Sécurité versus confort
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Sécurité versus confort
Réanimation (2010) 19, 228—235 Sécurité versus confort Security versus comfort B. Ricou Service de soins intensifs, département APSI, hôpitaux universitaires de Genève, 4, rue Gabrielle-Perret-Gentil, 1211 Genève 14, Suisse Disponible sur Internet le 26 mars 2010 MOTS CLÉS Incidents ; Erreurs médicales ; Inconfort ; PTSD ; Fin de vie KEYWORDS Incidents; Medical errors; Discomfort; PTSD; End-of-life care Résumé La sécurité des patients est au premier plan dans les soins intensifs car leur survie en dépend. Parce que les problèmes somatiques sont souvent prioritaires dans ces services, surtout au début, le confort physique et psychique des patients et des familles est relégué au second plan. Or, nous pouvons émettre l’hypothèse que les deux concepts peuvent cohabiter sans que l’un soit toujours soumis aux exigences de l’autre. Dans cet article, les non-conformités aux normes de sécurité, la survenue des erreurs médicales et les situations d’inconfort sont mises en relation afin d’analyser si de favoriser le confort peut compromettre la sécurité du patient. Nous concluons que le maintien de sécurité n’est pas forcément en contradiction avec le développement d’une idéologie de confort pour les patients et les familles. Quelques situations concrètes sont présentées. © 2010 Société de réanimation de langue française. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Summary The safety of patients is the primary concern in the intensive care, since their survival is depending on it. Because the somatic problems have often priority in these services, especially in the acute phase, the physical and psychological comfort of the patients and of their family members is left aside. Nevertheless, we dare express the hypothesis that the two concepts can coexist without having one of them always submitted to the other. In this article, the relation between the non-conformities to the safety standard, the occurrences of medical errors and the situations of lack of comfort are questioned and analysed in order to determine whether favouring comfort can compromise the safety. We conclude that the promotion of safety issues should not be in contradiction with the development of an ideology of comfort for the patient and the family members. Several practical situations are presented. © 2010 Société de réanimation de langue française. Published by Elsevier Masson SAS. All rights reserved. La sécurité aux soins intensifs Adresse e-mail : [email protected]. Les soins intensifs sont le lieu de surveillance et de traitements de patients souvent dans des états graves ou susceptibles de le devenir. Leur état clinique et leur 1624-0693/$ – see front matter © 2010 Société de réanimation de langue française. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.reaurg.2010.03.002 Sécurité versus confort survie dépendent d’un système hautement sophistiqué, alliant les compétences de spécialistes aussi bien médicaux qu’infirmiers et une technologie de pointe. Un nombre impressionnant d’actes successifs s’échelonnent dans une journée d’un patient de soins intensifs dont chacun nécessite une attention et une compétence particulière. Le corollaire en est un risque élevé d’erreurs, tant structurel, technique qu’humain [1]. Les mécanismes menant aux situations pouvant compromettre la sécurité des patients aux soins intensifs sont de mieux en mieux connus. Les erreurs médicales conduisent à une morbidité et mortalité certaines chez les patients [2]. L’institut de médecine américaine a publié en 1997 un rapport tapageur signalant que 7 % des patients hospitalisés décédaient à cause d’erreurs médicales, ce qui, extrapolé aux chiffres d’hospitalisations totales de l’année, correspondait à 33,6 millions de décès. Ces chiffres tout à fait étonnants, bien que contestés, démontrent que le monde médical n’est pas un lieu sûr et que des mesures sont à prendre pour en améliorer la sécurité. Si le milieu de l’aviation est ressenti comme un lieu à risque potentiel, il présente une maîtrise de compétence professionnelle (proficiency) de 99,9 %, alors que celle du milieu médical est estimée à 99 %, donc de dix fois moins. L’incidence élevée d’erreurs survenant aux soins intensifs est quasi inévitable, alors que les conséquences peuvent être fatales dans ce milieu particulier [3]. Définitions Quelques définitions sont nécessaires pour la compréhension de ce qui suit [4,5]. Erreur médicale (medical error) : erreur ou faute commise par un professionnel de la santé, résultant en un dommage au patient. L’erreur est de prime abord considérée comme honnête, accidentelle, dénué d’intention. Mauvaise pratique (malpractice) : accident qui survient suite à une négligence, une ignorance répréhensible ou une intention criminelle. Négligence : les soins prodigués tombent en-dessous d’un niveau standard attendu des soignants dans leur communauté. Événement indésirable (adverse event) : un dommage causé par une prise en charge médicale (plutôt que dans le cours du processus de la maladie) qui résulte en un prolongement du séjour hospitalier. Incident : tout événement qui a ou aurait pu porter atteinte à la qualité des soins, la sécurité du patient ou l’organisation du service. Événement sentinelle : tout événement ayant porté dommage ou aurait pu porter dommage à un patient. Les catégories d’événements Les événements sont catégorisés selon la nature de l’objet incriminé. Ils se rapportent à la médication, aux voies aériennes, aux cathéters et drains, à la défaillance d’équipement, aux alarmes, à la prise en charge du patient ou encore au service. Assurer la sécurité dans un service de réanimation revient à prévenir le plus grand nombre possible d’effets indésirables ou incidents. Ce sont des situations s’écartant de 229 procédures ou de résultats habituellement escomptés dans une situation habituelle et qui sont ou seraient potentiellement source de dommage à la qualité des soins, à la sécurité des patients et à l’organisation du service. Les thèmes de la sécurité et des mesures à observer ont été largement abordés dans les recommandations d’experts de la SRLF et de la SFAR, intitulé « La sécurisation des procédures à risques en réanimation : risque infectieux exclu » [6]. Dans le présent article, nous allons aborder plus en détail les causes menant aux incidents et les effets indésirables. Celles-ci se situent en amont des recommandations ci-dessus, qui proposent des solutions pour leur gestion et leur prévention. En effet, la survenue des incidents pourrait être en lien avec une recherche trop poussée du confort du patient ou de son entourage. Afin d’analyser les liens éventuels entre la sécurité et le confort du patient, il semble important de souligner les facteurs déclenchant ou associés à ces deux thèmes. La manière d’apprécier ces événements s’est modifiée durant ces dix dernières années. Alors que les erreurs étaient considérées comme des fautes plus ou moins intentionnelles ou par négligence de la part des soignants, il est aujourd’hui admis que l’erreur est humaine [7], et que ces événements pourraient survenir à nouveau si l’on ne modifie pas drastiquement la façon d’appréhender l’erreur. Ces raisonnements ont amené à une modification majeure de la culture de l’erreur dans le monde médical : plutôt que d’incriminer la personne qui a commis la faute, il faut chercher le défaut du système qui a failli et qui a engendré l’incident, incident qui est arrivé à ce soignant et non qui a été provoqué par ce soignant [8].. Les méthodes de détection de ces erreurs varient selon le but visé. Trois grands groupes de méthodes sont décrits [9]. La première consiste en une méthode prospective en temps réel où une personne dédiée à cet effet relève et collige tous les incidents. Selon que ces derniers sont détectés par un observateur externe ou déclarés spontanément par les acteurs du service, le nombre, la nature, de même que les actions induites sont très différents. Cette méthode a l’avantage de permettre la description des causes et conséquences des incidents et d’assurer le suivi d’un programme qualité visant à réduire les risques d’incidents dans un service. Une autre méthode consiste en un relevé rétrospectif sur dossiers. Elle permet essentiellement une évaluation quantitative de l’incidence d’incidents dans un service mais n’offre pas la possibilité d’en analyser les causes racines et ni donc de mesurer l’efficacité d’une intervention. Enfin, une approche cross-sectional, à savoir un relevé ponctuel sur une large échelle durant un temps très limité, permet un relevé d’un nombre important d’événements. Toutefois, ce procédé a le défaut de « rater » les événements significatifs. Les facteurs contributifs à la survenue d’événements indésirables sont connus. Les données de « ICU safety reporting system » nord-américaine montrent que les événements liés aux incidents « voies aériennes » sont associés à la condition médicale du patient, à l’âge, à la dotation du personnel de soins intensifs et aux compétences médicales des internes [10]. En ce qui concerne les incidents liés aux cathéters et drains, les facteurs associés sont l’opération chirurgicale, les nuits, les jours fériés, la connaissance et compétence 230 des cliniciens, la complexité de la situation clinique du patient et le jeune âge. Parmi les erreurs relatées, 2 % seulement seraient dus à une défaillance technique, deux tiers seraient en relation avec les conditions cliniques du patient lui-même, mais un tiers serait dû à des erreurs humaines. Celles-ci peuvent engendrer des décès dans un pourcentage non négligeable. Elles découlent plus d’une inattention ou d’une dérive de procédure plutôt que d’une méconnaissance de règle [11]. Certaines conditions liées au travail sont bien connues pour augmenter le taux d’erreurs médicales. Ce sont le burnout et la surcharge horaire. Les facteurs associés au burnout sont les situations conflictuelles, notamment avec les collègues médecins ou infirmières, la participation aux discussions sur l’abstention ou retrait thérapeutique ou encore d’être responsable des soins de fin de vie [12]. Les médecins interrogés avouent commettre plus d’erreurs médicales lorsqu’ils sont déprimés ou en burnout [13]. Ils commettent plus d’erreurs de prescription médicamenteuse, et le nombre d’accident de travail, induisant des blessures sur eux-mêmes notamment lors de gestes invasifs, augmente significativement. Les internes qui ont cumulé des heures de travail sont sujets à plus d’accidents de la route sur leur chemin de retour alors que la diminution de la charge de travail et des heures de travail permet de diminuer les erreurs humaines. Le burnout a non seulement des effets sur les soignants mais également sur la qualité des soins prodigués. En effet, il empêche une bonne communication et diminue l’intérêt des médecins à se préoccuper des difficultés psychologiques des patients [14]. Parallèlement, le burnout des infirmières peut compromettre la sécurité des patients. Les infirmières insatisfaites de leur travail et montrant des signes d’épuisement professionnel ont plus de risque de négliger les appels au secours des patients dont elles s’occupent, et ces derniers montrent un risque accru de mortalité [15]. Au vu des facteurs associés au burnout, une aide structurelle pourrait être apportée aux médecins et à l’équipe afin d’alléger le poids de leur souffrance au quotidien, notamment en leur donnant la possibilité de se reconnaître entre eux dans les accompagnements aux mourants, les situations conflictuelles, et d’accéder aux avis d’experts en soins palliatifs ou aux services pastoraux [16]. Ainsi les facteurs humains tels que stress, la fatigue et le burnout des médecins et certainement des infirmières contribuent plus à des situations de non qualité pouvant compromettre la sécurité des patients que des défaillances systémiques techniques ou de dispositifs. Ces facteurs pourraient également influencer le confort du patient. Le confort Pourquoi parler du confort aux soins intensifs ? La mission principale de la réanimation au sens des soins intensifs prodigués consiste en trois grandes catégories d’action : • de donner la possibilité de recouvrer l’état antérieur en assurant les fonctions vitales, notamment hémodynamique et respiratoire ; B. Ricou • de surveiller les paramètres vitaux de telle façon à prévenir la défaillance de systèmes vitaux ; • celui d’accompagner les patients jusqu’à la fin de ces deux missions, quelle que soit l’issue, que celle-ci soit. La restitution de l’indépendance physique et psychique ou qu’elle soit fatale [17]. L’avènement de la médecine intensive a fait croire que sa technologie et les connaissances nouvelles pouvaient amener à une survie quasi dans toutes les situations. Or, nous nous rendons compte qu’il n’en est rien aujourd’hui et le personnel de réanimation a appris depuis une vingtaine d’années que cette médecine ne sauve pas toutes les vies. La prise de conscience de cette réalité amène à une réflexion sur ce que doit être la réanimation. Est-ce d’assurer la survie à tout prix, ou est-ce plutôt de prodiguer des soins pour une survie qui a un sens pour le patient [17] tout en assurant un certain degré de confort rendant ces soins supportables, soins dont l’issue n’est pas aussi certaine que nous pouvions le penser autrefois ? Est-ce que d’augmenter les soins de confort pourrait compromettre la sécurité des patients ? Le confort en réanimation a pour but d’améliorer la qualité de vie en milieu de soins intensifs, et comprend les dimensions aussi bien physique que psychique, sociale, et spirituelle. Sur le plan physique, la douleur et les traitements imposés viennent au premier plan des sources d’inconfort. Sur le plan psychique, les incertitudes pronostiques et la proximité de la mort peuvent entraîner la peur, l’anxiété, l’angoisse, et la dépression. Ces états favorisent l’apparition d’états confusionnels ou délires qui peuvent être une sorte de fuite du monde réel de la part du patient, mais également des symptômes de détresse psychique. D’autres besoins sont la préservation de l’intimité, l’accès aisé des proches, être entouré de ses propres affaires et commodités, les familles prenant part aux soins et enfin l’accès aux services religieux tels que rites et support spirituel [18]. Les besoins spirituels et le soutien des patients et familles Le confort des patients et des familles passe par la prise en charge des aspects psychologique, social, émotionnel, spirituel, pratiques et existentiels [19]. Cette approche globale permet d’établir des buts réalistes de soin, de communiquer efficacement avec les patients et leurs familles en crise, et aider à donner un sens à cette expérience difficile [20]. Selon les connaissances acquises dans les soins palliatifs, quatre axes doivent être développés et intégrés dans la médecine intensive : • • • • l’évaluation des symptômes et leur management ; la communication avec les patients et leurs familles ; la communication interdisciplinaire ; la collaboration. Bien que tous les effets bénéfiques de ces types d’approches ne puissent être démontrés de façon objective, une étude d’intervention multimodale sur la communication avec les familles a pu montrer une augmentation de la satis- Sécurité versus confort faction des familles de même qu’une amélioration de leur qualité de vie à long terme [21]. De telles approches ne peuvent compromettre la sécurité des patients aux soins intensifs. En effet, certains pourront prétendre que ce type de prise en charge consomme du temps. Or, ce temps consacré à l’accompagnement des patients et des proches doit faire partie intégrante de la mission du service, être dûment comptabilisé dans le travail à accomplir et ne doit pas être « escamoté » au dépens des gestes médicotechniques. La confrontation sécurité — confort Exemples de situations où la sécurité doit être assurée aux dépens du confort du patient Les contentions physiques / chimiques L’usage des contentions physiques est répandu aux soins intensifs de par le monde. Celles-ci sont strictement réglementées par des lois, limitant leur utilisation à des fins de protection pour la personne elle-même. En pratique, aux soins intensifs, les contraintes physiques et chimiques sont utilisées pour protéger les patients d’états d’agitation ou de confusion les rendant susceptibles d’arracher des équipements vitaux, de tomber du lit [22]. De façon générale, la contention physique dans les milieux médicaux est tolérée lorsque son absence peut mettre en danger le patient lui-même. Ces contraintes devraient être utilisées le moins invasivement possible, ce pour optimaliser la sécurité, le confort et la dignité du patient. Elles ne doivent pas être utilisées en lieu et place de mesures pouvant apaiser ou tranquilliser le patient. Les médications telles que les tranquillisants, les anxiolytiques ou analgésiques ne doivent pas non plus être utilisées en excès à des fins de contention chimique. Certains travaux suggèrent que tous les patients ne se souviennent pas des mesures de contention physique et surtout, qu’ils n’en décrivent pas un souvenir de détresse importante. Les événements rendant nécessaire l’utilisation de la contention, tels que l’intubation ou les hallucinations, sont plus sources de troubles lorsque remémorées après les soins intensifs [23]. Il n’y a pas d’évidence de lien direct entre les contentions physiques et la survenue de « post traumatic stress disorder » (PTSD) par la suite [24]. Toutefois, les patients semblent oublier l’utilisation de contention, ce qui rend l’interprétation des résultats difficiles, quant à leur impact ultérieur. Les alarmes Le bruit est un problème souvent relaté comme étant source de désagrément et cause d’insomnie pour les patients de soins intensifs. Or les alarmes des différents dispositifs médicaux de soins intensifs, tels que le moniteur cardiaque, le ventilateur, les appareils de perfusions de liquides médicaux, des seringues, constituent une grande partie des bruits de fond qui, mesurés, montent à quelque 60 — 90 dB, un niveau sonore considéré comme incompatible avec le repos par les urbanistes. La majorité des soignants de soins intensifs est insatisfaite avec le système d’alarmes actuel [25]. Seul un petit pourcentage de ces alarmes mène à une réaction corrective de la part des soignants. La réflexion se porte 231 donc sur le niveau sonore de ces alarmes et leur utilité. L’absence de consensus dans la littérature sur le seuil endessous duquel nous pourrions compromettre la sécurité du patient, ne doit pas conduire à la conclusion hâtive que toutes les alarmes sont absolument indispensables. En effet, des solutions doivent être recherchées afin de réduire le niveau sonore. La répétition des alarmes peut se révéler inutile, l’acquittement des alarmes non vitales pourrait être automatisé et le monitorage et l’alarme à distance, sont des solutions envisageables sans réduire la sécurité des patients. En effet, la littérature s’accorde à démontrer que les erreurs humaines liées à l’ignorance, l’inattention ou encore la négligence sont plus source de danger pour les malades. Trop d’alarmes peuvent diminuer le seuil d’attention, et certaines alarmes peuvent couvrir le bruit d’autres alarmes. Le patient veut boire/manger alors qu’il a des troubles de la déglutition La sensation de soif est parfois très difficile à tolérer pour les patients. Les « palliatologues » connaissent bien ce problème et proposent des glaçons à l’ananas à sucer et des soins de bouche réguliers. Ces gestes permettent très souvent de passer le cap sans devoir sédater le patient. Le patient est angoissé et demande un somnifère alors qu’il est en insuffisance respiratoire aiguë ou le patient est inconfortable durant le sevrage ventilatoire La pesée des intérêts pour le patient doit se faire avec lui, dans la mesure du possible. S’il est capable de comprendre l’importance des enjeux, il accepte parfois d’endurer l’inconfort de l’insomnie pour pouvoir être sevré plus rapidement du ventilateur et du tube endotrachéal. Le patient a mal et il est hypercapnique Là aussi, il s’agira de faire un jugement probabiliste : estce que le patient est suffisamment réveillé pour pouvoir comprendre les enjeux de sa demande d’antalgique ? N’est-il pas justement trop endormi pour pouvoir juger correctement de sa douleur ? D’autres antalgiques pourraient-ils être utilisés que des opiacés ? Dans cette évaluation, le degré d’hypoventilation imposée par la douleur doit être tenue en compte. Exemples de situations où le confort est mis en avant aux dépens de la sécurité Toutes ces situations sont à évaluer en mettant en balance la dangerosité de ce qui est demandé, les risques encourus par le patient et les conséquences sur sa vie, son état clinique et le bénéfice escompté, tout cela dans le cadre du respect de la volonté du patient. En effet, nous pourrions tout à fait accepter, en accord avec le respect du principe d’autonomie, que le patient, en connaissance des conséquences potentielles désastreuses de son souhait, puisse avoir sa demande assouvie. Cela implique l’établissement d’une relation étroite entre le personnel soignant et le patient. Le soignant doit pouvoir accepter que leurs efforts prodigués jusque-là puissent être annihilés car le patient décide de prendre le risque et que l’accident survient, pouvant même causer son décès. La déception de l’équipe doit pouvoir être entendue, partagée mais ne pas se retourner 232 contre la décision antérieure, l’équipe ne doit pas regretter sa décision. Ce discours est surtout valable lorsqu’il s’agit de situations où le pronostic vital du patient est compromis, en situation de soins palliatifs. En effet, il est aisé d’admettre que le patient puisse encore voir les rayons du soleil sur la terrasse, alors que l’on ignore s’il sera encore en vie dans quelques semaines. Ainsi, il ne faut pas forcément privilégier la sécurité contre le confort. Les deux concepts peuvent cohabiter jusqu’à une certaine mesure. La question fondamentale est de savoir ce que nous sommes d’accord d’investir comme énergie et de moyens afin d’assouvir les besoins en confort du patient. La période du post-partum Il n’existe pas de littérature concernant la parturiente aux soins intensifs. Pourtant, ces mères vivent des moments particulièrement mouvementés de point de vue émotionnel, les soumettant à des tensions d’une rare intensité. En effet, la venue de l’enfant, la catastrophe qui met en danger leur vie à elle et celle de l’enfant, parfois le décès du bébé, et la tempête hormonale périnatale mettent la femme dans une vulnérabilité majeure. Il est important que les soignants des soins intensifs reconnaissent la difficulté inhérente à cette situation particulière et interviennent activement pour recréer une atmosphère rendant possible la naissance de la relation mère—enfant, sans parler de la relation au sein de la famille toute entière. En effet, cette relation de la mère à l’enfant sera d’une importance capitale pour la vie de l’enfant, et tout doit être mis en œuvre pour la favoriser : les infirmières doivent pouvoir amener le bébé dans les soins intensifs, la mère si possible doit pouvoir allaiter si tel est son désir et si des médicaments ou situations médicales contre-indiquent que le bébé tête directement au sein de la mère, cette dernière doit pouvoir tirer son lait de manière instrumentale pour maintenir la lactation. Le contact physique et une certaine intimité doivent pouvoir être protégés même dans les soins intensifs. Peu de risques sont liés à cette prise en charge. La visite des enfants à leur parent est discutée dans un autre chapitre consacré à l’accueil des familles. Exemples de situations où on pense bien faire au point de vue confort aux dépens du devenir à long terme des patients Sédation profonde / PTSD L’inconfort des mesures invasives telles que l’intubation endotrachéale a conduit les réanimateurs à instaurer très tôt une analgo-sédation. Or il est aujourd’hui reconnu que cette sédation doit être allégée, le patient réveillé au moins une fois par jour [26]. Les données de la littérature tendent également à démontrer qu’une sédation trop profonde, favorisant les déconnexions avec le monde réel, peut jouer un rôle dans la survenue d’un stress post-traumatique (post traumatic stress disorder = PTSD) [24]. Les illusions délirantes semblent plus fréquentes chez des patients ayant reçu une sédation profonde [27] ou chez ceux qui ont une durée prolongée de sédation ou de durée de séjour [28]. A contrario, les patients ayant bénéficié d’un protocole avec un réveil journalier voient non seulement une réduc- B. Ricou tion de la durée de la ventilation mécanique et du séjour aux soins intensifs mais bénéficient d’une réduction de taux d’apparition de PTSD et tendent à éprouver moins de signes de dépression et de problèmes psychologiques par la suite [29]. La profondeur de la sédation est également corrélée à la dépression six mois après les soins intensifs, surtout chez des patients chirurgicaux ayant des défaillances organiques multiples [30]. Les performances de notre médecine de pointe permettent de plus en plus de survies, mais avec un prix à payer pour les survivants : les états de dépendance prolongée, une dépression, un PTSD. Un effort considérable doit être fourni pour prévenir leur survenue. Les situations à individualiser Le patient délire Le délire peut revêtir plusieurs aspects allant d’une forme hypoactive, voire apathique jusqu’à des états d’agitation motrice intense [31]. Les causes de délire sont probablement multifactorielles [32], englobant le changement de milieu et l’intolérance de l’environnement particulier de soins intensifs, ses bruits, l’absence de rythme nycthéméral, l’événement traumatisant ayant conduit dans les soins intensifs, la douleur, le manque de sommeil ou encore le sevrage de médication antérieure. Le délire est associé à une augmentation de la mortalité des patients ventilés mécaniquement [33], d’où l’importance de le traiter efficacement non seulement pour des raisons de confort du patient, de son entourage (des soignants), mais également pour des raisons sécuritaires. Alors que l’efficacité des médications pouvant réduire les états de délire étaient peu démontrée, et que l’on continue leur traitement soit par des benzodiazépines ou des neuroleptiques de type halopéridol, la dexmedetomidine a tout récemment été démontrée comme plus efficace pour le délire [34]. Le patient s’agite Problématique très proche du délire, pour laquelle la littérature ne fait pas une distinction très nette quant à sa gestion. La réflexion doit se porter sur la balance bénéfice—risque pour le patient entre être sédaté par des médicaments, être contenu physiquement et laissé à un certain degré d’agitation. Le patient est intubé et supporte mal son tube endotrachéal Les douleurs liées à la présence du tube endotrachéal au niveau pharyngé et laryngé, l’inconfort exacerbé par les manœuvres de toilettage et aspirations rendent cet équipement responsable des causes d’agitation. Le traitement principal en est l’extubation et non la sédation profonde. Par ailleurs, dans la grande majorité des cas, ces inconforts peuvent être gérés par une antalgie pure, sans y associer de sédatif, ce qui permet un contact avec les soignants et surtout la compréhension de sa nécessité par le patient. Le patient veut aller aux toilettes Les patients, pour autant que leur condition physique le leur permette, doivent pouvoir se lever et se rendre aux Sécurité versus confort toilettes, même avec un scope ECG, pour préserver leur dignité. Peu de données de la littérature sont spécifiquement consacrées à ce type de sujet. Le patient veut aller sur la terrasse Si une surveillance adéquate peut être assurée par le personnel accompagnant, une petite ballade à l’extérieur de l’unité peut être tout à fait salvateur pour le moral du patient, surtout si celui-ci doit demeurer longtemps aux soins intensifs. Il n’y a pas de littérature étayant ce sujet. Le patient veut son chat, son chien La zoothérapie a été tentée dans d’autres sphères médicales, notamment en gériatrie, avec succès, pour redonner goût à la vie aux patients nécessitant une longue hospitalisation. De telles expériences n’ont pas encore été rapportées aux soins intensifs. Lorsque les chances que le patient puisse retourner à domicile s’amenuise et que la fin est proche, il ne paraît pas exclu qu’il puisse aussi faire ses adieux à ses animaux de compagnie. Les proches et familles Confort des familles / sécurité des patients L’information et la discussion avec les familles de façon formelle telle que décrites dans les « Conférences familles » sont essentielles pour assurer le confort moral des proches et familles des patients [35]. Durant ces réunions, les familles doivent recevoir les informations des soignants mais surtout pouvoir s’exprimer [36]. Les familles devraient pouvoir accéder à leurs proches aussi souvent et longtemps qu’ils le souhaitent, aux heures qui leur conviennent [37]. Or, les soignants craignent que le dérangement ainsi provoqué puisse nuire aux patients, à leurs soins et éventuellement à leur sécurité. Toutefois, la littérature ne permet pas de départager les avis quant à ces dernières inquiétudes, probablement infondées, de la part des soignants. Les quelques expériences rapportées d’ouverture horaire des visites décrivent une augmentation de la satisfaction des familles mais pas du nombre d’incidents [38]. Participation des proches aux soins des patients La participation des proches aux soins des malades est un sujet débattu. Les soignants sont partagés entre leur identité professionnelle de soignants qui voudraient garder la primauté de ces soins, le désir de vouloir soigner les proches. Cela conduit à deux attitudes assez opposées, entre celles qui veulent quasi obliger les proches à participer, et celles qui ne le souhaitent surtout pas. Les rares résultats rapportent que les proches ne sont pas si désireux de participer aux soins, qu’ils en ont peur, qu’ils craignent de faire mal [39]. Il n’y a pas de données dans la littérature suggérant que de laisser faire les soins aux proches interfère avec la sécurité des patients. 233 Sécurité versus confort en fin de vie Les patients ne meurent pas confortablement aux soins intensifs [40]. Près de la moitié des patients souffrent de dyspnée, de douleur et d’état d’agitation, près d’un tiers de confusion, de fièvre et d’anxiété. Les patients se plaignent d’inconfort à cause du tube endotrachéal, ou des ponctions des voies artérielle ou veineuse [41]. Des mesures ont été proposées pour améliorer la qualité de soins durant cette période délicate [42,43]. Les consultations en soins palliatifs et en éthique de même que les conférences avec les familles améliorent la perception de ces moments et diminuent la prolongation de fin de vie. L’académie suisse des sciences médicales (ASSM) est l’instance faîtière de référence en matière de Code déontologique et de règles éthiques que tous les médecins suisses sont sensés connaître et appliquer. Elle est reconnue politiquement sur le plan suisse et donne des directives détaillées alors que les lois fédérales ou cantonales ne peuvent aller aussi loin dans les situations particulières. Ses directives font office de loi en cas de sujets non traités dans le cadre légal. L’ASSM édicte également des règles pour promouvoir les soins palliatifs au sein des soins intensifs [44] : • contrôle adéquat de la douleur et des symptômes ; • aborder à temps le sujet des complications possibles ; • discuter l’intensité et limites de la thérapie, les confronter aux attentes du patient, notamment concernant le traitement en fin de vie ; • accorder assez de temps pour l’adaptation des objectifs thérapeutiques malgré la pression ; • donner une information transparente aux patients et proches sur la gravité de la maladie et probabilité d’une issue mortelle Par analogie avec la littérature connue pour les soins en fin de vie, les barrières empêchant de diagnostiquer le mourant sont [45] : • • • • • • • • • • l’espoir que le patient aille mieux ; le manque de diagnostic définitif ; la poursuite d’interventions non réalistes et /ou futiles ; le désaccord sur la condition clinique du patient ; le manque de connaissance sur comment procéder à une décision de fin de vie ; le manque de capacité à communiquer avec les familles et le patient ; ses propres préoccupations sur le retrait ou l’abstention thérapeutique ; la crainte de raccourcir la vie ; les barrières culturelles et spirituelles ; les issues médicolégales. Celles-ci empêchent d’entrer dans une attitude palliative et d’instaurer toutes les mesures de confort permettant une survie de qualité même en milieu de soins intensifs. Clarke et al. [16] ont inventorié la liste des soutiens nécessaires pour les cliniciens leur permettant d’assurer les soins de confort en fin de vie : 234 • le soutien émotionnel des collègues s’occupant des patients mourants ; • l’ajustement de la dotation en médecins et infirmières et de leur rotation afin d’optimaliser la continuité des soins ; • une communication régulière interdisciplinaire concernant les objectifs de traitement ; • l’établissement des groupes de soutien, l’accès à des experts de soins palliatifs et des représentants des soins pastoraux ; • l’encouragement des rituels pour les soignants pour marquer le décès des patients. Or ces soins ne sont pas le propre de la fin de vie. En effet, les personnes survivant longtemps en milieu de soins intensifs vivent des moments intenses de doute où le confort peut devenir plus important que la survie elle-même. La réflexion des soignants d’autrefois prônant la survie à tout crin n’a plus de sens ici. Conclusions La revue de la littérature ne permet pas de relever des circonstances particulières où l’augmentation du confort du patient compromet directement sa sécurité. Toutefois, à la lecture détaillée des diverses approches, il existe certainement une zone grise où les soignants, médecins et infirmières devront faire des choix de priorité, selon la situation clinique et les valeurs à prioriser pour cette circonstance donnée. Il n’y a pas d’argument fort pour freiner l’extension des mesures de confort connues dans les milieux de soins palliatifs dans le contexte de soins intensifs, parce qu’elles pourraient porter atteinte à la sécurité des patients. Conflit d’intérêt L’auteur déclare n’avoir aucun conflit d’intérêt concernant ce travail, ni avec d’autres collaborateurs ni avec des compagnies pharmaceutiques. Références [1] Donchin Y, Gopher D, Olin M, et al. A look into the nature and causes of human errors in the intensive care unit. Crit Care Med 1995;23(2):294—300. [2] Pronovost P, Wu AW, Dorman T, Morlock L. Building safety into ICU care. J Crit Care 2002;17(2):78—85. [3] Osmon S, Harris CB, Dunagan WC, Prentice D, Fraser VJ, Kollef MH. Reporting of medical errors: an intensive care unit experience. Crit Care Med 2004;32(3):727—33. [4] Valentin A, Capuzzo M, Guidet B, et al. Patient safety in intensive care: results from the multinational Sentinel Events Evaluation (SEE) study. Intensive Care Med 2006;32(10):1591—8. [5] Vincent C. Incident reporting and patient safety. BMJ 2007;334(7584):51. [6] SRLF. Sécurisation des procédures en réanimation;2008. [7] Kohn Linda T CJM, Donaldson Molla S. To err is human;2000. [8] Reason J. 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