Rendre les frontières intelligentes
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Rendre les frontières intelligentes
Rendre les frontières intelligentes Résumé de l’intervention de Alain HOULOU, secrétaire général de Vers la République des Territoires, association présidée par Gwendal Rouillard , Dakar, 17 décembre 2013 La FRONTIERE implique, à travers le mot, un front, un affrontement, un conflit et est synonyme, depuis le quinzième siècle de catastrophe pour les peuples colonisés puis devenus indépendants dans des frontières marquées au fer rouge des divisions territoriales opérées par les colonisateurs. Le premier partage du monde remonte au traité de Tordesillas où le pape Alexandre VI répartit en 1493 le nouveau monde, découvert un an plus tôt, entre Espagnols et Portugais, sachant qu’il avantagea ces derniers. Le dernier grand partage du monde colonisé date de 1884-1885 lors de la conférence de Berlin qui, sous l’impulsion du chancelier allemand Bismarck, imposa à l’ensemble des ethnies et peuples d’Afrique des frontières aberrantes qui perdurent, avec leurs conséquences meurtrières, jusqu’à aujourd’hui. Le but de ce colloque pourrait en fait être de rendre les frontières intelligentes, l’intelligence désignant étymologiquement ‘’ le choix qui se fait entre’’ ( inter-legere en latin où legere ne veut pas dire ‘’lire’’ mais ‘’choisir’’ comme dans le verbe ‘’élire’’) par opposition à la force brutale qui impose des limites et des bornes. 1 Songeons, puisque nous nous sommes en terre de la teranga, l’hospitalité sénégalaise, au wolof où, à partir de la préposition diggante (‘’entre ‘’), la langue a créé à la fois le substantif dig, ‘’ marque de séparation, frontière’’ et dig, ‘’promesse’’, digaale désignant le partenaire avec qui on partage et non l’ennemi dont on est séparé. Séparation ou partage ? La frontière intelligente englobe les deux à la fois : dès lors les frontières ne séparent plus forcément mais unissent et deviennent des passerelles. C’est la porosité positive ! Le TERRITOIRE, pour sa part, implique deux visions opposées : d’une part le territoire conçu comme échiquier de conquête financière ou néocoloniale, territoire dépendant de la sphère financière qui dévore le sphère économique et mène à cette mondialisation qui ignore l’humain pour placer l’intérêt au centre ; d’autre part le territoire considéré comme bassin de vie et d’emploi, espace collectif, espace ‘’complice’’ qui se construit avec les acteurs en totale coopération. On est dès lors dans l’espace-projet, espace d’expérimentation, d’innovation et de solidarité. L’écosystème local l’emporte sur le global. On passe du JE égoïste de la première conception, uniquement marchande, au NOUS collectif qui met l’humain au centre. C’est là rejoindre ce proverbe wolof que le poète –président Léopold Senghor mettait en épigraphe à sa belle revue Ethiopiques : Nit nit, ay garabam, ‘’ l’homme est le remède de l’homme ‘’. La DEMOCRATIE est indissociable du local et du territoire. Ce mot vient du grec démos dont tous les dictionnaires ne donnent qu’un seul sens, dérivé en fait, celui de ‘’peuple’’. Or ce mot est rattaché à un verbe indoeuropéen, attesté en sanskrit, qui signifie ‘’ diviser, partager’’. La démocratie, c’est la gestion d’une portion e territoire, démos, qi implique la participation du collectif aux décisions de la cité ou du village et place le local en priorité face au global. La conquête spatiale n’est pas seulement astrophysique, elle peut être celle qui privilégie l’humain sur son territoire ! 2 Notons d’ailleurs que le mot nomade , contrairement à ce qu’on pourrait penser, ne désigne pas ‘’ celui qui bouge ou se déplace’’, mais bien ‘’ celui avec qui on partage’’, la racine indo-européenne nem/nom signifiant, comme la racine dem, le partage. Nomos, en grec, c’est la loi, ce qui sépare le permis de l’illicite, mot qu’on retrouve dans économie (la loi de l’habitat), autonomie (qui fait sa propre loi) etc. Le nomade c’est en fait celui qu’on accueille et avec qui on partage la terre en échange de services. Foin des idées reçues ! Le président Senghor avait prôné le projet de bâtir une civilisation de l’universel où chacun aurait sa place au banquet ‘’ du donner et du recevoir’’, impliquant un échange permanent. Il considérait la conférence de Bandung tenue en Indonésie en 1955 comme un événement majeur de l’histoire car cette conférence marquait l'entrée sur la scène internationale des pays du Tiers monde. Il eût été ravi d’apprendre, lui le linguiste agrégé de grammaire, qu’en indonésien, ‘’merci’’ se dit ‘’ terimah kasih’’ qui littéralement signifie ‘’ recevoir donner’’ ! C’est ce remerciement que j’adresse également à tous les participants à cette conférence en le mêlant à celui de la langue de Léopold Sédar Senghor, le seereer, avec un chaleureux jookanjal ! 3