importante
numériquement qui représente une minorité active et installée de longue date
dans le pays [4]. Comme dans le reste de l’Afrique orientale ou indo-océanique,
ces originaires du monde indien sont musulmans ou hindous. Ils sont pleinement
insérés dans la vie urbaine, même s’ils font l’objet d’une certaine stigmatisation
en raison de leurs pratiques endogames (matrimoniales, de loisirs, d’éducation,
etc.) et de la prospérité d’une partie d’entre eux. Ils constituent en effet une
partie importante des élites économiques du pays.
A l’échelle du continent africain, plusieurs ressortissants d’autres pays d’Afrique
figurent parmi la liste des victimes (un célèbre diplomate et poète ghanéen, Kofi
Awoonor, un Sud-africain, sans oublier des Somaliens, nombreux à vivre au
Kenya). Enfin, le monde dans sa diversité semblait représenté dans ce centre
commercial en ce début de samedi après-midi : Péruviens, Canadiens,
Britanniques, Indiens (d’Inde), Chinois, Sud-coréens, Français,
Néerlandais, et même un ressortissant originaire de Trinité et Tobago, pour les
personnes décédées recensées. Il est probable que d’autres nationalités étaient
représentées, sans que les personnes aient été blessées ou tuées. Cette liste
révèle de manière éclatante à quel point les villes d’Afrique, sont, tout comme
leurs homologues dans le reste monde, cosmopolites, ouvertes à des
circulations multiples et à des influences variées. Les étrangers présents
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exerçaient dans le système ONU (Unicef, mission militaire en Somalie), dans le
secteur des ONG, dans le négoce ou plus largement les affaires, ou encore dans
l’immobilier. Cette liste rappelle également que Nairobi est l’un des hubs
aériens du continent, à la fois à l’intérieur de celui-ci et dans ses liens avec
l’extérieur.
La ville et la violence
Une fois de plus, il est possible de lire la ville africaine à travers le prisme
de la violence. L’attaque de Westgate en constitue un symbole évident. Dans
cette même région d’Afrique orientale, d’autres attaques ont visé des lieux de
sociabilité. Ce fut le cas à Kampala, capitale de l’Ouganda, en juillet 2010. Des
kamikazes y ont fait exploser leurs bombes au milieu d’un groupe attablé dans un
bar alors que les clients visionnaient un match de la coupe du monde de football.
Mais il est aussi possible de discerner à travers ces événements violents une
normalisation des villes africaines, qui rejoignent ainsi paradoxalement le sort des
autres villes du monde. Elles sont des lieux de plaisir, de loisirs, de rêve, de
flânerie, de consommation, et, c’est précisément pour ces raisons qu’elles
sont la cible d’attentats. C’est ainsi que des villes comme Londres, Paris (dans
les années 1980), New York, Casablanca ou Moscou ont été le lieu de telles
attaques, qui se veulent symboliques. Le géographe Jacques Lévy parle de «
crimes contre l’urbanité ». En un sens, c’est bien ce qui s’est produit à Nairobi,
tant la volonté de frapper un lieu emblématique de la modernité
internationale et du cosmopolitisme était claire.
Ainsi, cet événement tragique n’est pas seulement à interpréter à l’échelle
régionale, comme étant la seule conséquence d’un conflit armé proche,
contrairement à l’analyse qui a largement été mise en avant par les médias du
monde entier. Au-delà, il souligne en effet la place de Nairobi dans la
mondialisation, et, par là, la possibilité de la considérer comme une ville
mondiale.
Copyright Octobre 2013- Fournet-Guérin/Diploweb.com
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Notes
[1] Selon la belle expression de M. Houssay-Holzschuch et A. Teppo dans leur
article : « A mall for all ? Race and Public Space in Post-Apartheid Cap Town »,
2009, Cultural Geographies, vol. 16, n° 3, p. 351-379.
[2] Darbon D., « Classe(s) moyenne(s) : une revue de la littérature. Un concept
utile pour suivre les dynamiques de l’Afrique », Afrique contemporaine, 2012/4,
n° 244, p. 33-51.
[3] La presse rapporte que plus d’un tiers des morts étaient d’origine indienne
(Le Monde.fr, 28 septembre 2013).
[4] Livre de référence sur la question : Adam M. (dir.), 2009, L’Afrique
indienne. Les minorités d’origine indo-pakistanaise en Afrique orientale, Paris,
IFRA-Karthala.
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