Banque de l`Indochine (1966

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Banque de l`Indochine (1966
Mise en ligne : 19 janvier 2014.
Dernière modification : 10 juillet 2016.
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BANQUE DE I'INDOCHINE (1966-1972)
Épisode précédent :
Banque de l’Indochine (1945-1966)
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1958 : participation dans les Laboratoires Roger-Bellon.
1966 : Outu Maoro (palace)*.
Participation dans Eurafrep cédée à Lazard.
1967 : Empain* par Électrorail, etc. > 11% Banque de l’Indochine. Perte privilège
d’émission en Nouvelle-Calédonie.
1972 : contrôle Cusenier > CDC, racheté par Pernod-Ricard.
1972 : Suez prend le contrôle de la Banque de l’Indochine à l’issue d’une bataille
avec la Paternelle qui fusionnera deux ans plus tard avec la Cie du Midi.
——————————
Marc Meuleau,
Des pionniers en Extrême-Orient
Histoire de la Banque de l’Indochine
Fayard, 1990
[540] A compter de 1965, la consolidation de son actionnariat devient la principale
préoccupation de François de Flers.
Les circonstances offrent à l'état-major de la Banque une occasion aussi inattendue
qu'inespérée. Depuis la mort de Charles Schneider en 1960, la dynastie qui a édifié un
des plus grands groupes métallurgistes d'Europe ne compte plus dans ses rangs
d'héritier capable de reprendre le flambeau. Le baron Édouard Empain*, président du
groupe belge Empain*, le concurrent direct des établissements Schneider, profite des
dissensions au sein de l'actionnariat familial pour racheter 7 % du capital [541] en 1966
[sic : 8 % dès 1963, puis + 25 par la suite]. L'émoi est vif dans l'establishment industriel
comme au sein du gouvernement français. Le général de Gaulle s'oppose à ce qu'un
des joyaux de l'industrie française tombe en des mains étrangères quelques mois après
que Simca [vendu par FIAT !] a été racheté par l'américain Chrysler. Pressentie pour
jouer un rôle de médiatrice entre les deux parties au début de 1966, la Banque de
l'Indochine vient, avec l'accord du baron Empain* et la bénédiction de l'État français,
contrebalancer l'influence acquise par le groupe belge. Pour François de Flers, le
bénéfice est double : il arrime la Banque à deux groupes puissants, stabilisant son
actionnariat ; il entre dans le capital de deux complexes industriels de plusieurs dizaines
de milliers d'employés, l'accord prévoyant qu'en échange de 11 % du capital de la
Banque de l'Indochine, remis au groupe Empain*, celle-ci devient le deuxième
actionnaire des établissements Schneider après le groupe Empam, le deuxième
actionnaire de la Banque de l’Union européenne industrielle et financière [sic : la BUE,
filiale de l’UEIF], la banque du groupe Schneider, avec 10 % des titres, et prend
également 7 % d'Électrorail, le holding belge du groupe Empain*1 .
Jean-Louis BEAUCARNOT, Les Schneider, une dynastie, Paris, Hachette, 1986, pp. 241-243 ; PV, 30
mars 1966 et 28 septembre 1966, AGO, 25 mai 1966.
1
Au lendemain de la signature de l'accord, François de Flers énumère devant ses
actionnaires tous les avantages que la Banque de l'Indochine est en droit d'escompter :
« des certitudes de développement de notre clientèle industrielle, encore trop limitée en
dépit de nos efforts de reconversion depuis de nombreuses années », et l'établissement
d'« une coopération des plus étroites entre la Banque et l'Union européenne, en même
temps qu'entre des filiales diverses dont les activités sont plus ou moins semblables ou
voisines ». Mais il faut peu de temps aux dirigeants de la Banque de l'Indochine pour
déchanter. Leurs affaires avec Schneider comme avec le groupe Empain* ne
progressent que faiblement, sans commune mesure avec leur position dans le capital
des deux groupes. La Banque de l'Union européenne suffit aux besoins de Schneider et
n'entend pas céder la place. La société belge refuse de rompre avec ses banquiers
traditionnels. Plus grave, à cette déception bancaire s'ajoute une inquiétude pour
l'indépendance de la Banque de l'Indochine. Le baron Empain* a une interprétation
extensive du protocole signé le 19 avril 1966 entre la Banque, les établissements
Schneider et Électrorail, alors que celle du marquis de Flers est beaucoup plus limitative.
L'impétueux baron belge considère qu'un véritable rapprochement entre les trois
groupes doit en découler, avec concertation sur les objectifs stratégiques et « création
d'organes communs de gestion dans les secteurs industriels, commercial et bancaire »
pour instaurer entre les trois sociétés une « étroite collaboration ». Flers, outre la
satisfaction d'avoir répondu aux volontés du gouvernement français, voit dans l'accord
un partenariat qui respecte l'autonomie de chacun. Les exigences d'Édouard Empain*
lui paraissent très vite n'avoir pour véritable objectif que d'attirer la Banque de
l'Indochine dans son orbite, et de l'intégrer à un ensemble dont lui- seul aurait la
maîtrise2 .
[542] L'historien Hubert Bonin, qui a travaillé sur les archives de la Compagnie
financière de Suez, mentionne que François de Flers vient solliciter à la fin de l'année
1966 Jacques Georges-Picot, pour lui demander d’organiser une participation croisée
entre la Banque et la Compagnie. Bien que les archives de la Banque contiennent des
affirmations contraires de la part de Flers, assurant que le rapprochement des deux
maisons est envisagé depuis plusieurs années, il est plus que vraisemblable que ce soit
un appel au secours que le président de la Banque de l'Indochine est venu lancer auprès
de son homologue de la Compagnie. Fin 1966, la crainte de Flers est moins celle d'une
acquisition hostile — les OPA, offres publiques d'achat, ne sont pas encore une
pratique courante — que de devoir faire face à un bloc d'actionnaires regroupés autour
du baron Empain*, désormais membre du conseil d'administration de la Banque. Dans
une société où l'actionnariat est très dispersé, le baron Empain*, même sans avoir la
majorité des voix, serait en position de gêner considérablement les dirigeants de la
Banque et ferait planer en permanence la menace d'une déstabilisation de l'état-major
en place. Et aucun accord, aucune convention ne lie la Banque de Paris et des Pays-Bas,
Lazard ou le groupe Rivaud à la Banque de l'Indochine3 . Aussi le choix de nouveaux
alliés avec lesquels la Banque établirait des relations privilégiées semble-t-il la meilleure
solution à François de Flers pour contrecarrer les ambitions d'un partenaire devenu par
trop encombrant.
La Banque de l'Indochine et la Compagnie financière de Suez ont déjà eu l'occasion
d'être en relation d'affaires. Émile Minost, directeur général du Crédit foncier égyptien
avant d'être nommé président de la Banque, est membre du conseil de la Compagnie
après 1945. Les deux sociétés se retrouvent dans le capital des Phosphates de l'Océanie,
de la Compagnie générale de financement immobilier et de la French American Banking
Corporation*, assistent concurremment Jack Francès à ses débuts en apportant des
fonds aux multiples sociétés de crédit à la consommation que ce dernier crée autour de
la Banque générale industrielle-La Hénin. Les affaires communes permettent aux deux
Entretien avec MM. Flers et Maxime-Robert, 18 décembre 1985 et 7 mars 1986 ; déclaration du baron
Empain* au conseil de la Banque de l'Indochine du 17 janvier 1967 ; AGO, 25 mai 1966.
3
Hubert BONIN, Suez, du canal à la finance, p. 368 ; PV, 21 décembre 1966 et 17 janvier 1967.
2
états-majors de s'apprécier et d'établir un climat de confiance. Fin 1964 ou début 1965,
la Compagnie approche la Banque pour lui demander son concours au cas où le
gouvernement britannique se déciderait à mettre en vente sa participation —
considérable — dans le capital de la Compagnie et obtient une réponse positive. Deux
ans plus tard, c'est au tour de la Banque de l'Indochine de venir solliciter l'aide de la
Compagnie. François de Flers choisit de se tourner précisément vers elle parce qu'elle a
montré vis-à-vis de Pont-à-Mousson et de la Lyonnaise des eaux que sa position
d'actionnaire de référence ne la conduit pas à s'immiscer dans leur stratégie et leur
gestion. De fait, sous l'impulsion de Jacques Georges-Picot, la Compagnie a pour
politique d'être un partenaire présent mais discret, non un centre de décision venant se
superposer [543] aux directions des entreprises — une orientation qui répond
parfaitement aux vœux de la Banque. En janvier 1967, la Compagnie [de Suez] reçoit
7 % du capıtal de la Banque de l'Indochine, autant que le groupe Empain*, en échange
de 4,5 % du capital de la Compagnie [Dans une première étape, la Banque de
l'Indochine reçoit 10 % des actions de la Banque de l'Union parisienne, peu avant son
absorption par la Compagnie. Dès la fusion réalisée, la Banque échange ses actions
Union parisienne contre des actions Suez]. L'échange de deux administrateurs, GeorgesPicot entrant à la Banque et de Flers à la Compagnie, vient sceller l'alliance et
contrebalancer la voix du baron Empain* — lequel fait d'ailleurs savoir sa
désapprobation sur l'entrée de la Compagnie financière de Suez dans le capital de la
Banque4 .
François de Flers achève de conforter son actionnariat avec l'aide de la compagnie
d'assurances La Paternelle. Le président de la Banque de l'Indochine et celui de La
Paternelle, André Burlot, se connaissent depuis fort longtemps — depuis qu'en 1937
Flers, alors directeur de la Banque, est coopté comme administrateur de La Paternelle à
titre personnel (il en est un des principaux actionnaires). Flers conseille Burlot sur ses
placements financiers et boursiers — domaine dans lequel il est passé maître — et
convainc ce dernier de se porter davantage vers les titres à revenu variable et
l'investissement immobilier. Les heureux résultats obtenus grâce aux avis reçus
resserrent les liens entre les deux hommes, qui en viennent à une intime coopération
pendant plus de vingt ans, sans cependant que leur entente personnelle n'aboutisse à
un rapprochement des affaires de leurs deux sociétés5 . En 1966, dix ans après que La
Paternelle s'est scindée en un holding de tête, La Paternelle SA, détenant les
participations hors assurances du groupe, et deux compagnies d'assurances proprement
dites, La Paternelle-Risques divers et La Paternelle-Vie, André Burlot ressent la même
inquiétude que François de Flers sur l'indépendance de sa société. Le capital de La
Paternelle SA est très dispersé et susceptible d'éveiller les convoitises. La similitude des
situations amène les deux présidents à concevoir un rapprochement de leurs sociétés
pour s'apporter un mutuel appui. A l'occasion de l'échange de participations entre la
Banque et les groupes Schneider et Empain*, La Paternelle SA remet 11 % de ses titres
et 20 % des actions de La Paternelle-Risques divers à la Banque, recevant 4 % du
capital de cette dernière ainsi qu'un important volume d'actions Crédit foncier et
Ciments français. A considérer les parts de capital échangées, et malgré l'entrée
d'André Burlot au conseil de la Banque, il semble bien que La Paternelle soit désormais
dans la mouvance de l'établissement présidé par Flers, ce qui amène celui-ci à pousser
un véritable cri de triomphe en définissant l'opération comme « l'inclusion dans notre
constellation d'un grand complexe d'assurances qui, par nature, est un investisseur
institutionnel et présente un intérêt évident pour un établissement comme le nôtre6 ».
[544] La Paternelle parvient très rapidement à rétablir l'équilibre. Sous la direction
Hubert Bonin, Indosuez... p. 45 ; PV, 17 janvier 1967.
« Historique des relations entre la Banque de l'Indochine et le groupe La Paternelle », étude
dactylographiée, 1972, archives de la Banque Indosuez.
6
Hubert BONIN, Indosuez ; PV, 28 septembre 1966, 7 novembre 1969 ; AGO, 25 mai 1966 ; AGE, 20
janvier 1970.
4
5
énergique de son nouveau directeur général, Bernard Pagezy, qui lui donne un second
souffle, La Paternelle absorbe en 1967 La Prévoyance, une autre compagnie
d’assurances, et crée un holding, les Assurances du groupe de Paris [AGP], qui reçoit
toutes les activités assurances du nouveau groupe, La Paternelle et La Prévoyance
confondues. La constitution d'un autocontrôle entre La Paternelle SA et le holding
Assurances du groupe de Paris [AGP], chacun détenant un tiers des actions de l'autre,
affaiblit la position de la Banque en ce qu'elle n'est plus l'actionnaire principal de La
Paternelle SA. Les relations n'en demeurent pas moins confiantes et, en novembre
1969, devant le ramassage en Bourse du titre de la Banque par des assaillants inconnus
— le cours de l'action gagne 34 % en quelques séances (le nom des Rothschild fut alors
cité à plusieurs reprises sans que le plus petit commencement de preuve vienne
confirmer la rumeur) —, Flers et Burlot conviennent d'un plan de défense. La Banque de
l'Indochine augmente son capital, qui passe de 367.125.000 francs à 448 millions de
francs, et remet les actions nouvellement créées au groupe La Paternelle en
rémunération d’apports sous forme de titres de participation. À l'issue de l'opération, la
compagnie d'assurances ne détient pas moins de 22 % des actions de la Banque de
l'Indochine, et devient de très loin son premier actionnaire. En juin-juillet 1970, la
Banque porte à son tour sa participation dans le capita! de La Paternelle à 16 %,
rétablissant une sorte de parité, gage que l’assistance et les appuis mutuels que les deux
groupes se sont apportés demeureront dans l'avenir7 .
Alors que commencent les années 1970, les dirigeants de la Banque se sentent
rassérénés. Ils sont parvenus à stabiliser leur actionnariat et à trouver des alliés qui
garantissent l'indépendance de leur établissement. Une décennie s'ouvre où il va leur
être loisible de poursuivre l'œuvre entreprise, d'amplifier les succès remportés, de
développer la clientèle métropolitaine et le portefeuille des participations avec la
collaboration de deux grands groupes financiers qui viennent harmonieusement
compléter leurs propres activités, une compagnie financière et une compagnie
d'assurances, ébauche de la « constellation » que François de Flers appelle de ses vœux.
Mais soudain, en quelques mois, la Banque de l'Indochine perd ses illusions. Les
faiblesses de sa gestion en même temps que la fragilité de son indépendance
apparaissent brutalement au grand jour lorsqu'elle se retrouve engagée malgré elle
dans une des grandes batailles financières qui remodèlent le système capitaliste français
à la fin des années 1960 et au début des années 1970. Une situation qui est la
conséquence logique d'une reconversion inachevée et d'un mode de direction demeuré
trop traditionnel dans un monde en mutation rapide.
BANQUE DE L’INDOCHINE
(Valeurs actuelles, juillet 1974)
Messieurs les propriétaires de bons de droit à répartition créés lors de l'absorption
par la Banque de l’lndochine des sociétés ci-après énumérées :
Société Ciments Portland Artificiels de l'lndochine, Société Indochinoise d'électricité,
Cie des eaux et d'électricité de l'lndochine, Union électrique d'lndochine, Société
centrale d'éclairage et d'énergie, Société Auxiliaire des Charbonnages du Tonkin sont
informés qu'à la suite des opérations de restructuration da la Banque de l'lndochine
réalisées le 31 mai 1974 et qui ont abouti à la fusion de cette banque avec la Cie
financière de Suez, les obligations pouvant incomber à la Banque de l'lndochine à
l'égard des porteurs de bons de droits à répartition ont été transférées à la société qui a
repris les activités bancaires de la Banque de l'lndochine, ainsi que sa dénomination
sociale.
Cette nouvelle Banque de l'lndochine a le même capital, le même siège social et
7
PV, 7 novembre 1969 ; AGE, 20 janvier 1970.
pratiquement les mêmes administrateurs que l'ancienne.