De la représentation sociale à la cognition spatiale et

Transcription

De la représentation sociale à la cognition spatiale et
De la représentation sociale à la cognition spatiale et environnementale :
La notion de « représentation » en psychologie sociale
et environnementale1
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Sandrine Depeau
RÉSO
L
INTRODUCTION
a notion de représentation constitue sans
doute une des notions les plus polysémiques
en Sciences Humaines et sociales et donc
une des plus polémiques. Mais elle est surtout une des
plus riche, complexe et donc souvent risquée à exposer
de manière générale dans un seul article. Il n’y a qu’à
recenser le nombre de volumineux ouvrages sous le
titre des représentations, qu’elles soient sociales, cognitives ou encore spatiales.
En psychologie, l’intérêt épistémologique pour les
représentations, volontairement privée de tout qualificatif ici, apparaît face aux limites explicatives des
recherches uniquement axées sur les comportements.
Néanmoins, selon les champs où elle est étudiée, on
peut compter de nombreuses acceptions: représenta-
tions cognitives, collectives, sociales, spatiales. Chacune renvoie à des courants théoriques différents, à l’étude de processus psychologiques spécifiques et donc
à des paradigmes méthodologiques distincts. Sans
entrer dans le détail de ces systèmes, cet article se
situe modestement dans l’exposé synthétique des
acceptions les plus pertinentes quant aux questionnements souvent posés par la psychologie environnementale.
Cet exposé sera donc aussi l’occasion de manipuler
la notion de représentation avec prudence en confrontant des systèmes théoriques différents et qui ne renvoient pas au même niveau de questions. Ce qui ne
signifie pas que la notion de représentation ne s’intègre
pas dans un système à plusieurs dimensions. Où les
dimensions individuelles tout comme les dimensions
sociales peuvent être étudiées aussi bien conjointement que séparément, tout dépend le type de questionnement que nous posons.
Cette présentation sera construite sur la base de
deux acceptions phares en Psychologie environnementale, pour l’une issue des théories de la psychologie
sociale et pour l’autre issue en partie de la psychologie
cognitive et d’autres disciplines comme la géographie,
- UNIVERSITÉ RENNES II
ESO - UMR 6590 CNRS
l’urbanisme et répondant aux questions des rapports
individus-environnement, physique et social. Seront
donc exposées les notions de représentation sociale et
de cognition spatiale élargie à celle de cognition environnementale qui permet de dépasser les dimensions
uniquement individuelles. L’exposé de ces notions suppose alors l’introduction d’approches privilégiant à
chaque fois une des dimensions du système individuenvironnement.
La notion de représentation sociale sera rapportée
à partir d’une approche éclairant prioritairement le
monde social, où le rapport à l’environnement peut être
entendu principalement à partir de l’espace social.
Ensuite, la notion de cognition spatiale sera abordée à
partir d’approches principalement axées sur le monde
individuel. L’environnement est ici l’espace physique et
d’action. Enfin, la notion de cognition environnementale
que l’on pourrait situer entre ces deux premières, suppose des approches réunissant monde social et monde
individuel.
Originellement, la notion de représentation trouve
ses sources à la fois dans la transdisciplinarité (notamment les travaux de Durkheim, 1898; Halbwachs,
1925, etc.) et dans la recherche de dépassement du
réductionnisme de l’activité mentale provoquée par les
premières recherches behavioristes. Elles n’impliquaient au départ que la recherche des facteurs (stimulus) déterminant des comportements sans compréhension de l’activité mentale des individus. Activité, qui
comme nous le verrons, joue un rôle fondamental dans
les conduites sociales et comportements individuels.
La première notion engageant les travaux behavioristes (donnant naissance au courant néo-behavioriste)
dans la compréhension de l’activité mentale et la
recherche de facteurs intermédiaires entre le stimulus
et le comportement est l’attitude. Comprise comme une
prédisposition à l’action, cette notion a donné lieu aux
premières constructions d’outils d’évaluation (échelles
1- Texte issu d’un séminaire organisé le 13 mars 2006 à
Rennes par l’UMR ESO sur « la notion de représentation »
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De la représentation sociale à la cognition spatiale et environnementale
La notion de « représentation » en psychologie sociale
d’attitudes permettant de prédire des niveaux de comportements). C’est par ailleurs une notion à partir de
laquelle vont se développer de nombreux travaux sur
les représentations sociales. Notamment en ce qui
concerne les travaux sur la structure de la pensée
sociale, comme nous le montrerons au cours de notre
développement. En outre, le développement des
sciences cognitives à partir des années soixante-dix, et
surtout quatre-vingt, va permettre de donner une certaine importance aux représentations (entendu dans
toutes les acceptions) et notamment aux traitements de
l’information qui permettent de parler de reconstruction
de la réalité. Cependant, parce que très influencée par
le développement de l’intelligence artificielle, certains
psychologues sociaux jugent ces théories cognitivistes
trop réductionnistes, au point de ne concevoir celles-ci
que comme des théories du cerveau. C’est le cas de
Beauvois (1997) qui considère le cognitivisme comme
« un paradigme asocial » faisant peu cas de l’influence
des rapports sociaux. Cette critique nous permet d’introduire la représentation sociale dans son champ théorique le plus fécond, à savoir la cognition sociale ou l’étude, entre autres, des processus de construction et
communication de la pensée sociale.
1.
LA NOTION DE REPRÉSENTATION SOCIALE
En Psychologie sociale, les développements théoriques et méthodologiques sur la représentation partent
des travaux de Moscovici (1961; 1976) sur l’image de la
psychanalyse. C’est en effet à partir de cette étude que
Moscovici énonce les processus en jeu non seulement
dans la formation (objectivation et ancrage) de représentation mais aussi dans son fonctionnement et ses conditions de production.
Pour définir les représentations sociales, de nombreux auteurs-clé pourraient être cités comme Jodelet,
Abric, Rouquette, Doise, Flament, etc. Restons-en,
pour commencer à son fondateur, en citant Moscovici.
Il définit la notion de représentation sociale comme
« des ensembles dynamiques, des théories ou de
sciences collectives destinées à l’interprétation et au
façonnement du réel. Elles déterminent des champs de
communications possibles, des valeurs, des idées présentes dans les visions partagées par les groupes et
règlent par la suite des conduites désirables ou
admises ». (1976, p. 48) Cette définition permet de
Travaux et documents
concentrer l’ensemble des aspects et des processus en
jeu. Les représentations sociales s’apparentent donc à
des formes de théories « naïves » socialement construites et partagées en vue de reconstruire, simplifier ou
expliquer une réalité et se l’approprier (Jodelet, 1995),
ou encore de rationaliser des pratiques. Pour Jodelet
(1989) « il s’agit d’une forme de connaissance socialement élaborée et partagée, ayant une visée pratique et
concourant à la construction d’une réalité commune à
un ensemble social ». (pp. 36-37). Pour résumer, nous
pourrions dire alors que les représentations sociales
sont des grilles de lecture de la réalité socialement
construites. Par conséquent, elles supposent:
• la présence de groupes différents qui élaborent
cette grille à leur manière en fonction de leurs intérêts et
positions dans un groupe donné.
• l’organisation d’opinions socialement construites
relativement à un objet qui résulte d’un ensemble de
communications sociales qui permettent de maîtriser
l’environnement et de se l’approprier en fonction d’éléments symboliques propres à son ou ses groupes d’appartenance.
• la « production originale, un remodelage complet de
la réalité, une réorganisation de type cognitif ou les
connotations idéologiques personnelles (attitudes, opinions) et collectives (valeurs, normes) prennent une
place essentielle aussi bien dans le produit que dans les
mécanismes même de sa constitution » (Abric, p. 67- 68,
1987).
On l’aura remarqué, les représentations constituent
le point central des rapports entre groupes sociaux. L’étude des représentations sociales s’attache donc plus à
comprendre ce qui distingue ces groupes que ce qui les
réunit sans pour autant laisser de côté ce qui fait
consensus au sein d’un groupe. Comme le remarquent
Rouquette et Rateau (1998), c’est sur cet aspect de différenciation des groupes sociaux que nous pouvons distinguer alors les représentations collectives des représentations sociales. Une représentation collective est
commune à tout le genre humain tandis que la représentation sociale est commune à un groupe social.
La plupart du temps, la représentation est donc comprise et travaillée sur la base de comparaisons (objet de
représentation, groupes sociaux, contextes…). Flament
et Rouquette (2003) précisent d’ailleurs la nécessité des
comparaisons dans le cadre de recherches sur le terrain.
« Seule en effet cette comparaison est à même de mettre
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La notion de « représentation » en psychologie sociale
en évidence les spécificités sociales relatives, soit qu’il
s’agisse d’une même population prise à deux moments
de son évolution, soit qu’il s’agisse de deux populations
distinctes considérées à un même moment » (Flament &
Rouquette, 2003, p. 13). C’est le cas par exemple dans
l’étude de Moscovici sur la Psychanalyse, où l’auteur distingue des groupes aux idéologies différentes (les communistes versus les catholiques). Idéologies qui ne sont
donc pas sans influences sur la représentation de la psychanalyse et les conduites qu’elles engendrent: les communistes concevant la psychanalyse comme un outil
d’impérialisme tandis que les catholiques l’interprètent
comme une justification de la débauche.
Un autre exemple connu porte sur la représentation
de la chasse et l’influence de nouvelles pratiques de
chasse sur cette représentation (Guimelli, 1989). La présence de groupes idéologiques différenciés (non-chasseurs et écologistes versus chasseurs) face à la question
des pratiques de chasse reste un éclairage intéressant.
La comparaison est pertinente pour comprendre les
transformations de la représentation de la chasse. Elle
l’est notamment pour décrire une ressemblance de
schèmes (le schème écologique) entre des groupes dits
opposés, simplement par l’activation rendue possible par
des pratiques nouvelles de chasse provoquées par l’irruption du virus de la myxomatose. Autrement dit « l’intensification de pratiques nouvelles est venue activer des
schèmes écologiques dormants () les schèmes relatifs
aux techniques de chasse et les schèmes écologiques
fusionner en un seul, celui de la gestion du territoire de
chasse » (Guimelli, 1989, p. 136).
Reconnaître comme objet d’étude une représentation sociale signifie donc de comprendre comment les
sujets et groupes sociaux se positionnent dans le milieu
et le contexte social, comment les informations extraites
des expériences subjectives des individus dépendent de
leur système idéologique, en résumé de leur position
sociale et de leur appartenance culturelle. La représentation sociale permet alors de comprendre des pratiques
et leurs enjeux sociaux.
1-1. La question de l’objet de représentation
sociale
L’étude des représentations sociales suppose un
regard ternaire impliquant la trilogie Ego/Alter/objet.
Dans ce cadre, la question la plus souvent posée
consiste à savoir si tel objet est objet de représentation
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sociale. Question qui est loin de paraître mineure. Ainsi
Flament et Rouquette (2003) posent les pré-requis de
l’existence d’une représentation sociale en rappelant
que son « lien avec la société est fondamental ».
Le premier principe consiste en « la saillance sociocognitive » de l’objet de représentation. Ainsi, l’objet de
représentation doit s’apparenter à un concept, être suffisamment abstrait et générique. Rapportons, pour
mieux comprendre, les exemples caricaturaux mais
explicites des auteurs (p. 32) « Il n’y a pas représentation sociale du dentifrice mais une représentation de
l’hygiène, pas de représentation sociale de la licence
mais une représentation sociale des études supérieures », etc. L’objet de la représentation sociale doit
alors concerner la classe d’objets et non un objet particulier de cette classe. Ce principe n’est pas toujours évident à observer dès lors qu’on s’intéresse à un problème spécifique semblant concentrer à lui seul un
ensemble de spécificités et d’enjeux sociaux.
Cette saillance socio-cognitive renvoie aussi à
l’aspect social de l’objet et à sa circulation dans les
communications inter-personnelles et inter-groupes et à
son exposition médiatique qui implique alors des prises
de positions et l’installation de polémiques. Lesquelles
amènent logiquement au second principe qui concerne
l’élaboration des pratiques.
Pour assurer l’existence d’une représentation
sociale, doit se développer un certain nombre de « pratiques communes » que Flament et Rouquette (2003)
définissent à partir de quatre orientations. Les pratiques
peuvent s’apparenter à:
- des « passages à l’acte » comme simple exposition à un événement ou encore comme simple utilisation;
- des « pratiques récurrentes » supposant un niveau
d’expérience par rapport à l’objet en question, ce qui
implique alors un niveau de connaissances par rapport
à l’objet et une durée de vécu;
- « des façons de faire » en lien avec des positions
sociales et des rapports entre les groupes impliqués;
- des stratégies ou « calculs » qui supposent de
comprendre les buts et intentions des individus par rapport à la mise en place de ces pratiques.
Pour savoir si un objet peut être socialement valide
en tant qu’objet de représentation, il doit donc être
source de divergences et de questionnements quant à
l’idée du groupe social; l’identité du groupe dépend en
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De la représentation sociale à la cognition spatiale et environnementale
La notion de « représentation » en psychologie sociale
effet de l’objet de représentation sociale (Moliner,
2001). Il peut aussi donner naissance à un nouveau
groupe social selon les implications qu’il suppose. Il est
donc source de cohésion sociale et en même temps
possède de forts enjeux identitaires.
1-2. La place des représentations sociales dans la
pensée sociale
Pour mieux comprendre les fonctions de la représentation sociale et son inscription dans la pensée
sociale, il semble intéressant et nécessaire pour clarifier
le concept de rappeler à partir des réflexions de Rouquette (1998; 2003) l’articulation de la représentation
sociale avec les autres instances fondamentales de la
pensée sociale. Ce qui permettra par ailleurs de clarifier
ces autres concepts.
Les représentations sociales s’inscrivent donc dans
la pensée sociale structurée en différents niveaux d’intégration allant du stade le plus sociétal (idéologie) au
stade le plus individuel (pratiques): niveau 1: Idéologie;
niveau 2: Représentation sociale; niveau 3: Attitudes, il
s’agit d’une prise de position sur un ensemble thématique. L’attitude correspond à la partie la plus primitive
des représentations; niveau 4: Opinions (il s’agit d’un
point de vue porté sur une partie d’un ensemble thématique à un moment donné); niveau 5: Pratiques et
comportements.
Cette organisation de la pensée sociale permet de
comprendre à la fois les sources d’influence de la représentation sociale et comment elles peuvent évoluer et
se transformer dans des contextes de changements de
comportements et de pratiques. En admettant les relations entre pratiques et représentations sociales, cette
structuration permet de comprendre à la fois la variabilité des niveaux et les conditions requises pour qu’une
représentation sociale soit affectée par des transformations de pratiques. Ainsi, Rouquette précise que les opinions sont très contingentes du contexte spatial et temporel de l’individu. Les opinions changent beaucoup.
(Ce qui justifie sans doute les nombreux sondages d’opinions en politique! sondages qui ne présagent en
rien, bien au contraire, le résultat des élections). Quant
aux attitudes, elles conservent une certaine stabilité
permettant d’assurer un socle aux représentations
sociales. Prenons, un exemple pour être plus clair. On
peut s’intéresser à la représentation sociale de l’éducation. Cette dernière va dépendre des systèmes idéoloTravaux et documents
giques en amont. Dans ce cas, imaginons que l’on compare la représentation sociale de l’éducation dans des
groupes localisés dans différents pays de l’Europe. Il
est fort à parier que la représentation sociale variera
selon que l’idéologie est plutôt à tendance individualiste
ou à tendance plus sociale. Ensuite, cette représentation de l’éducation orientera toute une série d’attitudes
différentes à l’égard du rôle de l’école, du rôle de la
famille, du rôle de la société. De là, si nous prenons les
attitudes à l’égard de l’école, on pourra sans doute
constater que les opinions à l’égard de l’autorité des
enseignants, ou encore les opinions concernant l’intérêt
des sanctions physiques (être pour ou contre la fessée
par exemple), l’opinion au sujet du renforcement des
structures d’accueil en collectivité divergeront selon les
cultures et idéologies politiques et sans doute religieuses. Nous pourrions aussi prendre pour exemple, la
représentation de la ville sous différents modèles d’urbanisme du passé (modèles utopistes) fortement
influencés par les idéologies socialistes (Fourrier,
Godin, etc.) et décliner ce modèle hiérarchique en fonction des mesures et choix pris dans différents domaines
de la vie publique, qu’il s’agisse du travail des enfants,
des mesures de sécurité et d’hygiène…
Quels que soient les exemples cités, ce qu’il est
important de comprendre c’est qu’un changement d’opinions (qui constitue le niveau le plus variable du système) ne modifie pas forcément les attitudes qui lui sont
afférentes et par conséquent ont peu de raisons de
modifier une représentation sociale. En résumé, ces différents niveaux possèdent des degrés de résistance
aux changements fort différents, le niveau idéologique
étant le plus robuste et le plus constant, au point que
comme le soulignent Flament et Rouquette (2003)
« seuls les historiens, sans doute, peuvent en déceler
les inflexions et les éventuelles mutations () Il n’est pas
question de voir (et sans doute encore moins de provoquer) un changement d’idéologie en l’espace de
quelques mois ou quelques années. Il faut pour le
moins des générations, et un long travail de modification de l’environnement, des rapports sociaux et pratiques de toute nature » (Flament et Rouquette, 2003,
p. 18).
On comprend d’emblée que la transformation profonde de représentation sociale fait partie d’un processus long. Néanmoins, comme le souligne Guimelli
(1989) en travaillant sur l’effet de pratiques nouvelles de
De la représentation sociale à la cognition spatiale et environnementale
La notion de « représentation » en psychologie sociale
chasse sur la représentation de la chasse et de la
nature, certaines situations le plus souvent accidentelles ou menaçantes pour la survie de l’homme ou
d’une espèce (comme la prolifération de la myxomatose dans le cadre de la recherche sur la chasse) peuvent provoquer des changements drastiques de comportements et de pratiques, comme la question de la
gestion du territoire qui devient un thème central dans
la représentation de la chasse et de la nature par les
chasseurs.
Si la représentation se transforme difficilement, cela
ne signifie pas en revanche qu’elle ne varie pas et ne
subit aucune modification. C’est bien ce que permet de
comprendre l’approche structurale des représentations
sociales.
1-3. La structure des représentations sociales
Dans le cadre des recherches sur la représentation
sociale, l’approche structurale est une approche très
courante qui consiste à décrire et comprendre l’organisation des éléments contenus dans la représentation.
Cette approche s’avère très utile dès lors que l’on s’intéresse à l’évolution des représentations et que l’on
cherche à comprendre par exemple la résistance de
certaines pratiques aux changements. Dès lors aussi
que l’on cherche à repérer quels sont les éléments qui
contribuent à l’interprétation de l’environnement, à la
cohésion d’un groupe et à son identité.
Pouvoir affirmer à la fois la forte inertie de la représentation et en même temps sa flexibilité, n’est possible
qu’en repérant deux zones fondamentales de sa structure qui sont le noyau central et les éléments périphériques. C’est Abric qui propose l’hypothèse de noyau
central (1976, 1989) et l’idée d’une organisation ou
plutôt d’une hiérarchisation des éléments.
Le système central est associé à la part la plus
ancienne, la plus ancrée et « apparaît liée aux conditions historiques, sociologiques et idéologiques. Directement associé aux valeurs et aux normes () » (Rouquette et Rateau, 1998, p. 35). On touche là au rapport
de l’objet de représentation avec tout le système socioculturel sur lequel il repose. Il est composé des éléments fondamentaux comme les valeurs et croyances
autour desquelles le groupe trouve son identité, l’entretient et la rend pérenne. C’est pourquoi, il constitue le
niveau le plus stable de la structure de la représentation
face aux changements de la société. Néanmoins, la
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garantie de cette stabilité n’est assurée que parce qu’il
existe le système des éléments périphériques qui sont
une sorte de protection du noyau central. Les éléments
périphériques constituent la part la plus variable de la
représentation, la plus contingente parce que plus
proche de la réalité extérieure et plus soumise aux
situations (Abric, 1994). C’est « la face la plus visible ()
celle qui est accessible par l’observation et l’entretien »
(Moliner, 2001, p. 29). Les éléments périphériques sont
plus proches de l’expérience des individus et de leur
réalité quotidienne. C’est donc à ce niveau structural de
la représentation que l’on peut observer une forte variabilité des éléments de la représentation d’un groupe. Ils
auraient la fonction d’aider à l’adaptation dans le cas de
changements de comportements. Pour résumer donc:
• Le noyau central (NC): C’est le système structu-
rant. Il est lié aux normes, aux valeurs, aux attentes, à
l’implication personnelle, aux finalités fonctionnelles
d’une pratique, à la mémoire, à l’histoire collective. Il
favorise le consensus, l’homogénéité culturelle et
psychologique d’un groupe. Il a aussi une utilité pratique et une dimension prescriptive. Il est en lien avec
l’affectivité, l’idéologie, les stéréotypes et croyances du
groupe.
• Le système périphérique (SP) : il est constitué
d’une diversité d’éléments et est très flexible. Les éléments sont contingents de la vie quotidienne des individus, de leur vécu…Ces éléments sont donc sans
cesse soumis à une réinterprétation, à des filtrages
afin de garantir une adaptation de la représentation
face à l’évolution du contexte sans la faire changer.
Ce système périphérique permet donc l’adaptation
à la réalité concrète, la diversification du contenu de la
représentation sociale et la protection du noyau central.
Sans développer davantage le rôle fonctionnel et
organisationnel de ces deux niveaux de la structure
d’une représentation, tant les travaux sont importants
dans ce domaine, arrêtons-nous simplement sur un
point méthodologique d’élucidation de la structure des
représentations sociales.
La détermination de ces éléments peut se faire de
différentes manières, la plus courante étant la technique associative à partir du mot inducteur reprenant
l’objet de représentation (pour la représentation de la
santé par exemple, on pose la question suivante en
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De la représentation sociale à la cognition spatiale et environnementale
La notion de « représentation » en psychologie sociale
limitant à 6-7 évocations « si je vous dis Santé, quels
sont les mots, situations qui vous viennent d’emblée à
l’esprit ? »). À partir du corpus de mots et/ou des situations recueillies auprès de groupes de sujets, on peut
appliquer la méthode des distributions rangs/fréquences initiée par Vergès (1992/1994). Cette technique permet de dégager une structure de représentation et en particulier d’observer les éléments du noyau
central, c’est-à-dire « les éléments qui ont à la fois une
fréquence élevée et un rang faible » (Flament & Rouquette, 2003). Mais aussi, il est possible d’en déduire
les éléments périphériques, à savoir alors les mots
souvent ou peu souvent cités mais à rang faible. En
d’autres termes, cette technique d’analyse suppose de
manipuler « deux dimensions ontologiquement différentes. D’une part on met en évidence une dimension
collective – le nombre de fois où un mot a été énoncé
– qui a pour référence l’ensemble de la population (le
nombre total de sujets est alors la référence 100 %).
D’autre part, on calcule un rang moyen, c’est-à-dire le
résumé d’une distribution statistique correspondant à
une opération individuelle : le sujet a établi un ordre
entre les mots qu’il a énoncés. On voit alors qu’au critère d’importance (la fréquence) on ajoute un critère
individuel de signification (certains sont plus en rapport que d’autres avec le thème de la représentation
sociale) ». (Vergès, 1992/1994, p 236). Cette technique d’élucidation de la structure des représentations
sociales est aujourd’hui complétée par de nombreuses
autres qu’Abric détaille d’ailleurs assez précisément
dans un ouvrage récent (Abric, 2003).
L’exposé des méthodes permettrait de détailler
encore plus précisément le fonctionnement sociocognitif des représentations sociales mais là n’est pas
notre objectif. Concluons alors sur l’intérêt d’étudier les
représentations sociales dans le champ de la
recherche en environnement et sur les questions
d’espaces. L’étude des représentations sociales
permet de comprendre la différenciation sociale des
conduites et comportements et le rôle des communications sociales. Elle contribue par ailleurs à mieux
appréhender les processus de productions identitaires, la résistance aux changements ainsi que la vulnérabilité des conduites et comportements dans des
contextes de changements ou de rupture.
Travaux et documents
2. LES
L’ESPACE
REPRÉSENTATIONS
COGNITIVES
DE
Rapportée à un objet spatial, la représentation est le
plus souvent étudiée en psychologie, et qui plus est en
psychologie environnementale, sous sa dimension
cognitive à partir de techniques de production spatiale.
Cela suppose donc qu’on cherche à comprendre comment sont interprétées les informations spatiales et
comment elles sont organisées en mémoire pour être
réutilisées pour l’action. Pour commencer, rappelons la
diversité terminologique des représentations cognitives.
« Carte mentale », « carte cognitive », « image mentale » sont les différents termes que l’on peut trouver
dans la littérature. Ils peuvent être utilisés avec confusion autant comme concept théorique autant que
comme concept méthodologique uniquement. Ce qui
pose parfois des difficultés de compréhension quant
aux modèles et approches théoriques qui les supportent. Difficultés de discernement auxquelles peuvent
s’ajouter celles concernant la confusion entre produit et
processus que certains auteurs ont résolu en les distinguant dans leur terminologie.
Bien que l’accent soit prioritairement mis sur des
processus cognitifs, cela ne signifie pas que la dimension sociale des espaces soit reléguée en arrière-plan
des questionnements et analyses, ni qu’il soit impossible de travailler sur la comparaison de groupes
sociaux. Bien au contraire. Encore une fois, tout dépend
des objectifs et questions que nous posons. Néanmoins, l’intérêt porté aux représentations cognitives des
espaces oriente bon nombre de recherches vers le
champ de la cognition spatiale mais aussi environnementale. Cette dernière approche permet d’ailleurs d’aborder les représentations de manière plus holistique
en entendant l’espace non plus seulement comme
source de stimulations, la démarche serait donc bien
trop déterministe, mais comme source d’informations
générant variété de significations pour les individus. La
représentation cognitive est alors constituée d’informations spatiales et d’informations propres aux caractéristiques individuelles et aussi sociales. Sont en jeu les
processus de perception, de cognition et de croyances
rattachées au milieu. On voit ici une distinction intéressante et nécessaire à faire d’emblée entre perception et
représentation, ces termes ayant été longtemps
confondus. La perception renvoie à une réalité présente
De la représentation sociale à la cognition spatiale et environnementale
La notion de « représentation » en psychologie sociale
dans l’action tandis que la représentation renvoie à une
réalité absente et reconstruite à partir des caractéristiques à la fois individuelles, sociales et du milieu. Toutefois, il n’y a pas de perception sans représentation,
c’est d’ailleurs ce que montrent les travaux de Denis
(1989) à travers les fonctions de l’image mentale chez
des sujets aveugles. La représentation cognitive sert
dans ce cas de guide pour l’action.
2. 1. Les modèles majeurs de traitement des informations spatiales ou environnementales
L’ensemble des recherches centrées sur les représentations cognitives de l’espace peut être résumé à
partir des modèles théoriques fondamentaux et de leurs
objectifs, ces derniers pouvant parfois être très appliqués. D’une part, on repère les travaux où la représentation cognitive de l’espace, à savoir la carte mentale
est entendue comme une représentation analogique. Il
y aurait une correspondance fonctionnelle avec la carte
géographique (Downs & Stea, 1973) et une certaine
isomorphie entre les informations de la carte mentale et
celles d’une carte graphique. C’est plutôt ici le courant
de la cognition spatiale. D’autres recherches, en
revanche considèrent représentation comme produit de
processus cognitifs. Les informations spatiales ne sont
ni d’ordre euclidien ni d’ordre topologique. Elles sont
issues de catégorisation des éléments d’ordre sémantique et basé sur le jugement ou la perception de similarités des caractéristiques physiques du milieu. Il y a une
diversité des sources d’informations pour la catégorisation: les informations peuvent être d’ordre social, esthétique, historique, fonctionnelles, etc. C’est le courant de
la cognition environnementale. Pour certains auteurs
comme Jodelet (1982), la représentation d’un espace
renvoie aussi à un espace socialement signifiant. Son
acception renverrait donc à une notion de « cognition de
lieu » (place cognition) définie par Cohen (1985).
Si l’on s’attache aux processus, il est nécessaire de
les rappeler en confrontant différents modèles.
• Un premier modèle, le modèle analogique (représentation imagée) considère la représentation de l’environnement comme isomorphe et basée sur la structure
topographique de l’information. Il y aurait une correspondance entre les « construits » et l’objet extrait de
l’environnement. Ce premier système serait basé sur
l’expérience perceptive de l’individu.
• Le modèle propositionnel (représentation verbale)
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quant à lui est caractérisé par une structure schématique qui aiderait à sélectionner les informations environnementales et à les appréhender dans le but de se
repérer et de se localiser. Ce modèle fait intervenir la
mémoire sémantique et s’appuie sur l’expérience langagière et symbolique. Ce sont donc les significations
qui sont importantes.
Ces deux modèles ne s’opposent pas forcément, ils
peuvent se compléter. En effet, certains voient une
chronologie des deux modèles avec un codage de l’information sous forme propositionnelle puis une utilisation de la carte sous forme analogique (Evans, 1980;
Gärling & al., 1984). Elle dépend du processus de traitement de l’information et notamment du type d’informations à traiter puis à mémoriser. Or, l’environnement
est un système complexe et dynamique. Ainsi, certains
auteurs pensent que le traitement de l’information spatiale se fait sur la base de « clusters » ou de catégories
d’informations mémorisées ensemble sur la base de
significations construites par l’individu et qui leur sont
propres. Ces significations peuvent être d’ordre fonctionnelles, culturelles, sociales… Chaque ensemble
organisé d’informations ou clusters peut constituer ce
que Lynch (1960) appelle un « quartier ».
2. 2. Contenu et structures de la représentation
cognitive de l’espace comme patrons d’analyse
Au-delà des modèles de traitement des informations
sous-jacents, deux types d’informations sont intéressants à observer et à utiliser: le contenu de la représentation ou/et sa structure. Deux aspects qui, tout en étant
développés au niveau théorique, peuvent servir de base
méthodologique dans l’étude et l’analyse de la représentation cognitive recueillie à partir des techniques
classiques de reproduction ou reconstruction spatiale en
deux dimensions (dessin à main levée, jeu de reconstruction spatiale, techniques pictographiques, etc.).
Reprenons alors brièvement des exemples de
contenu et de structure extraits de la littérature et couramment utilisés dans les analyses.
a- Le contenu des représentations cognitives de
l’espace
Les informations structurant la représentation cognitive d’un espace sont riches, variées et souvent très
complexes à élucider. Tout dépend aussi le type
d’espace que nous étudions et son niveau d’échelle. En
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De la représentation sociale à la cognition spatiale et environnementale
La notion de « représentation » en psychologie sociale
ce qui concerne l’espace à l’échelle d’une ville, la typologie issue des travaux précurseurs de Lynch (1960)
reste une base intéressante (parfois remaniée par le
chercheur) pour catégoriser les éléments d’un espace
urbain. À partir d’études portant sur l’image de trois
villes américaines, Lynch propose de distinguer:
1- Les voies: ce sont des espaces à parcourir
comme les routes, les lignes de transport en commun.
Ce sont les éléments les plus structurants pour l’auteur
puisqu’ils servent à traiter les relations spatiales entre
les éléments.
2- Les limites: ce sont des éléments d’organisation
importants qui vont permettre de séparer des zones.
Elles peuvent être vues comme des frontières et sont
souvent perçues comme des barrières difficiles à franchir comme une voie rapide, un cours d’eau, etc. Ce
sont tous les éléments qui créent des ruptures de cheminement ou de visibilité.
3- Les quartiers: ce sont des fragments de la ville
plus ou moins vastes à l’intérieur desquels l’observateur
ou l’usager a le sentiment de pénétrer. Ils sont reconnaissables par leur forte identité. Ils sont donc organisés à partir de symbolique forte basée soit sur une
dimension sociale, affective ou fonctionnelle. La ville est
souvent structurée en quartiers. Ils doivent former des
unités thématiques, c’est-à-dire avoir une homogénéité
de caractéristiques physiques, des fonctions, ou de
population;
4- Les nœuds: ce sont des points stratégiques de la
ville où l’observateur perçoit un ensemble de fonctions
ou de caractéristiques physiques propres (un square
fermé, le bar du coin…). Ils peuvent de ce fait résumer
un quartier ou en constituer le symbole. Ce sont des
points de jonction ou d’intersection où l’individu, durant
son cheminement, va devoir faire des choix. Lynch suggère de les rendre inoubliables, bien délimités et de
s’assurer de ne pas les confondre.
5- Les points de repères : ils représentent des
références ponctuelles observables le plus souvent
de l’extérieur et définissables simplement. Vus sous
des angles et des distances variées, ils sont reconnaissables et servent de référence pour se repérer (le
clocher d’une église, une enseigne lumineuse…). Ils
vont donc symboliser la direction à suivre (tours isolées, dômes…). Le point de repère sert davantage
quand l’espace ou l’itinéraire est en phase de familiarité.
Travaux et documents
Cette typologie d’éléments qui peut être complétée ou remaniée pour les besoins de l’étude n’est
utilisable que si les informations recueillies à partir de
la production spatiale ont été complétées par un
entretien permettant alors de mieux discerner le statut
et la fonction pour l’individu de ces différents éléments.
D’autres catégories comme celles de Gärling &
col. (1984) peuvent être utilisées dès lors qu’on s’intéresse, en plus des éléments, aux relations spatiales
entre ceux-ci. Ces auteurs distinguent alors :
• Les lieux (places) : ce sont les unités de base
comme les bâtiments, les rues ou partie de rue, les
carrefours, etc. Les informations constituant le lieu
sont souvent le nom, les caractéristiques physiques,
la fonction, l’échelle spatiale. Mais on peut aussi y
ajouter des attributs davantage psychologiques
comme leur caractère attractif, leur valence positive,
leur configuration qui contribue à leur esthétique, leur
sécurité, etc. Les différentes qualités des lieux per-
mettent de comprendre comment les cartes mentales
sont utilisées mais aussi stockées.
• Les relations spatiales entre les lieux : ce sont
d’autres classes d’unités basées sur des paires de
lieux. Trois types de relations sont donc distingués.
Les relations d’inclusion quand l’échelle de chaque
lieu est différente (par exemple, la boutique d’un
bâtiment, la mairie d’un arrondissement). Les relations métriques qui sont basées sur la distance et la
direction. Les relations de proximité par rapport à un
autre point de référence. Le point de référence sert
à localiser le reste des éléments (par exemple, le
kiosque à journaux à proximité de la station de
métro).
• Les projets de déplacement : ils relient les informations intériorisées du lieu et le comportement. Ils
constituent un ensemble d’instructions de déplacements et d’orientation (destinations entre autres).
Ces deux types de typologie s’appliquent prioritairement à des espaces travaillés à grande échelle et
de nature urbaine. Pour autant, cela ne signifie pas
que l’étude des représentations d’autres types
d’espaces de nature plus rurale ou de plus petite
échelle ne puissent avoir lieu. Les typologies auront
simplement à être remaniées et standardisées pour
les besoins de l’étude.
De la représentation sociale à la cognition spatiale et environnementale
La notion de « représentation » en psychologie sociale
b- La structure des représentations cognitives de
l’espace
En plus des éléments constitutifs de la représentation cognitive de l’espace, on peut étudier la structure
de cette représentation. L’évolution de la structure de la
représentation d’un espace peut être utilisée comme
indicateur de familiarité cognitive et permet de comparer la représentation cognitive d’un même espace
chez des groupes de sujets ayant des niveaux d’expérience et de pratiques spatiales différents (Depeau,
2003; Depeau & Ramadier, 2005). Néanmoins, si l’on
s’intéresse à la structure de la représentation cognitive
d’une espace, le parti pris pour entreprendre l’analyse
n’est pas simple, car les modèles s’opposent. Un premier ensemble d’études inspiré des travaux précurseurs de Piaget (1948) sur le développement de la
pensée spatiale chez l’enfant postule qu’au départ la
construction de la représentation spatiale serait basée
sur un ensemble de points qui seraient organisés
ensuite entre eux sur la base de lignes (chemins) pour
finir sur une structuration plus spatiale et coordonnée
(Siegel & White, 1975; Gärling & col., 1981). À l’inverse,
d’autres postulent que les représentations prendraient
au départ appui sur un ensemble de cheminements
(autrement appelé « route map » par Shemyakin, 1962)
pour s’organiser ensuite autour de points de repère
constituant une carte très spatialisée (« survey map »,
Shemyakin, 1962). Plus récemment, d’autres types de
structuration, repérés à partir de l’analyse conjointe des
représentations et comportements spatiaux permettent
de mieux comprendre les différentes centralités
urbaines (Ramadier, 2002). Les études sur la structure
de la représentation spatiale ont aussi permis de montrer toute l’importance des pratiques dans la construction de la représentation spatiale. Notamment, que l’on
pouvait retrouver les mêmes stades de structuration
spatiale chez un sujet adulte au cours des premières
expériences d’un environnement et un enfant en cours
d’apprentissage d’un espace. En d’autres termes on
trouverait donc des similitudes entre l’ontogenèse et
l’apprentissage ou les premières expériences d’un environnement.
L’intérêt de l’analyse de la structure est qu’elle reste
indépendante de toute réalité géographique et permet
de mieux comprendre des comportements qui génèrent
toute forme de familiarité (sociale, affective, cognitive,
spatiale).
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Enfin, l’étude des représentations cognitives de
l’espace peut aussi porter sur l’ensemble des distorsions spatiales produites dans l’élaboration de la représentation. Parce que les représentations ne sont pas de
pures retranscriptions du réel, ce sont les approximations, confusions, déformations qui vont nourrir l’analyse et permettre de révéler des rapports particuliers à
l’espace ainsi que dans certains cas les problèmes
d’accessibilité environnementale. Ces distorsions peuvent provenir de différents facteurs. De facteurs spatiaux quand la lisibilité d’un espace est faible, des caractéristiques des personnes interrogées, qui induisent
alors d’autres facteurs liés aux rapports à l’environnement comme les compétences de mobilité, le niveau de
familiarité, la fréquence de pratiques, etc.
CONCLUSION
Comme on pourra le constater la représentation est
une notion riche d’informations que l’on peut étudier
sous différentes dimensions individuelles, sociales et
spatiales, ces trois dimensions pouvant aussi être observées conjointement. C’est le cas dans l’étude des
représentations spatiales faisant référence aux
modèles de la cognition environnementale. Façonnées
par les pratiques et comportements des individus, elles
peuvent aussi être de bons facteurs explicatifs des rapports des individus à l’environnement physique et
social. Elles peuvent dans ce cas non seulement permettre de comprendre les pratiques à un niveau individuel (mobilité, fréquentation, stratégies résidentielles,
choix d’habitats), mais aussi rendre compte des enjeux
spatiaux entre groupes sociaux (questions de conflits
d’usages, de ségrégation, etc.) ou encore permettre de
comprendre les questions d’accessibilité de l’espace,
de lisibilité sociale et spatiale, de gestion des territoires
par les individus.
Si le recueil des représentations reste assez varié et
parfois très sophistiqué (comme c’est le cas dans certaines formes d’études en psychologie sociale), les
méthodes de recueil et d’analyse doivent rester connectées aux questions fondamentales communes à l’ensemble du domaine des représentations. À savoir dans
quel but étudions-nous les représentations? Dans un
but descriptif? Dans un but explicatif? À quoi nous référons-nous quand nous parlons de représentation? Au
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De la représentation sociale à la cognition spatiale et environnementale
La notion de « représentation » en psychologie sociale
produit de la représentation? Ou bien au processus de
représentation? Questions fondamentales qui orientent
les démarches méthodologiques à adopter, des plus
qualitatives (quand la représentation est entendue
comme une façon de voir le monde) aux plus expérimentales (quand il s’agit de comprendre les mécanismes cognitifs sous-jacents).
Pour conclure, on peut affirmer que la notion de
représentation est une notion purement transdisciplinaire. Elle permet en effet d’articuler différentes disciplines, différents champs dans une même discipline, différentes dimensions dans un même processus,
différents niveaux lecture dans un même phénomène.
Bref, c’est une notion « catalytique », féconde en avancements théoriques et méthodologiques mais qui
demeure encore paradoxalement mystérieuse. Les
recherches dans ce domaine n’en sont donc pas terminées!
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