Maxime Alexandre, écrivain surréaliste

Transcription

Maxime Alexandre, écrivain surréaliste
CHARLES FICHTER
Maxime Alexandre,
écrivain surréaliste
Conversion et «déconversion»
Quand nous avons rouvert le
petit livre sur Maxime
Alexandre paru en 1975 à
l'occasion du cinquantenaire
du surréalisme, nous y avons
trouvé d'une part des essais
de définition de son style:
léger, aéré pour les uns,
musical pour les autres,
comparable au romantisme
de Nerval, ou encore
visionnaire(1)... Nous n'avons
pas pu nous empêcher
d'autre part de relever, au fil
des contributions, des
reproches, l'ensemble
finissant par créer un malaise
dans cette littérature
secondaire.
Charles Fichter
Professeur d'allemand
Strasbourg rouge
D
ans tel article, on lui reproche d'avoir
réussi en littérature alors que d'autres
de sa génération furent sacrifiés dans
leur devenir littéraire à cause de la situation
linguistique de l'Alsace, tout en mettant en
doute un peu plus loin la valeur littéraire du
surréalisme. On lui demande ailleurs pour­
quoi il ne voulut pas accepter, dans les années
70, la discipline du Conseil des écrivains,
alors qu'il s'était plié à celle, beaucoup plus
dure, du groupe surréaliste(2). On le ques­
tionne encore ici sur son passage au français,
sur son refus de la découverte émerveillée
d'un certain passé comme source d'inspira­
tion littéraire(3)... En somme, est-il digne
d'être Alsacien ? « Certes, pour un écrivain né
en Alsace...»(4), on a l'impression que le
label surréaliste est un peu tabou(5). Maxime
Alexandre a-t-il fait plus que la chronique un
peu tardive - quoique fort utile - du groupe
autour de Breton ?
Nous avons interrogé son œuvre pour sa­
voir qui il était véritablement. Cela semblait
a priori simple, car la plupart de ses livres
sont autobiographiques. Or l'entreprise de­
vait s'avérer plus complexe qu'il n'y pa­
raissait de prime abord. Nous avons pris à la
lettre quelques clés qu'il nous livre luimême:
Au commencement était la Suisse. Si,
étudiant à Strasbourg, Maxime Alexandre a
la tête pleine de la Russie mythique dont la
révolution d'Octobre est le centre, c'est
qu'il a vu des exilés en Suisse.
Car à 15 ans, le 1er août 1914, il est à
Zurich, en famille(6). Puis à Montreux, seul
Revue des Sciences Sociales de la France de l'Est, 1993
23
avec son père qu'il est «allé chercher» après
le retour de sa mère à Strasbourg. Enfin, à
partir de 1916, à Lausanne, indépendant, le
père étant rentré en Alsace.
La Suisse pendant la première guerre
mondiale a été maintes fois décrite. Dans les
Mémoires d'un surréaliste, il raconte que,
grâce à la Freie Presse, journal socialiste qui
publiait aussi les communiqués de guerre
français dans l'Alsace allemande, il était prêt
à recevoir cette atmosphère. Le Journal de
Genève publie des textes de Romain
Rolland, Maxime Alexandre va littérale­
ment dévorer Jean-Christophe, en français,
à raison d'un volume par jour. C'est ici aussi
qu'il lit Rimbaud préfacé par Claudel, «la
fracassante préface de Claudel ». Pendant un
an, il va essayer de traduire en allemand Une
saison en enfer(7) Rimbaud sera longtemps
sa référence.
La «vraie vie», en Suisse, c'est déjà le
poker, les femmes, la fréquentation de per­
sonnages interlopes.
C'est aussi la première rencontre avec le
mouvement Dada. En effet, Maxime
Alexandre rencontre Arp. C'est, selon son
propre témoignage, la première fois, au café
Bellevue à Zurich, en 1917. Il devait le re­
trouver plus tard chez Breton, au café
Cyrano, nous dit-il. Le café Bellevue était le
rendez-vous des réfugiés, c'est-à-dire des
artistes(7).
Il faut bien se rendre compte du décalage
qui existait entre lui et le mouvement Dada,
étant donné qu'il est beaucoup plus jeune,
qu'il n'a encore rien publié. Il s'agit de rat­
traper le temps perdu, il faudrait nouer des
contacts, mais Maxime Alexandre est seul,
car il arrive à maturité pendant la guerre,
dans une situation où certes il mène une vie
dorée, mais il ne peut que recevoir, se for­
mer individuellement, tandis que l'époque
est aux groupes.
1917, c'est aussi l'année où Jean Arp et
Max Ernst se retrouvent à Cologne pour y
fonder le mouvement Dada. Max Ernst est
né en 1891, Arp en 1886. Plus tard, en 1919,
Alexandre publiera dans Der Strom(9) la
revue de Ernst.
Il ne parle pas de sa rencontre avec René
Schickelé, qui a dû pourtant avoir lieu, mais
qui, bien que ce dernier lui confie la revue
pacifiste Clarté(10), comme nous allons le
voir, a dû le laisser insatisfait. Schickelé est
un intellectuel reconnu, plus âgé également
puisque né en 1883, d'autant plus courtisé
qu'il dirige la revue des Weissen Blätter(11).
Rentrant à Strasbourg en 1918, il fallait
songer à l'avenir et (re-)commencer des
études qui étaient sans doute largement pas­
sées au secon plan. En Suisse, il s'était ins­
crit comme étudiant en philosophie, français
et allemand; de retour à Strasbourg en 1918,
il s'inscrit en droit et lettres, «suivant l'an­
cien usage strasbourgeois»(l2).
Il retrouve Theo Singer, ami d'enfance.
Nos deux «révolutionnaires de Wolfisheim» comme il aime à se définir, fon­
dent les Etudiants Socialistes. La politique
entre dans leur vie au moment où se joue
l'unité du mouvement ouvrier, sur la base
du bilan de l'attitude face à la première
guerre mondiale, et à la révolution russe.
Maxime Alexandre sera communiste, avant
les autres surréalistes, communiste à
Strasbourg, et journaliste à l'Humanité.
«En même temps, pensant obéir à l'une
des exigences du surréalisme, et précédant
en cela tous mes amis, je me mis à la dispo­
sition des communistes strasbourgeois. » Il
va faire «des conférences devant les ou­
vriers métallurgistes, écrire dans l'Humanité
de langue allemande paraissant à Stras­
bourg, entre autres des attaques d'une ex­
trême violence contre les socialistes »(13).
Maxime Alexandre raconte comment il
assiste au congrès socialiste du printemps
1920 qui précède celui de Tours, où naîtra le
PC. Retour d'URSS de Cachin et Frossard,
arbitrage de Blum entre les deux, la question
de l'adhésion à la Troisième Internationale
tient la vedette, avec Raymond Lefèvre, son
plus chaud partisan: «Le visage tourmenté,
les gestes accusateurs, l'éloquence tragique
de Raymond Lefèvre reflétaient la souf­
france et la colère de notre génération »(14).
Le congrès se termine par la grève générale,
raconte Maxime Alexandre, un train spécial
est affrété pour les congressistes ! Le jeune
homme est visiblement attiré par ce monde
nouveau, et très excitant, qu'il découvre. Un
agitateur, Zalewsky, le fascine, il est re­
cherché par la police, c 'est un héros. Un jour
«Mon premier contact, en rentrant en
Alsace en 1919, avec la flicaille. Je revenais
de Suisse, où j'avais été en relation avec
René Schickelé, ce qui signifiait pour la po­
lice le groupe autour de Romain Rolland...
Pour se renseigner sur mes lectures sans
doute, les poulets firent le tour de tous les li­
braires de Strasbourg qui s'empressèrent
naturellement de m'en informer.»(17)
Maxime Alexandre est en effet chargé de
représenter la revue Clarté à Strasbourg.
D'après sa fille(18), c'est bien par Schickelé
qu'il devient responsable de Clarté, et c'est
par Clarté qu'il fait un certain nombre de
rencontres intéressantes comme celle de
A. Germain, beau-frère de Léon Daudet,
propriétaire du Crédit Lyonnais, comme
celle encore d'Alfred Valette, directeur du
Mercure de France. Lui-même note que, si
le groupe Clarté connut un certain succès(19),
en revanche une revue franco-allemande
qui devait paraître parallèlement ne vit, elle,
jamais le jour.
Une rencontre
Maxime Alexandre
aussi, un secrétaire de syndicat propose à
Maxime Alexandre d'aller à Paris assassiner
Poincaré(15). La police avait aussi ses provo­
cateurs...
Moins passionnantes sont les notes sur la
situation allemande. Si la révolution était
perçue comme un phénomène européen,
elle devait bientôt avoir ses revers et ses
martyrs, après l'euphorie de 1918.
«Les Allemands en qui on avait mis
quelque espoir commençaient à être assas­
sinés l'un après l'autre. »(16)
Mais notre héros aura ses propres ennuis
avec la police, non pas semble-t-il à cause de
ses activités militantes, mais parce qu'il ve­
nait de ce milieu suisse pacifiste qui, en
France, n'avait pas bonne presse.
24
Le surréalisme de Maxime Alexandre
commence par sa rencontre avec Aragon. Il
existe de cette dernière deux versions:
d'après Maxime Alexandre, c'est chez la
fiancée de Georges Levy que, pendant l'été
1923, il rencontra Aragon(20). Et Strasbourg
n'est alors supportable que parce qu'il y a
Aragon. Cet été 1923, «Louis Aragon dé­
barqua chez Denise ». Les deux amis se dé­
couvrent des goûts communs en littérature,
en morale, en amour et en gastronomie : ils
vont manger au Crocodile, danser au SavoyHannong et prendre l'apéritif au Café de la
Paix, ce «magnifique édifice». Louis
Aragon nous livre une autre version des
faits: «Strasbourg, on m'y avait envoyé...
(...) Il faisait encore froid et je m'ennuyais.
Au café où j'allais écrire, parce que la
chambre d'hôtel était mal chauffée, je me
trouvai deux ou trois fois à côté d'une tablée
qui jouait au poker, un capitaine, des mes­
sieurs d'âge et un drôle de type, de mien
d'âge, ou à peu près, avec une tignasse
ébouriffée et un profil d'aigle, qui parlait
fort, avec l'accent de là-bas, et qui se tapait
les cuisses quand il parlait, avec des excla­
mations. Une fois, lassé des culottes qu'il
prenait, il repoussa un bock, et se tourna vers
moi, tenant sur le hasard des propos désillu­
sionnés. C'est comme ça que nous avons fait
connaissance. »(21) Cette rencontre avec
Aragon et, à travers lui, avec les surréalistes,
est décisive. Maxime Alexandre n'a cessé de
le souligner. Il semble que pour Aragon, elle
se situe aussi à un moment décisif de son
évolution, ce qui expliquerait sa disponibi­
lité à ce moment-là. Il est en effet très par­
tagé entre son désir de s'intégrer au groupe
de Breton d'une part, et celui de faire œuvre
originale d'autre part, à travers le roman.(22)
Strasbourg noir
«Après, on se baladait dans la ville qu'il
connaissait comme sa poche (c'est Aragon
qui parle ), il aurait voulu me présenter à
René Schickelé, l'homme après tout le plus
capable de me renseigner question patois,
hein, mais Schickelé était en voyage quelque
part. Mon nouvel ami, le drôle c'était qu'il
s'appelait Alexandre, (...) Maxime seule­
ment, un prénom rare, qui fait Gorki. Il ha­
bitait chez ses parents, faisait je ne sais trop
quoi, dans une librairie, avait des amis à
Paris du côté Dada. »(23) Ce témoignage est
intéressant car, si Aragon insiste sur la par­
faite connaissance que Maxime Alexandre
avait de la ville, ce dernier rapporte qu'il dé­
couvrit Strasbourg de cette manière avec
Aragon.
Comment? Avec les catégories de la
modernité, certes, mais surtout avec un dé­
coupage du temps qui nous semble intéres­
sant. Si les romantiques, divisant la nuit en
état de veille et en sommeil, divisant ensuite
le sommeil en plusieurs phases - dont le
rêve - purent explorer des continents nou­
veaux, nous avons, dans les descriptions que
Maxime Alexandre nous livre de
Strasbourg, un transfert des catégories noc­
turnes sur le jour, qui n'est pas sans rappe­
ler celui des romantiques.
Maxime Alexandre va adorer les bains,
l'eau favorisant les rêves(24), tout comme le
cinéma, qu'il considère comme son incar­
nation. Ainsi en est-il du cinéma de la place
Broglie à Strasbourg, qui devient le théâtre
d'une anecdote surréaliste, d'une rencontre
inespérée. Le cinéma, «j'y allais deux fois
par jour, pendant des années. Stupéfiante in­
vention, où se retrouvaient toutes les condi­
tions du rêve. La nuit, qui ne se différenciait
en rien de la nuit du sommeil, déclenchait un
défilé d'images silencieuses, symboles, le
plus souvent, de deux sentiments élémen­
taires : l'amour, la poésie. A la faveur de ce
rapprochement du désir et de la réalité, des
couples se formaient, aussitôt défaits par
l'irruption du jour»(25).
Le café va bien sûr jouer un rôle de pre­
mier plan. Mais revenons un instant sur les
cartes, comme pour la rencontre avec
Aragon. Ce sont brusquement les joueurs
qui sont entourés de mystère. «Un parte­
naire de poker, revenu blessé et désemparé,
de la guerre, m'avait introduit dans un petit
cercle se réunissant chaque jour entre une
heure et trois heures dans un café.» Les
joueurs de cartes sont aussi franc-maçons.
«Je n'appris qu'un plus tard, oh très sim­
plement, lorsqu'on me demanda d'y entrer,
que tous mes compagnons de table en fai­
saient partie. »
Pour que le mystère prolifère, Maxime
Alexandre s'inspire d'Aragon dans sa vision
de la ville moderne'26'. Nous avons évoqué
le cinéma, les bains. L'emploi du temps de
la journée se déroule selon l'ordre du désir:
«L'après-midi, je jouais aux cartes, au café
de l'Univers; vers cinq heures, j'allais au
"thé dansant" de l'hôtel de la Maison Rouge,
et le soir, après une nouvelle station au café
de l'Univers, je me transportais d'une boîte
de nuit à l'autre. »(27) Strasbourg est une
ville chaude. «Strasbourg, dois-je le préci­
ser, est une ville où l'on aime s'amuser et, le
besoin créant la fonction, les occasions de ce
que l'on appelle s'amuser étaient nom­
breuses. La nuit, une des rues les plus com­
merçantes de la ville, la Grand-rue, devenait
le rendez-vous d'un public assez équi­
voque. » La prostitution la plus basse s'y éta­
lait à une certaine époque à côté de petits pa­
lais des mille et une nuits. «Ce sont des
établissements de luxe - de luxe noir. » Le
promeneur raconte: «Y pénétrant un soir
vers dix heures, je suis tombé dans une so­
ciété de femmes peu ordinaires, à mi-chemin
sans doute entre les professionnelles et... je
ne saurais vraiment, même aujourd'hui, dire
quoi. Parmi elles un être ensorcelant, reconnaissable au premier coup d'œil comme une
créature engendrée par le feu. »(28) «Entre la
Grand-rue (...) et la rue du 22-Novembre, il
y a plusieurs ruelles étroites, l'une plus sin­
gulière, pour ne pas dire plus mystérieuse
que l'autre. Dans l'un de ces passages, la rue
des Aveugles, s'ouvrit un jour une boutique,
qui ne pouvait pas ne pas attirer par sa vi­
trine, véritable petit musée de la misère. Une
paire de bretelles usagées tombées là à tout
hasard, des jarretières effilochées, gisant
25
tout aussi élégamment au milieu d'un désert
gris (...) La première fois j'eus beau ap­
puyer la poignée, la porte resta fermée. La
seconde fois je fus accueilli par une petite
blonde mutine (...) Sans bavardage super­
flu, la préposée de ce cabinet du rien m'in­
troduisit dans une pièce attenante, dont un
large divan formait l'ameublement. »(29)
Le vécu auquel il est fait référence là est
le même que celui du Paysan de Paris
d'Aragon en 1924. Alors que ce dernier dé­
poétise au maximum, respectant la vérité
physique, déshabillant son héros, relatant un
anti-amour dans un anti-roman(30), Maxime
Alexandre poétise ce monde qui pourrait
tout aussi bien apparaître comme sordide.
En fait, si nous essayons de préciser un
petit peu quels furent les milieux fréquentés
alors par Maxime Alexandre à Strasbourg,
nous rencontrons un autre personnage, et par
lui nous retournons aux cartes, et au vivier
du surréalisme. Il s'agit de Georges Lévy,
étudiant en médecine.
«Un de mes partenaires de poker, G.L.
(...) semblait partager les tendances des
deux révolutionnaires de W.; ce qui était
plus exceptionnel : il collectionnait des ta­
bleaux et possédait déjà plusieurs Klee, des
Fernand Léger, un Picasso, un Braque. »
Nous savons par ailleurs que Georges
Lévy épousa, dans l'été de 1921, une jeune
femme nommée Denise(31), ce qui corres­
pond à ce que note Maxime Alexandre, qui
dit que son ami avait une fiancée nommée
Denise dont la cousine était elle-même ma­
riée à André Breton(32). Cette deuxième
jeune femme, nommée Simone Kahn, était
la fille d'un importateur strasbourgeois(33).
La correspondance entre les deux cousines
est connue et le personnage qui, semble-t-il,
est le plus intéressant pour notre propos, est
celui que Maxime Alexandre fréquentait
précisément : Denise.
Avant de se marier à Strasbourg, elle ha­
bitait Sarreguemines. «D'une vaste culture,
aussi bien allemande que française, elle a
contribué à intéresser les surréalistes au ro­
mantisme allemand et à le leur faire
connaître. (...) Son intelligence, sa finesse,
mais aussi une sensibilité qu'on devinait in­
tense dans son extrême retenue, tout faisait
d'elle un être d'une haute harmonie.»(34)
« Chaque année, Simone Breton allait faire à
Strasbourg un ou deux séjours de plusieurs
semaines; Denise venait également à Paris.
Après avoir divorcé, elle épousa Pierre
Naville. Elle est morte en janvier 1970. »(35)
Bureau de recherches surréalistes, rue de Grenelle, décembre 1924. De gauche à droite, debout : Charles Baron,
Raymond Quenau, Pierre Naville, André Breton, J.-A. Boiffard, Giorgio de Chirico, Roger Vitrac, Paul Eluard, Philippe Soupault,
Robert Desnos, Louis Aragon ; assis ; Simone Breton, Max Morise et Mick Soupault
Avec les surréalistes
parisiens
La première rencontre avec Breton
s'était faite grâce à Denise, la cousine strasbourgeoise de sa femme, dès 1920. Mais
Maxime Alexandre devait «rater son exa­
men» d'entrée dans le groupe des surréa­
listes, car il n'était pas conforme à «la my­
thologie rhénane et romantique en
cours »(36).
C'est encore chez Denise, la fiancée de
Georges Lévy, que, pendant l'été 1923, il
rencontrera Aragon(37). Cette fois-ci est la
bonne, Aragon lui servira de guide. C'est
plus qu'une conversion, c'est un engage­
ment total, lui-même essayant vainement,
plus tard, de retrouver la même fougue
pour le catholicisme(38). Etre surréaliste en
effet impliquait toute une façon de vivre. A
l'inverse, il me semble qu'on a souvent mal
interprété, en particulier en Alsace, l'im­
portance de son œuvre littéraire propre­
ment surréaliste(39). Ses contributions aux
deux revues principales se limitent en effet
à peu de choses(40). Dans leur chronologie,
H. Béhar et M. Carassou(41) considèrent
qu'il est membre du groupe de 1924 à 1932
et citent Mythologie personnelle paru en
1934, Cassandre de Bourgogne paru en
1939 ( 4 2 ) et Mémoires d'un surréaliste paru
en 1968 comme ses trois œuvres surréa­
listes. Ces dates sont surprenantes, car sa
production surréaliste est postérieure à son
engagement dans le groupe, à part quelques
textes tout petits, ou quelques signatures au
bas d'un manifeste. La participation d'Arp
est finalement beaucoup plus active, étant
donné que ses dessins paraissent dans pra­
tiquement tous les numéros de La révolution surréaliste. Il faut bien entendu avoir en
tête sa jeunesse, mais elle n'explique pas
tout. La langue allemande était jusqu'ici son
moyen d'expression, le passage d'une
langue à l'autre est très problématique sans
doute, et, même après avoir surmonté le si­
lence, la production restera un filet très
mince.
Voici ce que dit l'intéressé : «Après tout,
je faisais partie du groupe, initialement du
moins, bien plus comme révolté que comme
écrivain ou poète. La preuve: en 1923, il
[Breton] ne connaissait pas une ligne de
moi. Mon premier texte français a paru trois
ans plus tard. » Il s'agit du Corsage(43).
26
A propos de ce premier recueil de
poèmes, Le corsage, paru aux Editions sur­
réalistes, Maxime Alexandre note le 25 oc­
tobre 1972 dans son journal : «Là où les cri­
tiques n'ont vu que du feu, c'est quand nous
avons collaboré ensemble, et même parfois
échangé des poèmes : dans Le corsage par
exemple, figurent quelques parties de
poèmes qui sont d'Eluard, et inversement,
certains fragments de poèmes de moi figu­
rent dans des recueils d'Eluard. »
L'écriture et le rêve
Le surréalisme et l'écriture automatique
sont une véritable planche de salut pour le
jeune homme déséspéré(44) dont parle Ara­
gon et pour l'écrivain qui, après la guerre,
est pris entre deux langues, l'allemand et le
français. Mais c'est en français qu'il veut
faire œuvre littéraire.
«Ce fut le 2 janvier 1925 que j'eus le
coup de foudre, si l'expression se justifie à
propos de ma première inspiration dans la
langue que je croyais ne jamais arriver à ap­
prendre et que, sans fausse modestie, je n'ai
peut-être jamais vraiment apprise. J'ai dit
inspiration. J'aurais pu risquer le mot nou­
veau et plus précis d'écriture automatique,
car c'est en me fiant à elle que j'ai enfin et
pour la première fois réussi à m'exprimer de
manière satisfaisante. (...)
Cette fois, en me relisant, je rencontrais
quelqu'un d'étranger, et cet étranger, c'était
moi tel que je souhaitais être. »(45) C'est un
usage nouveau de l'écriture automatique
que fait Maxime Alexandre. C'est lui aussi
qui tient le plus régulièrement, dans le
groupe, le journal de ses rêves(46).
Dans Cassandre de Bourgogne, son
grand texte publié en 1939, il pratique
l'auto-analyse. Nous avons déjà signalé que
ce texte était en fait très tardif. Aussi
convient-il de souligner quelques points,
d'en faire une lecture plus précise.
«Le train venait de traverser la Bour­
gogne. Dans mon rêve, le mot était doué
d'une puissance insigne et provoquait en
moi des résonances multiples. »(47)
Et:
« Cassandre évoquait pour moi le destin
désespéré, drapé dans la robe du remords et
de la sensibilité. »(48) Le train fonce vers
Saint-Tropez, la mer, fusion avec l'univer­
sel, l'acte de se baigner rappelle l'acte
d'amour. Une femme l'accompagne, Hertha
l'Allemande, dans cette quête du sens:
«Hertha, en vivant à côté de moi de
l'existence d'une plante ou d'un animal,
m'aidait à établir l'unité entre le rêve et la
vie, l'essentiel pour tout être un peu
haut.»(49)
Le poète essaye d'aller aux sources de la
poésie, des images. Pour nous livrer sa clef,
exprimée, il faut le noter, en trois mots alle­
mands :
«Wort sucht Tat. (...) Le verbe (...)
constitue le passage de la parole à l'ac­
tion. »(50)
Pour illustrer cela, il évoque les comp­
tines enfantines comme Pomme de reinette. .. qui seraient comme une trace d'un
stade magique où le verbe aurait un pouvoir,
sans pour autant que la direction où l'on veut
aller soit consciente : « Ces mots sont encore
englués, pour ainsi dire, de sommeil. »(51)
Dans le chapitre intitulé Le dialogue de la
nuit et du jour, la nuit dit au jour : « La vérité
de mon délire dépasse la vérité de tes re­
cherches confuses et sans espoir. »(52)
Le voyage en train à travers la
Bourgogne en 1937 avait produit le rêve qui
fut à l'origine de cette méditation sur sa vie
passée, initiant avec le nom Cassandre de
Bourgogne une quête de l'autre et à travers
l'autre une quête de soi. L'œuvre étant une
manière de journal, nous trouvons, un an
après, dans le même texte, l'idée que ce nom
ne signifiait pas une femme unique, mais
que toutes les femmes de sa vie (et il nous
en présente beaucoup dans son œuvre!)
«donnent une figure»(53).
Si la femme n'a pas été trouvée, cette
quête d'un an qui n'est certes pas contradic­
toire avec «l'exploration du continent inté­
rieur» que pratiquaient les surréalistes(54), est
marquée très fortement pourtant de l'em­
preinte romantique, et plus particulièrement
du romantisme allemand. Nous avons vu à
cet égard le rôle de Denise Lévy. Breton luimême s'y réfère à plusieurs reprises(55), mais
Maxime Alexandre donne l'impression de
s'abandonner plus complètement à ce cou­
rant quand il parle de Hertha et de son être
organique, de la fusion avec la nature à tra­
vers cette femme qui est allemande. Quand
il met en scène un dialogue entre la nuit et
le jour, n'est-ce pas également une discus­
sion sur l'héritage culturel allemand qu'il
ouvre, au moment où le nazisme menace ?
C'est bien de la tradition de Novalis et des
Hymnes à la nuit qu'il est question, de celle
de tous les grands poètes qui ont puisé aux
sources du Cor enchanté de l'enfant, de
celle de la poésie populaire des comptines.
La recherche d'une mythologie person­
nelle nous conduit à un autre point. Il semble
que dans ses conclusions Maxime Alexan­
dre soit plus proche de C.G. Jung que de
Freud. Cela est visible dans les leçons pour
l'individu qu'il tire à la fin du petit livre :
«Pour l'individu solitaire, perdu dans le
flux et le reflux des foules inconnues, parmi
les attaques auxquelles il est sans cesse
livré, dans le tourbillon des sensations et des
pensées, il ne resterait pas une possibilité de
conservation de soi-même, si la nuit ne se
chargeait d'effacer les intrigues et les obs­
tacles, et de choisir pour lui ce dont il a be­
soin pour durer. S'il arrive à lire dans son
rêve, il connaît le rôle qui lui est dévolu
parmi les vivants. »(56)
Enfin, la façon d'aborder les rapports
entre le langage et l'action, si elle est bien
sûr compatible avec le surréalisme(57), n'en
rappelle pas moins dans sa formulation
même la langue hébraïque, où le même mot
désigne la parole et l'action, et l'origine
juive du poète. Mais cela nous conduit à
évoquer sa description de la Côte d'Azur un
27
an après y être arrivé. Au matin du 17 mai
1938, Saint-Tropez devient le centre d'un
monde nouveau, celui des «bords bénis de la
Méditerranée». Cette vision nouvelle, le
poète lui-même ne semble pas en voir les
implications(58), mais son texte le trahit :
« Ce paysage me rappelle la terre où cou­
lent le lait et le miel, la terre dont les mes­
sagers de Moïse, ayant pris dans leurs mains
des fruits du pays, dirent : ce pays est bon.
C'est un souvenir de mon enfance, cela:
Jacob et Rachel au bord du puits. Jacob,
appuyé sur sa houlette, regarde amoureuse­
ment la jeune fille aux boucles brunes, belle
à voir, Rachel, pour laquelle il lui faudra ser­
vir deux fois sept ans. »(59)
L'élucidation de soi
C'est en 1932 qu'il se sépare des surréa­
listes, l'année de l'«affaire Aragon» : après
la publication de Front Rougé(60), Aragon est
inculpé par la justice militaire, une pétition
est signée en sa faveur à l'initiative de
Breton, qui rédige en outre une brochure
(Misère de la poésie), où il énumère les cri­
tères d'une poésie surréaliste. Mais
l'Humanité reproche en même temps aux
surréalistes leur révolutionnarisme verbal,
les fonctionnaires du Parti Communiste les
accusent de «puer la décomposition bour­
geoise». Breton veut publier une mise au
point qu'Aragon réprouve, sous prétexte
qu'on ne doit pas rendre public un débat in­
terne au Parti. Aragon menace de rompre.
Breton passe outre, Aragon réplique en
condamnant le contenu théorique et les at­
taques de la brochure, les jugeant « objecti­
vement contre-révolutionnaires »(61). Les
choses s'enveniment et Aragon, Sadoul,
Alexandre et Pierre Unik, tous membres du
PC, rompent avec le surréalisme. Cela se
passe en mars 1932.
Mythologie personnelle(62) paraît en
1933. C'est en fait un journal précisément
daté de l'automne 1932, du 5 septembre au
10 octobre. Le narrateur est dans la mon­
tagne, seul avec une femme, Hertha, une
Allemande.
La préhistoire de cette relation est
intéressante. Nous apprenons qu'en mai de
la même année, Maxime Alexandre s'était
fait opérer de l'appendicite à la clinique
Bethesda de Strasbourg. Il avait alors eu
envie de revoir un amour de jeunesse à
Berlin, désir qu'il devait réaliser. Mais il
constate qu'il est «moins bouleversé», et il
rencontre Hertha à Dresden. Or des diffi­
cultés avec le père d'Hertha le conduisent en
prison où, dit-il, il fait ses plus beaux
rêves(63). Ce ne sont pourtant pas ces rêves
qui nous sont racontés, mais ceux de la mon­
tagne. Dans ce livre déjà, il définit le rêve,
mais sa définition est autre qu'en 1939.
«C'est ainsi que le rêve n'est pas un mi­
roir où se réfléchissent les événements, mais
un tableau où ils s'insèrent.»(64)
Cette définition évoque d'emblée la
peinture, surréaliste, et n'a rien d'original.
Les rêves sont notés au jour le jour, dans un
souci de vérité surréaliste. Il est difficile de
dégager une constante. Reviennent plusieurs
fois des rêves avec Hertha et les parents de
Maxime Alexandre, où l'on sent la crainte
d'une confrontation. Remarquons aussi le
motif de la synagogue et de la femme juive,
ou celui du village de Wolfisheim. Les deux
rêves les plus intéressants me paraissent
être les suivants.
La scène se passe en Allemagne, dans un
tramway. «Des hommes, en uniforme, que
je crois des hitlériens, passent dans la rue,
mais le contrôleur ainsi que son compagnon
les saluent comme si c'étaient des hommes
du "Front Rouge". Mais d'autres arrivent,
qui cette fois portent des brassards à la croix
gammée. » Maxime Alexandre est le seul à
être conscient du danger. La deuxième scène
se passe dans une chambre d'un rez-dechaussée. Les nazis se multiplient, Maxime
Alexandre prend peur, va dans le couloir où
se trouvent des policiers, qui ne font rien. Il
a un passeport français, c'est d'autant plus
dangereux, mais on ne lui permet pas de té­
léphoner au consulat. «Tout à coup, par une
charge de dynamite que j'avais portée dans
un sous-main de cuir que je possède depuis
mon enfance, je pulvérise les cent hitlériens.
Le policier en civil se lève, balaie de sa main
droite un peu de poussière de dynamite res­
tée sur la table et dit : "Il y a encore assez de
hitlériens, c'est pas dommage !" Je me lève
et lui serre la main en disant : "C'est la pre­
mière fois de ma vie que je serre la main à
un policier ».(65)
On ne peut s'empêcher de retrouver dans
ce rêve l'épisode d'Aragon, mais avec une
réorientation du feu, en fonction de quelque
chose qui commence à être très inquiétant :
les hitlériens.
Le second rêve(66) se passe à Strasbourg,
dans une rue mal famée. Maxime Alexandre
est assis sur un banc, entre deux femmes,
une jeune à qui il fait la cour, et une vieille,
laide. La première femme est aussi devenue
vulgaire et laide: «La vieille commence à
me masturber, mais elle le fait comme on ar­
rache les plumes d'une volaille, ou plutôt
comme je voyais autrefois notre bonne en­
foncer le maïs dans le bec des oies, quand
elle les engraissait pour obtenir de beaux
foies. Pendant ce temps, je masturbe l'autre
femme (...) Mon sexe se détache complète­
ment de mon corps, très proprement, et je
l'enveloppe dans mon mouchoir que je
glisse dans la poche de mon pantalon.
Je me trouve avec ma mère dans la rue,
avec l'atroce hantise d'avoir perdu mon
sexe. (...) Je songe que si je ne puis me faire
opérer immédiatement, je me suiciderai.
Puis je pense que l'année 1932 verra déci­
dément ma mort. (...) Tout à coup, nous ren­
controns le docteur Wennagel, revenant de
la synagogue avec un de ses amis. (En réa­
lité, le médecin qui m'a soigné pendant
l'opération s'appelle Nonnenmacher - fai­
seur de nonnes! - n'est pas Juif, et
Wennagel est le nom du médecin dont il a
pris la succession)...»
Ce qui se joue dans ce rêve, entre les
deux femmes d'une part, l'apparition de la
mère de l'autre, c'est certainement la ques­
tion d'une liaison durable, peut-être d'un
conflit avec la mère. Est-ce la castration du
mariage ou est-ce la circoncision dont il est
question là? L'un et l'autre sans doute, dans
la mesure où le médecin est associé au ju­
daïsme, que celui-ci est à nouveau associé à
la question religieuse tout court à travers la
référence au « faiseur de nonnes ».
Ce rêve aurait dû - ou aurait pu - le rap­
procher du judaïsme. Nous savons au
contraire que Maxime Alexandre va se
convertir au catholicisme. Pour bien saisir
les raisons de cette conversion, il me semble
qu'il faut comprendre que Maxime
Alexandre était un être extrêmement contra­
dictoire.
Nous avons vu qu'il rompit en 1932
avec André Breton. Ce n'est pas pour autant
qu'il se rappprocha d'Aragon. En dehors du
groupe des surréalistes, chacun allait faire
carrière à sa façon. Pour Maxime Alexandre,
la crise avait été précédée par une crise per­
sonnelle. Envoyé comme enseignant à
Lectoure, il eut des démêlés avec l'adminis­
tration du fait de ses engagements syndicaux
proches du PC. L'organe surréaliste publie
alors un article signé de sa main, Un professeur révoqué(67), dont la langue de bois est
28
aux antipodes des textes que nous avons vus
et dont la violence n'a rien à envier aux
textes surréalistes les plus radicaux. En voici
un extrait :
«Communiste, je m'excuse de parler un
instant à la première personne du singulier.
J'ai été professeur de français et d'allemand
pendant l'année scolaire 1930-31 dans un
collège d'une petite ville du sud-ouest. J'ai
mangé à la table d'hôte avec d'ignobles pe­
tits fonctionnaires bourgeois. Leurs conver­
sations imbéciles, les haricots, le veau
braisé, les choux fleurs, la France, le géné­
ral, l'officier de gendarmerie, et vous com­
prenez, et le sport, et nous courons plus vite,
et nous mangeons mieux, et je, et tu, et
merde, m'ont pesé sur l'estomac. Mes
élèves, enfants de petits bourgeois, à part les
plus jeunes, les plus indociles, étaient déjà
pleins d'un sens du profit et de l'intérêt bien
de leur classe.
Je n'ai réagi que faiblement. Cependant
ces réactions ont suffi à M. Mario Roustan,
socialiste français et historien de Lamartine,
autre socialiste, pour me révoquer. Tout
comme un ouvrier qui crache à la figure de
son patron, j'ai été congédié. Tout comme
un ouvrier, j'ai trouvé cela normal et suis
rentré dans le rang de la lutte révolution­
naire. »(68)
Ceci dit, les petites villes ne lui conve­
naient pas plus qu'à son maître de toujours,
Rimbaud. Et l'épisode de Lectoure nous
oblige presque à évoquer ses sentiments
d'attirance-répulsion envers Strasbourg. Ses
notes à ce sujet sont aussi fréquentes que
contradictoires et dépourvues de nuances.
Elles vont du sentiment d'insatisfaction clas­
sique, ou du trouble d'appartenance analysé
par Frédéric Hoffet, à de véritables impré­
cations. Nous n'en citerons que quelquesunes, ainsi qu'une remarque concernant la
cathédrale: «Mes compatriotes n'arrivant
pas à me classer dans leur fichier intellec­
tuel, ils semaient le mystère sous mes
pas. »(69) «Strasbourg qui m'attirait lorsque
j'étais loin, réunissait suffisamment d'in­
convénients pour m'en faire passer le goût
dès que j'y avais mis les pieds. »(70)
Parfois, c'est moins gentil, et quand il ré­
plique à ses compatriotes qui le traitent de
«farceur» ou de «voyou»(71), il appelle
Rimbaud à la rescousse : « Ma ville natale est
supérieurement idiote parmi les villes de
province »(72).
Au début des années 30, il a l'occasion
de faire visiter la cathédrale à Maurice
Thorez: «En échangeant des plaisanteries
sur le sort futur du monument, Thorez me dit
qu'on en ferait un musée, point de vue que
je considérais comme trop modéré»(73).
En fait, on a l'impression que le fond de
son attitude est le désespoir. Comme pour
Rimbaud, pour lui il n'y a «pas une main
amie»(74). Parlant de ses errances à travers
Strasbourg, et malgré tout le mystère de la
ville, Maxime Alexandre conclut «Les ren­
contres faciles, trop faciles surtout - on s'en
douterait - ne manquaient pas. Mais ai-je
fait comprendre (...) que (...) de rue en rue,
jusqu'aux premières lueurs du matin, je pro­
menais, pour me servir d'un euphémisme,
mon mal du siècle ? Plus exactement, je pro­
menais le néant. (...) Pantelant de fatigue, je
luttais contre la tentation de rentrer me cou­
cher, soutenu par quel espoir? Qu'une pro­
meneuse, faite à mon image, me prenne par
la main et me libère de mon affreux senti­
ment de solitude? Qu'un tremblement de
terre recrée le monde et le rende accep­
table?»(75).
Dans les années 30 cette attitude envers
Strasbourg semble à première vue évoluer
au contraire vers une reconnaissance du
poète par son pays. En effet Maxime
Alexandre obtient le Grand Prix de Poésie
de l'Alsace littéraire, présidé par Paul
Valéry(76). L'année 1936 est aussi l'année de
la mort de son père. Est-ce pour faire face à
une solitude encore plus grande qu'il se lie
à ce moment-là à des Alsaciens ?
Le premier de ces Alsaciens est Frédéric
Hoffet, qui obtient le même Grand Prix, en
1936, pour La damnation de Bruckner(77).
F. Hoffet est pasteur à Altkirch. Maxime
Alexandre et lui se retrouveront dans une
publication commune intitulée Les soirées
d'Altkirch, en 1938. Dans son Journal ainsi
que ses Mémoires, la référence à Hoffet est
fréquente jusqu'à la fin de sa vie.
Le deuxième de ces Alsaciens qu'il ren­
contre est un Alsacien «en exil», René
Schickelé. Certes, dans L'amour Image, il
écrit: «...C'était Tamino avec sa flûte en­
chantée», mais on lit entre les lignes une
manière de regret d'une amitié manquée(78).
«R.S., la dernière année de sa vie, étaitil devenu mon ami ? C'est à 16 ans que j'au­
rais eu véritablement besoin de son amitié.
Il avait seize ans de plus que moi, c'était
donc impossible. (...) Enfant du soleil et de
l'air, et enfant aussi de la lourde terre hu­
mide où pousse un vin qui rend clairvoyant,
R.S., le plus pur des hommes, m'a montré à
16 ans, par son exemple, le rôle d'élection
du poète, et il m'a apppris à me diriger dans
les solitudes de l'esprit. Quand je l'ai ap­
proché de plus près, pendant l'été qui a pré­
cédé la guerre, quelques mois seulement
avant sa mort, son enthousiasme à chaque
instant renouvelé donnait de la vie à chaque
pierre du chemin.»(79)
était de plus de vingt ans son aîné, mais « af­
fable, accueillant, il parlait d'abondance au
jeune garçon que j'étais. (...) A la sortie du
lycée, quand nous arpentions à la tombée de
la nuit le trottoir de la rue de la Mésange, qui
servait de promenoir - ou "Bummel" - à la
jeunesse des écoles strasbourgeoises lors des
mois d'hiver 1937-38, je voyais briller un
peu de la "vraie vie" sur son visage mi-félin,
mi-oiseau, aux traits marqués, finement ci­
selés, sur l'épaisse et sombre crinière qui
casquait son front de poète, sur ses vête­
ments élégants de dandy, sa cravate de soie
flottante aux reflets bigarrés. »(82)
Vigée rend compte de discussions avec
Maxime Alexandre sur les « grandes options
de la pensée et du cœur». «Maxime s'indi­
gnait de mes blasphèmes contre l'esprit aé­
rien d'Ariel (c'est-à-dire de l'imagination
poétique libre), il défendait l'idole contre
mes attaques de petit Caliban agrippé à son
écorce natale, à sa motte d'argile adamique. »(83)
Cette discussion montre que le poète est
pleinement conscient du fait que son œuvre
est à l'opposé d'une poésie du terroir, ce qui
n'est pas sans importance dans ces annéeslà(84).
Conversion au catholicisme
André Breton dans les années 20
Nous connaissons les circonstances de
cette rencontre par la fille de R. Schickelé.
En 1937-38, Maxime Alexandre s'achète
une voiture, séjourne à Vence et rend visite
régulièrement à René Schickelé. Quand en
1939 il rencontre sa future femme, Berthe
Dietrich, ils partent tous deux pour la Côte
d'Azur. Ils séjournent à Tourette et voient
René Schickelé tous les jours(80).
D'après sa fille, 1939 est l'année à la fois
de la publication de Cassandre - Maxime
Alexandre a une vitrine entière à la librairie
Berger Levrault - et l'année où il achève son
travail de présentation de Hölderlin avec un
choix de poèmes traduits. Le manuscrit est
prêt le 31 août 1939, littéralement à la veille
de la guerre(81).
Et puis il y a Claude Vigée. Claude
Vigée avait 16 ou 17 ans et faisait sa philo
au Lycée Fustel à Strasbourg, où Maxime
Alexandre enseignait les lettres. Ce dernier
29
La conversion au catholicisme se fera
après la deuxième guerre mondiale. Les
faits paraissent simples. Quand la guerre
éclate, Maxime Alexandre est mobilisé
comme 2e classe au 2e RRP en Lorraine,
dans une compagnie disciplinaire. Le jour­
nal de cette époque est à la base du roman
P.R. Présumé Révolutionnaire. La révolte
contre l'absurdité de la «drôle de guerre»,
qu'il explique par une complaisance de la
bourgeoisie française envers le nazisme,
complaisance qu'il avait d'ailleurs dénoncée
dès 1936(85), cette révolte se double d'une ré­
volte contre l'institution militaire. «Sous le
prétexte que j'avais manifesté mon hostilité
contre l'injustice - dix ans avant la mobili­
sation ! - on me colle dans une compagnie
disciplinaire. »(86) Mais très vite, c'est la dé­
bâcle, et dès le mois de juin, il est au camp
de Baccarat, prisonnier des Allemands. Et
c'est là qu'il rencontre un chrétien actif, pri­
sonnier lui aussi(87).
Cette rencontre ne portera pourtant ses
fruits, en termes de conversion au catholi­
cisme, qu'après la démobilisation, parce que
le génocide lui fait prendre conscience qu'il
est d'abord juif.
«J'étais devenu juif »(88), écrit-il. En effet
«le signe était sur mon front, je faisais par­
tie du troupeau du sacrifice. Ce n'était pas le
moment d'abandonner mes pareils.»(89) En
1948, la situation a changé, une nouvelle vie
commence : c'est une des façons d'interpré­
ter la conversion.
L'autre façon consiste à dire que 1948 est
la fin des espoirs d'après-guerre, de la libé­
ration. En 1946 en effet, il essaye de re­
prendre contact avec Breton, pour qui il a
gardé une grande estime, mais cela ne réus­
sit pas. Une note exprime très bien la dé­
ception de ces années-là : «Il y avait juste un
an, quelque chose d'unique m'était arrivé:
quinze jours durant, je m'étais senti chez
moi dans mon pays. Les hommes qui
s'étaient battus contre les nazis allaient créer
- ils en donnaient l'assurance - une société
honnête, sans trahison, sans lâcheté, sans es­
prit de compromission. Quinze jours ! Après
la ruée vers les places disponibles, somme
toute explicable, ils s'y étaient solidement
agrippés, puis tout de suite avaient montré
les dents et, de jour en jour, d'heure en
heure, les canines s'étaient allongées,
jusqu'à ressembler à celles de leurs prédé­
cesseurs. »(90) L'autre version consiste donc
à dire que la conversion se fait sur fond de
désespoir: tout d'abord, il va régulièrement
à la messe'91'. Il se fait ensuite baptiser le 8
décembre 1949 à la Chapelle des Œuvres de
Versailles, pour être confirmé deux ans plus
tard, le 3 mai l951(92).
En fait, la religion connaît un regain de
faveur après la guerre, après les attaques
énormes qu'elle a subies avant 1939. Il y a
certainement une volonté de la part des écri­
vains de se distancier de l'Antéchrist par ex­
cellence qu'a été Hitler. Nombreuses sont
les critiques du nietzschéisme, de la réfé­
rence à Faust. Dans Juif catholique(93),
Maxime Alexandre revient sur cette ques­
tion, sur l'influence de Nietzsche sur la gé­
nération surréaliste, une influence de troi­
sième main à travers l'Homme libre de
Barrès.
«Devant la décrépitude de ce que
Nietzsche appelait les valeurs anciennes,
l'égoïsme et la cruauté prenaient figure de
vertu. »
Il fait une distinction entre la réception
de Nietzsche en France et en Allemagne : la
formule selon laquelle Dieu était mort «a
abouti en France à de la littérature, tantôt
bonne, tantôt exécrable, et en Allemagne,
aux camps de concentration. Juifs et
Chrétiens - croyants fidèles ou hérétiques et avec eux les "poisons doux et lugubres(94)
qu'ils avaient versé dans l'âme des hommes,
devaient être supprimés, et il fallait que la
suppression se fasse avec un raffinement
dionysiaque.» Maxime Alexandre conclut
en rapprochant le dionysiaque de la «beauté
convulsive» chère à Breton.
Notons que ce détour par Nietzsche per­
met a contrario de légitimer l'alliance entre les
Juifs et les Chrétiens et constitue un ultime ar­
gument en faveur de la conversion. Aussi le
livre dans lequel cette argumentation est dé­
veloppée s'appelle-t-il Juif catholique.
Le discours de la conversion
Voyons à présent le discours de la
conversion. Alexandre commence par dé­
crire ce qu'il appelle l'orgueil juif : «Depuis
deux mille ans, les Juifs refusent d'aban­
donner le fardeau.» Dans Sagesse de la
folie(95), il discute sur le mystère des Juifs, ci­
tant à ce propos Le salut par les Juifs de
Léon Bloy(96).
«Les Juifs ne se convertiront que lorsque
Jésus sera descendu de sa Croix, et précisé­
ment, Jésus ne peut en descendre que
lorsque les Juifs se seront convertis.» Le
moment semble donc venu à Maxime
Alexandre de rompre ce cercle infernal.
A d'autres endroits, se plaçant dans la
perspective juive, il parle de tentation :
«Pourtant, il y a, depuis deux mille ans, une
grande, une terrible tentation juive, un rêve
séduisant, toujours repoussé. C'est la récon­
ciliation avec Jésus-Christ. »(97)
Caïn se réconciliant avec Abel, Benjamin
à qui Joseph pardonne de l'avoir trahi, tous
les textes sont revisités et réinterprétés. Il
faut dire que Maxime Alexandre a un par­
rain puissant: Paul Claudel. Ce dernier
l'avait déjà impressionné par sa préface à
Une saison en enfer. A présent, c'est Le pain
du(98) qui le bouleverse, et sa traduction
nouvelle de l'Evangile d'Isaïe.
Certes l'argumentation de Claudel ne
manque pas d'audace, quand il s'en va
convaincre son filleul. D'après lui, les six mil­
lions de Juifs ne sont pas morts pour rien, «...
mais comme saints et martyrs, même s'ils
n'ont pas su eux-mêmes ce qui leur arrivait. Il
aurait voulu que le Saint Père instituât une
journée de commémoration pour eux »(99).
30
Dans leur correspondance, dont une
partie est publiée à la fin du livre, Claudel
fournit au jeune converti une liste de textes
«jaculatoires», c'est-à-dire, selon les ter­
mes de Claudel «de puissants entraîneurs
de la dévotion»(100).
Maxime Alexandre est obligé de revenir
sur la période surréaliste, où les professions
de foi, les attaques et les blasphèmes n'ont
pas manqué. «Je venais de quitter un univers
impitoyable. Je venais de quitter la compa­
gnie des grandes personnes, sûres d'ellesmême, c'est-à-dire sûres de rien ! L'homme
sans Dieu est une vilaine maladie de la
croûte terrestre, sans plus. Sans le fils de
Dieu descendu sur terre pour sanctifier nos
souffrances, les singes brutaux que nous
sommes ne savent aller que de jouissance en
désespoir, de désespoir en jouissance, dans
un cercle sans fin»(101).
Son baptême sera suivi de son mariage re­
ligieux. Et du baptême de ses enfants. Le 15
août 1954, il constatera pourtant, prévenant
l'argument de la sublimation dans le mariage,
que contrairement à Pascal et Claudel, dont le
premier fut «embrasé par le feu divin» et le
second eut «la révélation d'un Dieu qui me
tendait les bras», «c'est l'amour profane, à
dix-huit comme à trente ans, qui me procurait
certitude, joie, pleurs de joie... »
Quels sont alors les motifs de sa conver­
sion ? Un certain renoncement à changer le
monde, nous l'avons évoqué. Et puis, le de­
voir de solidarité avec les Juifs était devenu
bien abstrait, après la mort de sa mère cette
année-là(102). La conscience d'une responsa­
bilité nouvelle envers ses deux enfants nés
durant la guerre, dont il fallait garantir la sé­
curité, avec tout ce qui venait de se passer,
a certainement joué un rôle : en septembre
1944 en effet, les deux enfants avaient dû
être confiés à la Croix Rouge(103).
C'est sans doute pour cimenter cette fa­
mille qu'il a «cru avoir besoin de religion ».
«Quand j'ai eu besoin, ou cru avoir besoin,
de religion, la religion juive, si tièdement
pratiquée dans mon entourage, n'entrait plus
en ligne de compte. Et je me suis lancé dans
l'inconnu, dans ce que je ne connaissais que
par le lyrisme occidental.»(104)
A propos de « lyrisme occidental » préci­
sément, on va lui reprocher de privilégier les
auteurs catholiques dans les travaux sur la
littérature allemande qu'il réalise à la de­
mande de Queneau(105).
Ailleurs, il dira que la religion catholique
est la seule à même de combiner la raison et
le merveilleux. En fait, si nous prenons ses tra­
vaux littéraires effectués avant sa conversion,
c'est bien un fil rouge qui se détache. Son at­
tirance pour Novalis, ce chantre du Moyen
Age chrétien d'avant la Réforme, était telle
que Breton appelait Maxime Alexandre « un
mélange de Staline et de Novalis »(106) La bio­
graphie de Hölderlin constitue son dernier tra­
vail juste avant la seconde guerre. Quelques
remarques sur Hölderlin sont intéressantes
pour notre propos. En effet, nous apprenons
que c'est René Schickelé qui lui a prodigué
des conseils de lecture. «L'esprit devra se
mettre dans un état de clairvoyance et de clair
entendement où les associations affleurent li­
brement.»(107)
Quelles associations Maxime Alexandre
va-t-il faire ?
Il insiste sur le trésor que constitue l'en­
fance pour Hölderlin, trésor que l'on perd au
fil des ans et dont la perte est irrémédiable(108),
sur la comparaison avec Baudelaire et
Rimbaud, les affinités avec l'œuvre de Nerval,
l'importance de la Révolution française pour
ce poète. On a somme toute l'impression
qu'Alexandre trouve là un poète auquel il peut
s'identifier. Ce qui surprend chez ce surréa­
liste, c'est qu'il insiste sur la volonté du pro­
phète Hôlderlin de réaliser une synthèse entre
l'hellénisme et le christianime et que dans son
choix de poèmes merveilleusement traduits fi­
gure le Fragment d'un hymne à la Madone...
N'oublions pas enfin le cas de Clemens
Brentano(109), qui n'est pas cité explicitement,
mais qui est l'exemple de quelqu'un à qui le
retour dans le giron de l'Eglise, à une foi
simple dans la tradition piétiste, a donné un
nouveau souffle poétique. Et l'on sait enfin
que Claudel a fait œuvre de prosélytisme en
écrivant après la guerre un livre sur Job, et un
autre livre que Maxime Alexandre a traduit en
allemand, 1'Evangile d'Isaïe. Ce texte marque
justement la victoire du christianisme sur le
judaïsme. La tradition catholique, c'est en fait
un changement radical d'orientation, c'est le
passage à un lyrisme complètement différent
des œuvres précédentes, et c'est bien une
conversion totale qu'elle demande : le surréa­
lisme avait été une forme de poésie plutôt in­
tellectuelle, Maxime Alexandre allait écrire à
présent dans un style proche du néoroman­
tisme(110). Tout cela semble lié au retour à l'al­
lemand. S'agit-il d'un retour à la langue ma­
ternelle à partir d'un certain âge, d'un retour
à la langue des débuts littéraires quand il faut
recommencer, après «la boue de ces an­
nées»(111)? Ou s'agit-il d'une tentative ou
mission de sauver ce qui peut l'être de cet hé­
ritage germanique maintenant que la «bête
immonde» est abattue? Ou d'une volonté de
repartir à zéro dans et avec la littérature alle­
mande qui connaît sa «Stunde null», son
Année zéro ? Avec la tradition romantique, le
lyrisme occidental et catholique, il retrouve la
langue qui correspond pour lui à cette culture,
l'allemand(112), qui est en plus sa langue ma­
ternelle(113).
Au pays du catholicisme réel
Après sa conversion, Maxime Alexandre
cherche à percer les mystères de cette nouvelle
Couverture réalisée par René Magritte
religion qui, depuis son enfance, lui était in­
terdite. Il va à la messe, veut se former, s'ap­
proprier cet enseignement nouveau. Or il se
trouve qu'on n'en attend pas tant de lui.
«Mes exigences dépassaient les prévi­
sions des organisations paroissiales. »(114)
Partout il dérange, et, dans ce qu'il espère
être sa nouvelle communauté «[l]es cir­
constances, à la suite de la rupture avec mes
anciens amis, m'obligèrent de jeter un re­
gard sur ceux qui auraient dû les remplacer.
Ce regard ne rencontrait guère de ré­
ponse.»(115) Pourtant, il montre de la bonne
volonté; il estime être meilleur catholique
que beaucoup de ces gens qui le regardent
avec méfiance.
31
Maxime Alexandre réplique par l'accu­
sation de sclérose et d'embourgeoisement.
Ne voulant pas céder au pessimisme, il est à
l'écoute de tout ce qui, dans le catholicisme,
pourrait contredire son impression première
et illustrer la dimension sociale du catholi­
cisme, celle dont il espérait la grande syn­
thèse pendant la guerre, entre catholicisme
et communisme. C'est ainsi qu'il fait le
voyage d'Assise, qu'il salue le courage des
prêtres ouvriers. Mais c'est en vain qu'il
cherche une fraternité, une solidarité, une
complicité, telles qu'il les avait connues
chez les surréalistes et les communistes.
Il est significatif que ce soit au moment
même où il confirme sa conversion qu'il
commence à écrire son journal, qui couvrira
les années de 1951 à 1975 et qu'il tiendra
jusqu'au seuil de sa mort. Tout ce que nous
venons d'évoquer s'y trouve. Un autre livre
important paraît entre-temps: Mémoires
d'un surréaliste. Par conséquent, l'œuvre de
conversion n'est pas le terme ultime de sa
vie. La quête continue.
Dans sa préface à Juif catholique paru aux
éditions du Cerf, A. M. Carré fait une série de
remarques du plus grand intérêt et que nous
résumerons ainsi: depuis trente ans, les
conversions sont fort nombreuses et les récits
de conversion constituent un genre littéraire
à part qui s'apparente parfois au genre du
conte de fée; la plupart du temps ces récits
sont suivis de silence, car une fois le mariage
réalisé, l'histoire s'arrête; or Maxime
Alexandre n'est pas un voyageur sans ba­
gage, «en cet adulte, l'enfant ne cesse d'éle­
ver la voix » pour se plaindre de ce qui est ad­
venu, c'est-à-dire de la solitude, solitude que
l'auteur de la préface explique en articulant
une manière d'autocritique catholique:
«Catholiques de vieille souche, nous com­
prenons mal dans quel isolement nous lais­
sons les nouveaux baptisés. (...)
Inconsciemment, une certaine crainte nous
maintient à distance des ouvriers de la on­
zième heure. Parce qu'ils n'ont pas porté le
poids du jour - ou du moins le même poids
que nous - leur joie nous paraît manquer de
retenue ; leur turbulence nous inquiète ». Cette
autocritique ne manque pas de critique aux
nouveaux convertis, ni de sel en ce qui
concerne les fardeaux respectifs. L'auteur
constate pour finir que la foi de Maxime
Alexandre ne défaille pas quand même, grâce
à Saint François et à «quelqu'un» qui porte
les souffrances. «Celui-là», conclut-il, «la
fille de Maxime Alexandre, sœur Marie
Esther, l'a choisi pour époux, lorsque s'ou­
vriront les portes de Sion». Le livre luimême est suivi d'un petit texte intitulé Le
sceptre d'Esther, référence à l'Esther biblique
et au nouveau nom de la fille de Maxime qui
entre ainsi en littérature en même temps
qu'au couvent. Le narrateur se transforme. Il
devient le père de Marie Esther, et celle-ci de­
vient la «petite sœur» que Maxime
Alexandre n'a jamais eue. «[J]usqu'au jour
où je l'ai enfin trouvée, à plus de soixante
ans!»(116) On ne peut s'empêcher de penser
que sa fille aide Maxime Alexandre à assu­
mer le poids de la conversion. Aussi, quand
cette expérience échouera, l'échec aura une
influence sur les opinions du père.
Le 21 janvier 1973, il écrit dans son jour­
nal: «Il y a dix ans, ma fille est entrée au
couvent. Pour elle, comme pour moi, c'était
le coup de clairon claudélien: "Que c'est
beau de vivre ! et que la gloire de Dieu est
immense !" Cela s'est terminé par un couac,
traduit parfaitement par cette exclamation de
La religieuse de Diderot, ouvrage que je
considérais il y a quatre mois encore comme
une polissonnerie : "Je suis accablée de fa­
tigue, la terreur m'environne, et le repos me
fuit."» Et le 24 janvier, il écrit encore:
«Oui, je me suis converti, j'ai fait l'expé­
rience de l'Eglise, à la suite de quoi il m'est
devenu de plus en plus pénible de voir des
curés ou des moines, et les bonnes sœurs ont
achevé de me déconvertir. »
sur les yeux. Il y a cinq ans depuis ma
confirmation. »
Qu'on n'aille pas s'imaginer que la
conversion au catholicisme l'ait rendu
aveugle au point de se réconcilier à bon
compte avec Strasbourg, sa ville natale. «Je
me suis installé à Strasbourg le 1er janvier
1953. Je me serais peut-être méfié davan­
tage, en relisant les Actes des Apôtres où il
est question d'un certain Paul revenu après
sa conversion dans la ville où il avait été
élevé et instruit!»(118)
A travers les éloges et les critiques adres­
sées à son parrain Claudel, on peut lire
d'autres raisons qui tempèrent ses convic­
tions nouvelles : « sa foi était foudroyante »,
«je pouvais tout lui dire», «il répondait tou-
La déconversion
La déconversion n'a pas été un processus
linéaire. Souvent dans son journal, nous
pouvons lire des coups de colère, des décla­
rations définitives, suivies de retours en ar­
rière. Pourtant, c'est la fille de Maxime
Alexandre elle-même qui, dans son étude,
met le doigt sur ses difficultés par rapport à
l'Eglise, et évoque le terme de déconversion.
C'est la cathédrale de Strasbourg qui
ouvre le livre Juif catholique. La nuit descend sur la cathédrale est le titre du premier
chapitre, mais c'est la synagogue qui re­
vient, avec un point d'interrogation, à la fin :
Un bandeau sur les yeux ? Dans une lettre à
Claudel citée à la page 131, Maxime
Alexandre écrit : « Un bandeau sur les yeux ?
Un portrait de moi où j'ai les yeux fermés
(...) a été reproduit dans un des numéros de
la Révolution surréaliste(117). Mais aujour­
d'hui, je ne devrais plus avoir un bandeau
Max Ernst, Objet mobile recommandé
aux familles, 1936-1970
32
jours par retour de courrier», «aussi long­
temps que j'habitais Paris, il venait chez moi
tous les 8 décembre, jour de l'Immaculée
conception et anniversaire de mon bap­
tême »(119), mais plus loin, lui reprochant
son avarice, Maxime Alexandre le traite
d'«esprit saint dans un coffre fort»(120). Dans
la correspondance entre Maxime Alexandre
et Claudel, il est déjà question d'argent,
Maxime Alexandre lisant l'évangile comme
un évangile pour les pauvres et Claudel au
contraire insistant sur la seule loi d'amour.
Lisons Claudel: «Avec quoi bienfaisonsnous sinon avec de l'argent ?(...) Avec quoi
satisfaisons-nous à nos devoirs, non seule­
ment envers le prochain, mais envers le
plus prochain, proximus, c'est-à-dire notre
famille?... Que nous enseigne la religion?
Sacrifier un bien présent pour un autre plus
grand, futur. N'est-ce pas la définition de
l'épargne?»"2" Mais le converti réplique:
«Je n'avais pas quitté les Juifs pour me
mettre à l'abri des persécutions pour la jus­
tice. »(122) Et encore: «Le problème du pau­
vre et du riche (...) ne m'a jamais laissé de
repos. (...) La sagesse des nations a plutôt
embrouillé les choses. A ceux qui crient
après le pain, l'écho leur répond : voici la li­
berté, et aux autres qui crient après la liberté,
il est répondu que le pain suffit.»(123)
Claudel d'autre part, sans doute pour
couper Maxime Alexandre radicalement des
surréalistes, mesure ce mouvement à l'aune
des doctrines de l'Eglise. Le suicide est une
question sur laquelle il revient à plusieurs re­
prises. L'écriture automatique est pour sa
part comparée à l'évocation du diable(124).
Quand on sait comment Maxime Alexandre
la valorise au contraire, combien il était luimême désespéré, quand on sait que précisé­
ment il publiera les Mémoires d'un surréaliste en 1968, on peut penser que les
arguments de Claudel ont plutôt contribué à
l'éloigner.
Il y a enfin les scrupules du Juif qui n'est
pas sûr de ne pas avoir trahi ses frères en se
convertissant. Certes, il recherche la syn­
thèse et se prétend Juif catholique, mais sa
théologie n'étant pas reconnue universelle­
ment, et sa conception du catholicisme
n'étant pas celle des catholiques, les re­
mords sont souvent là, à le ronger.
Une question le préoccupe par rapport à
Claudel. «J'avais entendu dire que Claudel,
en certaines circonstances, aurait fait preuve
d'antisémitisme. Je pense que, bourgeois et
opposé à une certaine forme de vulgarité du
laïcisme, il avait parfois dû céder à des im­
pulsions héréditaires. » Maxime Alexandre
parvient à la conclusion qu'il ne l'est
plus(125). Mais l'Eglise catholique, elle, est
bien antisémite dans son discours. Pourquoi
ne dit-elle pas que Marie, Joseph, que tous
étaient Juifs? De l'antisémitisme de cer­
taines personnalités ou de l'institution ca­
tholique, il analyse celui de l'ensemble du
corps social, tout comme il note dans son
journal ce qui se passe en Israël. Para­
doxalement, c'est sa situation particulière à
l'intérieur du catholicisme qui lui fait per­
cevoir cela de façon si aiguë.
«En cet adulte, l'enfant
ne cesse d'élever la voix»
Le 23 mai 1951, quelques jours après son
baptême, il note un rêve: «Cette nuit, en
rêve, j'ai été ému comme je ne l'avais plus
été depuis bien longtemps. Dans le jardin de
Wolfisheim (village où je suis né), le soleil
donnait tout leur éclat aux arbres, aux
vignes, aux fleurs et aux légumes. J'ai la cer­
titude que c'est cela l'éden perdu. Même au
réveil, je ne peux pas m'imaginer que le pa­
radis pourrait être autre chose. J'en ai fait un
poème, en allemand, ma langue natale, à la­
quelle très curieusement je suis revenu de­
puis quelque temps. » Mais nous savons que
cette nouvelle langue n'aura pas plus de suc­
cès que sa nouvelle vie.
L'enfant qui élève ainsi sa voix, c'est le
début d'une remémoration que l'auteur ne
va pas contrôler. On pouvait avoir l'impres­
sion que le baptême avait déclenché effecti­
vement une nouvelle vie, assortie d'une
nouvelle langue, l'allemand. En réalité, l'en­
fant qui revient lui fera revivre un monde en­
foui, celui du judaïsme, le judaïsme de
Wolfisheim, près de Strasbourg1126'.
«Le paradis terrestre n'est pas loin non
plus, dans le même village que la syna­
gogue. (...)I1 s'agit de la maison où je suis
né, ou plus exactement, du jardin qui en fait
partie. (...) A quelques kilomètres de là, le
vieux cimetière juif où mes ascendants ont
été enterrés - a-t-on laissé leurs ossements
en paix?»(127)
L'enfant fréquente l'école juive du vil­
lage de six à huit ans. Ses parents sont plu­
tôt atypiques. La famille est aisée, le père, né
en 1857, est l'un des fondateurs de la syna­
gogue de Wolfisheim, où le nom de l'abbé
Grégoire est gravé en lettres d'or. Il a des
illusions sur la France, et voue un véritable
culte à Napoléon, note Maxime Alexandre
dans son journal, à la date du 4 mars 1957.
Et il a des préventions contre l'Allemagne :
«Comme la plupart des Juifs alsaciens, il
avait toujours fait profession de mépriser et
de dénigrer, plus malicieusement que mé­
chamment, tout ce qui était allemand. »(128)
Jamais il n'a eu, lui, le sentiment du ghetto.
«Mon père voulait que je devienne agricul­
teur. Il disait que nous étions originaires de
Westhoffen, village alsacien autrefois peu­
plé uniquement de paysans juifs. Il me
semble qu'il n'avait pas le sentiment du
ghettto. Son fils par contre... »(129)
Maxime n'en finit pas de croquer le
père: «Tous ceux qui le connaissaient par­
laient de lui comme d'un drôle de corps.
Misanthrope et sentimental, dandy, brillant
valseur, ténor dans la société de musique de
Wolfisheim, amateur du sexe», nous dit-il.
«Mais, à l'heure du crépuscule, il s'enfer­
mait dans une chambre (...) et il chantait.
Ses deux chansons préférées étaient le
Heidenrôslein de Schubert et Auprès de ma
blonde (ma mère et sa maîtresse attitrée
étaient brunes) »(l30)
Quoique juive, sa mère est «presque ou­
trageusement campagnarde et paysanne»,
mais avec «un petit côté séditieux»(13l). Ce
penchant à la rébellion lui vaudra d'ailleurs
deux mois de prison, en janvier 1915, quand
elle est condamnée par le conseil de guerre
pour avoir manifesté des sentiments anti-al­
lemands. C'est la propriétaire de la maison
où ils habitaient qui l'avait dénoncée: elle
avait parlé en effet de la «déconfiture im­
minente de l'empire germanique»(132). Très
tôt, Maxime Alexandre a le sentiment d'être
différent des autres. Comme juif d'abord,
comme artiste ensuite. Ce double isolement
revient à la fin de sa vie, à la suite de sa
conversion ratée, quand il se redécouvre une
âme de surréaliste, et retrouve les idées des
années 20 en 1968.
Pour lui, il existe en Alsace une hostilité
entre juifs et chrétiens. «Pendant mon en­
fance, dans l'entourage de mes parents, il
était mal vu de prononcer seulement le nom
de Jésus. Les uns niaient qu'il eût existé, les
autres lui attribuaient tous les malheurs
d'Israël depuis la crucifixion, donnant ainsi
la réplique aux chrétiens qui rendaient les
juifs responsables de la mort de JésusChrist.»(133) Alors, en lisant son journal, on
ne sait pas très bien s'il se déconvertit réel­
lement. A plusieurs reprises, on croit qu'il a
33
tourné définitivement la page. Et cela re­
vient. Le processus de déconversion est lent
et cahotique, nul ne sait s'il y est arrivé,
même si c'est satisfaisant pour l'esprit de le
croire. Ce sont les surréalistes, n'est-ce pas,
qui, à propos d'un converti, disaient:
«même s'il devait changer d'avis, la force
de l'Eglise catholique avec ses registres de
baptême est telle, que de toute éternité on
dira de lui : il fut catholique. »
Ce qui est sûr, c'est que spirituellement
il devient un mendiant, car, dira-t-il, «ma foi
est en loques ». Il s'accroche aux espoirs de
la génération de mai 68, s'émeut du sort ré­
servé à Gabrielle Russier et dénonce l'hy­
pocrisie. Mais surtout, il retrouve les his­
toires juives, les contes hassidiques(134), et
continue à ne pas se sentir chez lui. Car sa
vie durant, il n'a cessé d'être un juif errant.
Le 24 mai 1974, il fera un bilancatalogue(135) d'une trentaine de déménage­
ments. «Je suis trop tourmenté / Quand je
suis arrêté», dit-il dans sa Complainte du
juif' errant(136).
Conclusion
Maxime Alexandre, né à Wolfisheim en
1899, mourut à Strasbourg en 1976. Un cer­
tain retard par rapport à la génération des
surréalistes, dû pour une part au hasard de sa
date de naissance, d'autre part à son origine
alsacienne, aurait dû lui faire entonner le dis­
cours de la génération sacrifiée. Or le sur­
réalisme, à travers l'amitié d'Aragon et de
Breton, devint véritablement sa planche de
salut, sa communauté spirituelle, avant qu'il
n'y trouve son inspiration poétique. Quand
ses plus beaux textes parurent dans les an­
nées 30, ils portaient déjà la marque d'autre
chose, d'une nouvelle solitude.
Il avait quitté le groupe, pour se laisser
emporter, par ses rêves, vers ses origines. Il
rencontra alors le romantisme allemand de
Hôlderlin, et une certaine Alsace, mais pour
y porter un débat urgent dans les deux cas,
sur le rôle du poète dans une situation dé­
sespérée, sur l'alternative à la littérature du
terroir qui allait révéler ses dangers.
Mais déjà il était trop tard. Assumer sa
condition juive devenait pour lui une affaire
de dignité.
A la Libération le danger semblait écarté.
La dernière tentation à laquelle il devait alors
succomber fut la conversion au catholicisme.
Or il ne trouva pas plus de catholiques
conformes à son idée de la foi que Lot ne
trouva de justes à Sodome. La déconversion
allait être l'œuvre impossible, un monde poé­
tique fait de fragments, où le paradoxe de ce
catholique se rejudaïsant allait ouvrir un es­
pace pour une remémoration du jardin de son
enfance, et de l'exigence surréaliste.
Notes
1 Voir les contributions d'A. Kern, p. 58, de
Yanette Deletang-Tardif, p. 40, de Gustave
Degen, p. 39 et d'Edmond Jaloux, p. 58, in
Maxime Alexandre vu par ses amis, Editions
Henry Fagne, Paris, 1975.
2 Guy Heitz, ibid, p. 47.
3 J.-P. Sorg, ibid, p. 79.
4 Maxime Alexandre, ibid, p. 11.
5 Gustave Degen, ibid, p. 38 : «Dans ce grouille­
ment anarchique, il n'y a pas de place pour une
œuvre. »
6 Maxime Alexandre, Mémoires d'un surréaliste,
Paris, 1968, p. 9.
7 Ibid., pp. 15-17.
8 Ibid., p. 20.
9 Son texte s ' intitule Der Mond im Relier.
10 La revue Clarté devait succéder au journal du
même nom dont Henri Barbusse avait voulu faire
en 1919 l'organe de liaison de son mouvement
« Clarté », « Internationale de la pensée ». Elle de­
viendra une revue d'intellectuels communistes.
Voir Marguerite Bonnet, Archives du surréalisme, 2, Paris, 1988, p. 151.
11 Cette revue était devenue sous sa direction, entre
1915 et 1920, le lieu d'expression privilégié du
mouvement expressionniste. Voir l'étude de
Julie Meyer, Vom elsässischen Kunstfrühling
zur utopischen Civitas Hominum, Munich, 1981,
pp. 317-327.
12 Maxime Alexandre, Mémoires d'un surréaliste,
op. cit. (note 6), pp. 25-27. Maxime Alexandre
raconte aussi qu'il prépare une licence de philo­
sophie à Strasbourg. «Nous avions un professeur
de psychologie, ancien psychiatre, (...) qui nous
emmenait tous les samedis après-midi à l'asile
d'aliénés de Stephansfeld. J'étais le seul à avoir
lu Freud (en allemand), et je dois souligner que
vers ces années 1919-1920, Freud était aussi bien
vu par les professeurs de psychologie et les psy­
chiatres que Karl Marx par les professeurs d'éco­
nomie politique. » Grâce à Freud, écrit-il, «(...)
je disposais d'un microscope (et c'était ennivrant) là où mes maîtres et mes condisciples se
servaient d'une loupe d'enfant». Maxime
Alexandre ajoute que Breton fut reçu par Freud
en 1921 mais qu'il ne voulut pas en entendre par­
ler jusqu'aux Vases communiquants (ibid.,
p. 170).
13 Ibid., p. 92.
14 Ibid., p. 33.
15 Ibid., p. 119.
16 Ibid., p. 34.
17 Maxime Alexandre, Journal (1951-1975),
Librairie José Corti, Paris, 1976. Texte du 27 mai
1951.
18 Sylvia Alexandre, L'itinéraire spirituel de
Maxime Alexandre, Thèse de théologie catho­
lique, Strasbourg, 1985, p. 20.
19 Maxime Alexandre, Mémoires
op. cit.
(note 6), p. 30.
20 Maxime Alexandre, Mémoires d'un surréaliste,
op. cit. (note 6), p. 39.
21 Maxime Alexandre vu par ses amis, op. cit.
(note 1), p. 29.
22 Pierre Daix, Aragon. Une vie à changer, Paris,
1975, pp. 151-153. A cette époque en effet,
Aragon prend ses distances par rapport à Breton
qui est en pleine expérience des «sommeils et
séances d'écriture automatique», et ce depuis 22,
tandis qu'Aragon éprouve à la fois le besoin
d'écrire un roman, genre «interdit» chez les sur­
réalistes et celui de se maintenir coûte que coûte
dans le groupe. «Le groupe, c'est sa famille, le
seul lieu d'une insertion dans une société qu'il
rejette absolument ». Cette remarque sur Aragon
pourrait s'appliquer à Alexandre...
23 Maxime Alexandre vu par ses amis, op. cit.
(note 1), p. 29.
24 Mémoires d'un surréaliste, op. cit. (note 6),
p. 43.
25 Ibid., p. 160.
26 Le roman qu'Aragon écrivait alors, Défense de
l'infini, annonce le Paysan de Paris dont la pre­
mière partie date de 1924 et qui se rattache à une
tradition inspirée du romantisme. Voir aussi ses
descriptions de Berlin qui annoncent Döblin.
Pierre Daix, op. cit. (note 22).
27 Mémoires..., op. cit. (note 6), p. 90.
28 Ibid., p. 116.
29 Ibid.,p. 115.
30 Pierre Daix, op. cit. (note 22), p. 180.
31 Marguerite Bonnet, André Breton. Naissance de
l'aventure surréaliste, Librairie José Corti, Paris,
1975, p. 231, note 159.
32 Maxime Alexandre, Mémoires..., op. cit.
(note 6), p. 29.
33 Pierre Daix, op. cit. (note 22), p. 126.
34 Marguerite Bonnet, op. cit. (note 31), p. 231.
«Breton lui a dédié L'Herbage rouge dans Clair
de terre et Aragon Le Ciel brûle dans Le mouvement perpétuel. Elle passe également dans
Capitale de la douleur d'Eluard (Denise disait
aux merveilles). Enumérant, dans Une vague de
rêves, les surréalistes de 1924, Aragon interroge :
«Denise... se tue-t-on toujours dans le canal,
dans la rue longue, partout où vous menez votre
ombre pure et vos yeux clairs ? »
35 Marguerite Bonnet, op. cit. (note 31).
36 Maxime Alexandre, Mémoires..., op. cit.
(note 6), pp. 51-53.
37 ibid., p. 39.
38 Maxime Alexandre, Journal, op. cit. (note 17),
texte du 2 avril 1952.
39 Maxime Alexandre vu par ses amis, op. cit.
(note 1).
40 La révolution surréaliste. Ed. J.-M. Place,
Paris, 1975: dans le n° 2, il participe à l'en­
quête sur le suicide (publié le 15 janvier 1925),
dans le n° 5 du 15 octobre 1925, l'article Le
34
41
42
43
44
45
46
47
48
49
50
51
52
53
54
55
56
57
58
rêve d'abord et toujours est cosigné. Dans le n°
7 du 15 juin 1926, un petit article, Liberté, liberté chérie. Dans le n° 12 du 15 décembre
1939 paraît un petit article A propos de morale,
ainsi qu'une courte réponse au questionnaire
sur l'amour.
Le surréalisme au service de la révolution, Ed.
J. M. Place, Paris, 1976. Dans le n° 1, de 1930,
il signe un manifeste de soutien au second ma­
nifeste de Breton ainsi qu'un article Athéisme et
révolution. Le n° 3 présente Un professeur révoqué dont nous parlerons plus loin, cette foisci en pleine page. C'est son article le plus im­
portant, et le dernier.
Henri Béhar et Michel Carassou, Le surréalisme, nouvelle édition, Paris, 1992 (l re édition
de 1984).
Le 2 septembre 1975, Maxime Alexandre écrit
dans son journal : «La notion de luxe se perd. J'ai
vu pour la dernière fois un paon en 1938, à
l'hôtel de Klingenthal où j'ai écrit le dernier cha­
pitre de Cassandre de Bourgogne». Le 15 avril
1961, il parle de l'endroit où il commença à
écrire ce texte: l'Hôtel de la Pinède à SaintTropez.
Journal, op. cit. (note 17), texte du 4 novembre
1958, mais il ajoute en note: «Je viens d'ap­
prendre, en lisant l'excellent ouvrage de
Marguerite Bonnet : André Breton, Naissance de
l'aventure surréaliste, que j'ai publié des textes
français dèsl923, dans Paris-Journal, hebdoma­
daire ayant été dirigé par Aragon (17 juillet
1975).» Ailleurs, Maxime Alexandre décrit le
climat littéraire de l'époque, disant bien qu'il
écrit dans Paris-Journal ( !) (Mémoires..., op. cit.
(note 6), p. 67).
« Maxime Alexandre ? Il croit que je l'oublie. On
n'oublie pas le désespoir!», in Aragon, Une
vague de rêves, 1924.
Maxime Alexandre, Mémoires..., op. cit.
(note 6), p. 92.
Maxime Alexandre, Cassandre de Bourgogne,
Préface d'Edmond Jaloux, de l'Académie fran­
çaise, Ed. Corréa, Paris, 1939, p. 191.
Ibid., p. 14.
Ibid., p. 15.
Aid., p. 20.
Ibid., p. 42.
Ibid., p. 45.
ibid., p. 121.
Ibid., p. 127.
Béhar et Carassou, op. cit. (note 41), p. 156.
En particulier dans son introduction aux Contes
bizarres d'Achim d'Amim, in Breton, André,
Point du jour, Paris, 1934.
Ce passage est également cité par Béhar et
Carassou, op. cit. (note 41), p. 191.
Ibid., chapitre sur L'action, sœur du rêve, p. 13.
Tout comme il ne voit pas les implications du
mot même de Cassandre. Le 15 avril 1961, il
écrit: «Cassandre, ce fut bel et bien l'annoncia­
trice du malheur, sans erreur possible. Ce n'est
pas l'année qui a suivi l'apparition de ce nom en
rêve qui pouvait me fournir l'explication. Il me
fut accordé un sursis de deux ans. J'aurais dû
tenir compte de l'avertissement. Sans l'écart
constant entre l'instinct et le genre de vie qui
59
60
61
62
63
64
65
66
67
68
69
70
71
72
73
74
75
76
77
78
79
80
81
82
83
84
nous est imposé à tous, j'aurais compris qu'il
s'agissait d'une mise en garde. »
Cassandre, op. cit. (note 46), p. 143.
En juillet 1931 dans une revue soviétique
Littérature de la révolution mondiale «Feu sur
Léon Blum / Feu sur Boncour, Frossard, Déat /
Feu sur les ours savants de la social-démocra­
tie... ». Henri Béhar, André Breton, le grand indésirable, Paris, 1990, p. 251.
Henri Béhar, op. cit. (note 60), p. 253 et sui­
vantes.
Maxime Alexandre, Mythologie personnelle,
Ed. des Cahiers Libres, Paris, 1933.
Ibid., p. 28.
ibid, p. 13.
Ibid., p. 43.
Ibid., pp. 52-53.
Voir, plus haut, note 40.
Un professeur révoqué, in Le surréalisme au
service..., 1931, op. cit. (note 40).
Maxime Alexandre, Mémoires..., op. cit.
(note 6), p. 118.
Ibid., p. 86.
Ibid., p. 90.
Jbid., p. 89.
Ibid., p. 207.
Ibid., p. 114.
ibid., p. 91.
Sylvia Alexandre, L'itinéraire spirituel de
Maxime Alexandre, Thèse de théologie catho­
lique, Strasbourg, 1985, p. 50 et p. 271.
D'après l'Encyclopédie de l'Alsace, F. Hoffet
(1906-1969) est le fils d'un pasteur né à Ulzach,
dans le Haut-Rhin et d'une mère suisse de
Winterfhur. Il est contre son gré obligé de faire
des études de théologie, ce qu'il fera à
Strasbourg, Montpellier, Paris et New York. Il
est consacré à Altkirch en 1932, dans une pa­
roisse calviniste. Sa femme est pasteur égale­
ment. En 1940, il s'établit à Cannes, résigne ses
fonctions de pasteur, et commence des études de
droit à Aix, qu'il terminera à Clermont. A la
Libération, il sera pendant deux ans à Berlin en
tant que commandant chargé de l'information.
Démobilisé en 1947, il s'établit à Strasbourg
comme avocat spécialisé dans le droit pénal. Il
est l'auteur du best seller des années 50,
Psychanalyse de l'Alsace. Son père avait été,
entre 1894 et 1900, rédacteur de Die Heimat.
Maxime Alexandre, L'amour image, Ed. du
Sagittaire, Paris, 1946, pp. 110 ss.
Ibid., p. 111.
II lui dédiera son livre sur Hölderlin dont il sera
question plus loin, Hölderlin le poète, qui ne de­
vait paraître qu'en 1942.
Maxime Alexandre, Hölderlin le poète. Etude
critique suivie d'un choix de poèmes. Ed. Robert
Laffont, Marseille, 1942. Il restera en contact
avec sa veuve, comme l'atteste une note du
7 septembre 1951, Badenweiler étant un lieu de
cure qu'il fréquentera encore après la guerre.
Maxime Alexandre vu par ses amis, op. cit.
(note 1), p. 81.
Ibid., p. 83.
C'est pour cette raison aussi qu'il publie dans la
Revue du Rhin en 1938, revue qui paraît depuis
1937 aux Editions Sébastian Brant à Strasbourg,
85
86
87
88
89
90
91
92
93
94
95
96
97
98
99
100
101
102
103
104
105
avec des contributions d'Yvan Goll, René
Schickelé, et qui veut proposer une alternative
aux Strassburger Monatshefte de Spieser, revue
qui vise à rallier au nazisme tous les écrivains
d'expression allemande en Alsace.
Sylvia Alexandre, op. cit. (note 18), p. 50 cite
Europe n° 167 du 15 novembre 1936.
Maxime Alexandre, Sagesse de la folie. Présenté
par Paul Claudel, Ed. de la Revue des Jeunes,
Paris, 1952, p. 59.
ibid, p. 62.
ibid, p. 77.
Ibid., p. 67.
Maxime Alexandre, Mémoires..., op. cit.
(note 6), p. 58.
Maxime Alexandre, Sagesse..., op. cit.
(note 86), p. 92.
Ibid., p. 106.
Maxime Alexandre, Juif catholique. Le sceptre
d'Esther, Ed. du Cerf, Paris,1965, pp. 86-88.
Selon la formule de Nietzsche dans Généalogie
de la morale.
Op. cit. (note 86), p. 75.
D'après Juif catholique, p. 77, la lecture de
Léon Bloy et de Charles Péguy remonte à la pre­
mière guerre, en Suisse.
Maxime Alexandre, Sagesse..., op. cit.
(note 86), p. 75.
Cette pièce a paru en 1918.
Maxime Alexandre, Sagesse..., op. cit.
(note 86), p. 101.
ibid, pp. 111-112, pour une liste complète.
ibid, p. 45.
C'était une Bloch. Sylvia Alexandre, L'itinéraire..., op. cit. (note 18), p. 65. Elle rejoint
Maxime et sa femme pendant la guerre à
Tourette en 1941, où ils sont allés après Nice.
Quand Maxime est libéré le 25 octobre 1940, il
rejoint sa femme et son fils à Nice. A la nais­
sance de leur fille en 1942, la vie devient diffi­
cile, ils ont faim et se réfugient dans la mon­
tagne, à Saint-Etienne-de-Tinée, près de la
frontière italienne, et ce jusqu'en février 1944.
Ils ne sont plus inscrits comme Juifs et ont de
fausses cartes. A l'arrivée des Allemands, ils par­
tent pour le Lot, à Goujounac, près de Cahors.
D'après Sylvia Alexandre, op. cit. (note 18),
Maxime Alexandre s'occupera ensuite de la sec­
tion du FN à Montpellier, où il est rédacteur à La
voix de la patrie. Il sera ensuite, toujours pour le
FN au bureau d'accueil des Alsaciens qui veu­
lent rentrer, puis correspondant de guerre à la
Première Armée (voir aussi Juif catholique,
p. 103) auprès de De Lattre. Enfin à Innsbruck,
à la section culturelle du service d'information
de l'armée d'occupation. En mai 1946, il revient
en Alsace. Ne retrouvant pas ses affaires, il re­
part pour Paris. En 1947, il est proposé par
Bourdet pour le poste de Radio-Strasbourg. On
le lui refuse parce qu'il est juif, écrit-il.
19 janvier 1973
II s'agit, selon Sylvia Alexandre, op. cit.
(note 18), d'une Histoire de la littérature allemande, entre 1956 et 1960. Il écrira effective­
ment, dans les années 60 et toujours à la de­
mande de Queneau et pour la Pléiade, une
introduction aux romantiques allemands.
35
106 Maxime Alexandre, Juif catholique, op. cit.
(note 93), p. 80.
107 Maxime Alexandre, Hölderlin..., op. cit.
(note 81), p. 94.
108 ibid, p. 12.
109 Adrien Finck, Das deutschsprachige Werk
Maxime Alexandres, in Recherches germaniques, 10, 1980, pp. 225-238 évoque l'influence
de Brentano.
110 Ibid.
111 C'est un petit peu ce qui se passe pour Yvan Goll
aussi. Mais, chez lui, pas de conversion. Au
contraire, il retrouve le judaïsme et l'allemand.
Voir Charles Fichter, étude dans Revue des
Sciences sociales de la France de l'Est, n° 19,
1991-92, pp. 104-115.
112 Finck Adrien, op. cit., note 109.
113 Faut-il souligner que l'Allemagne négative est
représentée pour les Alsaciens par la Prusse
protestante et non par le catholicisme, qui a
gardé vivace en Alsace la tradition du Zentrum
catholique. Voir la force d'impact de cette tradi­
tion sous la République de Weimar.
114 Maxime Alexandre, Juif catholique, op. cit.
(note 93), p. 16
115 Ibid., pp. 15-16.
116 ibid, p. 68.
117 Numéro 12, décembre 1929.
118 Maxime Alexandre, Juif catholique, op. cit.
(note 93), p. 21.
119 ibid, p. 115.
120 ibid, p. 122.
121 Maxime Alexandre, Sagesse..., op. cit.
(note 86), p. 117.
122 Ibid., p. 56.
123 Ibid., p. 58.
124 Ibid.
125 Maxime Alexandre, Juif catholique, op. cit.
(note 93), pp. 123-124.
126 Dont il nous décrit les « personnalités » dans son
Journal, texte du 27 février 1954.
127 Ibid., p, 55.
128 Maxime Alexandre, Mémoires d'un surréaliste,
op. cit. (note 6), p. 9
129 Journal, texte du 21 août 1951.
130 Maxime Alexandre, Mémoires..., op. cit.
(note 6), pp. 136-137 et L'Amour image, op. cit.
(note 78), p. 143.
131 Maxime Alexandre, Mémoires..., op. cit.
(note 6), pp. 136-137
132 Maxime Alexandre, Mémoires..., op. cit.
(note 6), p. 9.
133 Maxime Alexandre, Juif catholique, op. cit.
(note 93), pp. 80-81.
134 A Salonique en 1921, il lit les ouvrages de
Martin Buber sur les hassidim, trouve qu'ils sont
très proches des premiers chrétiens et des
Esseniens dans leur façon de mettre en pratique
l'amour du prochain. Juif catholique, op. cit.
(note 93), p. 80-81.
135 Maxime Alexandre, Mémoires d'un surréaliste,
op. cit. (note 6), p. 136.
136 Ce thème du juif errant a commencé à le préoc­
cuper dès la première guerre. A l'époque, il au­
rait écrit une version allemande, mais celle-ci a
disparu.