UN CAS D`EXPERTISE, L`ETRANGE DEFAITE DE MARC BLOCH 1

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UN CAS D`EXPERTISE, L`ETRANGE DEFAITE DE MARC BLOCH 1
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UN CAS D’EXPERTISE,
L’ETRANGE DEFAITE DE MARC BLOCH 1
RÉSUMÉ : À
partir de l’« Étrange défaite » de Marc Bloch, Dominique Damamme fait l’hypothèse
que le paradigme des Annales n’a pas été sans effets dépolitisants sur la pratique politique de
l’historien et il appréhende ce texte énigmatique comme un acte d’expertise, c’est à dire une
combinaison de pratiques politiques et de pratiques scientifiques. A ses yeux, l’expertise ne
recouvre pas seulement des textes de commande mais également des textes hybrides
d’intervention politique fondés sur des savoirs scientifiques. L’auteur observe que ce type
d’intervention est resté relativement rare en France, notamment en histoire.
« Le problème de l’utilité de l’histoire, au sens étroit, au sens
“pragmatique” du mot utile, ne se confond pas avec celui de sa légitimité, proprement intellectuelle. Il ne peut, d’ailleurs, venir
qu’en second : pour agir raisonnablement, ne faut-il pas d’abord
comprendre ? Mais sous peine de ne répondre qu’à demi aux suggestions les plus impérieuses du sens commun, ce problème-là non
plus ne saurait être éludé. »
Marc Bloch, Apologie Pour L’Histoire
L’Étrange défaite a été écrit entre juillet et septembre 1940. Marc Bloch, après
avoir échappé, au début de juin, à la captivité lors de l’arrivée des Allemands à Rennes où des restes des armées du Nord s’étaient repliés, rejoint dans les premiers
jours de juillet sa maison de Fougères dans la Creuse où sa femme et ses enfants se
sont réfugiés. Il semble qu’il se soit mis immédiatement à la rédaction de ce récit,
poussé par le besoin urgent – « en pleine rage », écrit-il – de mettre de l’ordre dans
ses souvenirs et dans ses idées. Avant d’entrer dans la Résistance, il confie le manuscrit à des amis qui le remettront à ses enfants à la Libération.
On s’étonnera peut être de trouver dans un dossier consacré à l’expertise historienne une contribution prenant pour objet L’Étrange défaite. Ce serait oublier que
l’ouvrage combine plusieurs genres, témoignage et examen de conscience, analyse
des causes de la défaite et recherche des responsabilités, diagnostic et programme de
1.
Ce texte reprend certaines idées d’un travail plus général sur les « intellectuels » mené avec Bernard Pudal.
Sociétés Contemporaines (2000) n° 39 (p. 95-116)
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réformes. Témoignage, Marc Bloch avait choisi ce mot pour intituler son manuscrit.
C’est Georges Altman, compagnon de résistance de Marc Bloch et responsable des
éditions du Franc-Tireur, qui modifie le titre en 1946 pour le distinguer des nombreux « témoignages » sur la « drôle de guerre » (Veillon, 1977). Sans doute le
terme présentait-il aussi l’inconvénient de gommer la volonté de comprendre qui
commande l’écriture et qui fait la profonde originalité de l’ouvrage. À ceux qui ne
voient dans l’Étrange défaite qu’un récit sans originalité ou encore un texte
d’humeur (Fink, 1989), Jacques Le Goff répondait par avance que Marc Bloch a fait
« vraiment œuvre d’historien, et non de journaliste » (Le Goff, 1993). De fait,
L’Étrange défaite est un ouvrage d’historien, au sens où la pensée obéit aux règles
du métier : critique du témoignage, définition rigoureuse des notions, celle de bourgeoisie par exemple 2, objectivité dans l’analyse des groupes sociaux, universalisation des responsabilités débouchant sur une recherche des causes, rupture avec
l’élitisme et l’intellectualocentrisme : « Nous avons préféré nous enfermer dans la
craintive quiétude de nos ateliers. Puissent nos cadets nous pardonner du sang qui
est sur nos mains…Il ne nous reste, pour la plupart, que le droit de dire que nous
fûmes de bons ouvriers. Avons-nous été toujours d’assez bons citoyens ? ». C’est
d’ailleurs le jugement porté sur la République des professeurs (Thibaudet, 1927) qui
distingue ce texte d’autres méditations sur la défaite, et notamment de La Réforme
intellectuelle et morale d’Ernest Renan qui a constitué pour Marc Bloch un précédent et un modèle, et auquel il se réfère d’ailleurs explicitement. Plus généralement,
on suggère qu’en investissant la fonction du juge et/ou celle du législateur, renouant
ainsi à l’encontre des principes des Annales avec le schème du tribunal de l’histoire
(Bloch, 1993, 157 ; Ginzburg, 1997) – la métaphore judiciaire, omniprésente dans le
vocabulaire, est renforcée par le découpage du texte en trois temps, l’enquête, le
procès, la condamnation – comme en se plaçant sur le terrain de l’action politique,
Marc Bloch a fait œuvre d’expert.
En première analyse, l’expertise peut être définie à partir de la demande sociale
et/ou de la fonction sociale 3, si l’on suit la distinction proposée par Robert Castel
entre expertise mandatée et expertise instituante (Castel, 1985). Comme on le voit
dans la Préface de la seconde édition d’Émile Durkheim à De la Division du travail
social, où l’expertise procède d’une auto-institution, la forme expertise regarde autant l’objet et le projet pratique que l’existence d’une demande ou encore une quelconque « situation d’expertise » (Frisch, 1985). Cet élargissement de la notion, en
décalage par rapport à l’usage ordinaire, répond moins à un souci d’originalité ou à
2.
3.
Voir la définition qu’en propose Marc Bloch, 1990, p. 194-195.
La question des rapports entre science et politique est abordée par Gérard Noiriel dans son dernier
ouvrage, Les Origines républicaines de Vichy (1999). L’auteur oppose l’expertise et la recherche
scientifique, qui suppose effectivement une opération de construction théorique des problèmes, ou
encore, pour reprendre sa formulation, un travail de reélaboration. Gérard Noiriel souligne la visée
pratique d’un ensemble de savoirs positivistes et le caractère d’expertise de ces travaux prétendument scientifiques produits par le scientisme républicain. L’Étrange défaite est qualifiée par Gérard
Noiriel de témoignage. Mais définir L’Étrange défaite comme un témoignage aboutît à notre sens à
effacer l’analyse de la société comme le programme de réformes. Affirmer que Marc Bloch
s’exprimait en citoyen et en intellectuel de son temps plus qu’en savant, c’est mettre entre parenthèses le fait que ses analyses sont marquées par sa pratique scientifique. Si les œuvres scientifiques
ne sont pas sans rapport à la politique, comme le souligne d’ailleurs Gérard Noiriel, les textes
d’intervention ne sont pas nécessairement étrangers à la pratique scientifique.
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un goût du paradoxe qu’à la tentative d’éclairer les différents niveaux de signification de textes qui rassemblent plusieurs registres discursifs. Il permet également, à
notre sens, de mieux cerner les rapports entre science historique et engagement politique. L’expertise désigne ordinairement une activité de conseil s’exerçant dans le
cadre d’une commande et selon un mandat ; elle vise les actes d’un spécialiste qui,
sur la base d’un diagnostic, propose à une instance de décision des recommandations
pratiques : préconisations techniques, mais aussi propositions d’action et/ou mesures
de réparation qui peuvent être d’ordre politique. Si l’on admet que la catégorie
n’associe pas seulement savoir et commande mais aussi savoir et intervention,
qu’elle englobe également des pratiques autonomes, un second type d’expertise est à
prendre en compte, l’expertise auto-instituée orientée vers l’espace public. Lorsqu’elle comporte des dispositifs de remédiation ou de transformation fondés sur une
norme éthique ou un projet politique ou qu’elle énonce un discours programmatique,
on conviendra alors de parler d’expertise pragmatique 4. La Seconde Préface
d’Émile Durkheim à De la Division du travail social, où le sociologue tire les applications pratiques de sa théorie, constitue un exemple suggestif de ce type de textes 5.
En histoire, comme en sociologie, l’appel à la catégorie d’expertise auto-instituée
suppose une distinction de droit entre discours scientifique et discours pragmatique.
Or, dans le champ du savoir historique, cette distinction soulève des problèmes spécifiques en raison des fins et des usages politiques de l’histoire. Comme l’a indiqué
Reinhart Koselleck, le passage d’« histoires » à visée pratique à une « Histoire »
pensée comme processus, tout en marquant un bouleversement de l’expérience historique, n’a pas radicalement transformé les fonctions sociales et politiques qu’elle
remplissait en tant que connaissance pratique ou morale (Koselleck, 1997). Seulement, les logiques de légitimation ou de procès se sont désormais appuyées sur le
téléologisme ou le finalisme politique et moral des philosophies de l’histoire. Pour
autant, même si l’on considère l’histoire du XIXe siècle, et particulièrement l’histoire
politique, comme préscientifique, l’érudition dont elle témoigne, ou ses intuitions,
font qu’elle continue d’appartenir à la formation discursive de l’Histoire, en dépit
des présupposés idéologiques ou des objectifs politiques (Nora, 1997). Comme
l’orientation politique ou éthique de ces formes d’histoire n’est pas contradictoire
avec la production de connaissance et qu’inversement l’expertise pragmatique constitue un genre hybride combinant analyse et jugement de valeur – l’intervention politique s’appuie sur du savoir et sur les règles du « métier » –, l’étude des discours qui
participent d’un « engagement scientifique » (Mauger, 1995) 6 pose nécessairement
la question de la délimitation entre science et expertise. Nous avons tenté d’y répondre en définissant l’expertise pragmatique par un double critère, la dimension pro4.
5.
6.
Bloch utilise le terme d’histoire pragmatique quand il traite de l’« utilité » de l’histoire (Bloch,
1993, 73).
« Mais de ce que nous nous proposons avant tout d’étudier la réalité, il ne s’ensuit pas que nous
renoncions à l’améliorer : nous estimerions que nos recherches ne méritent pas une heure de peine
si elles ne devaient avoir qu’un intérêt spéculatif. » Durkheim, 1991, p. XXXVIII – XXXIX.
Cette forme d’intervention qui s’exerce non pas au nom d’une compétence savante générique –
caractérisant la figure de « l’intellectuel » à la française, « représentant de l’universel », incarnée
par Émile Zola et reproduite par Jean-Paul Sartre – mais s’appuie sur une pratique scientifique, fait
écho à la notion théorisée par Michel Foucault « d’intellectuel spécifique » dont la particularité est
de fonder son engagement sur une vérité scientifique « locale », la politisation s’opérant à partir de
l’activité scientifique.
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grammatique et le registre politique. Il ne s’agit, à l’aide de ce critère, ni de tracer
une frontière entre la science et le reste, ni d’apporter une réponse aux débats historiographiques sur le statut, scientifique ou non, des études historiques mais plus modestement de marquer en quoi ces textes d’intervention, en raison de leurs spécificités, demeurent en droit distincts des énoncés de forme scientifique 7.
Sommaire, la biographie que Marc Bloch présente au début de son essai en dit
suffisamment pour comprendre, politiquement mais aussi psychologiquement, son
engagement dans la Résistance 8. Ouvrant son récit par une « présentation du témoin », il insiste d’abord sur l’attachement séculaire à la République française d’une
famille juive d’Alsace ayant choisi l’exil en 1871. Il y rappelle sa conduite courageuse pendant la première guerre mondiale attestée par quatre citations – ce qui signifie d’ailleurs qu’il savait à quoi s’en tenir sur son comportement face au danger –
ainsi que sa décision de s’engager en 1939 alors qu’il avait déjà plus de cinquante
ans (« le plus vieux capitaine de l’armée française ») et qu’il était père de six enfants. Marc Bloch est d’abord français, un citoyen français. Juif « sinon par la religion (...) du moins par la naissance », il ne se reconnaît pas dans cette identité qu’il
assume pourtant et qu’il lui arrive de revendiquer face à un antisémite. « Étranger à
tout formalisme confessionnel comme à toute solidarité prétendument raciale, je me
suis senti, durant toute ma vie entière, avant tout et simplement français » (Bloch,
1941). C’est dire qu’il récuse par avance toute interprétation de son entrée dans la
Résistance en 1943 comme découlant du judaïsme dont il se sent, comme beaucoup
d’autres, très éloigné, même si son action est liée à l’identité que lui impose brutalement le Statut des juifs (notamment les mesures d’exclusion de la fonction publique (Singer, 1992) et, plus largement, la politique antisémite de Vichy et de
l’Allemagne, qui fait brusquement de lui, juif assimilé, un paria.
Si s’interroger sur l’engagement chez Marc Bloch a un sens, c’est que sa conduite
pendant la seconde guerre mondiale tranche sur la position de retrait à l’égard de la
politique qu’il a observée dans la période précédente. Conséquence d’un choix précoce, peut-être effectué au sortir de l’E.N.S., cette distance lui est apparue de plus en
plus problématique au fur et à mesure de l’aggravation de la crise des années trente.
On a vu qu’il dénonce ce retrait avec violence dans L’Étrange défaite. C’est d’abord
à décrire cette position qu’on s’attachera, pour montrer ensuite qu’histoire scientifique et expertise s’adossent chez Bloch à un même paradigme cognitif, qualifié ici de
constructivisme réaliste – oxymore qui a pour fonction de conserver la tension entre
7.
8.
Sur ces points, voir le présentation du dossier.
La biographie d’Olivier Dumoulin est parue après la rédaction de cet article. Les analyses développées ici divergent de celles d’Olivier Dumoulin, notamment dans l’analyse du rapport de Marc
Bloch au politique. L’auteur soutient la thèse d’une dépolitisation partielle, limitée à la période
1925 à 1934, en s’appuyant (?) sur la lecture des Rois thaumaturges d’Ulrich Raulff, qui y voit une
œuvre politique en profondeur (Dumoulin, 2000, p. 291et p. 177), et d’autre part sur la correspondance de Bloch à partir de 1934. Ulrich Raulff défend l’idée d’une politisation implicite de l’œuvre
de Bloch en soulignant la récurrence des thématiques du lien social et du lien national, au travers
desquelles s’exprime l’influence d’Émile Durkheim. Pour notre part, nous insistons sur la distance
publique au politique de Marc Bloch tout en suggérant l’existence d’une politisation de la pensée
qui s’exprimerait essentiellement par le choix des objets : structure sociale, rapports de domination…
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perspectivisme et positivisme 9. Pour conclure, on indiquera le destin posthume de
l’ouvrage, en s’intéressant à sa réception, et en cherchant à comprendre pourquoi un
texte érigé aujourd’hui en référence ou en modèle est resté sans réelle postérité.
RETRAIT ET DEPOLITISATION DE L’HISTORIOGRAPHIE
Il est moins simple qu’on imagine de situer Marc Bloch dans l’espace politique
de l’entre-deux-guerres. Même son fils avoue son hésitation : un homme de gauche,
mais tout autant un homme d’ordre : « Je ne sais pas quelles étaient les idées politiques de mon père » (Bloch,1990, 28). À la différence de Lucien Febvre, militant à la
S.F.I.O. dans sa jeunesse, Bloch n’a jamais adhéré au parti socialiste. Avant 1914, il
s’inscrit dans cette mouvance qu’on désigne sous l’étiquette du socialisme normalien (Charle, 1994 b). Il fait partie du Groupe d’Études Socialistes, crée en 1908 par
Albert Thomas. Lié à la S.F.I.O, et inspiré par le modèle Fabien, ce groupe réunit
élèves de l’École Normale Supérieure et membres de l’École durkheimienne. Parmi
la cinquantaine d’adhérents, on relève les noms de Robert Hertz, de François Simiand, d’Edgard Milhaud, d’Ernest Poisson, de Marcel Granet, de Max Lazard, de
Paul Ramadier, d’Hervé Sellier, d’Edmond Laskine... (Prochasson, 1993). Marc
Bloch sera actif dans ce réseau réformiste pendant deux ou trois ans. Pour l’aprèsguerre, André Burguière, signalant sa sensibilité à « l’esprit des années trente » et
son intérêt pour les doctrines « non-conformistes », c’est à dire pour les tentatives de
troisième voie entre le capitalisme et le socialisme, a relevé ses critiques à l’égard du
personnel politique et des idéologies socialistes. Faute d’un label politique plus précis, on qualifiera Marc Bloch de républicain progressiste 10, ce qui suffisait à lui valoir une réputation de rouge auprès de certains de ses collègues et de l’éditeur des
Annales. Républicain, patriote, opposé au pacifisme comme au communisme (Burguière, 1979, Dosse, 1987), Marc Bloch n’a pas trouvé dans l’entre-deux-guerres de
parti accordé à ses idées. Désaffection, décalage – les deux hypothèses ne sont pas
contradictoires –, il faut également comprendre cette distance au champ politique
comme l’expression d’une exigence d’autonomie propre à tout producteur intellectuel. Comme il l’écrit dans L’Étrange défaite, il s’est toujours refusé à se laisser
« embrigader » dans un collectif, le militantisme lui paraissant contraire à l’indépendance du savant : « Nous n’avions pas des âmes de partisans » (Bloch, 1990, 204).
Lorsque, après les Accords de Munich 11, il décide de s’engager, il le fait en adhérant
aux « Amis de la vérité », un groupe dont l’appellation constitue, si l’on peut dire,
tout un programme et où on peut voir à la fois une symbolisation et une projection
de l’idéal rationaliste sur le terrain politique et la marque d’un tropisme professionnel. Cette exigence d’autonomie, adossée à une conception intellectualiste de
l’action politique, sans impliquer nécessairement un rejet mais plutôt un rapport distancié et distendu au politique, a fait obstacle, dans le cas de Marc Bloch mais aussi
de nombreux intellectuels, à un engagement public plus marqué. Sa correspondance
9.
10.
11.
En dépit de l’antipositivisme méthodologique de Marc Bloch, ce terme est destiné à marquer le
statut de la réalité du passé. Cf. Noiriel (1994, 1996).
On sait que Marc Bloch a soutenu au début l’expérience du Front populaire.
En 1938, Marc Bloch songe à faire acte de candidature à la direction de l’E.N.S, pour contrer celle
de Maurice Halbwachs dont il critiquait l’engagement pacifiste. A la même époque, il écrit à Lucien Febvre « Servir oui. Mais, à quoi ? et où ? », Muller, 1997, p. 181.
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avec Lucien Febvre, en particulier à partir des années 1933-1934 où il exprime ses
inquiétudes devant la montée du nazisme et les tentations néo-fascistes, montre qu’il
n’a pas attendu les Accords de Munich pour s’interroger sur la question de
l’engagement. Tout en continuant d’ailleurs à douter de l’efficacité réelle de
l’intervention des « intellectuels » (Bloch, 1994, Muller, 1997), il accepte de signer
au moins un manifeste, l’appel « Aux Travailleurs » (du 5 mars 1934), texte de fondation du Comité de vigilance des intellectuels antifascistes (C.V.I.A.) (Racine,
1977). Cet acte public, unique en son genre, comme son adhésion au groupe des
« Amis de la Vérité » n’invalide pas la vision d’un Marc Bloch, politisé au sens de
politiquement intéressé, mais à la conduite régie par une obligation d’apolitisme
comparable, dans ses formes extérieures, à l’idéal positiviste du savant de la « République des universitaires » (Charle, 1994). En fait, cette combinaison de prises de
position politiques, de postulats scientifiques et d’éthique professionnelle le conduit
alors à une position de retrait, qui n’autorise un engagement public qu’à la marge ou
qu’exceptionnellement. Dans cette distanciation à l’égard du politique, pratique mais
aussi théorique, il est indéniable que plusieurs déterminations ont agi, se renforçant
entre elles. Des considérations proprement politiques, désinvestissement ou désaccord avec les idéologies et les programmes des partis. Des logiques de carrière également. Diverses analyses montrent que le désir de faire une œuvre, mais aussi les
stratégies de conquête des postes les plus légitimes de la discipline, ont amené les
deux historiens à éviter un étiquetage politique trop visible, difficilement compatible
également avec la direction d’une revue savante. Plus largement, cette réserve découle du code de conduite en vigueur dans la tribu des historiens. Olivier Dumoulin
parle pour la période 1914-1935 d’une histoire « au dessus de la mêlée », professant
« une déontologie du désengagement » (Dumoulin,1992). Christophe Charle évoque
pour l’entre-deux-guerres la « politique de l’apolitisme » des universitaires (Charle,
1994). Jouent dans le sens du renforcement des exigences de scientificité aussi bien
la professionnalisation du champ historique que la concurrence sur le marché des
postes, qui se traduit en particulier par la rivalité universitaire entre Lucien Febvre et
Marc Bloch (Dumoulin, 1979, 1984, 2000). Pour Olivier Dumoulin, s’inspirant des
thèses de Pierre Bourdieu, ces conditions de fonctionnement du champ historique
contribuaient à la délégitimation de l’histoire politique et, sur le plan méthodologique, à l’affirmation de l’incompatibilité entre science et politique, vieille règle du
métier, rappelée par Monod comme par Taine, mais à la validité plus idéelle
qu’effective ou même possible. Parallèle à la pente du champ historique, et en même
temps indissociable de son évolution, il faut, à un autre niveau, souligner l’influence
qu’a exercée la sociologie de Durkheim sur le paradigme des Annales d’Histoire
Économique et Sociale (Revel, 1979). Le paradigme annaliste tire sa spécificité des
transferts qu’il opère des sciences sociales à l’histoire – héritages et emprunts à la
fois à l’école géographique de Vidal de la Blache, à la psychologie historique
d’Henri Berr ou à la sociologie de Durkheim, dont Lucien Febvre a dressé le tableau
détaillé (Dosse, 1987, 43). Il est vraisemblable que, sensibles dès leur période de
formation à la démarche positive des sciences sociales, les deux historiens, et pas
seulement eux, ont ressenti très fortement à la fin de la guerre de 1914-1918 l’urgence d’une méthode historique scientifique. L’hypothèse peut être posée d’un lien,
au moins indirect, entre la guerre et la crise du rationalisme idéaliste, par suite avec
le projet de fonder l’histoire sur une démarche réellement scientifique. Relevons, en
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tout cas, que l’inspiration ou la référence à la sociologie a procuré aux fondateurs de
la « nouvelle » histoire trois grands principes d’analyse et/ou d’arguments stratégiques. D’abord, contre l’histoire positiviste, la nécessité de la construction d’objet, ce
qui se traduit par le mot d’ordre de l’histoire-problème. Ensuite, sous l’influence de
la sociologie, un déplacement, légitimé sur des bases scientifiques nouvelles, des
objets historiques du domaine institutionnel et politique vers le social et le
« mental ». Ernest Labrousse rappelait, il y a peu, dans un entretien rétrospectif sur
sa vie de chercheur, que « le grand lien commun de l’école des Annales, c’est
l’introduction généralisée des forces collectives dans la problématique de l’histoire »
(Labrousse, 1980). Qu’il s’agisse des représentations de la royauté dans Les Rois
thaumaturges ou de la structure sociale dans Rois et serfs et dans La Société féodale,
le choix des objets de recherche de Marc Bloch, comme leur construction, sont marqués par la sociologie durkheimienne, renforcée par la lecture de Marx. Dans
L’Étrange défaite, Marc Bloch revient encore sur la nécessité pour comprendre
l’effondrement de la société française de recourir aux « forces massives » qui façonnent l’histoire d’un pays (Bloch, 1990, 204), d’aller au-delà ou en-deça du politique
pour atteindre le social et le culturel et sortir du carcan de l’histoire politique et de
l’histoire nationale. Complément en négatif de l’apport précédent, le rejet d’une certaine conception politiste – événementielle, passive devant les faits, sans problématisation, bref « historisante » (Le Goff, 1988) –, de l’histoire politique, dont François
Simiand avait fait la critique systématique dans un article, « Méthode historique et
science sociale », qui servira de drapeau et de point de ralliement au courant des Annales. Il y dénonçait les idoles de la tribu historienne, l’idole des origines, l’idole
individuelle « habitude invétérée de concevoir l’histoire comme une histoire des individus et non comme une histoire des faits », et l’idole politique, c’est à dire « la
préoccupation perpétuelle de l’histoire politique... qui arrive à donner à ces événements une importance exagérée… (et) retarde pour autant l’attitude scientifique en
rendant plus difficilement admissible et praticable l’élimination méthodique des influences contingentes, moins concevable et possible l’établissement de régularités et
de lois » (Simiand, 1959). Simiand les débarrasse ainsi de deux socles de l’histoire
« positiviste », l’individu historique et l’événement (La société féodale) opérant du
coup une libération du champ des questionnements. La critique du primat du politique vise en premier lieu l’histoire judiciaire. Les historiens ne sont pas des juges et
l’histoire n’a pas à s’ériger en tribunal du monde. Lucien Febvre l’écrit à propos
d’Albert Mathiez dans un texte intitulé « Contre les juges suppléants de la vallée de
Josaphat » : « L’historien n’est pas un juge... pas même un juge d’instruction.
L’histoire, ce n’est pas juger, c’est comprendre – et faire comprendre » (Febvre,
1945, 1992). De même pour Marc Bloch : « comprendre... nous ne comprenons jamais assez. » (Bloch, 1993,159) ; « étant historien, je ne porte pas de jugement de
valeur » (Bloch, 1963). De cette critique procède également le refus du magistère
politique dont l’histoire avait été investie au XIXe siècle et de l’horizon dominant sur
lequel elle s’inscrivait, la construction de l’État-nation et la défense de la République. Monod en avait défini les missions dans l’introduction de la première livraison
de la Revue Historique, « la vérité », mais aussi « la grandeur de la Patrie » et le
« progrès du genre humain » (1876). Le programme des Annales est bâti contre cette
conception. « Plus jamais d’histoire serve » affirme Lucien Febvre en 1919, affichant sa volonté de rompre avec l’historiographie de droite comme avec l’histoire
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républicaine, à la Monod, Lavisse ou Seignobos, Aulard ou Mathiez. De surcroît,
pour les fondateurs des Annales, la Guerre de 1914-1918 avait anéanti définitivement l’idée même d’une histoire nationale ou européanocentrée, appuyée, qui plus
est, sur la croyance dans le progrès. Dans le titre que retient Lucien Febvre pour sa
conférence inaugurale de Strasbourg en 1919, « L’histoire dans un monde en ruines », le savoir historique appartient lui aussi aux ruines du présent (Febvre, 1920).
Sa restauration suppose l’abandon du point de vue politique, concrètement, des formes dans lesquelles l’histoire politique se déploie, histoire récit, histoire période,
« histoire historisante », des biais qu’elle charrie, téléologisme et immanentisme ainsi que des fonctions qu’elle remplit, de légitimation du présent, de consolidation des
représentations politiques et plus généralement d’ancrage du primat du politique. Au
total, ce qu’il faut retenir de cette appropriation historienne de la sociologie, c’est, à
coup sûr, une manière de construire les objets de recherche et de les traiter ; c’est
aussi la réception d’un modèle scientifique, qui s’exprime dans la critique de
l’histoire finaliste et normative, celle-là même que nous avons appelée l’histoireprocès, et dans le rejet de l’histoire nationale ou encore du politique comme objet
historique. Ces rejets, précisons-le, n’impliquaient pas un abandon de l’histoire
contemporaine. Pour les Annales, l’histoire devait apporter « une réponse à des
questions que l’homme d’aujourd’hui se pose nécessairement » (Dosse, 1987, 60), et
jusqu’en 1939, le tiers, certaines années plus de la moitié, des articles publiés porte
sur le temps présent, voire l’actualité la plus récente (Dumoulin in Dosse, 1987,
Corbin,1983), mais ils l’abordent en contournant la sphère politique. On sait que les
critiques de Marc Bloch dans ses comptes-rendus d’ouvrages racialistes allemands
s’expriment sous couvert de la critique historique. Lucien Febvre se demandait si
« le désir d’être objectifs ne nous entraîne pas trop loin, tout de même, dans
l’éloge » (Schöttler,1995 (b), Muller, 1997). Dès lors, le numéro souvent cité que la
revue consacre à l’Allemagne en 1937 apparaît plus comme une exception, une entorse au principe d’objectivité qu’une preuve de politisation. Contrairement à Peter
Schöttler (Schöttler, 1995 a), qui interprète Les rois thaumaturges comme une œuvre en son fond politique (1995), André Burguière (1979) et d’autres (Dumoulin,
2000) analysent la position de Marc Bloch comme une posture de retrait. Comment
penser en effet qu’un modèle de connaissance aussi fort que celui des Annales n’ait
pas rejailli sur les formes du rapport pratique au politique, sur la possibilité, non pas
de prendre parti in foro interno, mais d’exprimer publiquement ses partis pris.
L’espèce de scientisme auquel aboutissait le paradigme et la dévaluation du politique qu’il consacrait ne pouvait que peser sur les formes et les modes d’expression de
l’engagement, ne serait-ce que parce qu’il y avait nécessité à mettre en accord la
théorie et la pratique, au risque sinon de dévaluer ou de ruiner le projet et la problématique elle-même. L’hypothèse la plus probable, au moins dans l’entre-deuxguerres, est que la pratique politique s’est trouvée assujettie au paradigme. L’œuvre,
ici, a structuré la vie. Il a souvent été dit également – au nom du principe de
l’identité biographique et d’une lecture rétrospective de la vie de Marc Bloch à partir
de son engagement dans la Résistance – que le refoulement du politique ne concernait pas l’engagement du citoyen (« pour l’entre-deux guerres, plutôt que de divergence entre le savant et le citoyen, mieux vaut parler de distance ou d’écart », Bédarida,1997,133). Mais citoyen est encore beaucoup dire, à moins de le concevoir simplement comme un électeur intéressé par la politique. La thèse défendue ici plaide
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en faveur d’une interprétation qu’on pourra qualifier de moyenne entre politisation
et dépolitisation, mais elle part de prémisses différentes de celles de la plupart des
auteurs. Elle marque d’une part l’effet du paradigme scientifique sur l’action et sur
la pensée du savant tout en faisant l’hypothèse que le refoulement du politique dans
la connaissance n’est jamais total et qu’il fait retour à travers des médiations plus ou
moins directes, plus ou moins complexes.
Pour un producteur intellectuel, il est différentes modalités de retrait par rapport
au politique comme il y a différentes formes explicites de politisation : l’adhésion à
un parti politique, la professionnalisation politique ou l’utilisation du rôle d’intellectuel. L’affaire Dreyfus a cristallisé en effet l’existence d’un nouveau collectif, les
« intellectuels », et institué un mode – spécifique à la France, dans sa naissance
comme dans sa réussite durable (Charle, 1990) – d’intervention politique alternatif à
la représentation politique et à la délégation partisane. Aux figures antérieures de la
politisation ou du retrait, l’affaire a ajouté celle de l’engagement au nom
d’universels, à commencer par la vérité et la justice au nom desquelles les dreyfusards et Zola ont mené leur combat, modifiant les rapports réels et possibles des
producteurs culturels au politique. Pour illustrer la voie de la professionnalisation,
on renverra à Jaurès ou à Herriot, pour la posture intellectuelle, à Péguy, Romain
Rolland, Gide et Sartre, des écrivains plutôt que des universitaires pour toute la période ou le public étudiant est trop peu nombreux pour assurer à lui seul les conditions minimales de l’accumulation d’un capital symbolique dans le champ intellectuel. Ces rôles et ces positions sont évidemment à prendre comme des formes idéales-typiques, un même individu pouvant les occuper tour à tour. Marc Bloch, qui se
définissait lui-même comme appartenant au dernier groupe d’âge de la génération
dreyfusarde, sa « pointe dernière », a, avec le manifeste du C.V.I.A, renoué au
moins une fois avec la pratique de la pétition d’« intellectuels », que son père Gustave Bloch avait inauguré en signant une des protestations des « intellectuels » de
janvier 1898. Cette réserve, à laquelle se tiendra également Lucien Febvre malgré
des liens plus étroits avec le personnel politique et des pressions plus fortes du fait
de ses positions centrales dans le champ universitaire (Lucien Febvre fait partie du
bureau national du Comité de Vigilance des Intellectuels Antifascistes), est trop récurrente pour s’expliquer uniquement par un simple décalage par rapport aux programmes des partis et aux idéologies, ou par le code déontologique de la corporation
des historiens, dont manifestement les règles n’étaient pas interprétées ou respectées
de la même manière par tous les historiens, notamment par les plus engagés d’entre
eux. Pour que l’incompatibilité entre la politique et la science soit vécue de manière
aussi prégnante, il fallait quelque chose de plus : que se soit greffée sur une conception vocationnelle et ascétique du travail scientifique, qu’on est en droit d’analyser
comme un effet de champ, une version scientiste de la science dont on fait l’hypothèse qu’elle a contribué, dans le cas de Marc Bloch, au refus d’une publicisation du
« for politique » (Labrousse, 1980), et qu’elle fut plus déterminante que le rejet, réel,
du modèle élitiste intellectuel, auquel il s’est d’ailleurs rallié une fois.
Étienne Bloch est persuadé qu’à la Libération son père « aurait pris part au combat politique » (Bloch.E, 1990). La guerre, en effet, a provoqué chez Marc Bloch
une rupture majeure, plongeant sa vie dans le jeu aveugle des forces collectives. Il y
a, nous semble-t-il, un avant et un après 1939. De cette rupture, L’Étrange défaite
porte témoignage. Comme en témoignent les articles qu’il a écrits pendant l’Occupa-
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tion dans Les Cahiers Politiques, revue du Comité Général d’Études – organisme
d’experts comme le nom l’indique –, dont il devient le rédacteur en chef, et où il lui
arrive d’appeler à des changement sociaux de grande ampleur, notamment dans ses
« Notes pour une révolution de l’enseignement » (Bloch, 1990, 254) 12. Le mot de
révolution est dans l’air du temps mais son emploi par Marc Bloch n’est pas indifférent. La défaite et la politique de Vichy ont eu pour effet une réévaluation de son
abstention passée et une redéfinition de son rapport au politique, pour le présent et
pour le futur. On trouve parfois l’idée que Marc Bloch eût pu devenir ministre de
l’Éducation Nationale. Il est possible qu’il eût accepté des fonctions officielles
d’expertise dans le domaine de l’enseignement, tout comme Lucien Febvre, qui fut
membre de la Commission Langevin-Wallon. Pour un universitaire, ou un savant, on
voit par là qu’il est plusieurs manières de participer au champ politique, que cette
participation peut procéder d’autres voies que le militantisme, une carrière politique
ou l’engagement « intellectuel », et qu’elle peut revêtir la forme de l’expertise. Cette
forme d’engagement, qu’on peut rattacher à l’Affaire Dreyfus, première circonstance où l’histoire fut convoquée pour servir à l’établissement de la vérité devant la
justice et devant l’opinion publique (Duclert, 1994), a été pratiquée par Marc Bloch
dans sa jeunesse avec le Groupe d’Études Socialistes. Mais il suffit de citer les cas
de Ferdinand Buisson, d’Albert Thomas, ou celui de Marcel Mauss pour se rendre
compte qu’interrompue avec son départ en province après l’agrégation, l’action politique par le biais de l’expertise n’a pas connu chez le jeune Bloch ou le Bloch de la
maturité un réel développement. Dans la perspective proposée ici, on est évidemment enclin à interpréter ce fait comme une confirmation supplémentaire de l’idée
que la définition ascétique du métier et la conception scientiste de la science ont
contribué à creuser l’écart entre le savant et le citoyen.
Se mettre en retrait ne signifie pas désinvestir le politique (Hirschman, 1983)
mais d’abord s’abstenir en pratique 13. Pensons à Émile Durkheim qui s’engage
dans l’Affaire Dreyfus et lors de la première guerre (Durkheim, 1995), mais qui retourne à son œuvre après avoir pris position. Ce type d’intervention au coup par
coup, par intermittence, va de pair, en particulier dans les disciplines littéraires et
dans les sciences sociales, avec des formes variées de politisation des activités de
pensée, par l’élection d’objets de recherche, de schèmes ou de paradigmes
d’analyse. Cette politisation de l’activité de pensée conditionne problématiques
scientifiques et expertises pragmatiques. La Division du travail social d’Émile
Durkheim peut à nouveau être sollicitée, mais aussi l’œuvre de Gustave Lanson,
12.
13.
Le CGE est mis en place par Jean Moulin « comme le premier organe central de la Résistance »
(Paul Bastid). Il s’agissait de réunir les différents groupes de réflexion qui s’étaient formés dans le
but d’étudier les mesures à prendre sur le plan politique et administratif au moment de la Libération. Le CGE comprend François de Menthon, Robert Lacoste, Paul Bastid, Alexandre Parodi
(Veillon D., 1977, p. 339-340).
Olivier Dumoulin revient après Ulrich Raulff sur la figure du juge chez Marc Bloch qu’on trouve
évoquée en plusieurs endroits, l’article « La vie d’outre-tombe du roi Salomon » (1925), un passage
de l’Apologie (où à propos de Richard Simon, Marc Bloch écrit que « l’histoire a le droit de compter parmi ses gloires les plus sûres d’avoir ainsi, en élaborant sa technique, ouvert aux hommes une
route nouvelle vers le vrai et, par la suite, le juste » (p. 155), ainsi que dans un échange de lettres
avec Febvre daté de 1939 (Dumoulin, 284). Ces divers « indices » révèlent, chacun à sa manière,
les difficultés du « refoulement » du politique. « A tort ou à raison, l’attirance mal maîtrisée de
Marc Bloch pour cette figure du « juste juge » découle de sa capacité à surmonter le dilemme de
l’action et de la connaissance » (Dumoulin, 287).
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étudiée par Antoine Compagnon (Compagnon, 1983), dont les conceptions de
l’histoire littéraire évoluent parallèlement à l’affaire Dreyfus et, directement lié à
notre objet, l’exemple des historiens « positivistes » républicains, Alfred Aulard ou
Charles Seignobos. Ernest Labrousse indiquait que l’évolution de son œuvre n’avait
été qu’un détour intellectuel par lequel il avait approfondi les dispositions et les
choix de son « for intérieur politique ». Ce dernier mode de politisation est évidemment plus ou moins visible selon les auteurs, plus ou moins apparent et explicité
comme dans De la Division du travail social ou, à l’inverse, comme chez Marc
Bloch ou Lucien Febvre, inscrit en profondeur dans la construction de l’objet. Plutôt
que de s’en tenir à la thèse trop simple de la neutralité axiologique des directeurs des
Annales, il convient de faire l’hypothèse que cette forme de politisation, toujours
sous-jacente même si les formes de médiatisation sont infinies, s’est exprimée chez
Marc Bloch dans le choix et les problématisations des objets historiques, la question
de la légitimation du pouvoir ou celle des rapports de domination dans la société
féodale (Raulff, 1995). Ce fut la manière de Marc Bloch de résoudre la tension entre
engagement et distanciation (Elias, 1993, Muller, 1997) 14.
TEMOIGNAGE, HISTOIRE ET EXPERTISE
Témoigner, c’est à dire rapporter, porter à la connaissance des autres, ce qu’on a
personnellement vu, observé. C’est par un témoignage sur ses fonctions d’intendance dans un service des carburants et sur les opérations militaires auxquelles il a
été mêlé que commence L’Étrange défaite. L’autorité d’un témoignage valant ce que
vaut le crédit du témoin, Marc Bloch décline son identité. En premier lieu, il est historien : « écrire et enseigner l’histoire : tel est, depuis tantôt trente-quatre ans, mon
métier ». Durée suffisante pour acquérir des « habitudes de critiques, d’observation
et, j’espère, d’honnêteté. » Sa compétence, il la tire également de son expérience de
la guerre de 1914-1918, et de ses états de service. Il cherche aussi à se prémunir
contre l’objection qu’il est juif, autrement dit, pour reprendre ses propres termes,
qu’il n’est, pour certains, qu’un « métèque ». C’est la raison pour laquelle il tient à
rappeler que sa famille a combattu pour la France depuis trois générations et que luimême, malgré son âge, a repris l’uniforme en 1939. Il a droit à la parole.
La question du témoignage occupe dans la réflexion de Marc Bloch une place
centrale, à la fois en tant que source historique et en tant que fait social. Comme fait
social, plusieurs de ses écrits portent sur la rumeur et le légendaire, l’article
« Réflexions d’un historien sur les fausses nouvelles de la guerre » (Bloch,1921)
mais aussi son livre Les Rois thaumaturges (1924), étude de la « conscience collective » qui analyse la croyance multiséculaire dans la capacité miraculeuse des rois à
guérir les écrouelles, dont il dit qu’elle est comparable à « une gigantesque fausse
nouvelle ». Carole Fink a suggéré justement l’existence d’un lien entre cet intérêt
pour le faux et l’Affaire Dreyfus, expérience grandeur nature de la puissance des
rumeurs mais aussi démonstration du rôle que peut jouer la méthode critique. On
14.
Les expériences qu’a traversées Marc Bloch auraient peut-être modifié sa manière de faire de
l’histoire. Mais dans les cinq ouvrages qu’il se proposait d’écrire, L’Apologie pour l’histoire, un livre sur le premier Empire allemand, un autre sur l’histoire de la monnaie française, un quatrième
sur le peuplement des Etats-Unis, et même un roman policier, il est difficile de repérer un signe
clair d’une politisation de sa pratique historiographique.
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trouve encore un écho de ces préoccupations dans son discours de distribution des
prix au lycée d’Amiens en 1914 « Critique historique et critique du témoignage » :
« Nous sommes des juges d’instruction chargés d’une vaste enquête sur le passé... Et
le jour où sur la place publique vous aurez à prendre part dans quelque grand débat,
qu’il s’agisse de soumettre à un nouvel examen une cause trop vite jugée, de voter
pour un homme ou pour une idée, n’oubliez pas non plus la méthode critique. C’est
une des routes qui mènent vers le vrai » (Bloch, 1995).
Il s’y est intéressé aussi d’un point de vue de méthode. L’Apologie pour l’histoire accorde une large place à ce problème, qui touche à la nature de la connaissance historique. Définie par Charles Seignobos comme une connaissance par traces,
l’histoire opère à partir des discours d’autrui, de choses vues par d’autres et rapportées par eux. Dans L’Étrange défaite, comme dans n’importe quel travail d’histoire,
Marc Bloch prend soin de souligner la fiabilité de ses sources : « Je vais parler ici de
choses que je n’ai pas vues de mes propres yeux ». L’Étrange défaite présente cette
particularité que les choses ont été directement vues par l’historien, et cette particularité modifie leur être comme leur sens. Les choses vues deviennent des choses
vraies, et ces choses vraies des faits historiques susceptibles de former des preuves.
On pourrait sans doute s’interroger sur cette assurance de l’historien dans
l’objectivité de son regard (Bloch, 1993). Mais l’essentiel, en l’occurrence, se situe
ailleurs. Cette conception du témoignage désigne une question, celle du statut du fait
historique dans le cadre d’un antipositivisme méthodique.
La question du témoignage ouvre donc sur le problème du fait en histoire. On ne
peut esquisser ici qu’un rappel très rapide d’un débat historiographique particulièrement vaste. On connaît la critique adressée à l’histoire positiviste, histoire
« historisante », histoire qui déroule le temps et lit dans le passé l’annonce et
l’explication du présent. En revanche, pour Lucien Febvre et Marc Bloch, l’historien
procède à un double mouvement, du passé vers le présent et du présent vers le passé.
« Il n’y a pas le passé qui fait naître l’historien. Il y a l’historien qui fait naître
l’histoire » (Le Goff,1993) 15. C’est lui qui constitue les faits historiques. Liée à la
critique contre le téléologisme historisant, l’histoire-problème fonctionne comme un
point de rupture dans le débat avec l’histoire méthodique, notamment sur le sort
qu’elle réserve au savoir historique. L’histoire, pour Seignobos, issue d’un genre littéraire, est restée la moins méthodique des sciences, à peine une science, « un procédé de méthode » (1901, 2-5) 16. Il en est ainsi parce qu’à la différence des sciences
d’observation l’histoire travaille sur des représentations et ne s’intéresse qu’au singulier. Elle « n’est pas la connaissance de rapports généraux entre les faits (ce n’est
pas la sociologie), elle est une étude explicative de la réalité ; or la réalité n’a existé
15.
16.
« Il n’y a pas de sources à proprement parler ou, plutôt, pour que les sources affleurent, il faut que
l’historien se fasse sourcier ; les faits ne sont pas des phénomènes objectifs existant en dehors de
l’historien, mais sont le résultat du travail et de la construction de l’historien créateur des faits historiques. Pour que le travail de l’historien fonctionne et pour que l’histoire se fasse, il faut que
l’historien pose des questions aux témoignages ; d’où l’importance du questionnaire ; c’est la fameuse conception de l’histoire problème. » Le Goff J., « Préface », 1993, p. 10.
« La science est une connaissance objective fondée sur l’analyse, la synthèse, la comparaison réelles ; la vue directe des objets guide le savant et lui dicte les questions à poser. En histoire, rien de
pareil. on dit volontiers que l’histoire est la “vision” des faits passés et qu’elle procède par “analyse” ; ce sont deux métaphores, dangereuses si on est dupes. En histoire, on ne voit rien de réel que
du papier. » Seignobos, 1992, p. 178.
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qu’une seule fois... » (1992, 201). Plus strictement positiviste dans sa théorisation de
la méthode historique que dans sa propre pratique historienne, Seignobos écrit qu’en
science, « après avoir regardé les faits, on se pose systématiquement des questions :
toute science est formée d’une série de réponses à une série de questions méthodiques » (Seignobos, 1992, 177). S’il cède à cette vision naïve de la recherche, c’est
qu’il pense dans la perspective d’une histoire dominée par les institutions politiques,
et que, s’intéressant d’abord aux décisions des États, au fonctionnement des institutions ou à la structure des régimes, il privilégie les documents des archives publiques. Pour l’historien positiviste – aux prises avec des faits en nombre infini mais
contenus dans un nombre fini de documents, selon une formule d’Antoine Prost –,
« les faits historiques ont ce caractère commun d’être tirés tous des documents. »
(Seignobos, 1992,175, Prost, 1996, 72-73). À l’inverse, pour Lucien Febvre comme
pour Marc Bloch, aucun historien n’a jamais progressé du document au fait historique en passant par la critique documentaire. « Quand on ne sait pas ce qu’on cherche, on ne sait pas ce qu’on trouve » (Febvre, 1992, 59). Même si Seignobos précisait qu’un même document pouvait être lu différemment selon les points de vue par
définition divers des historiens, la connaissance est censée partir de l’objet. Les Annales inversent le rapport : le fait historique est inventé par les questions de
l’historien, et étant fonction de la problématique, il n’est pas dissociable de son interprétation. « Toute recherche historique suppose, dès ses premiers pas, que
l’enquête ait déjà une direction. Au commencement est l’esprit. Jamais, l’observation passive n’a rien donné de fécond. À supposer d’ailleurs qu’elle soit possible »
(Bloch,1993, 109). On a vu dans ce protocole de recherche l’influence des thèses
durkheimiennes sur la construction de l’objet, voire une réception de la théorie weberienne de la science (Oexle, 1990). Il faut donc parler d’une rupture par rapport au
paradigme positiviste puisque la réalité historique n’est que relative à la perspective 17. Mais il faut ajouter que rattacher le nouveau paradigme au constructivisme
actuel serait dénué de sens. Il n’y a pas chez Bloch de divorce entre l’ordre du récit
scientifique et l’ordre du monde. L’historien reste attaché au réel ne serait-ce que
parce qu’il dépend des traces qu’a laissées le passé, qu’il a pour fonction de restituer. Dans cette perspective, la notion de preuve fait partie intégrante du métier
d’historien, et le fait historique doit être démontré selon les critères de scientificité
en vigueur dans la discipline historique (Ginzburg 1997, Chartier, 1998). Certes, la
« vérité historique » découle du système d’hypothèses et des techniques en usage.
Elle est fonction de l’époque et du moment. Mais toutes les explications ne se valent
pas, et leur validité dépend de la valeur des hypothèses et des preuves, garanties par
des opérations intellectuelles et techniques contrôlables et renouvelables. S’il
convient de voir dans le paradigme des Annales la revendication explicite du droit à
la construction de l’objet, posé comme condition de possibilité de la connaissance de
la réalité passée, ou, pour reprendre une terminologie weberienne, l’affirmation d’un
perspectivisme, cela ne signifie pas que l’histoire soit assimilable au récit de fiction.
Mettre en évidence le constructivisme réaliste de Marc Bloch permet de comprendre sa réflexion sur les fonctions sociales de l’histoire. Marc Bloch était conscient autant de l’impossibilité de s’en tenir à la thèse positiviste d’une accumulation
de faits censés parler d’eux-mêmes que des dangers du relativisme interprétatif et du
17.
Pour Gérard Noiriel, Seignobos et Bloch appartiennent au même paradigme théorique (1996).
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scepticisme qu’il engendre. C’est ce rejet du solipsisme qui fonde l’interrogation sur
laquelle s’ouvre l’Apologie pour l’histoire : « à quoi sert l’histoire ? » C’est également lui qui inspire sa conférence de 1937 au Centre d’études économiques de
l’École Polytechnique (X-Crise), « Que demander à l’histoire ? », où il rappelle
l’utilité de l’histoire pour la pratique (Bloch, 1963, 1995 18). « Je vais essayer de
vous montrer de mon mieux que nos recherches sont utiles, je dirai même indispensables... Que le présent soit inintelligible sans une certaine étude du passé, personne,
je pense, n’en doute ». À la condition de ne pas oublier qu’elle est la science du
changement, l’histoire est en mesure de dégager des régularités, voire des lois
d’évolution, et pourquoi pas des prévisions. La réponse est d’abord savante, en termes de légitimité de la connaissance scientifique. L’histoire n’est pas un « jeu esthétique » (Bloch). Elle n’est pas un ensemble de fictions, même si elle peut être aussi
une activité attrayante. Mais en affirmant que l’histoire est utile au gouvernant
comme au citoyen, il place également sa réponse sur le terrain politique. Marc Bloch
était convaincu, comme Seignobos d’ailleurs, que l’histoire pouvait servir à l’action : « L’ignorance du passé ne se borne pas à nuire à la connaissance du présent,
elle compromet, dans le présent, l’action même » (Bloch, 1993, 23). Séparant la
science de la politique, il conçoit la pratique dans un rapport de dépendance analogue à celui qui lie l’art social à la science sociale chez Durkheim (Durkheim, 1970).
Entre les deux réponses qu’il apporte à la question de la légitimité de l’histoire, il y a
un rapport évident, l’histoire s’interdisant tout rapport à l’action si elle se réduisait à
une mise en intrigue. Moins explicitement sans doute que la sociologie durkheimienne, mais avec la même fermeté, l’histoire de l’Apologie s’offre à servir d’appui
à des diagnostics et des décisions .
Précisément, quelles analyses et quelles réformes propose l’expertise de Bloch
dans l’Étrange défaite ? Dans cette histoire-procès, le témoin dépose à charge.
« Nous venons de subir une incroyable défaite. À qui la faute ? Quoique l’on pense
des causes profondes, la cause directe – qui demandera elle-même à être expliquée –
fut l’incapacité du commandement », et plus largement du « groupe humain » d’où il
était issu, des hommes pour qui le temps s’était arrêté en 1918, incapables de concevoir autre chose qu’une « guerre de vieilles gens et de forts en thèmes, engoncés
dans les erreurs d’une histoire comprise à rebours : une guerre toute pénétrée par
l’odeur de moisi qu’exhalent l’École, le bureau d’état-major du temps de paix ou la
caserne. Le monde appartient à ceux qui aiment le neuf. » Éclatant au grand jour en
juin 1940, cette « sclérose mentale » a interdit toute capacité d’initiative et de décision. S’il y eût des fautes individuelles, le naufrage fut avant tout collectif, et dans ce
que les experts officiels nomment la « crise des cadres », il convient de voir l’effet
d’une éducation et le poids des structures. Marc Bloch s’intéresse d’abord à
l’organisation de l’armée, avec ses dysfonctionnements bureaucratiques multiples,
rivalité des organes de commandement, foisonnement et concurrence entre services,
mauvaise organisation des carrières, avec leurs conséquences habituelles, inefficacité et esprit de corps. Sans doute conviendrait-il de le suivre dans le détail de ses analyses – celles par exemple sur les services de renseignement et d’information – qui
montrent à nouveau l’intérêt de l’historien pour ces questions (Bloch, 1990, 113), et
18.
Phrase reprise dans l’Apologie où il fait référence à la réflexion de Paul Valéry, « l’histoire justifie
tout ce que l’on veut, elle n’enseigne rigoureusement rien ».
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une compétence en matière militaire suffisamment informée pour recommander des
mesures de réforme. Mais surtout, ce sont les défauts de la formation intellectuelle
des cadres de l’Armée qu’il dénonce : incompétence, esprit de routine, formalisme,
abstraction, manque de sens des réalités et du terrain, notamment chez les officiers
d’état-major. S’il est un point à souligner, c’est le jugement qu’il porte, là encore en
connaisseur, sur l’enseignement des écoles de guerre, particulièrement de l’histoire
qui « puisant ses prétendues leçons dans le passé, ne pouvait que conduire à mal interpréter le présent ». La déposition du témoin se déroule ainsi sur le double registre
du témoignage et du rapport d’expert, à la fois praticien de la vie militaire et spécialiste des questions d’enseignement et, si l’on veut, de renseignement. « Beaucoup
d’erreurs diverses, dont les effets s’accumulèrent, ont mené nos armées au désastre.
Une grande carence, cependant, les domine toutes. Nos chefs, ou ceux qui agissaient
en leur nom, n’ont pas su penser cette guerre. En d’autres termes, le triomphe des
Allemands fut, essentiellement, une victoire intellectuelle et c’est peut-être là ce
qu’il y a eu en lui de plus grave. » (Bloch, 1990, 157) 19. Il voit dans la défaite la
conséquence d’une double défaillance, de l’intelligence et de la moralité, au sens de
formation des mœurs et du sentiment national, le défaitisme du haut commandement
s’expliquant plus par l’affaiblissement du patriotisme et le mépris de la hiérarchie
militaire pour un régime républicain « honni » que par le rapport de forces objectif :
« Au fond de leur cœur, ils étaient prêts d’avance à désespérer du pays même qu’ils
avaient à défendre et du peuple qui leur fournissait leurs soldats. C’est plus loin et
plus profond qu’il faut chercher les racines d’un malentendu trop grave pour ne pas
devoir compter parmi les principales raisons du désastre. »
Dans l’explication d’un événement, l’historien part des causes les plus proches.
En l’occurrence, la défaite étant d’abord un fait militaire, la responsabilité doit être
imputée au commandement de l’armée. Pour autant, la défaite n’a pas été seulement
qu’un fait militaire, elle s’apparente à un fait social total. Elle a provoqué une débandade collective, un sauve-qui-peut généralisé, un renoncement immédiat, imprévisible et presque incompréhensible aux yeux de Marc Bloch, qui attribue au peuple
sa propre mystique, le « culte de la patrie » et « l’exécration des tyrans ». Selon lui,
il a manqué pendant la « drôle de guerre » une véritable mobilisation nationale. Mais
il suffit de suivre sa démonstration pour douter que ce volontarisme patriotique eût
été suffisant. Très vite, il apparaît que les causes de la défaite sont plus anciennes et
plus profondes, qu’elles tiennent aux « forces collectives ». Du côté de la masse, elle
n’avait pas « compris grand chose à l’élargissement du devoir si impérieusement
prescrit par une époque comme la nôtre. J’entends : dans l’exercice quotidien du métier qui demeure, après tout, la pierre de touche de la conscience professionnelle ».
Ses représentants, les organisations syndicales, oscillant entre revendications à court
terme et illusions pacifistes ou communistes, « n’ont pas su se pénétrer de l’idée
que, pour elles, rien ne comptait plus devant la nécessité d’amener, le plus rapidement et complètement possible, avec la victoire de la patrie, la défaite du nazisme... ». Pacifisme et communisme dominaient d’autant mieux la scène politique
que les institutions, les partis, la presse, l’école, qui auraient dû contrebalancer leur
19.
« On laissa tout perdre parce que, pour guider l’action, trop tenue en lisière jusque-là par le dogme
ou le verbe, il n’eût plus été de ressources que dans un esprit de réalisme, de décision et
d’improvisation, auquel un enseignement trop formaliste n’avait pas dressé les cerveaux. » (149).
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influence, n’avaient pas rempli leur rôle d’éducation à l’égard d’un peuple qu’elles
continuaient à considérer au fond comme mineur : « Or, ce peuple auquel on remettait ainsi ses propres destinées et qui n’était pas, je crois, incapable, en lui-même, de
choisir les voies droites, qu’avons nous fait pour lui fournir ce minimum de renseignements nets et sûrs, sans lesquels aucune conduite rationnelle n’est possible ?
Rien en vérité. Telle fut, certainement, la grande faiblesse de notre système, prétendument démocratique, tel, le pire crime de nos prétendus démocrates ». La défaillance de la pensée et du caractère observé dans l’armée, il la repère encore dans le
peuple et dans les élites, dont la crise intellectuelle et morale se manifeste par différents signes, perte du goût du savoir, propension à se contenter des illusions des
idéologies, à droite, mythologies du retour à la terre, idéal passéiste de la France
profonde, séductions de l’autoritarisme ; à gauche, fausses vérités d’un marxisme
vieilli et volte-face à répétition des « danseurs sur corde raide du communisme ».
Aux contraintes de la réalité et à la nécessité de s’informer de l’évolution des choses
et des idées, les élites ont préféré s’en tenir à des discours efficaces à court terme
mais sans prise réelle sur les circonstances. Si les groupes sociaux se sont contentés
de ces formules usées, c’est qu’elles servaient malgré tout à exprimer leurs antagonismes : pour les masses populaires, leur lutte contre la domination, pour la bourgeoisie, la peur des changements. À mesure des progrès électoraux de la gauche, la
classe bourgeoise s’est coupée du peuple, se détachant « de la France tout court ».
Après les masses et les élites, c’est au tour du régime politique d’être mis en examen, plus « faible » que « méchant », affaibli par les divisions des partis autant que
miné par le mépris dans lequel il était tenu par une fonction publique issue de la
haute bourgeoisie et unie par des solidarités politiques et corporatives qui la poussait
à s’opposer à toute mesure qui allait à l’encontre de ses privilèges et des intérêts
auxquels elle s’identifiait. En définitive, pour le Bloch de 1940 comme pour le Renan de 1870, la défaite de la France a été une défaite de « l’intelligence et du caractère » 20. Plus précisément, cela signifie qu’il interprète la défaite de 1940 dans sa
dimension politique et morale comme une crise de l’éducation, et comme l’effet
d’un affaiblissement ou d’une corruption du rationalisme.
Au terme d’une analyse transversale, Marc Bloch, témoin de la défaite, puis accusateur, revient sur lui-même dans une dernière section consacrée aux responsabilités de sa génération, celle qui a vécu la guerre de 1914 et qui voulant rattraper le
temps passé, a voué ses forces au travail intellectuel : « J’appartiens à une génération qui a mauvaise conscience ». C’est ici que la comparaison avec La Réforme intellectuelle et morale s’arrête, car si les deux textes ont en commun le moment, la
disposition rationaliste et la critique intellectualiste des errements, une différence
majeure subsiste : dans un cas, une idéologie conservatrice, dans l’autre, progressiste
et démocratique ; dans un cas, un retrait élitiste, dans l’autre, un appel à l’action
dans sa forme la plus radicale, celle du passage des armes de la critique à la critique
par les armes : « Je souhaite, écrit Bloch, que nous ayons encore du sang à verser. »
Qu’il y ait des coupables, qu’il faille les punir, que l’armée et les administrations
soient épurées, Marc Bloch par avance le réclame : il ne prêche pas l’absolution.
L’analyse suit une double ligne, celle de l’imputation politique et celle de la recher20.
Bloch M., « Notes pour une révolution de l’enseignement », Cahiers politiques, in L’Étrange défaite, p. 255.
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che des causes. Mais plus la réflexion de l’historien progresse, plus la recherche des
causalités prend le dessus. Marc Bloch est trop historien pour avoir oublié les règles
du métier et l’idée que l’historien doit comprendre et non juger. Du coup, le juge
tend à s’effacer. Dans ces conditions, que subsiste-t-il de la recherche en responsabilité ? Qui condamner quand l’événement s’explique par la faillite des institutions et
la défaillance de l’ensemble des groupes sociaux, que faire si l’explication conclut à
une responsabilité collective ? En définitive, c’est la société, dans ses diverses composantes, qui est responsable, les organisations populaires moins que les élites, les
élites intellectuelles autant que les élites militaires, administratives et politiques.
Universaliser la responsabilité, c’est l’anonymiser, la diluer dans le corps social.
D’une telle conclusion ne peut naître qu’une politique. L’universalisation des défaillances et des erreurs appelle la réforme de l’État et de la société. La France est
vieille, elle est gouvernée par des vieillards. Place aux jeunes. Il faudra « un grand
balayage de l’atmosphère ». C’est sur le chapitre des politiques scolaires que Marc
Bloch a le plus à dire. Il lui apparaît urgent de débarrasser l’enseignement secondaire de l’abstraction et du formalisme qu’il tient de la prépondérance des humanités (thématique classique depuis Taine et Durkheim) et du bachotage dans lequel il
se complaît. Cette coupure d’avec le monde réel, c’est à dire l’économique et le social, est pour lui le signe en même temps que la cause de l’affaiblissement de
l’intelligence observé dans les élites et chez nombre d’intellectuels, et ce qu’il déplore le plus. Il faudra évidemment réformer l’enseignement de l’histoire. Le renforcer car « le passé a beau ne pas commander le présent tout entier, sans lui, le présent
devient inintelligible. » Le libérer aussi de son obsession de la politique. Et réorganiser l’éducation des élites politiques et administratives pour en finir avec l’opposition de la haute fonction publique civile et militaire en intégrant l’École libre des
Sciences Politiques à l’Université et en réformant l’enseignement des écoles de
guerre.
Plus que le détail des réformes, c’est la conclusion qui importe : « pour faire du
neuf, il faut d’abord s’instruire ». Si elle mérite un commentaire, c’est que toute
l’analyse des maux de la société française débouche sur la question scolaire. À vrai
dire, le diagnostic d’une crise morale et intellectuelle appelait ce remède. Cette dernière remarque conduit à inscrire son auteur dans la longue suite des théoriciens de
l’éducation, pour qui il fallait « cultiver » le peuple, comme l’écrivait Renan dans
L’Avenir de la science. Il faut, écrit Marc Bloch, remettre le peuple « à l’école de la
vraie liberté d’esprit ». Elle conduit encore à situer Marc Bloch dans la suite des partisans d’une démocratisation de L’École, qui va de Buisson et des Compagnons de
l’Université Nouvelle à la Commission Langevin-Wallon en passant par Jean Zay, et
donc à lui faire place dans la lignée de ceux pour qui l’École constitue la clé de la
structure comme du changement social. Elle invite enfin à revenir sur deux traits qui
ont marqué (et sans doute pour longtemps) les politiques de démocratisation scolaire. D’une part, leur idéal rationaliste, rationalisme, dans le cas de Marc Bloch,
« désespéré », pour reprendre une formule d’Antoine Prost à propos du pacifisme
des instituteurs de la IIIe République et de leur idéal d’un monde pacifié par la raison ; d’autre part, l’espèce d’oblitération du politique, au sens d’une réflexion sur
l’action et sur les conditions de possibilité du changement social, auquel a pu
conduire l’association de ce rationalisme idéaliste et de la croyance – irréaliste sans
être illusoire – d’une émancipation par l’École. En ce sens, l’entrée de Marc Bloch
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dans la Résistance armée peut être prise pour le signe d’un dépassement de la
croyance d’un changement produit par l’École, par la grâce du travail de la raison, et
du même coup, d’une posture intellectualiste ou de l’idéologie professionnelle des
professeurs.
L’Étrange défaite a connu trois rééditions. La première, en 1946, a été assurée
par les éditions du Franc-Tireur. Dix ans plus tard, en 1957, deux nouvelles éditions
paraissent à l’occasion de la mort de Lucien Febvre, l’une chez Albin Michel, l’autre
chez Armand Colin, l’éditeur des Annales. Trente années après les précédentes, en
liaison avec l’essor de l’historiographie de Vichy, la dernière édition, chez Gallimard, date de 1990, mais immédiatement en collection de poche avec actuellement
un tirage cumulé de 31 500 exemplaires. Passant à la Libération du statut banal de
« témoignage politique » à celui, aujourd’hui, d’œuvre exemplaire, voire de « lieu de
mémoire », la réception de L’Étrange défaite mérite quelques explications. Écrit
dans le contexte de la défaite, l’ouvrage s’est trouvé pris après-guerre dans des jeux
contradictoires. Testament d’un grand universitaire, résistant, fusillé, il s’agit aussi
d’un acte d’accusation qui renvoie chacun à son passé en lui attribuant sa part de responsabilité (Burrin, 1995). Mais autant la commémoration du savant et de l’homme
s’impose, autant son texte gêne. Il continuera d’ailleurs d’être en décalage par rapport aux mémoires politiques des années soixante ou aux stratégies de ceux pour qui
la coopération franco-allemande exige l’oubli. Ses analyses ne sont susceptibles en
effet ni d’entretenir la mythologie résistancialiste ni de contribuer au légendaire
gaulliste ou aux vérités officielles du parti communiste. Cette réception en demiteinte traduit aussi le malaise de l’histoire scolaire face à ce type de production
(Rousso, 1990). Attachés à la forme récit, enclins à une lecture judiciaire des événements, une histoire qui juge en même temps qu’elle édifie, les historiens pédagogues retrouvent bien cette vision dans L’Étrange défaite mais appliquée à un mauvais objet, les Français à la place des Allemands ou des responsables de Vichy qu’on
attendait. Au surplus, le procès se termine par une profession de foi politique qui
semble outrepasser une conception stricte de la neutralité scolaire. La redécouverte
de L’Étrange défaite s’analyse comme un des signes du « retour du refoulé » du
« syndrome de Vichy » (Rousso, 1990) et une conséquence du développement de
l’historiographie de Vichy, dont le renouvellement date des années soixante-dix
avec la publication de l’ouvrage de Robert Paxton en 1973 (Rousso, 1990, Azema,
Bedarida, 1992). Marc Bloch est devenu aujourd’hui une icône dans la corporation
des historiens, une sorte de modèle. Cette consécration n’en reste pas moins limitée
à l’homme, au courage du résistant ou à la lucidité du témoin. L’Étrange défaite,
comme modèle d’histoire sociale spectrale, n’a pas eu beaucoup d’héritiers, en dehors de Jean-Louis Cremieux-Brilhac dont l’ouvrage, Les Français de l’an 40
(1990), confirme largement les analyses de Marc Bloch, ou de Philippe Burrin
(1995). Mais L’Étrange défaite n’est pas qu’un travail historique. C’est l’œuvre d’un
historien qui allie analyse historienne et discours pragmatique. Là encore, la démarche n’est pas très fréquente chez les historiens. Cette remarque n’est pas à prendre
comme un appel, mais veut simplement signaler l’absence ou la faiblesse de
l’expertise auto-instituée en France, ce qui renvoie à la place de l’Université dans
l’espace des pouvoirs, et notamment à la monopolisation progressive de l’expertise
par le champ administratif. La République des professeurs est historiquement et socialement dominée par les grands corps d’ingénieurs et de hauts fonctionnaires et
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coincée d’autre part entre la figure stylisée de l’intellectuel prophétique et celle de
l’expert mandaté. Dans ces conditions, l’expertise autonome, forme mixte par définition, genre sans tradition et sans étayage social, est soit récusée comme un acte
militant – « un témoignage politique », un texte « engagé » – soit vouée, comme
L’Étrange Défaite, à la solitude de l’exemplarité.
Dominique DAMAMME
Paris IX – IRESCO-CSU
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