L`avortement encore tabou - Centre de santé et de consultation

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L`avortement encore tabou - Centre de santé et de consultation
L’avortement encore tabou
Une femme nord-américaine sur deux a recours à l’avortement au moins une fois dans sa vie.1
Cet article s’adresse aux femmes qui songent
à interrompre leur grossesse, à celles qui l’ont interrompue
et qui acceptent difficilement leur geste ainsi qu’aux
hommes souvent oubliés dans cette histoire.
Vivre l’avortement
Chaque personne vit l’avortement de façon
différente, en fonction de la signification qu’elle donne à la
grossesse et à son interruption. Culpabilité, tristesse, peur,
colère, honte, apaisement, liberté et amour peuvent ainsi
habiter tant la femme que l’homme se retrouvant dans cette
situation. La plupart du temps, plusieurs émotions coexistent,
ce qui rend la situation encore plus difficile. Par ailleurs,
il est fréquent que s’installe un sentiment de vide intérieur,
relié à la perte de l’embryon, de la grossesse, de la maternité.
La durée de ce sentiment varie d’un individu à l’autre. Dans
certains cas, il arrive que le deuil se vive à retardement
(p. ex. lors d’une seconde grossesse, de tentatives pour une
autre grossesse, ou à Noël, neuf mois ou un an après la date
de l’avortement). L’avortement constitue une étape de vie
importante au même titre que les autres moments significatifs
qui jalonnent l’évolution de l’être humain.
La décision
Anxiété. Irritabilité. Dilemme. Remise en question.
Insomnie. Solitude. Tous ces phénomènes sont fréquents,
tant pour les femmes que les hommes face à une grossesse
non planifiée.
Tout se bouscule et en même temps tout paraît
long… terrain idéal pour susciter un état de crise.
Que faire?
Et la vie après l’avortement?
La femme
À l’annonce de la grossesse et durant le processus
de prise de décision, la majorité des femmes se sentent
déchirées entre leur raison et leurs émotions. C’est comme
si l’instinct maternel se faisait sentir et parfois à travers le corps.
Même après une décision mûrement réfléchie, nombreuses
sont les femmes qui ressentent une forte culpabilité face
à leur avortement et ne peuvent faire la paix avec leur geste.
C’est qu’elles sont aux prises avec des valeurs bien ancrées,
souvent véhiculées par la religion, l’éducation parentale et
la société. Elles se sentent monstrueuses, mauvaises mères.
Ainsi, elles restent marquées par l’avortement et portent
en silence leur secret de même que les séquelles durant
des années, sinon toute leur vie.
Pour réussir à accepter l’avortement, la femme doit
se réconcilier avec elle-même, redéfinir ses concepts de bien
et de mal et conscientiser qu’elle a pris la décision qu’elle
jugeait la meilleure dans les circonstances. Elle doit faire
le deuil de sa grossesse interrompue, qui représente en
quelque sorte une peine de cœur face à un amour impossible
à concrétiser, et comprendre le sens de son geste. Écrire
une lettre à l’embryon en énumérant les motifs qui ont mené
à la décision d’interrompre la grossesse, exprimer les émotions
ressenties lors de l’avortement et rompre la solitude de même
que l’attitude de « super woman » (celle qui passe au travers
de tout) peut aider à retrouver l’harmonie intérieure.
Recadrer l’avortement dans un contexte d’amour, de responsabilité, d’altruisme et de maturité peut faciliter l’intégration
de l’expérience vécue. Si ces valeurs sont absentes, celle du
pardon aura un rôle important à jouer afin de parvenir à faire
la paix avec soi.
par
Nathalie Drouin,
psychologue
L’homme
Plusieurs hommes se sentent perdus à l’annonce
de la grossesse. Influencer la décision? S’engager? Poursuivre
la relation? La peur mène parfois à la fuite réelle ou au
silence. Dans le processus de décision, nombreux sont ceux
qui se sentent mis de côté, à tort ou à raison. Plusieurs craignent
une décision contraire à la leur ou sont frustrés de ne pas
pouvoir prendre la décision finale. Pendant l’intervention
médicale, s’ils accompagnent leur partenaire ou l’attendent,
plusieurs ressentent de la peur, de la culpabilité, de la tristesse.
Certains vivent les lendemains de l’avortement comme
si une injustice leur avait été faite. Ils se sentaient prêts
à avoir un enfant. Ils refusaient l’avortement. D’autres se sentent
délivrés, en paix. Plusieurs ont de la difficulté à composer
avec les réactions de leur partenaire. Il se sentent alors
inappropriés, coupables ou négligés. L’homme comme
la femme craint que la relation ne soit plus comme avant.
C’est effectivement le cas. Il va sans dire que les émotions
des hommes sont aussi légitimes que celles des femmes
et méritent autant d’être conscientisées, exprimées
et accueillies.
La sexualité après l’avortement
Brièvement ou d’une durée indéterminée, il n’est
pas rare que les relations sexuelles soient différentes après
l’avortement. D’une part, la peur d’une nouvelle grossesse
peut prendre des dimensions importantes et freiner le désir
sexuel. D’autre part, la tension, générée par cette peur, peut
rendre les relations sexuelles désagréables voire même
douloureuses. Le ressentiment envers l’autre ou la culpabilité
(émotions souvent associées à l’avortement) détériorent
également la sexualité, de même que la vie du couple.
En contrepartie, l’avortement (comme toute situation
éprouvante) peut rapprocher les couples et contribuer
à l’épanouissement des individus.
Tabou
Face à l’avortement, les femmes sont encore mal
informées et trop souvent isolées. Le sort des hommes n’est
guère plus réjouissant puisque trop souvent, ils se retrouvent
également dans l’ombre. Que vous ayez vécu un avortement
(ou plus d’un), que vous soyez en processus de décision,
n’hésitez pas à consulter si vous en ressentez le besoin.
Actuellement, une femme nord-américaine sur
deux a recours à l’avortement au moins une fois dans sa vie.1
Quelles en sont les causes? Protection inefficace?
L’avortement, moyen de contraception? Hédonisme? Désir
inconscient de grossesse? Changements de valeurs?
Exigences de la vie professionnelle? Toutes ces raisons et tant
d’autres tiennent lieu de réponse. Il est urgent de briser le
tabou qui entoure ce sujet et d’apporter le support requis
à celles et ceux qui vivent cette expérience.
1
Service d’avortement du Centre de santé des
femmes de Montréal, (514) 270-6114.
Prochain numéro au mois d’août 2000
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