Le Club Histoire

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PHILIPPE V, ROI D’ESPAGNE - SUZANNE VARGA
Extrait proposé par : www.clubhistoire.com
XXIV
La reine Marie-Louise telle qu’en elle-même…
Le
La reine, en exerçant sa régence, avait, en effet, surpris tout le monde,
mais elle n’en avait pas moins langui en l’absence du roi. Ce ne furent
certes pas chez elle les orages d’une invalidante passion, mais une alarme
continuelle, l’inquiétude déchirée d’une femme amoureuse, bref, des
craintes qu’elle gardait pour elle. Lorsqu’elle lui écrivait, comme elle le
fit à la veille de son départ en campagne, le 1er septembre 1702, elle ne
lui exprimait que son amour : « Adieu mon roi aimé, je ne doute pas que
vos campagnes achevées vous ne chercherez pas d’autre occupation que
celle de revenir à votre petite épouse qui a le bonheur de vous aimer cent
fois plus qu’elle-même. »
Cette lettre s’inscrivait dans la constance sentimentale qui sera la leur
et qui fut scellée dès leurs premières relations, dès l’échange de leurs
portraits comme si la puissance de l’image avait d’emblée fait son
œuvre ; avant même cette brouille théâtrale de l’après-dîner de noces qui
ne fit qu’activer la flambée de leur première nuit prolongée par la
réitération d’un émerveillement charnel réciproque. En aimant MarieLouise et en ne s’en cachant pas, Philippe V violait assurément la
tradition ancestrale de la vie conjugale de cour et s’exposait à
l’incompréhension et à la critique. Ses liens de profonde dépendance
intime et émotionnelle étaient sans doute indissociables de son
tempérament, de ce mal noir dont il serait vain aujourd’hui, à trois siècles
de distance, de sonder le secret labyrinthe, comme il serait aussi dérisoire
de limiter sa dépendance à sa seule demande sexuelle qui, en la
circonstance, n’avait rien d’anormal chez un époux amoureux. C’est une
donnée dont on aurait tort de sourire et qu’on aurait en tout cas tort de
négliger, déjà parce qu’elle fait figure d’exception dans le panorama des
mariages royaux, mais surtout parce qu’elle eut un rôle salvateur. De
nouveau réuni à son épouse, et en dépit de ses départs répétés au front, le
roi n’eut aucun accès mélancolique au cours des onze années suivantes
qu’il vécut avec la reine, et il assura la dynastie par quatre naissances.
L’union dans ce mariage sauva donc et le roi et le trône. Ce fut grâce à
leur permanent et opiniâtre courage, partagé par leur peuple, qu’à eux
deux ils gardèrent leur royaume, alors même qu’à Versailles, on avait
déjà baissé les bras.
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Sa généalogie, son portrait, sa Maison
Ce mariage réussi avait pourtant été, au départ, assez improbable, fruit
de tractations politiques sur fonds de requis négatifs où s’exprimait
surtout ce qu’on ne voulait pas, ce qu’avant tout la future reine
d’Espagne ne devait pas être. Louis XIV avait en effet déclaré qu’en
aucun cas elle ne serait Autrichienne ; et Beauvilliers avait renchéri en
ajoutant que cet évitement devrait s’étendre à leur future descendance. En
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PHILIPPE V, ROI D’ESPAGNE - SUZANNE VARGA
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l’occurrence Marie-Louise-Gabrielle de Savoie, d’abord envisagée, fut
retenue car, par la place qu’elle occupait dans la mosaïque complexe de
sa généalogie, elle obéissait pleinement à ce critère, même si elle ne
souleva pas l’enthousiasme en raison des options peu sûres et des
positions fluctuantes qu’avaient prises le duc, son père, sur l’échiquier
politique de l’Europe, notamment vis-à-vis des puissances ennemies de la
France.
Dans les plis sinueux de son ascendance, s’entremêlaient la lignée des
Stuarts, celle des Orléans, des Bourbons et des Savoie, ces descendants
du lointain Humbert aux Blanches Mains. Savoie, elle l’était par son
père, Victor-Amédée II. Elle était Orléans par sa mère, Anne-Marie, fille
de Monsieur, Philippe d’Orléans et se trouvait donc être petite-nièce de
Louis XIV. Elle était aussi Stuart par sa grand-mère, Henriette
d’Angleterre, fille de Charles Ier, dont elle avait, disait-on, hérité la
séduction naturelle ; de plus, par Henriette de France épouse de Charles
Ier qui était la fille d’Henri IV, elle se trouvait être l’arrière-petite-fille du
premier Bourbon.
Dans l’immédiat, les Espagnols, ses sujets, la regardèrent avec une
ardente affection ; ils prétendirent retrouver en elle tous les charmes de la
feue reine Marie-Louise, première épouse de Charles II dont le mariage
fut d’ailleurs célébré à Fontainebleau. Cette reine, dont elle portait le
nom qui fut sa marraine et sa tante, était encore dans le cœur de son
peuple qui la pleura beaucoup lors de sa mort prématurée et brutale. Sa
remplaçante, la seconde épouse de Charles II, l’Autrichienne Marie-Anne
de Neubourg, actuelle reine douairière, fut fort impopulaire, et personne
ne chercha à la retenir lorsque, sur la demande de Philippe V elle s’était
retirée à Tolède. On soutenait même à Madrid que la bien-aimée reine
Marie-Louise avait profité de l’arrivée au ciel de son mari Charles II pour
favoriser, en toute complicité, le mariage de leur nièce avec le nouveau
roi.
On avait donc exposé, dans une galerie de l’Alcazar, le portrait que le
roi avait reçu d’elle ; objet d’un culte immédiat, il devint le témoin et
l’expression d’un désir, celui de l’accueillir au plus vite à Madrid. On y
pouvait contempler sa chevelure blonde et abondante, moelleuse quoique
hautement édifiée en savantes volutes. Ses yeux infiniment bleus
auguraient d’une souveraine douceur. Son regard y insiste beaucoup, il
est calme et déploie deux faisceaux résolus, maîtres d’eux-mêmes, allant
droit vers qui l’observe. Aucune rigueur, mais une chaude tendresse que
révèle cette bouche charnue comme Mignard aimait à les peindre, tout
abandonnée à l’affleurement du désir. Un front haut et au généreux
contour dégageait une énergie lumineuse. Seuls traits rectilignes du
visage, l’aboutissement rigoureux de ses épais sourcils. Un port de tête
hardi faisait la noblesse incontestable de toute sa personne ; il y avait en
elle quelque chose de majestueux. Sa taille parfaite et fine semblait
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