Le roi de la tour du grand horloge de William Butler Yeats
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Le roi de la tour du grand horloge de William Butler Yeats
LE ROI DE LA TOUR DU GRAND HORLOGE William Butler Yeats Personnages Le Roi (en costume rouge) La Reine (en costume orange, avec des détails noirs ou rouges) Le Vagabond (en costume noir, avec des détails rouges) Le premier serviteur de scène (en costume noir. Voix de basse) Le deuxième serviteur de scène (en costume noir. Voix de ténor) La Reine porte un beau masque impassible ; le Promeneur, un masque sauvage presque animal. Il couvre la partie supérieure de son visage, la partie inférieure étant cachée par sa barbe rousse. Quand le rideau de scène se lève, on découvre un rideau intérieur d'une couleur pourpre pâle, sur lequel il peut y avoir une peinture de danseuses au pochoir. A droite et à gauche du proscenium, se trouvent un tambour et un gong. Les serviteurs de scène se tiennent près du tambour et du gong ; ils écartent lentement le rideau en chantant. LE DEUXIEME SERVITEUR Ils dansent tout le jour à Tir-na-nogue LE PREMIER SERVITEUR Là chaque amant est un heureux lascar Qui s'il parlait chanterait comme un oiseau Il danse sans pensée et sans un mot Car sans horloge et sans horloge car Si j'y pense vraiment gamins gamines Nerfs contre nerfs en cette heureuse terre Sont des bobines où tout le temps s'abîme LE DEUXIEME SERVITEUR O que jamais ces bobines ne s'évident LE PREMIER SERVITEUR Car là la meute poursuit devant Oisin Le daim sans cornes qui s'enfuit livide Et là, la femme serre une pomme en main Sous les bouches affamées qui se tendent Ils courent dans l'écume sans s'arrêter Sans respirer jamais, ceux qui entendent Dans l'écume une cloche tinter. Lorsque les rideaux sont écartés, on voit à gauche le Roi et la Reine sur deux trônes, qui peuvent être deux cubes. Il y a deux cubes symétriques du côté opposé pour équilibrer la scène. Le fond de scène et les cubes sont d'un bleu profond. Le fond de scène peut être constiué d'un rideau suspendu en demi-cercle ou un demi-cercle d'un pied des paravents de Craig, le bleu étant plus sombre en bas qu'en haut. Les deux serviteurs de scène s'assoient près du tambour et du gong, ils restent face au public de chaque côté de la scène, mais légèrement dans l'ombre. LE ROI Voici un an tu es entrée dans cette maison, Voici un an ce soir. Bien que ni moi Ni aucun homme ne connaissait ton nom, Ta famille, ton pays, je t'ai faite reine ; Et maintenant devant la cour assemblée Courtisans, serviteurs, pages, hommes en armes Je te demande ton pays, ton nom et ta famille Et ce n'est pas la première fois. Pourquoi rester muette Comme une image de bois ou de métal Ecran entre les morts et les vivants Tous assemblés dans cette maison Jugent ce silence insopportable Et te fixent des yeux Il y a une pause. La Reine ne parle pas et ne bouge pas. Le premier serviteur de scène frappe trois fois sur le tambour. Capitaine de la Garde ! Un voyageur frappe à grands coups contre la porte Ouvre. Laisse-le entrer. LE PREMIER SERVITEUR, parlant pour le Capitaine de la Garde, sans tourner la tête. Je le laisse entrer, Roi. Le promeneur entre. LE ROI Quel est ton nom ? LE VAGABOND Suffit qu'on me nomme Vagabond et fou comme on vous nomme Roi de la Tour du Grand Horloge. LE ROI Que veux-tu ? LE VAGABOND Voici un an j'entendis un molosse raconter Que vous aviez choisi pour reine celle qu'il nommait La plus belle de son sexe. Je suis poète. Depuis ce jour je l'ai mise en chanson Et de jour en jour plus belle elle en devint Les hommes au coeur de fer qui sillonnent terre et mer La chantent comme moi mais moi qui le premier la chantai Je n'ai jamais vu son visage LE ROI N'as-tu pas de femme De maîtresse ou d'amie à mettre en chanson ? LE VAGABOND J'avais une femme mais cette image dans ma tête La rendait grasse, lente, courte sur pattes Bougeant toujours comme une oie sauvage ; Je la quittai, quand une nuit en mangeant Ma saucisse sur un banc de taverne Un vagabond, un homme sans valeur Je mange avec les jars ; on se moqua de moi On dit que je voulais pleurer et me saouler A me coucher la tête dans les assiettes Pour une femme que je n'avais jamais vue. LE ROI En quoi ça me concerne ? LE VAGABOND Amenez-moi la Reine. On ne se moquera pas de moi quand je l'aurai vue. LE ROI Cet homme paraît bien impudent, bien effronté Ne se souciant pas de ce qu'il dit Ni devant qui, ni de l'endroit où il se trouve. LE VAGABOND Je n'ai jamais rien dit d'effronté D'impudent ou d'irrévérencieux Sur cette image dans ma tête, mais qu'elle vienne Et que je voie l'original. LE ROI Elle est à mes côtés. LE VAGABOND La reine de la tour du grand horloge. LE ROI La Reine de la Tour du Grand Horloge, elle est à mes côtés. LE VAGABOND Moins rouge, moins blanche, le sein moins lourd Que je ne l'imaginais. Mais c'est sans importance Tant que je chante partout que c'est elle La plus belle. LE ROI Pars maintenant que tu l'as vue LE VAGABOND Pas encore car la nuit où l'on se moquait de moi Je fis le serment que je verrais la Reine et que Mon dieu comme j'étais saoul – que la Reine danserait Et danserait pour moi seul. LE ROI Quoi ? LE VAGABOND Que la reine danse Je lui en serai reconnaissant Et de reconnaissance je chanterai LE ROI Tu pourrais chanter fort mais pas par reconnaissance Garde, fouette cet homme. LE VAGABOND Vous fouetterez un saint homme. LE ROI Un saint homme ? LE VAGABOND Je marchai jusqu'aux eaux de la Boyne Là où le vent marin et la mouette marine Hurlent à Dieu étendu sur une colline ronde et verte Je jeunai pendant neuf jours – mais c'est un secret un secret entre vous, elle et moi Au neuvième jour Aengus et les dieux apparurent Et quand je leurs fis part de mon serment, ils crièrent tous Leur approbation. Alors le grand Aengus parla O écoutez car je prononce ses propres mots Quand mourra la vieille année quand minuit sonnera Alors au son de cette cloche au dernier coup de glas La Reine baisera ta bouche – buvez ces mots Votre Reine ma bouche elle baisera ma bouche. LE ROI Capitaine de la Garde LE PREMIER SERVITEUR, parlant pour le Capitaine de la Garde. Me voici LE ROI Cet homme m'offense et offense la Reine Apporte-moi sa tête LE PREMIER SERVITEUR, parlant pour le Capitaine de la Garde. Je l'emmène Roi LE VAGABOND Je m'en vais mais cela arrivera Comptant sur ses doigts. Un la reine dansera devant moi Deux je chanterai LE ROI Quoi chanter sans tête ? LE VAGABOND Quand je suis reconnaissant je chante Et reconnaissante à son tour, la reine baisera Le chanteur sur la bouche LE ROI Reste où tu es Reste, ce ne sont que des mensonges, des facéties et des mensonges, tout. Tu connaissais la reine avant qu'elle vienne En ce pays, elle t'a rendu fou comme elle m'a rendu fou. Qui est cet homme ? Si tu acceptes de parler et si tu dis la vérité Je ne le tuerai peut-être pas. Quoi ? Tu ne parleras pas ? Alors emmène-le capitaine de la garde. Qu'il dise la vérité ou non, c'est évident qu'il souhaite sacrifier sa vie pour la déposer à tes pieds. LE PREMIER SERVITEUR, parlant pour le Capitaine de la Garde. Je l'emmène LE ROI Et apporte sa tête en preuve de sa mort Si ce n'était pas ton amant dans ce lieu D'où tu viens mais ce rien qu'il semble être Un vagabond et un fou, un lascar qui traîne et qui t'a offensée, ris, danse ou chante Fais quelque chose peu m'importe Du moment que tu bouges La reine bouge pour la première fois, tournant lentement la tête et regardant le roi. Mais pourquoi ces yeux fixes ? LE DEUXIEME SERVITEUR, chantant pour la Reine, d'une voix basse. O qui prend vie Là dans mon sein LE ROI Ah voilà qui est mieux. Laisse cette voix résonner Et que chacun l'entende, ce chant de joie. LE DEUXIEME SERVITEUR, chantant pour la Reine. Il brûle de tuer mon corps Jusqu'au soudain frisson Et les membres se figent O qui prend vie Là dans mon sein Une chenille qui vient ronger mon teint LE ROI J'ignore le sens de ces mots Mais ils sonnent comme une insulte Le Roi va à droite et revient avec la tête du Promeneur ; il la pose sur le trône cubique à droite, le plus proche du public. Chante vagabond et fou Ouvre cette bouche : ma reine attend un chant La Reine se met à danser. Danse ; tourne-le en ridicule avec une danse ; Aucune femme n'eut jamais meilleure idée ; Tous applaudissent cette idée ; danse femme danse Si tu n'es rien pour lui qu'une image dans sa tête Il n'est rien à tes yeux qu'une tête sans corps. Quel danger qu'un amant sans son corps ? Danse ! Moins rouge moins blanche le sein moins lourd C'étaient ses mots ; danse ; rends-lui insulte pour insulte Révèle ta beauté déploie ta roue de paon - La Reine danse, puis se tient au centre de la scène, face au public, la tête sur son épaule. Ses paupières tremblent, ses lèvres remuent... LE PREMIER SERVITEUR, chantant pour la tête, d'une voix basse. Espère et serre davantage LE ROI O ; O ; elles se mettent à chanter Il se recroqueville, se couvrant le visage. LE PREMIER SERVITEUR, chantant pour la tête. Espère et serre davantage Les mortels sont notre pâle image Où sont les mains du grand horloge ? Ces misérables veulent avoir Ce qui revient aux seuls esprits Qui surgissent immortels des cimetières Dans un moment sonne minuit Leurs doigts dépassent en s'enlaçant La couche nuptiale des amants Ou sont les mains du grand horloge ? Leur couche nuptiale dépasse en rêve Ce qu'imaginent les jeunes filles et tous les chants de saint Virgile Dans un moment sonne minuit Là où s'embrassent mort et vie Que pourraient dire les prophéties Où sont les mains du grand horloge ? Jamais prophètes ne chantèrent Les mille merveilles écloses ici, Et sur ma langue gît une pierre Dans un moment sonne minuit Quand le chant est fini, la danse recommence, l'horloge sonne. Les coups sont représentés par un gong frappé hors de scène. La Reine danse au son du gong et au dernier coup, presse ses lèvres sur les lèvres de la tête. Le Roi s'est levé et a tiré son épée. La Reine pose la tête sur sa poitrine et fixe les yeux sur lui. Il semble sur le point de frapper, mais s'agenouille, posant l'épée aux pieds de la Reine. Les deux serviteurs se lèvent en chantant et ferment lentement le rideau intérieur. ' LE PREMIER SERVITEUR O mais je viens de voir un spectacle envoûtant Chantonnait en marchant un homme au pas traînant Les ruines s'allumèrent au château de Dargan Et les anciennes dames dansaient toutes dedans LE DEUXIEME SERVITEUR Même si elles dansaient, ces jours s'en sont allés Répondit l'aubépine maligne et tordue Belle dame et brave homme depuis longtemps tombés Sont en froide poussière au milieu d'un charnier LE PREMIER SERVITEUR O la vie ce n'est rien un mince souffle d'air Chantonnait en marchant cet homme au pas traînant Pourtant ces belles choses qui sous mes yeux dansaient Elles semblaient vivantes comme elles l'étaient naguère La Reine s'est rapprochée et se tient maintenant à l'avant de la scène, encadrée dans les rideaux à demi clos. LE DEUXIEME SERVITEUR A vrai dire on ne sait rien de notre avenir Répondit l'aubépine maligne et tordue Je me tiens de tout temps immobile dans ce mur Et je pourrais finir par ne jamais mourir Le rideau intérieur se ferme.