Responsabilité de l`administration

Transcription

Responsabilité de l`administration
La responsabilité de l’administration fédérale aux États-Unis1
PROJET D’ARTICLE
Philippe Pradal, Avocat inscrit aux barreaux de New York et de Paris, Clerk de
l'université Cornell détaché auprès de la cellule de droit comparé du Conseil d’État.
Pour le publiciste de tradition civiliste, l’unicité de juridiction des pays de
common law est comme la face visible de l’iceberg qui sépare les deux traditions
juridiques. Si l’organisation même de notre droit est si différente de celle des États-Unis
ou du Royaume-Uni, qui ne connaissent pas la distinction entre droit public et droit privé
(Glendon, 1984 ; Horowitz, 1982), comment nos droits pourraient-ils converger ?
Pourtant, à plus d’un égard, le droit de la responsabilité de l’administration
fédérale américaine évoque une certaine ressemblance avec le droit administratif français.
Précision étant faite ici que le droit américain de la responsabilité de l’administration
diverge du droit administratif français en ce qu’il reconnaît à l’administration un grand
pouvoir discrétionnaire. Toutefois, tant les principes qui animent l’évolution de ce champ
du droit que la procédure au moyen de laquelle il s’articule permettent de jeter des ponts
entre les deux traditions juridiques.
Ainsi, à l’instar du droit administratif français, l’histoire des États-Unis a joué un
grand rôle dans l’établissement du droit positif actuel (I). L’ancien adage britannique de
l’immunité souveraine dont a bénéficié l’administration américaine jusqu’à l’immédiat
après-guerre tire ses origines dans la common law britannique. Malgré le rôle prééminent
de la jurisprudence aux États-Unis, c’est le législateur qui a fait bouger les lignes et
permis que la responsabilité de l’administration soit recherchée lorsque celle-ci commet
une faute (II). Le principe de séparation des pouvoirs et la difficulté à concilier
indépendance de l’administration et contrôle du pouvoir judiciaire expliquent l’équilibre
actuel du droit positif en faveur de l’administration aux États-Unis (III). Cependant, la
dialectique qui oppose le principe de séparation des pouvoirs à celui de l’affirmation des
libertés individuelles ne manquera pas de faire évoluer le droit positif, nous renseignant
ainsi sur les valeurs de la société américaine (IV).
I – Bref historique de la responsabilité de l’administration
La responsabilité de l’administration fédérale aux États-Unis est récente. Il faut
retracer l’histoire de son apparition pour comprendre l’équilibre actuel entre pouvoir de
l’administration et respect des droits individuels et ce que cet équilibre révèle sur la
société américaine.
1
Ce projet d’article paraîtra dans sa version finale dans la revue française
d’administration publique à l’automne 2013.
1
Comme pour la plupart des doctrines de common law, il faut remonter à la règle
de droit britannique pour en trouver les origines. Ainsi aux États-Unis, jusqu’à
l’immédiat après-guerre, l’administration jouissait d’une irresponsabilité provenant de
l’adage de l’immunité du souverain. Cette immunité – qui s’étendait à toutes les
administrations de l’État fédéral – trouvait son fondement dans la maxime “le roi ne peut
commettre de faute”2. Comme la Constitution américaine était silencieuse sur la capacité
du citoyen à engager la responsabilité de l’administration, la Cour suprême faisant sienne
la maxime royale, affirmait que le gouvernement des États-Unis et son administration ne
pouvaient être poursuivis sans l’accord préalable du Congrès3.
Avec le recul, il peut paraître étonnant que cette règle féodale et quelque peu
inique ait survécu à l’avènement de la démocratie en Amérique. Pourtant, à la même
époque de l’autre côté de l’Atlantique, Laferrière affirmait bien que « le propre de la
souveraineté est de s’imposer à tous, sans qu'on puisse réclamer d'elle aucune
compensation » (1896, 13).
Toutefois, l’immunité de l’administration américaine n’était pas tout à fait
absolue. La Constitution prévoyait déjà que l’administration ne puisse pas exproprier sans
s’acquitter d’une juste compensation4. En outre, à cette époque et jusqu’au Westfall Act
(1988), la responsabilité personnelle des membres de l’administration pouvait être
engagée. Il y avait par ailleurs une procédure qui consistait à demander au Congrès des
États-Unis son accord pour qu’une administration fédérale soit poursuivie. Après un
examen du dossier du requérant, le Congrès pouvait prendre ce qui était appelé une “loi
privée” (private bill) autorisant l’ouverture d’une procédure judiciaire à l’encontre de
l’administration. Avant que ne soit adopté le Federal Torts Claims Act (“FTCA”), le
nombre de recours déposés dans ce cadre, devant le Congrès atteignait environ 2300 par
mandature (Jayson et Longstreth, 2011). Le traitement de ces recours prenait un temps
considérable au législateur et ne permettait pas de rendre justice dans un délai
raisonnable. La mise en place d’une commission du Congrès dédiée au traitement de ces
recours ne changea rien au problème; en outre, la pluralité des représentants siégeant dans
une telle commission ne permettait pas de dégager de règle de droit claire et constante.
La doctrine américaine n’a pas manqué de relever le caractère archaïque de cette
procédure de demande préalable au Congrès découlant directement de l’adage de
l’immunité du souverain. En outre, il y avait une véritable contradiction à maintenir ce
principe d’irresponsabilité de l’administration au sein du monde anglo-américain où les
valeurs démocratiques placent la liberté et la justice individuelle au cœur du système
constitutionnel (Borchard, 1924). Malgré le consensus sur la difficulté de mettre en
œuvre cette procédure permettant d’engager de façon extrêmement limitée la
responsabilité de l’administration fédérale, les différents projets de loi visant à lever
l’immunité de l’administration afin que sa responsabilité puisse être mise cause devant
2
En langue originale : The King can do no wrong.
Voir Cohens v. Virginia, 19 U.S. (6 Wheat.) 264, 380 (1821), United States v. Clarke, 33 U.S. (8 Pet.)
436, 444 (1834), United States v. McLemore, 45 U.S. (4 How.) 286, 288 (1846).
4
Sur la juste compensation, voir le Vème Amendement, sur l’expropriation sans respecter une procédure
équitable (« due process ») voir le XIVème Amendement §1.
3
2
les tribunaux n’aboutissaient pas. Ainsi entre 1921 et 1946, pas moins de trente projets de
loi sur la responsabilité délictuelle de l’administration furent examinés par le Congrès
sans aboutir. Le seul projet de loi qui durant cette période recueillit l’assentiment des
deux chambres du Congrès, en 1929 fut retoqué par le droit de veto du président
Coolidge.
Il fallut attendre 1946 pour que le Congrès des États-Unis vote le Federal Tort
Claims Act5 sur lequel repose encore aujourd’hui le régime de responsabilité de
l’administration fédérale américaine.
II – Le Federal Tort Claims Act (FTCA) : un cadre juridique pour engager la
responsabilité de l’administration
L’objet du FTCA est de permettre que la responsabilité de l'État fédéral soit
recherchée devant les tribunaux, sous réserve d'un certain nombre d'exceptions et du
respect d’une procédure spécifique.
Le FTCA dispose que seuls les tribunaux fédéraux sont compétents pour statuer
sur la question de la mise en œuvre de la responsabilité de l'État fédéral6. Cette
disposition paraît anodine ou tout au plus aller de soi à l'esprit cartésien du juriste de
tradition civiliste pourtant elle n'est pas neutre dans un pays où le fédéralisme alimente
certains antagonismes entre l'administration étatique et l'administration fédérale, qui
trouve écho dans les juridictions.
En outre, en matière de responsabilité administrative, la présence d’un jury est
exclue7. L’administration n’est donc pas jugée tout à fait comme le citoyen ordinaire. Le
Congrès était soucieux de ne pas soumettre à la vindicte populaire l’action de
l’administration.
Par ailleurs, seule la responsabilité de l'État ou de l'administration concernée peut
être engagée, les agents qui commettent une faute dans le cadre de l'exercice de leur
mission ne sont pas responsables. Cette disposition n’est pas sans rappeler la distinction
française entre faute de service et faute détachable du service.
Enfin, aucune action n'est recevable si elle intervient sans qu’il n’y ait eu de
recours préalable auprès de l'administration dont la décision est attaquée8. Là encore,
cette disposition du FTCA n’est pas sans rappeler la règle de la décision préalable, exigée
en droit public français (De Laubadère et Gaudemet, 2001, 463)9. Ce n'est qu'après le
5
Répertorié au 28 U.S.C. §§ 1346(b) et seq. Le texte peut-être consulté en langue originale sur internet :
http://www.law.cornell.edu/uscode/text/28/1346.
6
28 U.S.C.A. § 1346(b)
7
28 U.S.C.A. § 2402
8
28 U.S.C.A. § 28
9
Voir également, CONSEIL D'ÉTAT (2008), Les recours administratifs préalables obligatoires, Les
Etudes du Conseil d’État, La documentation française, exposant notamment quelques exemples en droit
comparé en son Annexe 5.
3
rejet de ce recours que le requérant pourra engager une action devant les tribunaux. Le
silence de l'administration durant 6 mois vaut rejet. L’action du requérant est en outre
encadrée dans des délais relativement courts. Ce dernier dispose de deux ans pour
effectuer son recours administratif préalable, puis une fois cette voie de recours exercée,
de 6 mois pour commencer une action devant le juge fédéral compétent.
La mise en jeu de la responsabilité de l’administration fédérale américaine relève
donc d’une procédure particulière. Ces éléments de procédure posés, il convient
d’indiquer le droit applicable. En effet, l'objet du FTCA est uniquement de permettre que
l'administration soit poursuivie, en responsabilité délictuelle.
Ainsi, le FTCA prévoit que le droit applicable à la détermination de la
responsabilité de l'administration est le droit étatique10. Il désigne en effet le droit de
l'État dans lequel le comportement fautif (négligence ou inaction) de l'administration a eu
lieu. Cette désignation primitive du droit applicable ne neutralise toutefois pas les règles
de conflit de lois étatiques applicables. Ainsi lorsque la faute de l'administration a lieu
dans l'État A et qu'elle cause un dommage dans l'État B, le FTCA désigne le droit de
l'État A. Toutefois, si la règle de conflit de lois de l'État A désigne le lieu de survenance
du dommage et non le lieu où la faute a été commise, le droit applicable sera celui de
l'État B.
En outre, le FTCA pose comme condition à l'engagement de la responsabilité de
l'administration le fait que la conduite délictuelle ait été commise par l'agent de
l'administration dans le cadre de ses fonctions11. Le droit étatique applicable détermine
alors si la conduite est bien constitutive d'une faute commise dans le cadre des fonctions.
De même, c'est la loi étatique qui détermine le montant et la nature des dommages
et intérêts recouvrables. Le FTCA pose toutefois des limites et ne permet pas l'attribution
de dommages et intérêts punitifs12 ; il prévoit que les intérêts ne commencent à courir
qu'à compter du rendu de la décision et non à compter de la date d'exercice du recours
préalable obligatoire13.
La directive principale du FTCA est d'appliquer à l'administration une
responsabilité identique à celle d'une personne privée dans des circonstances similaires.
L'objectif de cette disposition est ni plus ni moins d'écarter la perception traditionnelle
10
28 U.S.C.A. § 1346(b)(1)
28 U.S.C.A. §1346(b)
12
Les dommages et intérêts punitifs (punitive damages) peuvent être définis comme les dommages et
intérêts qui sont attribués en plus du dommage subi par le demandeur. En droit américain les dommages et
intérêts punitifs permettent au juge de sanctionner le caractère blâmable du comportement du défendeur,
dans le but de faire de son cas un exemple et dissuader toute autre personne d'avoir le même comportement
blâmable. (Black's Law Dictionary, 9ème édition 2009). Ils sont une condamnation morale du défendeur
(Voir l'opinion de Justice Stephens dans l'arrêt Cooper Industries v. Leatherman Tool, 532 U.S. 424, 432,
121 S.Ct. 1678, 1683 (2001)). Pour une étude approfondie mettant en exergue la résonnance de la fonction
punitive des peines civiles en droit français, voir CARVAL Suzanne (1995), La responsabilité civile dans
sa fonction de peine privée, L.G.D.J.
13
28 U.S.C.A. § 2674
11
4
d'immunité gouvernementale dont bénéficiait l'administration. Pourtant, dans les
premières affaires dans lesquelles elle a eu à statuer, la Cour Suprême a pu interpréter
cette disposition comme soustrayant l'administration à toute responsabilité lorsqu'une
personne privée n'aurait jamais été responsable pour des faits similaires, dès lors que
ceux-ci relevaient de l'exercice de la puissance publique14. Ce raisonnement fut ensuite
abandonné afin de ne pas priver de tout effet le FTCA15.
Toutefois, si ce texte pose le principe de la responsabilité de l'administration, il
prévoit un certain nombre d'exceptions dont l'effet est de soustraire à la compétence du
juge fédéral tout exercice du pouvoir discrétionnaire de la part de l'administration. Il
convient d’exposer dans le détail cette exception qui est de loin la plus importante. On
notera, par ailleurs, que l'administration ne peut être responsable sans faute et que sa
responsabilité ne saurait être engagée par les fautes éventuellement commises par ses
forces armées. Enfin, il convient d'indiquer que le FTCA ne porte que sur la
responsabilité délictuelle de l'administration. Dès lors, toute action visant au respect d'un
droit civique constitutionnel ne saurait être dirigée contre l'administration. Dans une telle
hypothèse le requérant pourra uniquement se retourner vers l'agent de l'administration ou
vers le Congrès directement.
La volonté du législateur américain de maintenir une nette séparation des
pouvoirs l’a conduit à conserver dans le champ du FTCA un périmètre d’irresponsabilité
de l’action administrative.
Ainsi la seule application d’une loi ou d’une réglementation par l’administration
ne peut donner droit à dommages et intérêts quand bien même la loi ou la réglementation
serait par ailleurs jugée invalide. Pour la Cour Suprême américaine, il s’agit du corollaire
de la séparation des pouvoirs. Le FTCA permet d'engager la responsabilité de
l’administration lorsque celle-ci a commis une faute dans l’application d’une loi ou d’une
réglementation, mais pas pour le seul fait d’en avoir fait application.
De même l’administration ne saurait être responsable pour le simple fait d’avoir
adopté ou refusé d’adopter une réglementation, quand bien même cette décision aurait
causé un dommage. A titre d’exemple, la décision de l’administration d’effectuer des
travaux publics causant l’inondation de la propriété du requérant ne saurait engager la
responsabilité de l’administration, mais serait qualifiée par le droit américain comme une
expropriation nécessitant un dédommagement16.
Dans le même esprit, le FTCA confère à l’administration une immunité dans la
mise en œuvre ou l’absence de mise en œuvre de mesures relevant de son pouvoir
discrétionnaire. Ainsi le paragraphe 2680(a) précise que “les dispositions de ce chapitre
14
Feres v United States, 340 U.S. 135, 71 S. Ct. 153, 95 L.Ed. 152 (1950)
Indian Towing Co. v United States, 350 U.S. 61, 76 S.Ct. 122, 100 L.Ed. 48 (1955)
16
Coates v United States, 181 F 2d. 816 (8th Cir.1950) ; voir également le commentaire de PEROVICH J.
D. (1970), "Liability of the United States under Federal Tort Claims Act for Damages from Flooding",
American Law Reports Federal, Vol. 4, p.723 pour distinguer l’expropriation (taking) de la responsabilité
de l’État pour faute.
15
5
et de la section 1346(b) de ce titre ne s’appliquent pas – (a) toute action [...] fondée sur
l’exercice ou la mise en œuvre ou l’absence d’exercice ou de mise en œuvre d’un
fonction ou d’un devoir relevant du pouvoir discrétionnaire, de la part d’une agence
fédérale ou d’un employé de l’administration, qu’il soit fait ou non abus de ce pouvoir
discrétionnaire. ”
III – Le pouvoir discrétionnaire de l'administration : une exception à la
responsabilité de l'administration, aux contours imprécis
La question essentielle est alors d’identifier le champ d’application du pouvoir
discrétionnaire de l’administration. Cet exercice délicat revient à la jurisprudence des
Cours fédérales extrêmement généreuses en la matière. Ainsi les décisions reconnaissant
l’exercice du pouvoir discrétionnaire sont nombreuses. A titre d’exemples, ont été jugées
couvertes par le pouvoir discrétionnaire de l’administration les décisions de réglementer
les institutions financières17, de mener une inspection de sécurité18, d’interdire sur le
territoire l’importation de fruits susceptibles d’être dangereux sur le plan sanitaire19, ou
encore de déléguer à un sous-contractant privé le ramassage des ordures20. L’étude de la
jurisprudence fédérale donc rend extrêmement difficile voire impossible la délimitation
du périmètre de cette exception.
Le blanc-seing consenti au nom de l’exception du pouvoir discrétionnaire est tel,
qu’une partie de la doctrine remet en cause l’efficacité même du dispositif (Niles, 2002 ;
Fishback, 2011). En effet, que l’administration ait commis une faute, ait été négligente ou
ait abusé de son pouvoir discrétionnaire, dès lors que son action ou son abstention relève
de son pouvoir discrétionnaire, elle jouit d’une véritable immunité. Cette protection
systématique de l’action de l’administration est permise car l’exercice de son pouvoir
discrétionnaire échappe purement et simplement à la compétence du juge. Impossible
pour ce dernier d’examiner le fond de l’affaire.
Un tel “trou noir ” dans le régime de la responsabilité de l’administration trouve
sa justification dans le respect de la séparation des pouvoirs (Kent, 1991) dont la
conception peut sembler poussée à l’extrême aux États-Unis, tant elle y est une valeur
fondatrice (Greene, 1994). En effet, si le Congrès confère à l’administration un pouvoir
discrétionnaire, l'autorité judiciaire ne peut confisquer ce pouvoir en imposant une
responsabilité quelconque à cette dernière. D’ailleurs, si la loi confère à l’administration
un pouvoir discrétionnaire, elle peut également le lui retirer en réglementant très
précisément son action21. Selon un autre point de vue, l’immunité gouvernementale
repose également sur le fait que certaines décisions de l’administration ne peuvent être
17
United States v Gaubert, 499 U.S. 315, 111 S.Ct. 1267, 1274, 113 L.Ed.2d 335 (1991)
United States v SA. Empresa de Viaco Aerea Rio Grandense, 467 U.S. 797, 104 S.Ct. 2755, 81 L.Ed.2d
660 (1984)
19
Fisher Bros. Sales, Inc. v United States, 46 F3d 279 (3d Cir.1995)
20
Andrews v. United States, 121 F.3d 1430 (11th Cir. 1997)
21
Berkovitz by Berkovitz v. United States, 486 U.S. 531, 108 S. Ct. 1954, 100 L.Ed.2d 531 (1988)
18
6
jugées par rapport à un standard particulier et par conséquent ne peuvent être
constitutives de faute (Peterson et Van der Weide, 1997). Dans chaque action en
responsabilité, le problème est donc de distinguer les décisions ne relevant pas de la
compétence du juge car couvertes par le pouvoir discrétionnaire de l’administration de
celles susceptibles de relever de la responsabilité délictuelle de l’administration.
L’étude de la jurisprudence de la Cour suprême permet de mieux comprendre la
portée de “ l’exception de pouvoir discrétionnaire ” dont jouit l’action de l’administration
aux États-Unis.
Au lendemain de l’adoption du FTCA, la Cour développa une analyse fondée sur
la distinction des décisions dites de planification et des décisions opérationnelles. Les
décisions de planification, comportant généralement des éléments importants de
politiques économiques ou sociales, relevaient naturellement du pouvoir discrétionnaire
de l’administration, tandis que les décisions opérationnelles n’impliquaient pas un tel
niveau de discrétion et par conséquent entraient dans la compétence du juge. Mais cette
distinction n’était pas forcément facile à caractériser. Le premier arrêt semblait focalisé
sur le “ niveau ” décisionnaire22 alors que les arrêts suivants prenaient en compte la
nature de la décision23. C’est sans doute la raison pour laquelle cette distinction semble
avoir été abandonnée par la Cour suprême.
Dans les années 1980, la Cour Suprême sembla adopter de nouveaux critères
pour déterminer si l’action de l’administration relève de son pouvoir discrétionnaire.
Dans l’affaire Berkovitz le requérant attaquait l’administration pour avoir consenti une
licence d’exploitation à un vaccin contre la polio sans avoir au préalable reçu les données
requises par la réglementation en vigueur et démontrant que le vaccin était sans danger.
Passant en revue sa jurisprudence, la Cour articula un raisonnement en deux étapes : (i) il
faut déterminer si l’administration avait une marge de manœuvre, puis (ii) dans
l’affirmative, si la décision de l’administration se fonde sur des politiques économiques,
sociales ou stratégiques24. S’il est répondu par la négative à la première question,
l’administration ne dispose d’aucun pouvoir discrétionnaire. La deuxième question a pour
but d’identifier la latitude dont dispose l’administration afin d’établir si son action doit
être soumise à l’exception de pouvoir discrétionnaire. Dans l’affaire Berkovitz,
l’existence d’une réglementation privait l’administration de tout pouvoir discrétionnaire.
Pour la doctrine américaine, l’équilibre alors atteint par la jurisprudence
produisait parfois des résultats difficiles, mais compréhensibles. Ainsi, le dommage causé
aux citoyens par l’administration en raison de l’application d’une politique publique,
impossible à évaluer objectivement, ne pouvait faire l’objet d’un dédommagement sur le
fondement du FTCA. Des soldats ou des civils ayant été soumis à des radiations ou
22
Dalehita v United States, 346 U.S. 15, 43, 73 S.Ct. 956, 971, 97 L.Ed.1427 (1953)
United States v S.A. Empresa de Viacao Aera Rio Grandense, 467 U.S. 797, 104 S.Ct.2755, 81 L.Ed.2d
660 (1984)
24
« decisions grounded in social, economic, and political policy », Berkovitz by Berkovitz v. United States,
486 U.S. 531, 108 S. Ct. 1954, 100 L.Ed.2d 531 (1988), p 537
23
7
exposés à de l’amiante furent déboutés de leur requête25. En revanche, les dommages
causés par une action de l’administration d’ordre technique, n’impliquant aucune
application d’un pouvoir discrétionnaire (au sens de Berkovitz) étaient susceptibles
d’engager la responsabilité de l’administration. Ainsi les victimes de fautes
professionnelles médicales étaient fréquemment dédommagées26. Mais au début des
années 1990, la Cour Suprême va perturber cet équilibre précaire en étendant de manière
très significative l’exception de pouvoir discrétionnaire en acceptant de l’appliquer aux
actions de l’administration “susceptibles [de relever] d’une analyse politique ”27.
Dans l’affaire Gaubert 28, l’actionnaire majoritaire d’une institution financière
spécialisée dans l’épargne et les prêts hypothécaires, prétendait que deux agences
fédérales de prêts immobiliers (Federal Home Loan Bank Board et Federal Home Loan
Bank of Dallas) avaient, par leur négligence dans la gestion quotidienne de l’épargne et
des prêts, causé d'importantes pertes économiques. Le requérant demandait 100 millions
de dollars de dommages et intérêts. En première instance le requérant fut débouté au
motif que la gestion relevait du pouvoir discrétionnaire de l’administration. En appel, la
Cour du Fifth Circuit réforma partiellement la décision en décidant que l’action de
l’administration relevait du pouvoir discrétionnaire jusqu’à ce que celle-ci ne devienne
de nature “opérationnelle ”.
Acceptant de statuer par la procédure du certiorari29, la Cour suprême décida de
trancher la question de savoir si les décisions dites “opérationnelles ” ou relevant d’un
niveau de gestion très bas, ne pouvaient pas relever du pouvoir discrétionnaire de
l’administration. Sous la plume de Justice White, la Cour débouta le requérant et expliqua
qu’ “une action relevant du pouvoir discrétionnaire implique un choix ou un jugement ;
[et] que rien dans cette acception ne faisait référence exclusivement à l’exercice de la
planification ou de l’élaboration de politiques publiques. ” Dès lors que, “la gestion
quotidienne des affaires bancaires […] requiert l’exercice régulier d’un jugement sur
l’étendue des possibilités la plus sage ” la Cour ne pouvait que conclure à l’exercice d’un
pouvoir discrétionnaire.
Si la solution de l’espèce ne semble pas contredire les jurisprudences précédentes,
la question de savoir s’il fallait un jugement de nature “politique ” de la part de
l’administration pour que son action soit couverte par son pouvoir discrétionnaire était
25
Sur l’amiante: In re Joint E. & S. Asbestos Litig., 891 F.2d 31 (2d Cir. 1989), sur les radiations: In re
Consolidated United States Atmospheric Testing Litig., 820 F.2d 982 (9th Cir. 1987).
26
A titre d’exemple : Lather v. Beadle County, 879 F.2d 365 (8th Cir. 1989) ; Jablonski v. United States,
712 F.2d 391 (9th Cir. 1983) ; Jackson v. Kelly, 557 F. 2d 735 (10th Cir. 1977)
27
Gaubert, p325
28
Voir note 16.
29
La procédure de certiorari est un filtre des recours portés devant la Cour suprême. Conformément à la
Rule 10 du règlement de la Cour suprême, l’examen d’un pourvoi par la Cour n’est pas une affaire de droit
mais de "discrétion judiciaire". Ainsi la Cour suprême, afin de décider si un pourvoi doit être examiné ou
non, prend en compte le fait qu’il existe un conflit entre les juridictions inférieures sur une question de droit
fédéral ou l’originalité de la question de droit soulevée par l’espèce. Pour une présentation détaillée de la
procédure de certiorari, voir WATTS Kathryn A. 2011, "Constraining Certiorai using administrative law
principles", University of Pennsylvania Law Review, Vol. 160, No.1, p.1-68
8
demeurée sans réponse jusqu’alors. Tranchant en faveur de l’administration, la majorité
de la Cour souscrit à l’approche suivante :
“Lorsqu’une politique publique établie, expressément ou implicitement par la loi,
la réglementation, ou les recommandations d’une agence gouvernementale permet à
l’agent de l’administration d’exercer un pouvoir discrétionnaire, il doit être présumé que
les actes de l’agent relève de cette politique lorsqu’il fait usage de son pouvoir
discrétionnaire. […] La question ne porte donc pas sur l’intention subjective de l’agent
lorsqu’il se prévaut du pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré par la loi ou la
réglementation, mais sur la nature de ses actions et sur le fait que celles-ci soient
susceptibles de relever d’une analyse politique.”
Tous les moyens sont bons pour sauver l’action de l’administration. Sans
identifier le fondement d’une telle création jurisprudentielle, sans “découvrir ” comme le
fruit des jurisprudences passées cette nouvelle “présomption discrétionnaire ”, la Cour
Suprême mit un coup d’arrêt sévère à l’extension de la responsabilité de l’administration
initiée par le FTCA.
Ainsi l'étude empirique du professeur Nelson (2009) sur la jurisprudence des
cours fédérales de première instance, révèlent que le pourcentage de réussite de
l’administration dans l’affirmation de l’exception de pouvoir discrétionnaire devant les
tribunaux est passé de 69,9% avant Gaubert (de 1946 au 25 mars 1991) à 76,3% (du 26
Mars 1991 au 31 décembre 2007). En outre, l’étude révèle, sur les périodes considérées,
que l’exception de pouvoir discrétionnaire est invoquée dans deux fois plus d’instances
après Gaubert que dans les quarante-quatre années précédentes.
Mais l’effet de la jurisprudence Gaubert n’est pas uniquement quantitatif. En
effet, même dans les hypothèses où les agents de l’administration ont agi sans prendre en
compte des motivations relevant de politiques publiques, l’exception de pouvoir
discrétionnaire vient servir de bouclier à l’état américain qui se retranche derrière la
présomption établie par cette jurisprudence. Dès lors qu’il est crédible qu’une décision
relevant de la mise en œuvre d’une politique publique aurait pu fonder l’action
délictueuse, l’agent est présumé avoir fait usage de son pouvoir discrétionnaire. Pour
contredire cette présomption le requérant doit alors convaincre la cour qu’aucune
politique publique n’aurait pu motiver l’action délictueuse, argument difficile à déployer
face à l’administration qui peut systématiquement évoquer la gestion de ses ressources,
toujours insuffisantes.
La solution retenue par la Cour Suprême dans l’arrêt Gaubert a suscité les foudres
de la doctrine américaine. Les critiques qui peuvent être formulées sont en effet assez
nombreuses. D’abord, la solution retenue est inéquitable pour le requérant et le citoyen en
général. En effet, c’est au requérant que revient la lourde charge de devoir renverser la
présomption. Cette condition vient s’ajouter à un dispositif procédural prévu par le FTCA
qui était déjà en la défaveur du requérant. En outre, Gaubert semble donner un blancseing à l’administration quand bien même celle-ci serait négligente. De fait cette décision
se départit d’une éthique de responsabilité de l’administration qui s’était petit à petit mis
9
en place au cours de la deuxième moitié du vingtième siècle. A trop vouloir protéger
l’administration, la règle de droit incite celle-ci à ne pas investir dans une prise de
décision responsable, ni dans la recherche de la solution la plus sûre.
En outre, pour certains commentateurs, la solution est contraire à l’esprit même
du FTCA. Comme l’avait énoncé le juge Cardozo, la doctrine de l’immunité du souverain
est assez sévère lorsqu’elle s'applique dès lors qu'elle constitue un obstacle
incontournable à l'engagement de la responsabilité de l’administration pour que les juges
ne s’engagent pas dans un exercice d’interprétation des textes qui étendrait son
application. Or la solution retenue dans Gaubert va au-delà de la lettre de la loi. Par
ailleurs, l’adoption même du FTCA se justifiait par le fait qu’en règle générale il n’y avait
pas lieu de vouloir traiter l’administration différemment du citoyen dans les actions en
responsabilité. Les limites procédurales et de fond posées par l’arrêt Gaubert constituent,
en ce sens, un véritable retour en arrière (Niles, 2002).
Enfin, la solution de l’arrêt Gaubert pourrait avoir également un effet pervers et
inciter l’administration à déléguer plus de pouvoir aux agents se trouvant au plus bas de
l’ordre hiérarchique, plutôt que les enjoindre à agir de telle ou telle façon. En effet, leur
donner plus de pouvoir permet de leur laisser une part de ce pouvoir discrétionnaire, dont
ils seraient ensuite présumés avoir fait usage. A titre d’exemple, une agence ayant la
gestion d’une autoroute pourrait adopter un corpus de règles et donner comme directive à
ses agents de s’assurer que des garde-fous soient posés tout le long d’une autoroute et
remplacés dans un délai de trois jours après un accident les ayant endommagés. Une telle
règle imposerait une obligation au personnel de l’administration qui s’il ne la mettait pas
en œuvre se rendrait coupable de négligence. A l’inverse, si l’administration donnait à
son personnel tout pouvoir pour s’assurer de la sécurité des autoroutes, le fait de ne pas
remplacer ce garde-fou endommagé sous trois jours résulterait du choix discrétionnaire
de le faire qu’après avoir modifié la signalisation en bordure de route. Nul doute que dans
la première hypothèse un juge conclurait à la responsabilité de l’administration en cas de
dommage causé par l'absence de mise en œuvre de cette consigne de sécurité, alors que
dans la deuxième hypothèse, le juge s’interdirait d’examiner si la décision prise était
raisonnable.
En réponse aux critiques esquissées ci-dessus les quelques rares défenseurs de la
solution retenue par l’arrêt Gaubert mettent en exergue le fait que celle-ci donne une
consigne claire aux tribunaux de première instance et se traduit par une plus grande
sécurité juridique (Zillman, 1995). Concédons bien volontiers qu’après Gaubert un
requérant a plus de chance d’être débouté dès le début de la procédure, sans que le fond
de son recours ne soit examiné, le juge se reconnaissant incompétent.
La critique de Gaubert est aisée mais l’art est difficile. Faisons-nous donc l’écho
des propositions doctrinales visant à rendre plus équitable le droit de la responsabilité de
l’administration fédérale aux États-Unis.
10
IV – Réformer le régime de responsabilité de l’administration fédérale américaine :
dialectique des valeurs de la société américaine
Pour la grande majorité de la doctrine la jurisprudence Gaubert doit être
abandonnée, mais une fois éliminée la présomption qu'elle institue, les solutions
proposées diffèrent. Pour les uns, il convient de mieux définir ce qui relève du pouvoir
discrétionnaire de l’administration, pour les autres il convient tout simplement de ne plus
protéger l’administration lorsque celle-ci exerce son pouvoir discrétionnaire.
Cet intense débat doctrinal sur l’état du droit positif révèle le tiraillement actuel
entre stricte séparation des pouvoirs et garantie des droits individuels. La majorité de la
doctrine américaine semble être attachée au respect d’un principe fort de séparation des
pouvoirs et accepte l’existence d’un champ d’action de l’État dans lequel le juge ne doit
pas s’immiscer, pour autant que celui-ci soit de dimensions raisonnables. Toutefois, une
minorité d'auteurs plus attachés au principe de la primauté de l’individu ne voit pas
d’autres alternatives que la suppression pure et simple de l’exception de pouvoir
discrétionnaire.
Sans exposer dans le détail l’ensemble des propositions visant à définir le
périmètre du pouvoir discrétionnaire de l’administration, on peut néanmoins évoquer les
principales solutions envisagées. La position la plus conservatrice est celle qui consiste à
vouloir simplement redéfinir de façon plus restrictive les notions de “politiques
économiques, sociales et stratégiques ” utilisée dans la deuxième étape du test établi par
la jurisprudence Berkovitz. Cette approche semble difficile à mettre en œuvre sans
procéder à une revue de la substance de ce que constitue le pouvoir discrétionnaire de
l’administration. Or la lettre du FTCA ne donne pas cette compétence aux juges. Des
propositions plus audacieuses invitent à étudier le processus de prise de décision (Kent,
1991 ; Hyer, 2007) ou la fonction de la décision (Niles, 2002) afin de savoir s’il y a eu ou
non exercice du pouvoir discrétionnaire.
A l’autre bout du spectre se trouve une approche un peu radicale : la suppression
pure et simple de l’exception de pouvoir discrétionnaire prévu par le FTCA. Cette
modification drastique du régime nécessiterait une intervention du Congrès qui devra
faire preuve d’un grand courage politique pour combattre l’idée reçue selon laquelle
supprimer ce rempart contre la mise en cause de la responsabilité de l’État signifierait
nécessairement alourdir les finances de l’État qui prêterait plus le flan à l’indemnisation
de ses administrés30. La question est en effet de savoir si la suppression de l’exception de
pouvoir discrétionnaire transformerait le régime actuel de responsabilité de
l’administration de manière tellement radicale qu’elle paralyserait l’action de
l’administration.
30
Discretionary Function Exemption of the Federal Tort Claims Act and the Radiation Exposure
Compensation Act: Hearings on H.R. 1095, H.R. 2372, and H.R. 2536 Before the Subcommittee on
Administrative Law & Governmental Relations of the House Committee on the Judiciary, 101st Congress
91 (1989) declaration de Stuart M. Gerson, Assistant Attorney General, Civil Division, Department of
Justice.
11
Selon Jonathan R. Bruno, la suppression de l’exception ne soumettrait pas l’action
de l’administration au poids d’une responsabilité insupportable. En effet, le droit du tort
aux États-Unis est bordé de quelques garde-fous qui permettraient vraisemblablement
d’éviter les excès. En outre, les dommages et intérêts punitifs et le recours au jury sont
exclus par le FTCA en cas de mise ne cause de la responsabilité de l’administration.
L’exception de pouvoir discrétionnaire n’est alors que le fossé qui protège le château :
c’est la première ligne de défense, mais certainement pas la seule (Bruno, 2012).
En effet, sans exposer de manière exhaustive le droit du tort américain, il convient
d’en relever certaines caractéristiques. D’abord, à de rares exceptions près, il est
quasiment impossible de demander des dommages et intérêts pour une perte dite
purement économique31. Le droit de la responsabilité américaine s’applique ainsi à ne
dédommager en principe le plaignant que lorsqu’il y a eu atteinte à son intégrité physique
ou dommages à ses biens matériels. Pour se prémunir de toute interférence de la common
law (et de son évolution) des différents États sur ce point, le FTCA pourrait être amendé
afin de prohiber le dédommagement du dommage purement économique.
A cette limite substantielle de taille, s’ajoute le droit du tort américain qui ne
reconnaît pas de principe de responsabilité générale, et qui ne doit pas être pris pour
l’équivalent du droit civil français de la responsabilité délictuelle. A titre d’exemple, aux
États-Unis comme en Angleterre, il n’y a pas de bon samaritain, ni d’obligation de
secourir une personne en danger. Une personne n’est responsable envers un tiers que s’il
est démontré qu’il existe en common law ou par l’effet de la loi un devoir envers ce tiers.
Par conséquent, rayer du FTCA l’exception de pouvoir discrétionnaire n'aboutirait
pas nécessairement à une croissance exponentielle de la responsabilité de
l’administration. En revanche, cela permettrait au citoyen d’obtenir l’examen du fond de
son recours dans un plus grand nombre d’instances.
Jonathan R. Bruno fait toutefois remarquer que la suppression de l’exception du
FTCA ne permettrait pas forcément d'abandonner l’exception de pouvoir discrétionnaire.
En effet, la doctrine constitutionnelle de la séparation des pouvoirs a été récemment
utilisée pour sauver l’exception de pouvoir discrétionnaire. Ainsi, en matière maritime
régie par le Suits in Admiralty Act (2006)32, le dispositif qui permet la mise en cause de la
responsabilité de l’administration en matière délictuelle ne prévoit pas d’exception de
pouvoir discrétionnaire.
Pourtant les Cours d’appel fédérales statuant en matière maritime ont à plusieurs
reprises eu l’occasion d’affirmer que “les principes de la séparation des pouvoirs
31
Il existe une littérature abondante sur la notion de "pure economic loss", en droit américain et en droit
anglais, à titre d'exemple on recommandera la lecture d'un article récent, PALMER Vernon Valentine
(2011), "The great spill in the gulf . . . And a sea of pure economic loss: reflections on the boundaries of
civil liability", Penn State Law Review, Vol.116, p.105-143
32
46 U.S.C. §§ 30901-30918 (2006)
12
commandent au judiciaire de ne pas décider des questions relevant des autres pouvoirs”33
au motif que “le principe de séparation des pouvoirs […] revêt une telle importance qu’il
commande aux cours d’appliquer une exception de pouvoir discrétionnaire aux lois qui
sont silencieuses sur le sujet”34. Cet alignement sur le régime général, somme toute assez
logique, démontre l’attachement du pouvoir judiciaire à respecter sa conception stricte de
la séparation des pouvoirs.
L’effet combiné des jurisprudences Berkovitz et Gaubert restreint probablement
de manière excessive l’accès à la justice du citoyen lorsque celui-ci essaie d’engager la
responsabilité de l’État. Ce grief a été largement entendu et relayé par la doctrine. La
prochaine évolution en la matière, jurisprudentielle ou législative ne manquera pas de
renseigner sur le pacte social américain. L'opposition symbolique entre séparation des
pouvoirs et garantie des droits individuels ne saurait être irréductible.
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35 (2d Cir. 1989).
34
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14